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Jourdain.— Une lettre du pro- cureur-général Bellart. — • Le commandant Muscar, l'adjudant Bvutus Hugo et les massacres du château dAux.— Meiie Sophie Trébuchet. — La vraie noblesse de M. Victor Hugo. I M. Victor Hugo publie en ce moment l'édition définitive de ses Œuvres complètes, — édition ne varietiir d'après les manuscrits originaux *. L'illustre *\S poète, et on ne peut que l'en louer, tient à mettre fV ordre lui-même à ses affaires littéraires. Ainsi avait 1 Œuvres complètes, jmrues ou à paraître, de Victor Hugo, environ 40 vol, in-S». — Paris. J. Hetzel et C. A. Quantin et C, éditeurs. 6 VICTOR HUGO AVANT 1830 fait Chateaubriand dans les dernières années de la Restauration, et les nombreuses éditions de ses œu- vres qui se sont succédé depuis n'ont point fait oublier ces beaux volumes, publiés chez le libraire Ladvocat, et dont chacun a pour frontispice une vignette, où le palmier d'Orient s'unit au chêne d'Amérique pour couronner la pierre sur laquelle est inscrit le nom de Chateaubriand. Sortis des presses de M. Quantin, les volumes de l'auteur des Odes et Ballades n'ont rien à envier, pour la perfection typographique, à ceux de l'auteur des Martyrs ; mais peut-être doit-on regretter que M. Victor Hugo n'ait point suivi l'exemple de Chateaubriand, qui a fait précéder chacun de ses ouvrages d'une préface nouvelle, pleine de renseigne- ments inédits et curieux, de considérations élevées, de fermes et judicieuses critiques. Sur un autre point encore, nous aurions aimé à voir le grand poète imi- ter le grand prosateur. En 1797, Chateaubriand avait fait paraître, à Londres, sans nom d'auteur, un gros volume de 681 pages in-8^, intitulé Essai historique y politique et moral sur les révolutions anciennes et mo- dernes, considérées dans leurs rapports avec la révolu- tion française i. Disciple de Jean-Jacques Rousseau, le jeune écrivain avait méconnu le caractère divin de la religion chrétienne, et il était tombé dans les décla- mations et les sophismes. Son livre pouvait donc fournir à ses adversaires les moyens de le mettre en 1 A Londres, chez J. Deboffe, Gerrard-Street ; J. Debrett, Piccadilly ; M"» Lowes, Pall-Mall ; A. Dulau et Ce, Wardour-Street ; Boosey, Broad-Street ; et Fauche, à Hambourg. VICTOR HUGO AVANT 1830 7 contradiction avec lui-même ; malheureusement pour eux, les rares exemplaires qui avaient franchi le dé- troit étaient devenus à peu près introuvables. Cha- teaubriand se chargea de venir en aide à ses ennemis ; il réédita VFssai su?' les i^évolutionsy sans y changer un seul mot. Gomme Chateaubriand, M. Yictor Hugo a publié dans sa jeunesse des écrits, — en vers et en prose, — dans lesquels il professe des opinions diamétralement opposées à celles qui sont aujourd'hui les siennes. Pourquoi ne les a-t-il pas fait figurer dans ses Œuvres complètes ? Il y a là une lacune que je voudrais essayer de combler. Je le ferai, non certes pour montrer que M. Yictor Hugo, aujourd'hui ardent républicain, a commencé par être un ardent royaliste, mais parce que ces écrits de la jeunesse du poète sont pleins de talent et méritent d'être arrachés à l'oubli auquel il les voudrait condamner. J'y trouverai texte d'ailleurs à étudier de près ses premières années et ses pre- mières œuvres. Je m'efforcerai d'apporter dans ce tra- vail ce souci d'exactitude et de précision dont la cri- tique contemporaine se fait une loi lorsqu'elle aborde les grands écrivains du dix-septième siècle, Corneille ou Racine, La Fontaine ou MoUère. Je traiterai M. Victor Hugo comme un classique. Aussi bien, je suis de ceux qui n'ont jamais fait difficulté de reconnaître et de saluer son génie, et il ne m'étonnerait pas d'être traité d'hugolâtre par quelques-uns de mes lecteurs. Pendant ce temps , j'en ai peur , le MAITRE , si ces pages 8 VICTOR HUGO AVANT 183U tombent par hasard sous ses yeux, trouvera sans doute mes éloges bien pâles et bien tièdes. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'extrême louange a seule le don de plaire aux poètes; et le sage Ulysse le savait bien, lui qui abordait le chantre Démodocus par ces paroles a Démodocus, je te mets sans contre- dit au-dessus de tous les mortels ensemble ; car c'est la Muse elle-même qui t'a enseigné, la Muse, fille de Jupiter, ou plutôt Apollon i. » Eh bien ! non, M. Victor Hugo n'est pas au-dessus de tous les mortels ensemble ; mais il n'en demeure pas moins un puissant poète et un prosateur admi- rable. Il est avec Chateaubriand et avec Lamartine l'une des trois plus grandes figures littéraires du dix- neuvième siècle, et sa gloire, eût-elle, comme celle de l'auteur du Génie du Christianisme et celle de l'auteur des Méditations, des retours à subir, sa gloire ne périra pas. Il ne saurait dès lors être sans intérêt de bien connaître les origines et les premières manifes- tations de son génie. Le poète lui-même, il est vrai, semble avoir fourni d'avance sur ce point tous les éclaircissements désirables, dans les deux volumes de Mémoires écrits sous son toit et à peu près sous sa dictée et publiés en 1863 sous ce titre Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie ^. Malheureu- 1 Odyssée, 1. vin. 2 Deux volumes in-8*. — Ces deux volumes, qui prennent le poète à sa naissance, le conduisent jusqu'à sa nomination à l'Académie française en 1841. M. Victor Hugo, en lui donnant place dans Yédition défunt'we de ses Œuvres, a reconnu par là même que cet ouvrage était son œuvre person- nelle. Nous sommes donc autorisé à y voir de véritables Mémoires, écrits à la troisième personne, — comme lés Commentaires de César. VICTOR IIL'GO AVANT 1830 9 semont co livre, à côté de renseignements précieux et dont l'histoire littéraire de notre temps devra faire son profit, renferme en grand nombre des inexactitudes qu'il est essentiel de redresser et des lacunes plus ou moins involontaires qu'il est utile de faire disparaître. Je m'y suis appliqué de mon mieux et le soin que j'ai mis à relever les erreurs du témoin de M. Victor Hugo ou à rechercher les écrits de sa jeunesse témoigne peut-être d'une admiration plus sincère à son endroit que celle des bons amis de cour qui vont célébrant bien haut ses dernières œuvres, et qui, entre eux, 50/^0 voce, le gratifient, en dépit de son anticléricalisme, d'un ample canonicat dans le diocèse de l'archevêque de Grenade. II Si j'avais écrit ces mémoires avant la Révolution, j'aurais peut-être évité de parler longtemps de mon origine né avec un sentiment absolu d'indépendance, je n'estimais peut-être pas assez autrefois l'avantage d'être sorti d'une ancienne maison ; mais depuis qu'on a voulu prouver que la noblesse n'était rien, j'ai senti qu'elle valait quelque chose et j'aime à présent à retrouver le gentilhomme sous la plume de Montes- quieu comme à sentir la chevalerie sous la lance de Bayard. Je descends d'une des plus anciennes familles de la Bretagne et de la monarchie française. » Ainsi 1. 10 VICTOR HUGO AVANT 1830 s'exprimait Chateaubriand en tête des Mémoires de sa vie, commencés en 1809 i. M. Victor Hugo, qui écrivait sur son journal de collège, à la date du 10 juillet 1816 il avait alors quatorze ans Je veux être Chateaubriand ou rien; » — M. Yictor Hugo n'a pas voulu qu'il fût dit que, l'égal de Chateaubriand par le génie et par la gloire, il n'était pas son égal par la naissance. Fils d'un soldat qui avait conquis sur les champs de bataille le titre de comte, il a tenu à nous apprendre que sa no- blesse remontait bien au delà du premier Empire, et que lui aussi possédait ravantage cVêtre sorti cVune ancienne rnaison. Au mois de juillet 1831, k la veille de la publication des Feuilles cVautomne, M. Sainte-Beuve, alors son ami, faisait paraître, dans la Biographie des Contem- jjorains, une notice dont le poète lui-même lui avait fourni les éléments. Je n'ai point écrit mon article, dit M. Sainte-Beuve, sans m'informer et sans puiser à la meilleure source. » Or voici l'information que M. Yictor Hugo avait fournie à son biographe, relati- vement à l'ancienneté de sa maison Sa famille paternelle, anoblie, dès 1531, en la personne de Georges Hugo, capitaine des gardes du duc de Lor- raine, avait donné, au dix-septième siècle, un savant théologien de ce nom, évêque de Ptolémaïs ^. » Cet évoque de Ptolémaïs reparaîtra trente ans plus 1 Mémoires de ma vie, manuscrit des trois premiers livres des Mémoires d'Outre- Tombe, publié, en 1874, par M™ Charles Lenormant. 2 Biographie des Contemporains, publiée sous la direction de MM. Rabbe et Yieilhe de Boisjolin, t. IV, 2 partie, p. 331. VICTOR HUGO AVANT 1830 11 tard dans les Misérables Dans une autre disserta- tion, dit M. Hugo, l'évêque de D. examine les œuvres théologiques de Hugo, évêque de Ptolémaïs, arrière- grand-oncle de celui qui écpit ce livre *. » Dans Wil- liam Shakespeare, l'auteur nous présente Françoise d'Issembourg de Happoncourt, femme de François Hugo, chambellan de Lorraine, et fort célèbre sous le nom de M^^e de Grafigny ^ ». Enfin, dans Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, voici ce que nous trouvons dès la première page Le premier Hugo qui ait laissé trace, parce que les docu- ments antérieurs ont disparu dans lé pillage de Nancy par les troupes du maréchal de Gréqui, en 1670, est un Pierre-Antoine Hugo, né en 1532, conseiller privé du grand-duc de Lorraine, et qui épousa la filie du seigneur de Bioncourt. Parmi les descendants de Pierre-Antoine, je remarque au seizième siècle, Amie-Marie, chanoinesse de Remiremont ; au dix-sep- tième siècle, Gharles-Louis, abbé d'Etival, évêque de Ptolémaïde, auteur d'un recueil estimé, Sacrx antiquitatis monumenta ; au dix-huitième siècle, Joseph-Antoine, officier près du maréchal de Montesquiou, tué à la bataille de Denain ; Michel- Pierre, lieutenant-colonel au service de Toscane ; et Louis- Antoine, que M. Abel Hugo disait être le conventionnel Hugo, exécuté pour modérantisme 3. Le père de M. Victor 4 Les Misérables, I'" partie, 1. I»', c, v. — On lit encore, dans la seconde partie des Misérables, au livre I', consacré à la bataille de Waterloo Hougomont, pour l'antiquaire, c'est Hug ornons. Ce manoir fut bâti par Hugo, sire de Somerel, le même qui dota la sixième chàtellenie de l'abbaye de Vil- liers. » — Au 1. IV, c. v, de Notre-Dame-de-Paris, M. Victor Hugo parle de l'évêque Hugo de Besançon, IJugo II di Disuncio, 1326-1332 ; » et dans ses Lettres sur le Rhin, t. I, p. 101, il n'omet point de rappeler qu'au moyen âge la ville de Mézières a été anoblie par le comte Hugo ». 2 'William Shakespeare, par Victor Hugo, p. 338. 3 Je puis rassurer M. Victor Hugo sur le sort de ce conventionnel. Envoyé à la Convention parle département des Vosges, il y joua un rôle si effacé, 12 VICTOR HUGO AVA^'T 1830 Hugo, Joseph-Léopold-Sigisbert, s'engagea comme cadet en 1788, à l'âge de quatorze ans. Sept frères qu'il avait, sans compter les sœurs, partirent presqu'en même temps que lui. Cinq furent tués dès le commencement de la guerre, aux lignes de Wissembourg. Deux survécurent, Francis-Juste, qui devint major d'infanterie, et Louis-Joseph, mort il y a dix ans général de Ijrigade *. Chateaubriand avait dit, au début de ses Mé- moires Lorsque Chérin vit nos titres pour ma pré- sentation à Louis XVI, et pour faire les preuves de ma sœur Lucile au chapitre de Largentière et ensuite à celui de Remiremonty il déclara qu'il n'avait jamais eu entre les mains une plus belle et plus complète généalogie. » Puisque les portes du chapitre de Re- miremont, en Lorraine^ s'ouvraient toutes grandes devant les Chateaubriand , il ne se pouvait pas qu'elles restassent fermées devant les Hugo, et c'est pour cela que nous voyons figurer dans la généalo- gie du poète, Anne-Marie, chanoinesse de Remiremont. Or sait-on combien il fallait prouver de quartiers de noblesse pour être reçue chanoinesse du chapitre de Remiremont ? Pour entrer dans ce chapitre, dit M. le comte d'Haussonville, il fallait prouver trente- deux quartiers de noblesse dans les lignes pater- nelles, et autant dans les lignes maternelles, en tout soixante-quatre quartiers =^. » que ni les Tables, pourtant si complètes, du Moniteur de la Révolution, ni les diverses biographies des Membres de la Convention nationale ne font men- tion de lui. Dans les Appels nominaux lors du procès de Louis XVI, il est por- té absent par maladie. Il n'a point eu l'honneur d'être guillotiné, et il est mort tranquillement dans son lit le 15 septembre 1825. 1 Yictor Huçio raconté par un témoin de sa vie, t. I, p. 1. 2 Sowyenirs et Mélanfjes, par le comte d'Haussonville, p. 3. VICTOR HUGO AYANT 1830 13 Soixante-quatre quartiers ! On voit que M. Victor Hugo laisse bien loin derrière lui ce gentilhomme, si fier de ses parchemins, à qui Boileau disait Votre race est connue, Depuis quand? répondez. Depuis mille ans entiers. Et vous pouvez fournir deux ibis seize quartiers C'est beaucoup*. C'est peu, pourrait répondre M. Hugo, qui possède une collection ï ancêtres presque aussi riche que celle de don Ruy Gomez de Silva Voilà don Vasquez, dit le sage ; Don Jayme, dit le fort. Un jour sur son passage, Il arrêta Zamet et cent Maures, tout seul. — J'en passe, et des meilleurs 2. Lui aussi, M. Hugo, a été forcé d'en passer, et des meilleurs, parce que les documents antérieurs à J ont disparu dans le pillar/e de Nancy, en 1670. Sans ce déplorable événement, sans le maréchal de Créqui et ses troupes, nul doute que l'auteur des Misérables n'eût été en mesure d'établir que sa famille marchait de pair avec les petits chevaux de Lorraine^, comme celle de l'auteur du Génie du Christianisme rivalisait 1 Boileau, satire V. 2 Hernani, acte III, scène v-i. 3 Les familles appelées grands chevaux de Lorraine étaient au nombre de quatre les Ligneville, les du Chatelet, les Lenoncourt et les Haraucourt... On n'est point parfaitement d'accord sur le nombre et sur les noms des fa- milles qualifiées de petits chevaux de Lorraine. Les auteurs qui en parlent varient à ce sujet. Ils citent tantôt huit, tantôt douze et quelquefois seize fa- milles comme portant ce titre honorifique. » Comte d'Haussonville, Souve- nirs et Mélanges, p. 5, et Hist. de la réunion de la Lorraine à la France, t. I, p, 20. 14 VICTOR HUGO AVANT 1830 de grandeur et d'ancienneté avec celle des Rohan et des Montmorency-Laval ^ Je ne me serais point étendu aussi longuement sur les prétentions aristocratiques de M. Victor Hugo, si elles n'avaient quelque chose de singulier chex un écrivain qui se pique d'être démocrate ; si elles n'a- vaient pas, en second lieu, droit de nous étonner en- core davantage, venant d'un homme assez illustre par lui-même pour pouvoir se passer d'aïeux ; si enfin elles n'offraient pas ce caractère particulièrement étrange d'être dénuées de tout fondement. Le père de M. Victor Hugo, qui a écrit, lui aussi, ses Mémowes, nous apprend qu'il doit le jour à d'honnêtes gens dont rien n'égala mieux les vertus que l'excellente réputation qu'elles leur méritèrent^». Ces honnêtes gens, à qui leurs vertus avaient valu une excellente réputation, demeuraient à Nancy ; c'est donc là que nous devons nous adresser si nous vou- lons être renseignés exactement. J'ouvre en consé- quence l'Histoire de Nancy, par M. Jean Gayon, et, à la page 353, consacrée au récit de la fête des époux, dans le département de la Meurthe, je lis ce qui suit Parmi les citoyens couronnés dans ces fêtes pa- triarcales, nous remarquons, le 10 floréal an V 29 avril 1797, Joseph Hugo, menuisier, très excellent républicain » et père de neuf enfants dont plusieurs 1 Chateaubriand, Mémoires, p. 5. 2 Mémoires du général Hugo, t. I, p. 1. VICTOR HUGO AVANT 1830 15 étaient à la frontière. Il est raïcul de notre célèbre Victor Hugo, pair de France *.» III Ce n'est pas sans raison que Joseph Hugo avait été couronné le jour de la fête des époux. Il s'était marié deux fois sa première femme, demoiselle Dieudonnée Béchet, était fille de Dominique Béchet, maître cordonnier; sa seconde femme, demoiselle Jeanne- Marguerite Michaud, était gouvernante d'enfants chez le comte Rosières d'Euvezin *. De ses deux mariages il avait eu douze enfants, sept filles et cinq garçons Jean-François, né le 27 janvier 1757, François-Bal- thazar, né le 5 janvier 1762, Joseph-Léopold-Sigisbert, né le 15 novembre 1773, Louis- Joseph, né le 14 février 1777 et François-Juste, né le 3 août 1780. Que les deux premiers aient été tués aux lignes de Wis- sembourg, comme l'affirme M. Victor Hugo, je le veux bien croire, mais je fais mes réserves pour les trois autres, pour Joseph-Léopold-Sigisbert, père du poète, mort en 1828, pour Louis-Joseph, mort en 1854, et pour François-Juste, qui vivait encore en 1823, ainsi que l'établit une lettre de Louis-Joseph Hugo à sa sœur madame Martin Ghopine, en date du 10 août 1823, que j'ai en ce moment sous les yeux. Après 1 Histoire de Nanc>/, par M. Jean Cayon. Nancy, 1846. 2 Les Archives de Nancy ou Documents relatifs à l'histoire de cette ville, publiés sous le patronage de l'administration municipale, par M. Lepage, ar- chiviste de la Meurthe, 18G5, t. IV, 16 VICTOR HUGO AVANT 1830 tout, il est fort heureux pour M. Victor Hugo que Joseph Hugo n'ait pas eu cinq fils tués ensemble à Wissembourg , car alors Joseph-Léopold-Sigisbert aurait été compris dans cette hécatombe, — et M. Victor Hugo ne serait pas né ! La victoire des lignes de Wissembourg eût été, pour la France, désastreuse à l'envi d'une défaite ! Deux mots maintenant sur les sept filles du menuisier Joseph Hugo. H résulte du recensement officiel des habitants de Nancy, fait en l'an IV 1796, que trois d'entré elles, Victoire, Anne-Julie et Marie-Françoise, étaient couturières et demeuraient avec leur père dans une maison de la rue des Maréchaux. Trois étaient mariées, l'une à Joseph Pettingcr, boulanger, puis livreur de blé S une autre à Joseph George, perruquier ; la troisième, qui habitait Paris, à René- François-Martin Ghopine. Peu après ce recensement. Victoire quitta à son tour la maison paternelle pour épouser Jean-Baptiste-x\ndré Werquin, magistrat de sûreté à Neufchâteau, département des Forêts Luxembourg^. L'aînée, Catherine, née le 12 mars 1755, est restée célibataire, ainsi qu'Anne-Julie et Marie-Françoise. 1 Ces renseignements et la plupart de ceux qui, dans ce chapitre, concernent la famille paternelle de M, Victoi- Hugo, nous ont été fournis, avec une obligeance dont nous ne saurions lui être trop reconnaissant, par M. Charles Courbe, un érudit qui connaît son Nancy comme pas un, qui en sait toutes les pierres et tous les hommes, auteur des Promenades historiques à travers les rues de Nanci/ au XVIIl^ sciècle, à l'époque réoolutionnaire et de nos jours. 2 On lit dans les annonces de V Espérance, courrier de Nancy, du 11 mars 1843 A céder amiablement une statue gothique de la Vierge, en iiierre colo- VICTOR HUGO AVANT 1830 17 Dans le tableau généalogique que l'auteur de Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie a placé en tête de son livre, tous ces braves gens brillent par leur absence. M. Hugo parle bien de ses oncles Francis-Juste, qui devint major d'infanterie, et Louis-Joseph, qui devint général de brigade » ; mais les oncles perruquiers et boulangers n'ont pas obtenu la moindre mention, non plus que les tantes couturières. Que ne se faisaient-elles admettre, comme chanoinesses, au chapitre de Remiremont? De la grand'mère gouvernante d'enfants, il n'est pas soufflé un traître mot passe encore, si elle eût été, comme la grand'mère de Lamartine, sous-gouver- nante des enfants de M. le duc d'Orléans * ! Quant au grand'père, M. Victor Hugo n'a pas hésité à le biffer de son tableau. Le moyen, je vous le demande, de faire figurer, dans un si bel arbre généalogique, un maître menuisier ! Mais cette façon commode de se débarrasser des gens ne réussit pas toujours, paraît-il, et on assure que le spectre du menuisier de l'an V apparaît parfois, à l'heure de minuit, à son petit-fils, qui frissonne en entendant la Bouche d'Ombre lui adresser ces vers de Destouches, — des vers clas- siques riée, de moyenne grandeur et d'une parfaite conservation. Cette statue, qui provient de la succession d'une tante de M. Victor Hugo, ornait autrefois réglise des Cordeliers. — S'adresser pour la voir à M, George, coiffeur, grande rue Ville-Vieille, 121.» La tante dont il s'agit ici était Anne Hugo, veuve du boulanger Joseph Pettingex'. — M. George, coiffeur , était le cousin-germain de M. Victor Hugo. 1 Les Confidences, par A. de Lamartine, livre I. 18 VICTOR HUGO AVANT 1830 J'entends la vanité me déclare à genoux Qu'un aïeul menuisier n'est pas digne de vous ^ ! Gomment faire pour conjurer ces fâcheuses appa- ritions et pour clouer à tout jamais ce trouble-fête dans un de ces cercueils qu'il fabriquait lui-même autrefois? Le dernier biographe du poète, M. Barbou, s'y est appliqué de son mieux, et M. Victor Hugo l'a eu, certes, pour agréable, car l'honnête M. Barbou nous apprend qu'il n'a écrit son ouvrage qu'après en avoir soigneusement recueilli les éléments dans ses conver- sations avec le MAITRE-. Son livre est un livre de bio- graphie domestique et qui entend M. Barbou entend M. Victor Hugo lui-même. Comprenant que le silence avait ici ses dangers, l'auteur de Victor Hugo et son temps s'est décidé, non pas à nommer Joseph Hugo, — son nom n'attristera jamais des pages consacrées à la gloire de M. Victor Hugo, — mais à y faire une allu- sion discrète. Certains généalogistes, dit-il, ont contesté cette descendance celle qui rattacherait directement M. Victor Hugo à une famille de vieille noblesse. Hs ont prétendu que legrand'père du géné- ral Hugo avait exercé un métier manueL » Pourquoi ce tour classique et cette périphrase ? Le mot de menuisier est-il donc si terrible à prononcer et à écrire? Cela est possible, continue mélancoli- quement M. Barbou, les plus illustres familles ayant eu des revers à subir ; mais il n'en est pas moins exact que Victor Hugo, qui n'en tire point vanité, qui 1 Le Glorieux, de Destouches, acte IV, scène vu. a Victor Hugo et son temps, par M. A. Barbou, 1882, p. 11. VICTOR UUGO AVANT 1830 19 ne rougirait pas, bien au contraire, de la plus humble extraction, qui estime qu'un homme ne vaut que par ce qu'il fait, que Victor Hugo, disons-nous, appartient aune famille de vieille noblesse, de cette noblesse vé- nérable devant ses titres aux services rendus au pays.» — Ses pères, ajoute le bon biographe Barbou, Avaient donjon sur roche et fief dans la campagne*. » Et à l'appui de son dire, l'auteur de Victor Hugo et son temps invoque Pierre d'Hozier, juge d'armes de France, et le quatrième registre de son Armoriai géné- ral, publié en 1752. D'Hozier a dressé, en effet, sous ce titre Hugo en Lorraine, l'arbre généalogique des descendants de Georges Hugo, capitaine dans les troupes de René II, duc de Lorraine, et anobli par lettres du 14 avril 1535 Premier degré Georges Hugo. Deuxième degré Claude Hugo, écuyer, gendarme dans la compagnie du prince Nicolas de Lorraine. Troisième degré François Hugo, avocat au parle- ment de Saint-Mihiel. Quatrième degré Nicolas Hugo, écuyer, syndic de la noblesse du bailliage de Saint-Mihiel. Cinquième degré Nicolas-Ignace Hugo, écuyer, conseiller d'Etat et privé du duc Léopold de Lor- raine. Sixième degré Charles-Hyacinthe Hugo, chevalier, né le 16 décembre 1699, conseiller-maître en la chambre des Comptes de Lorraine, lequel épousa, le 9 mars * Victor Huqo et son temps, p. 20 VICTOR HUGO AVANT 1830 1734, Anne Lhuillier de Spitzemberg, fille de Léopold Lhuillier, seigneur de la capitainerie de Spitzemberg et capitaine d'infanterie au service de France. Fran- çois, duc de Lorraine, accorda à Charles-Hyacinthe, le 20 novembre 1736, des lettres par lesquelles lui, ses enfants et sa postérité, née et à naître en légitime mariage, furent créés chevaliers \ L'Armoriai général de France ayant paru en 1752, l'arbre généalogique dressé par d'Hozier s'arrête for- cément à cette date. M. Barbou profite de ce silence obligé pour continuer à sa façon la généalogie inter- rompue, et il écrit bravement Charles-Hyacinthe Hugo, issu de Georges au cinquième degré, obtint d'autres lettres patentes, et son petit-fils, Sigisbert Hugo, entra au service en 1788. » Ce n'est pas plus difficile que cela et le tour est joué. Du moment que le général Sigisbert Hugo, père de M. Victor Hugo, est le 75e? /^/?/5 de Charles-Hyacin- the^ conseiller-maître on la chambre des Comptes de Lorraine et époux d'Anne de Spitzemberg, M. Victor Hugo est bien le descendant direct de Georges Hugo, capitaine dans les troupes du duc René II ce qu'il fallait démontrer. Tout cela serait à merveille s'il n'y avait dans cette démonstration une lacune fâcheuse, une omission regrettable. M. Barbou affirme bien que le général Hugo était le petit-fils de Charles-Hyacinthe ; mais c'est là une assertion abso- 1 Armoriai général ou registre de la noblesse de France. Registre iv. MDCCLII. VICTOR HUGO AVANT 1830 2l Inment fantaisiste nous allons l'établir, à l'aide d'une double série de preuves. Pierre d'Hozier termine ainsi son article sur les Hugo en Lorraine Charles-Hyacinthe mourut à Estival, le 24 janvier 1738, laissant sa femme veuve, — Deiie Anne Lhuillier de Spitzem- berg, — et trois enfants nés de son mariage, savoir lo Nicolas-Dieudonné Hugo, chevalier, né le 12 juin 1735 ; 2o Louis-Charles-Toussaint Hugo, chevalier, né le 29 mai 1736; 3o Joséphine-Mectilde Hugo, née le 6 juillet 1737 i. Nicolas-Dieudonné Hugo devint lieutenant au régiment de Garaman et mourut sans enfants. Louis-Charles-Toussaint j chevalier Hugo de Spitzem- berg, épousa le 25 septembre 1770 Marie-Catherine de Bazelaire de Neuvillers, et sadescendancedirecte s'est continuée jusqu'à nos jours. Massacré par la populace à Saînt-Dié, au mois de septembre 1793, et scié entre deux planches, il laissait quatre enfants, une fille et trois fils, qui émigrèrent et s'établirent à Stuttgart. Deux de ses fils sont morts sans postérité ; le troi- sième, Ijouis-François-Xavier, baron Hugo de Spitzem- berg, né à Saint-Dié le 21 juillet 1781, et marié à Elisabeth-Juliane-Garoline-Gharlotte baronne de Mas- sembach, est mort à Stuttgart le 25 avril 1844, laissant quatre fils, dont les deux plus jeunes décédèrent sans enfants. Des deux autres, l'aîné, Guillaume, baron Hugo de Spitzemberg^ né à Stuttgart le 19 janvier 1825, géné- * Armoriai général, registre iv. 22 VICTOR HUGO AVANT 1830 rai au service du Wurtemberg, grand chancelier, premier aide de camp du roi, a eu de son mariage avec Marie, baronne de Hermoux 1. Maximilien-Xavier-Guillaume, baron Hugo de Spitzemberg, né à Stuttgart le 18 mars 1858, lieutenant de dragons au service du Wurtemberg, mort à Ulm le 2 décembre 1881 ; 2. Elisabeth Hugo de Spitzemberg, née à Stuttgart, le 8 mars 1881 ; 3. Olga Hugo de Spitzemberg, née à Stuttgart le 18 janvier 1863 ; 4. Amélie Hugo de Spitzemberg, née à Stuttgart le 25 mai 1869. Le second fils de Louis-François-Xavier, Frédérk- Henri-CharleSj barbon Hugo de Spitzemberg, né à Stuttgart le 19 septembre 1826, a été conseiller d'Etat, chambellan du roi de Wurtemberg, ministre plénipo- tentiaire à Berlin, où il est mort le 13 décembre 1880. Il avait épousé Hildegarde, baronne de Warnbûlerde Nemmingen. Sont issus de ce mariage 1. Constantin- Henry -Conrad -Lothard Hugo de S'piizemberg, né à Berlin le 16 octobre 1868; 2. Anne - Francisca - Vilma - Garoline-Johanna de Spitzemberg, née à Berlin le 21 juin 1877 '. Pendant la guerre de 1870, le baron Guillaume Hugo de Spitzemberg et son frère demandèrent — ce qui leur fut accordé — à ne point prendre part à la campagne contre la France. 1 Généalogie des Hugo de Sp tzemberg. — Bibliothèque pudlique be Nancy. VICTOR HUGO AVANT 1830 23 Nous avons donc, d"une façon complète et sans so- lution de continuité, de 1535 à 1882, le tableau généa- logique de la famille qui a pour chef Georges Hugo, capitaine dans les troupes de René II, duc de Lor- raine. Et sur ce tableau, pas la moindre lacune, pas le plus léger vide où il soit possible, avec la meilleure volonté du monde, d'introduire Joseph-Léopold-Si- gisbert, père de M. Yictor Hugo. IV Après avoir démontré que M. Victor Hugo est étranger à ia famille de vieille noblesse dont il pré- tend descendre, il nous reste à faire connaître sa gé- néalogie véritable. Son père, Joseph-Léopold-Sigisbert Hugo, mort en 1828, lieutenant-général des armées du roi, est né à Nancy, le 15 novembre 1773. Voici l'extrait de son acte de naissance, relevé sur les registres de la pa- roisse Saint-Epvre 15 novembre 1773. Joseph-Léopold-Sigisbert, fils de Joseph Hugo, maître menuisier, et de Jeanne-Marguerite Michaud. Parrain, le sieur Joseph Béchet, avocat à la Cour ; marraine, demoiselle Marthe-Élisabeth Bécheti. De qui était fils Joseph Hugo, le maître menuisier? i 0n Ht dans la dédicace des Voix intérieures A JOSEPH-LÉOPOLD- SIGISBERT comte HUGO, lieutenant-général des armées du roi, né en 1774... — C'est une erreur que le poète n'aurait pas commise s'il avait consulté l'acte de naissance de son père, né en 1773 ; mais on pense bien qu'une telle pièce, où il est parlé de Josrph Hugo, maître menuisier, n'est pas poui être admise jamais dans le chartrier de M. Victor Hugoi 24 VICTOR nuGO av^ant 1830 C'est ce que vont nous apprendre avec certitude ses deux actes de mariage publiés, d'après les registres de l'état civil de Nancy, par M. Lepage, archiviste de la Meurthe. 1755. 1er juillet. Acte de mariage de Joseph Hugo, maître menuisier, fils de Jean-Philippe Hugo et de feu Catherine Grandmaire, avec Dieudonnée, fille de Dominique Béchet, maître cordonnier. 1770. 22 janvier. Acte de mariage de Joseph Hugo, maître menuisier, veuf de Dieudonnée Béchet, avec Marguerite Mi- chaud, gouvernante d'enfants chez M. le comte Rosières d'Euvezin*. Nous avons voulu remonter plus haut et nous y sommes arrivé, grâce à d'obligeantes communica- tions. Jean-Philippe Hugo, père de Joseph, n'habitait point Nancy. Il était cultivateur à Baudricourt, près Mirecourt département des Vosges. Nous reprodui- sons ici son acte de mariage avec Catherine Grand- maire Ce premier janvier de l'an mil sept cent sept, Jean-Philippe, fils de Jean Hugo, paroissien de Domvalher, et de Catherine Mansuy, et Catherine Grandmaire, fille de défunt Didier Grand- maire et de Marguerite Voizy, paroissiens de Baudricourt, se sont volontairement promis en présence du curé soussigné et des témoins, et ont signé Jean-Phihppe Hugo, Catherine Grandmaire, Jean Hugo, P. Grandmaire, Grandmaire, Pierre Voizy, N. Meunier et Claude Durand 2. De ce mariage sont nés, à Baudricourt 1 Les Archives de Nancy, par Auguste Lepage, tome iv, p. 17 et 18. 2 Extrait des actes de rétat civil de la commune de Baudricourt ci-devant Saint-Menge, arrondissement de Mirecourt, département des Vosges. VICTOR HUGO AVANT 1830 ^o 1. Pierre Hugo, le 7 juin 1708. 2. Claude-Joseph Hugo, le 19 mars 1713. 3. Jeanne Hugo, le 4 mars 1716. 4. Laurent Hugo, le 29 avril 1719. 5. Jean Hugo, le 30 mars 1722. 6. Joseph Hugo, le 17 février 1726. 7. Joseph Hugo, le 24 octobre 1727. Le premier Joseph Hugo, né en 1726, paraît élre mort peu de temps après sa naissance. Il est d'usage en Lorraine, si l'on perd un enfant, de donner à celui qui vient après lui les prénoms de l'enfant défunt. C'est ce qui eut lieu pour le fils qui naquit de Jean- Philippe Hugo et de Catherine Grandmaire le 24 octo- bre 1727 et qui fut appelé Joseph comme son frère. Comme il est devenu le menuisier Joseph Hugo, père du général et aïeul du poète, il convient que nous reproduisions son acte de naissance, extrait du registre des actes de l'état civil de la commune de Baudri- court Joseph, fils légitime de Jean-Philippe Hugo et de Catherine Grandmaire sa femme, est né le vingt-quatrième jour d'octobre de l'an mil sept cent vingt-sept et a été baptisé le même jour. Il a eu pour parrain Joseph L'Huillier, laboureur à Offroicourt, et pour marraine Marguerite Christophe , femme de Claude Mansuy, de ce lieu, qui ont signé et marqué. Ont signé Claude Mansuy, L. Pillement, Rollin, curé de Saint- Menge. Marque \ de Marguerite Christoplie. Appuyé sur les pièces qui précèdent, nous pou- vons dresser, avec une certitude absolue, l'arbre gé- néalogique de Mi Victor Hugo. 26 VICïOH HUGO AYANT 1830 I. Jean Hugo, cultivateur à Domvaîlier. II. Jean-Philippe Hugo, cultivateur àBaudricourt. III. Joseph Hugo, menuisier à Nancy. IV. Joseph-Léopold-Sigisbert Hugo, lieutenant- général. V. VICTOR HUGO. Nous nous sommes adressé à Domvaîlier pour avoir les actes de l'état civil concernant Jean Hugo et ses ascendants. Il nous a été répondu que les plus anciens registres existant dans la mairie de cette commune ne remontaient pas au delà de l'année 1690. Il faut croire que cet affreux maréchal de Gréqui, que M. Victor Hugo, à la première page de ses Mémoires, accuse d'avoir détruit, à Nancy, ses papiers de famille et ses titres de noblesse antérieurs à i 532, a fait aussi des siennes à Domvaîlier ! Nous arrêterons là cette démonstration, à l'appui de laquelle il nous serait facile d'apporter d'autres preuves, s'il en était besoin ; mais celles qui précèdent nous paraissent suffire et au delà. Que M. Victor Hugo renonce donc à falsifier d'Hozier pour se forger une généalogie menteuse ; qu'il ne rougisse plus d'avoir pour aïeul un honnête ouvrier, et un honnête cultiva- teur pour bisaïeul ; qu'il cesse de prêter à rire aux gens en se faisant — lui, qui est presque l'égal des Corneille et des Molière — l'émule de M. Jourdain ! Et encore M. Jourdain était-il moins ridicule ! Lui, du moins, n'était pas républicain ! J'ajoute que si cet honnête M. Jourdain est sottement entiché de noblesse, s'il prête complaisamment l'oreille à cet intrigant de VICTOR HUGO AVANT 1830 27 Goviclle, lui disant que son père, lequel se connais- sit fort bien en étoffes, allait en choisir de tous les côtés, les faisait apporter chez lui et en donnait à ses amis pour de l'argent », il ne pousse cependant point la faiblesse jusqu'à renier ses parents pour se parer des titres d'une famille étrangère ! M. Jourdain prête à rire et c'est tout ; et c'est à d'autres qu'il convient de faire Tapplication de ces belles paroles que Molière a mises dans la bouche de Gléonte Je trouve que toute Imposture est indigne Vun honnête hommCy et qu'il y a de la lâcheté à déguiser ce que le ciel nous a fait naître, à se parer aux yeux du monde cVun titre dérobé, à se vouloir donner pour ce qu'ion n'est pas *. » Un homme dont M. Victor Hugo s'est moqué dans un de ses livres ^, le procureur général Bellart, écrivait, le 23 juin 1823, à certain biographe qui lui avait demandé des renseignements sur ses ancêtres Hélas ! monsieur, vous faites trop d'honneur à ma famille. Elle n'a pas d'armoiries ! Je suis le premier des miens à qui le roi ait daigné en accorder, et j'ai supplié Sa Majesté de permettre qu'à côté de la fleur de lis dont elle m'honorait, je plaçasse la cognée de mon père, qui était charron. Il n'y a pas en France, ni peut-être au monde, de famille plus ro- turière que la mienne. Je ne connais, dans aucune de mes deux lignes, mes bisaïeuls. Mes aïeuls, dans chacune des deux, étaient de bons et honnêtes fermiers, au delà desquels je ne trouve plus rien Je ne vous en remercie pas moins de votre obligeance, monsieur, et de tout ce que vous voulez bien me dire de flatteur. Je révère certainement la noblesse acquise au prix des services rendus à son roi, à son pays. Je * Le Bourgeois gentïlliomme, acte III, scène xii. 2 Les Misérables, I""" partie, 1. m. 2H VICTOR HUGO AVANT 1830 serais très fier d'être un Montmorency, un Grillon, un Dugues- clin ; mais puisque la fortune ne m'avait pas réservé cette gloire, je ne veux pas usurper ni celle-là ni aucune autre ana- logue. Je me tiens à mon lot, content d'avoir été du moins un homme d'honneur, un homme de bien, et peut-être quelquefois un citoyen utile K L'auteur de ce drame a toujours mieux aimé des armes que des armoiries. » Telles sont les fières paroles par lesquelles M. Victor Hugo terminait, en 1827, la fameuse préface de Cromioell. Ce noble dédain pour les armoiries ne l'a point empêché d'en prendre il porte d'azur au chef d'argent, chargé de deux merlettes de sable. L'écu est sommé d'un vol banncret d'azur chargé d'une fasce d'argent. S'il lui plait de conserver ces armoiries, — qui sont celles des barons Hugo de Spitzemberg, — je n'y vois, pour mon compte, aucun inconvénient, et je me borne à exprimer timidement le vœu qu'à côté des deux merlettes il place le rabot de son grand-père, le me- nuisier, comme Bellart plaçait la cognée de son père, le charron, à coté de la fleur de lis. Qu'il ne veuille pas mettre les chevilles de maître Adam dans son écu, je le comprends ; mais que du moins le rabot y figure, accompagné de ces vers écrits par Boileau à l'adresse des poètes... et des menuisiers Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ; Polissez-le sans cesse, et le repolissez. 1 Œuvres de Bellart, t. VI, p. 164. VICTOR HUGO AVANT 1830 29 Du moment que M. Victor Hugo s'était accordé, du côté paternel, une si belle généalogie, il lui en coûtait peu de nous apprendre que, du côté maternel, il était de souche bourgeoise. Aussi ne fait-il aucune difficulté de dire que le père de sa mère était un honnête bourgeois, un armateur de Nantes, appelé Trébuchet *. Ici encore cependant il s'est arrangé de façon à ne pas être tout à fait exact. On lit dans la préface des Feuilles d'automne La mère de l'au- teur, pauvre fille de quinze ans, en fuite à travers le Bocage, a été une hrigande, comme My^^ de Bonchamps et M"^*^ de la Rochejaquelein. » Avoir été une brigande en 93, avoir suivi, à travers le Bocage de la Vendée, la veuve de Bonchamps et la veuve de Lescure, savez- vous bien, monsieur Hugo, que cela n'est pas une moindre gloire que d'avoir été aux croisades ? Certes, vous le savez, et c'est pour cela que vous faites de votre mère une byngande elle aurait pu l'être, elle ne l'a pas été. Ce Trébuchet, dit le témoin de M. Victor Hugo, était un de ces honnêtes bourgeois qui ne sortent jamais de leur ville et de leur opinion. » Pendant toute la guerre de la Vendée, il ne s'éloigna pas de Nantes, et sa fille resta auprès de lui. C'est dans cette ville que le capitaine Hugo eut occasion de voir, chez son père, M'ie Sophie Trébuchet. Entre 1 Victor Htifjo raconté, etc., t. I, p. 16. 30 VICTOR HUGO AVANT 1830 la famille de l'armateur royaliste et l'ofûcier républi- cain des relations s'établirent, que les divisions de la politique ne parvinrent pas à rompre. Le républi- canisme du jeune capitaine était pourtant, à cette époque, singulièrement ardent ; il avait même dé- pouillé son prénom de Léopold, pour prendre celui de Bnitus. J'ai sous les yeux l'original d'une adresse des officiers, sous-officiers et soldats du bataillon de l'Union, en date du 10 juillet 1793. Dans cette adresse, datée du camp sous Angers, près de la Vendée, les républicains, composant le bataillon de l'Union », félicitent la Convention d'avoir expulsé de son sein les membres de la Gironde et d'avoir donné à la nation la Constitution de 93 Législateurs, nous sanctionnons cette sublime Constitution , et nous jurons d'en défendre les principes et de répandre jusqu'à la dernière goutte de notre sang pour écraser les tyrans, les fanatiques, les royalistes et les fédé- ralistes. » — Parmi les signatures, à côté de celle de Muscar, premier chef du bataillon de l'Union, je relève celle de Brutus Hugo, adjudant-major K Une étroite amitié unissait le chef de bataillon et son adjudant, si bien qu'il leur arriva de refuser de 'avancement pour ne pas se séparer. Au mois d'avril 1794, nous les retrouvons tous les deux au château d'Aux ou d'O, nommé aussi la Hibaudière, près de Nantes. Muscar commande le poste, Hugo signe plus 1 Nous devons la communication de cette pièce à M. Gustave Bord, dont a collection d'autographes et de documents inédits sur la Révolution est une des plus précieuses qui soient en France. VICTOR ]IUGO AVANT 1830 31 que jamais Bniius. Les 2 et 3 avril 13 et 14 germi- nal an II, des paysans du bourg de Bouguenais ^ arrêtés dans leurs maisons ou dans leurs champs, alors qu'ils se livraient à leurs travaux, sont traduits, au nombre de plusieurs centaines, devant une com- mission militaire révolutionnaire, séante au château d'Aux, condamnés à mort et fusillés par les soldats de Muscar. Dans ses Mémoires, le capitaine Hugo a célébré, à cette occasion, les sentiments d'humanité de son ami, et il s'est mis lui-même en scène dans des conditions qui lui feraient grand honneur, mais dont il nous est malheureusement impossible de lui laisser le bénéfice. Voici son récit, écrit longtemps après les événe- ments et publié en 1823, à une époque où le général comte Hugo oubliait volontiers qu'il s'était placé au- trefois sous le patronage de Brutus Je vis, après quelques courtes questions de pure forme, condamner ces deux cent soixante-dix infortunés à la peine terrible à laquelle ils s'attendaient on les conduisit à la mort par petites troupes, ils la reçurent avec calme, à côté des fosses ouvertes pour les recevoir. J'ai beaucoup fait la guerre, j'ai parcouru de vastes champs de bataille, jamais rien ne m'a tant frappé que le massacre de ces victimes de l'opinion et du fanatisme. A peine ces malheureux furent-ils condamnés , que le tribunal reçut ordre de revenir à Nantes. Le président pria Muscar de faire juger les jeunes filles par une commission militaire ; et cet officier, désirant les sauver, me nomma, quoique bien jeune encore, pour présider à ce tribunal, certain 1 EinonBouquenay, comme récrivent le général Hugo dans ses Mémoires, et après lui Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie. 32 VICTOR HUGO avant 1830 que je ne démentirais pas les sentiments d'humanité qu'il me connaissait. 11 n'osa point influencer la nomination des autres membres, mais il me pria de tout faire pour les apitoyer sur les infortunées dont le sort était remis entre nos mains. Un vieux sous-lieutenant du 13e de Seine-et-Oise, nommé Fleury, s'il m'en souvient bien, homme sombre et taciturne, devant opiner le premier, je craignais que sa voix n'influençât défavorablement les autres juges, et je crus, avant de lui demander son opinion, devoir, après la rentrée des prévenues dans la chapelle, représenter au tribunal qu'il était bien pé- nible, pour des militaires, d'être appelés à prononcer sur le sort de malheureuses victimes de la guerre ; qu'il l'était plus encore quand les jugements devaient tomber sur des jeunes filles qui ne pouvaient avoir pris aucune part aux hostilités ; sur des infortunées qui toutes versaient déjà des larmes de sang par suite des événements affreux dont nous venions d'être témoins, et dont elles ne pouvaient douter, puisque tous les feux avaient retenti jusqu'à elles. J'engageai les juges à bien se recueillir, à ne chercher aucun modèle de conduite et à prononcer d'après leur cœur. Alors ce vieil officier, que je craignais tant, dit à haute voix et sans sortir de son caractère Je me suis fait militaire pour combattre des hommes et non pour assassiner des femmes. Je vote la mise en liberté des vingt-deux préve- u nues et leur renvoi immédiat chez elles. » Cette opinion, qui m'aurait précipité dans les bras du brave homme, si j'avais osé le faire, fut appuyée de suite par un lieutenant de la légion nantaise qui le suivait, et bientôt une heureuse unanimité ouvrit les portes de la chapelle à ces enfants tous à genoux. Muscar vint alors remercier le tribunal de sa généreuse conduite, et nous exprimer ses regrets que les deux cent soixante-dix prisonniers qui venaient de périr n'eussent pas été soumis à un arrêt aussi doux que le nôtre ^. Je regrette d'être obligé de dire que ce récit, en ce 1 Mémoires du général Hiif/o, t. I'. VICTOR HUGO AVANT 1830 33 qiiicoQcorno le rôle du commandant Muscar et celui du capitaine Hugo, est absolument imaginaire. Un certain nombre de pièces officielles nous édifieront tout d'abord sur l'humanité du commandant du châ- teau d'Aux. En frimaire an II, le citoj^en Lenoir, président d'une commission révolutionnaire instituée par Car- rier, écrivait à Muscar, commandant temporaire de la Hibaudière ci-devant château d'Aux Nous avons reçu ta lettre du 18 frimaire 8 décembre 1793. Les quatre brigands sur lesquels elle contenait des renseigne- ments ont été jugés de suite; ils subiront ce jour la peine due à leurs crimes. Quand tu nous enverras les renseigne- ments sur les cinq derniers, prompte justice sera faite... Sois tranquille, la tête des coupables tombera ; nous en avons bien condamné sept. Vive la République * ! Le 8 nivôse 28 décembre 1793, Muscar écrivait à son tour Encore sept brigands de fusillés hier. Tous les jours ce jeu yatriotiquc va se reproduire. Bien décidé à donner la chasse à mort à tous ceux qui infectent encore ces environs, j'espère qu'aucun n'échappera à mon activité et à ma haine implacable contre tout ce qui ose fouler aux pieds les lois saintes de la République 2. Il écrit encore, le 22 avril 1794 3 floréal an II, au citoyen David Vaugeois, accusateur public près la commission militaire révolutionnaire qui, vingt jours auparavant, avait fait fusiller au château d'Aux les malheureux habitants de Bouguenais 1 Cahier de correspondance delà commission Lenoir. — Greffe du tribunal de Nantes. 2 Papiers de la commission Bignon, — Greffe du trilnmal de Nantes. 34 VICTOR HUGO AVANT 1830 Je vous envoie une petite collection de brigands, au nombre de quarante-cinq, que j'ai fait prendre hier au Pont-Saint- Martin. Vous en nourrirez la guillotine. Le citoyen Beilvert, ce fléau des brigands, vous donnera des renseignements plus cir- constanciés sur ces coquins. Que ne puis-je vous envoyer toute l'armée de Charette ^ ! Et quelques jours plus tard, le 27 avril, il confir- mait sa lettre du 22 en ces termes Je t'envoie Beilvert, pour vous donner des renseignements sur les brigands que vous allez juger. Il porte une pièce de conviction trouvée chez eux, un habit de volontaire percé de balles et coupé de coups de sabre. D'ailleurs, il ne faut pas de grands renseignements sur le compte des gens qu'on est mora- lement sûr d'avoir été avec des brigands ; le tact révolution- naire doit plus faire dans ces procès que les formes ^. La cruauté implacable de Muscar ne s'arrêtait pas aux brigands elle s'étendait aussi aux femmes. Le 8 germinal an II 28 mars 1794, il écrivait aux mem- bres de la Commission militaire, à Nantes Je viens de faire fusiller dix hrigandes une onzième, nom- mée Jeanne Bonneau, tout aussi coupable que les autres, étant femme de brigand et complice de son mari, est enceinte de cinq mois. Le conseil militaire assemblé pour la juger, crai- gnant d'offenser la nature en suivant le cours rigoureux de la justice, a cru devoir la renvoyer à votre tribunal ; votre sagesse saura concilier les égards qu'on doit à son état avec l'inflexible sévérité de la loi 3. Manifestement contraire à la vérité en ce qui re- garde le commandant Muscar et ses prétendus senti- ments d'humanité, le récit du général Hugo est-il 1 Gi'effe du tribunal de Nantes. 2 Ibid. 3 Ibid. VICTOR UUGO AVANT 1830 35 plus exact en ce qui touche la commission militaire dont il aurait été le président ? Un écrivain que recommandent ses patientes et consciencieuses études sur l'histoire de la Révolution en province, M. Alfred Lallié *, a retrouvé, au greffe du tribunal de Nantes, et a bien voulu nous commu- niquer quelques-unes des pièces concernant cette commission militaire. L'adjudant-major Hugo n'en était point le président. Le vieux sous-lieutenant du 1 3^ de Sehie-et-Oise, nommé Fleury, n'en faisait pas partie. Voici quelle en était la composition Simon^ second chef du bataillon de l'Union^ président; Boudar, Bourette, Jubert, Rothan, Kraust, Brutus Hugo, ce dernier faisant fonctions de greffier. Du moment que le capitaine Hugo^ au lieu d'être le président de la commission, n'en était que le greffier, il est évident que son récit manque de base et croule de toutes parts. Ce qui achève de le démontrer, c'est que, d'après ce récit, les jeunes filles et les femmes traduites devant le conseil militaire auraient été immédiatement re- ynises en liberté et renvoyées chez elles ; il est, au con- traire, établi, par les documents officiels, que les femmes furent condamnées, et que les jeunes filles elles-mêmes, bien loin d'être mises en liberté, furen renvoyées devant le tribunal révolutionnaire. Le greffe du tribunal de Nantes ne possède plus que deux 1 Auteur du District de Machecoul, des Notes conceimant l'histoire du Bouffay de Nantes, de la Grande Armée vendéenyieet les prisonniers deSaint- Florent-le-Vieil, d'Une Commission d'enquête et de propagande en l'an II de la République, des Noyades de Nantes, etc., eto. 36 VICTOR HUGO avant 1830 des jugements rendus par le conseil militaire du château d'Aux et signés tous les deux par Brutus Hugo. Le premier condamne à la peine de mort Marie Brossot, femme Joseph Gautier, âgée de trente-quatre ans, coupable cVavoir fait du pain pour alimenter son mari, brigand. Le second a trait à une jeune fille âgée de quinze ans, Jeanne Onillon, accusée d'avoir porté le fusil d'un brigand son oncle, qu'elle a dit être saoul. » En voici le texte Le Conseil, considérant que cette fille n'étant âgée que de quinze ans a été sous la dépendance de ses parents, dont son âge lui a fait suivre Timpulsion, n'est pas moins coupable que sa mère déjà condamnée à mort, décide qu'elle sera renvoyée devant le tribunal révolutionnaire, pour qu'il prononce sur les peines que la loi inflige aux personnes trop jeunes pour êti^ punies de mort*. On le voit, bien en a pris à la mère de M. Victor Hugo de ne point être une brigande, en fuite à travers le Bocage ; car si elle avait été prise et traduite devant leconseilmilitaire où siégeait le capitaine Brutus Hugo, elle eût été condamnée à mort, ou tout au moins, en raison de son âge, renvoyée devant le tribunal révolu- tionnaire de Nantes. VI Deux ans après les sinistres exécutions du château d'Aux, en 1796, le mariage de Mne Sophie Trébuchet et du capitaine Hugo était célébré à Paris, où le jeune 1 La Commune de Boufjuenais et la garnison du château d'Aux, par Alfred Lallié. VlGTUJl HUGO AVANT 1830 37 ot'licier avait été appelé pour remplir les fonctions do rapporteur du premier conseil de guerre. Le futur, lisons-nous dans le livre de biographie domestique que nous avons déjà cité, ne pouvant aller à Nantes, la future vint à Paris avec son père et son frère, mais sans ses sœurs qui, à force do dévotion, venaient de se faire Ursulines * . » Meiie Sophie Trébuchet avait trois sœurs, — et non deux, comme le dit Victor Hugo raconté. De ces trois sœurs, Madeleine, Marguerite et Renée, une seule, xMadeleine, se fit Ursuline, et cela dès 1787, et non en 1796, époque à laquelle il n'y avait plus de maisons religieuses en France. Elle était à la veille de pronon- cer ses vœux, en 1789, quand l'évoque de Nantes, Mer de la Laurencie, crut devoir le lui défendre en raison de la tournure inquiétante que prenaient les événe- ments. Elle resta alors dans la communauté comme novice agréée, et ne quitta le couvent que lorsqu'il fut formé, le l^"" octobre 1792. Pendant toute la durée de la crise révolutionnaire, elle vécut avec sa demi- tante maternelle, Rose Lenormand-Dubuisson, reli- gieuse ursuline, et se consacra, comme elle, lorsque les plus mauvais jours furent passés, à l'instruction des enfants. La communauté ayant été rétablie en 180G, elle prononça solennellement ses vœux le 16 novembre de cette même année lelle avait alors trente- six ans. xMère Trébuchet est morte à l'âge de près de quatre-vingt-dix ans, laissant un nom béni et vénéré. Très nombreux, du reste, sont les membres de la 1 Victor Hugo raconté, etc., t. I, p. 16. 38 VICTOR HUGO avant 1830 famille maternelle de M. Victor Hugo qui ont em- brassé la vie religieuse. Deux de ses cousines, suivant l'exemple de leur tante Madeleine et de leur grand'tante Lenormand, sont entrées aux Ursulines M"^ Fanny Bellet, sœur Sainte-Ursule, morte à la communauté de Nantes, le 10 février 1881 ; M'^e Joséphine Allor^', sœur Saint- Stanislas, qui fait encore aujourd'hui partie de la même communauté. Deux autres de ses parentes appartiennent à l'ordre des religieuses de Nazareth M^'^ Anaïs Trébuchet, maîtresse des novices, à Oullins, et M^'e Léonide Tré- buchet, religieuse à Reims. Un cousin germain de M^^^ Victor Hugo mère, M. Lenormand, est mort, il y a peu d'années, curé de la Boissière, dans le diocèse de Nantes. Dans la famille paternelle de M. Victor Hugo, les vocations religieuses n'ont point fait défaut non plus. Il a une cousine germaine, de son nom, carmélite à Tulle. L'un des fils de son frère Abel, Jules Hugo, qui se destinait à la prêtrise, est mort à Rome, tout jeune encore et ayant déjà reçu plusieurs des ordres ecclé- siastiques. C'était un des plus chers amis de Ms^ de Ségur. D'une lettre que j'ai sous les yeux et qui lui est consacrée, je détache ces lignes J'ai eu la con- solation de voir Jules Hugo deux fois ; il avait alors dix-huit ans. Je ne me rappelle pas avoir jamais ren- contré personne qui m'ait fait autant d'impression, VICTOR uuctO avant 1830 ^9 tant la sainteté brillait sur ses traits et respirait dans toutes ses paroles. Il me semblait voir saint Louis de Gonzague ou saint Stanislas de Kotska. » Vraiment, on serait tenté de dire de la famille de M. Victor Hugo ce que disait un jour Grégoire XVI de la famille du marquis de la Ferronnays Sono tutti santif Encore bien qu'il se soit fait l'ennemi de cette religion à laquelle un si grand nombre des siens ont demandé la consolation et la force, il est permis de croire que leurs vertus et leurs prières viennent par- fois rafraîchir son âme à son insu. S'il a peint, avec tant de suavité et de grâce, l'aimable et touchante figure de sœur Simplice, c'est parce que le modèle était là, non loin de lui. C'est parce qu'il ne peut dé- fendre à sa pensée de se tourner quelquefois vers ces humbles et admirables femmes, — la vraie noblesse de sa famille, — qu'il a écrit sur le cloître ces pages que l'on est étonné de rencontrer dans les Misérables^ et qui sont en contradiction si formelle avec les idées, les passions et les haines du parti dont il a accepté si docilement sur tous les autres points le déplorable mot d'ordre Il n'y a pas d'œuvre plus sublime peut-être, — c'est M. Victor Hugo qui s'exprime ainsi, — que celles que font ces âmes. Et nous ajoutons il n'y a peut-être pas de travail plus utile. Il faut bien ceux qui prient toujours pour ceux qui ne prient jamais... Quant à nous, qui ne croyons pas ce que c^s femmes croient, mais qui vivons comme elles par la foi, nous n'avons jamais pu considérer, sans une espèce de terreur religieuse et tendre^ iU VICTOR IILGO AVANT 1830 sans une sorte de pitié pleine rrenvie, ces créatures dévouées, tremblantes et confiantes, ces âmes humbles et augustes qui osent vivre au bord même du mystère, attendant, entre le monde qui est fermé et le ciel qui n'est pas ouvert, tournées vers la clarté qu'on ne voit pas, ayant seulement le bonheur de penser qu'elles savent où elle est, c'est-à-dire soulevées à de certaines heures par les souffles profonds de l'éternité *. Et plus loin, après une admirable peinture du couvent, ce lieu de captivité, où l'on est enchaîné par la foi », — d'où sortent la bénédiction et l'amour > , — qui renferme une seule chose , l'innocence, — l'innocence parfaite, presque enlevée dans une mystérieuse assomption, tenant encore à la terre par la vertu, tenant déjà au ciel par la sainteté ; — M. Yictor Hugo poursuit en ces termes Jean Valjean comprenait bien l'expiation personnelle, l'ex- piation pour soi-même. Mais il ne comprenait pas celle de ces créatures sans reproche et sans souillure, et il se deman- dait avec un tremblement Expiation de quoi ? quelle expiation ? Une voix répondait dans sa conscience la plus divine des générosités humaines, l'expiation pour autrui. Il avait sous les yeux le sommet sublime de l'abnégation, la plus haute cime de la vertu possible, l'innocence qui par- donne aux hommes leurs fautes et qui les expie à leur place ; la servitude subie, la torture acceptée, le supplice réclamé par les âmes qui n'ont pas péché pour en dispenser les âmes qui ont failli ; l'amour de l'humanité s'abîmant dans l'amour de Dieu, mais y demeurant distinct et suppliant ; de doux êtres faibles ayant la misère de ceux qui sont punis et le sourire de ceux qui sont récompensés 2. * Les Misérables, 2 partie, 1. VII, c. viii. 2 Ibîd., 1. VIII, c. IX. * VICTOR HUGO AVANT 1830 ïi Mais ces citations nous ont entraîné bien loin de la mère du poète, qui ne partageait pas les sentiments religieux de sa sœur Madeleine et de sa tante Mère Lenormand-Dubuisson. C'est du moins ce qu'affirme l'auteur de Victor Hugo raconté par un téînoin de sa vie. Après avoir dit que le capitaine Joseph-Léopold- Sigisbert Hugo et M^e Sophie Trébuchet se marièrent civilement à l'Hôtel de Ville, et qu'il n'y eut pas do mariage religieux, il ajoute Les églises étaient fermées dans ce moment, les prêtres enfuis ou cachés, les jeunes gens ne se donnèrent pas la peine d'en trouver un. La mariée tenait médiocrement à la béné- diction du cin^é, et le marié n'y tenait pas du tout V» 1 Yldor Hiujo raconté, olr., I, p. 17. CHAPITRE II L'Enfance du poète Le haptême d'Abel. — La Corse, l'île d'Elbe et l'Italie. — Napo- léon 1er et Victor Hugo. — Les Feuillantines. — Madrid et le collège des Nobles. — Retour à Paris. — La légende de l'édu- calion cléricale de M. Victor Hugo. Le père et la mère Lari- vière. Mme Hugo et M^e Phlipon. L'entresol du bonhomme Royol. — La mère de M. Victor Hugo et la mère de Lamar- tine. La mère de Chateaubriand et celle de Béranger, — Le parrain de M. Victor Hugo et le dix-huit brumaire. — La brigande de la Vendée et le brigand de la Loire. Un érudit, poète à ses heures, M. Edouard Fournier, dans sa notice sur le chef de l'école romantique, dit qu'il était le second des trois fils de Joseph-Léopold- Sigisbert Hugo ^ Il y a là une légère inexactitude. M. Edouard Fournier avait-il donc oublié la pièce des Contemplations qui commence ainsi Mes deux frères et moi, nous étions tout enfants Notre mère disait Jouez, mais je défends Qu'on marche dans les fleurs et qu'on monte aux échelles.» Abel était l'aîné, j'étais le plus petit. 1 Soiivenirs poétiques de l'Ecole romantique, par Edouard Fournier. p. 100. — 1880. VICTOR HUGO AVANT 1830 43 N6 à Paris le 15 novembre 1798, Abel fut baptisé à Nancy dix-neuf mois plus tard. A défaut de son acte de naissance, qui a péri, lors des incendies de la Commune, avec tous les registres de l'état civil anté- rieurs à 1860, nous pouvons donc donner son acte de baptême, copié sur les registres de la paroisse Saint- Epvre. Il porte la date du i^r thermidor an YIII 20 juillet 1800 Jean-François, fils de Joseph-Léopold-Sigisbert Hugo, chef de bataillon, et de Sophie-FrançoiseTrébuchet, a été baptisé le 1er thermidor an VIII, âgé d'environ dix-neuf mois ; a eu pour parrain François-Juste Hugo, fils majeur de feu Joseph Hugo, oncle paternel de l'enfant, et pour marraine Jeanne- Marguerite Michaud, veuve de Joseph Hugo, ayeule mater- nelle, qui ont signé. Pagnant. — Hugo Jeune. — Michaud, veuve Hugo. Pagnant était le curé constitutionnel de la paroisse Saint-Epvre. Le second des trois frères, Eugène, naquit à Nancy le 29 fructidor an VIII 16 septembre 1800. Son acte de naissance fut dressé le lendemain par Bouteiller, adjoint au maire, en présence d'André-Urbain Decom- ble, caissier de la recette d'arrondissement, et de Julie Hugo, âgée de vingt-neuf ans. Le chef de bataillon Hugo, appelé, dans les premiers mois de 1801, à commander le quatrième bataillon de la 20e demi-brigade, en garnison à Besançon, y avait fait venir sa femme et ses deux enfants. C'est dans cette ville que Victor Hugo est né, le 26 février 1802 7 ventôse an X. 44 VICTOR JJL'GO AVANT 1830 Voici l'extrait de naissance Du huitième du mois de ventôse l'an dix de la République. Acte de naissance de Victor-Marie Hugo, né le jour d'hier à dix heures et demie du soir, fils de Joseph-Léopold-Sigis- bert Hugo, natif de Nancy Meurthe, et de Sophie-Françoise Trébuchet, native de Nantes Loire-Inférieure ; — profession de chef de bataillon de la 20e demi-brigade, demeurant à Besançon — mariés ; — présenté par Joseph-Léopold-Sigis- bert Hugo. — Le sexe de l'enfant a été reconnu être mrde. Premier témoin, Jacques Delelée, chef de brigade, aide-de- camp du général Moreau, âgé de quarante ans, domicilié audit Besançon. Second témoin, Marie-Anne Dessirier, épouse du citoyen Delelée, âgée de vingt-cinq ans, domiciliée à la dite ville. Sur la réquisition à nous faite par le citoyen Joseph-Léopold- Sigisbert Hugo, père de l'enfant. Et ont signé Hugo, Dessirier, épouse Delelée, Delelée. Constaté suivant la loi par Charles-Antoine Séguin, adjoint au maire de cette commune, faisant les fonctions d'of- ficier public de l'Etat civil. En 1798, le capitaine Hugo et sa femme n'avaient pas fait baptiser leur fils aîné, Abel ; mais on vient de voir qu'en 1800, ils avaient réparé cette omission. Gomment supposer qu'en 1802, après le rétablisse- ment de la religion en France, ils auraient négligé de faire conférer le baptême à leur nouvel enfanl? Nous trouvons d'ailleurs, au chapitre IV de Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, une lettre écrite par Madame Hugo au général Victor Lahorie et dans , laquelle elle lui disait A la veille d'être mère d'un troisième enfant, il me serait très agréable que vous fussiez le parrain de l'enfant qui va venir. ^> Lahorie VICTOR HUGO AVANT 1830 lo accepta. Il n'est donc pas douteux pour nous que M. Victor Hugo ait été baptisé ; nous devons dire cependant que nous avons fait compulser les registres de toutes les paroisses de Besançon pendant l'année 1802, et que l'ami qui avait bien voulu se charger pour nous de ces recherches n'a pas trouvé trace de l'acte do baptême de Marie-Victor Hugo. H Avec nos camps vainqueurs, dans l'Europe asservie, J'errai, je parcourus la terre avant la vie. Rien n'est plus exact que ces deux vers du poète, empruntés à la pièce des Odes et Ballades qui a pour titre Mon enfance. A peine âgé de six semaines, il faisait son premier voyage et allait de Besançon à Marseille. De Marseille, le quatrième bataillon de la 20e demi-brigade fut envoyé en Corse et à l'île d'Elbe. Les trois fils du commandant Hugo le suivirent et, pendant trois ans, ils allèrent d'une île à l'autre, tantôt à Porto-Ferrajo, tantôt à Baslia. La première langue que balbutia le jeune Victor fut donc Fitalien des îles, c'est-à-dire la même langue qu'avait, aux mêmes lieux, parlée l'enfant qui devait être Napoléon. Jean-Jacques Rousseau disait de la Corse, en 1762, dans un chapitre du Contrat social J'ai quelque pressentiment que cette petite île étonnera l'Europe \ » 1 Contrat social, 1. II, ch. x. 3. 4 VICTOR HUGO AVANT 1830 Nul doute que, dans ropinion de M. Victor Hugo, cette petite île n'ait doublement justifié le pressenti- ment de Jean-Jacques^ puisqu'elle a été la nourrice de deux hommes également grands, — à ses yeux du moins, — l'homme d'Austerlitz et l'homme diHernam, le captif de Sainte-Hélène et le proscrit de Guernesey, le poète et l'empereur, géants tous deux, occupant, dans l'ordre de l'action et dans l'ordre de la pensée, les deux sommets du dix-neuvième siècle... et de tous les siècles, — Napoléon Bonaparte et. . . Victor Hugo ! Le monde au-dessous d'eux s'échelonne et se groupe. Ils font et défont. L'un déli et l'autre coupe. L'un est la vérité, l'autre est la force. Ils ont Leur raison en eux-mêmes, et sont parce qu'ils sont * ! Sur la fin de l'an XIII septembre 1805, Mme Hugo, dont le mari avait reçu l'ordre d'embarquer son ba- taillon pour Gênes et de gagner à marches forcées 1 TIernani, arte IV, srène ii. — Se faire accepter comme l'héritier véritable, comme le successeur et Tégal de Napoléon le Grand, telle a été, pendant plus de vingt ans, la préoccupation prinf'ipaie de l'auteur de Napoléon le Petit. II lui plaît que l'on voie en lui l'homme prédestiné qui devait, en se combinant avec Napoléon, selon la mystérieuse algèbre de la Providence, donner complète à l'avenir la formule générale du dix-neuvième siècle ». — . Jusqu'ici, écrivait-il encore en 1833, vous n'avez qu'un profil de ce siècle, Napoléon ; laissez se dessiner l'autre. La physionomie de cette époque ne sera fixée que lorsque la révolution française, qui s'est faite homme dans la société sous la forme de Bonaparte, se sera faite homme dans l'art. Et cela sera. Notre siède tout entier s'encadrera et se mettra de lui-même en pers- pective entre ces deux grandes vies parallèles, l'une du soldat, rautre de l'écrivain, l'une toute d'action, l'autre toute de pensée, qui s'expliqueront et se commenteront sans cesse l'une par l'autre. Marengo, les Pyramides, Austerlitz, la Moskowa, Montereau, Waterloo, quelles épopées ! Napoléon a %es poèmes, le poète aura ses batailles, » {Littératui^e et Philosophie mê- lées, p. 341. VICTOR nUGO AVANT 1830 47 l'Adige et l'armée d'Italie \ quitta la Corse avec ses trois fils et vint à Paris, où elle se logea au numéro 24 de la rue de Glichy, dans une maison aujourd'hui dé- molie et qui se trouvait sur l'emplacement occupé par le square de l'église de la Trinité. Pendant que Victor allait à l'école rue du Mont- Blanc^, Napoléon entrait à Vienne, gagnait la bataille d'Austerlitz, signait le traité de Presbourg, donnait à son frère Louis le trône de Hollande et le trône de Naples à son frère Joseph. Le chef de bataillon Hugo, qui avait connu le prince Joseph à Lunéville, passait à son service, s'emparait de Michel Pezza, dit Fra- Diavolo, partisan habile et redouté, dont les coups de main, presque toujours couronnés de succès, inquié- taient vivement la royauté nouvelle, et se voyait ré- compensé de ses services par le brevet de colonel de Royal-Corse et par le titre de gouverneur de la pro- vince d'Avellino^ Son premier soin fut d'écnre à sa femme de venir le rejoindre ; et, à la fm d'octobre 1807, M^e Hugo se mit en route avec ses enfants. Les voyageurs traver- sèrent le mont Cenis, virent Turin, Florence, Rome, et arrivèrent à Naples Naple aux bords embaumés, où le printemps s'arrête Et que Vésuve en feu couvre d'un dais brûlant, Comme un guerrier jaloux qui, témoin d'une fête, Jette au milieu des fleurs son panache sanglant^. 1 Mémoires du f/énéral Hugo, t. I, p. 112. 2 Aujourd'hui la rue de la Chaussée-d'Antin. 3 Mémoires du général Hugo, t. I, p. 170, 4 Mon enfance Odes et Ballades. 48 VICTOR HUGO 1830 De Naples on se rendit à Avellino, ville pittoresque, pays abrupt et sauvage, semé de défilés, de gorges, de montagnes, fait à souhait pour emplir d'images inoubliables les yeux et l'esprit de l'enfant que la fée de la poésie semblait prendre plaisir à promener ainsi du berceau de Napoléon à la tombe de Virgile. Pendant son séjour à Avellino, son père le fit ins- crire sur les contrôles du régiment de Royal-Corse. M. Victor Hugo a donc été enfant de troupe, ce qui lui a permis de dire plus tard Moi qui fus un soldat quand j'étais un enfant ! Et ailleurs J'aime les gens d'épée, en étant moi-même un. Seulement lorsqu'il a rappelé ce souvenir dans sa lettre et Charles Hugo^, il l'a fait avec son inexactiude accoutumée A ma naissance, j'ai été inscrit par mon père sur les contrôles du Royal-Corse. Oui, Corse. Ce n'est pas ma faute. » A la naissance du poète, en 1802, le régiment de Royal-Corse n'existait pas. Il fut créé seulement en 1806, dans le royaume de Naples, pour aider le roi Joseph à combattre les par- tisans de la Fouille et des Calabres ^. Au mois de juin 1808, Joseph passa roi d'Espagne. Dès son arrivée à Madrid, il adressa au gouverneur d'Avellino, par un courrier extraordinaire, une lettre dans laquelle il lui proposait de venir le rejoindre ^. 1 18 décembre 1869. Pendant l'Exil, par Victor Hugo, p. 382 2 Mémoires du général Hugo, t. I, ch. xxvi. 3 Ibid.. t. I, p. 187. VICTOR HUGO AYANT 1830 49 Le colonel Hugo accepta Toffre qui lui était faite et se dirigea immédiatement vers l'Espagne, tandis que sa famille revenait à Paris. M»^ Hugo se logea d'abord dans une maison voisine de réglise Saint-Jacques- du-Haut-Pas , puis, au bout de peu de temps , s'installa, tout près du Val-do-Grâce, au rez-de- chaussée d'une vaste maison qui avait été, avant la révolution, le couvent des Feuillantines. M. Victor Hugo a immortalisé, dans ses poésies, le souvenir de la maison et du jardin des Feuillan- tines, n y a passé les trois années écoulées depuis la fin de 1808 jusqu'à son départ pour l'Espagne, au printemps de 1811. Lorsqu'il revint de Madrid, au commencement de 1812, il rentra aux Feuillantines pour y demeurer jusqu'au 31 décembre 1813. Qui n'a présente à la mémoire la pièce des Rayons et des Ombres Ce qui se passait aux Feuillantines vers 1813? Le jardin était grand, profond, mystérieux, Fermé par de hauts murs aux regards curieux... Et tout ce beau jardin, radieux paradis, Tous ces vieux murs croulants, toutes ces jeunes roses, Tous CS objets pensifs, toutes ces douces clioses, Parlèrent à ma mère avec l'onde et le vent, ¥A lui dirent tout bas Laisse-nous cet enfant !... ^ ^ Il est revenu ailleurs, — non plus en vers cette fois, — sur ces radieux souvenirs, colorés des premiers feux du matin et trempés des larmes de l'aurore 1 Voy. aiissi^ dans les Contemplations, la pièce intitulée Aux Feuil- lantines. oO VICTOR HUGO AVANT 1830 Je me revois enfant, écolier rieur et frais, jouant, courant, criant avec mes frères dans la grande allée verte de ce jardin sauvage où ont coulé mes premières années, ancien enclos de religieuses que domine de sa tête de plomb le sombre dôme du Val-de-Gràce. Et puis, quatre ans plus tard, m'y voilà encore, toujours enfant, mais déjà rêveur et passionné. Il y a une jeune fille dans le solitaire jardin. La petite Espagnole, avec ses grands yeux et ses grands cheveux, sa peau brune et dorée, ses lèvres rouges et ses joues roses, l'Andalouse de quatorze ans, Pepa. Nos mères ont dit d'aller courir ensemble i... La charmante Pepa, c'est M'^^ Foucher, celle qui sera quelques années plus tard la femme du poète et sur laquelle il a écrit là, dans le Dernier jour d'un condarrmé, livre étrange où Ton ne s'attendait guère à les rencontrer, des pages vraiment délicieuses. III Cependant, à l'heure même où le vieil enclos des Feuillantines est témoin de ces fraîches idylles, là-bas, en Espagne, les bataillons s'cntre-choquent, le canon tonne avec fureur, le sang coule dans les ravins comme l'eau des torrents, et le vieux soldat, le père, songeant, le soir de la bataille, aux trois enfants dont il est séparé depuis tant de mois, sent une larme humecter sa paupière, pendant que, suivi de son hussard fidèle, il parcourt à cheval Le champ couvert de sur qui tombe la nuit 2. 1 Le Dernier jour d'un condamné, ch. XXXIII. 2 Après la bataille. {La Légende des siècles, XIII. VICTOR HUGO AVANT 1830 o1 La situalion de l'ancien colonel du Royal-Corse a d'ailleurs singulièrement grandi. Il a été nommé successivement aide de camp du roi, général, premier majordome du palais, comte de Gisuentes, inspecteur général de tous les corps formés et à former dans la péninsule, gouverneur des trois provinces d'Avila, de Ségovie et de Soria. Le siège de son gouvernement était établi à Ségovie. Au printemps de 1811, il appela auprès de lui M™e Hugo et ses fils, qui partirent avec un convoi composé de quinze cents fantassins, de cinq cents che- vaux et de quatre canons. On traversa successivement Irun, Ernani, Tolosa, Burgos, Valladolid et Ségovie L'Espagne me montrait ses couvents, ses bastilles ; Burgos, sa cathédrale aux gothiques aiguilles ; Irun, ses toits de bois, Vittoria ses tours; Et toi, Valladolid, tes palais de familles, Fiers de laisser rouiller des chaînes dans leurs cours ^... Le général n'était plus à Ségovie, oii il avait été remplacé par le comte de Tilly, et M^^ Hugo en repartit, au bout de quelques jours, pour conduire ses enfants à Madrid. La famille du majordome du palais s'installa au palais Masserano, dont Victor et son frère Eugène sortirent bientôt pour être pensionnaires au collège des Nobles. Abel resta pour être page du roi Joseph. Victor, que l'on destinait, lui aussi, à entrer dans les pages, vécut un an entre les quatre grands murs du collège, où il eut pour ami le fils 1 Mon enfance. {Odes et Ballades. 52 VICTOR HUGO AVANT 1830 aîné du duc de Benavente, qu'il devait retrouver à Paris, en 1825. C'est à lui qu'est adressée l'ode vingt et unième des Odes et Ballades A RAMONy duc de Ben av. Hélas ! j'ai compris ton sourire, Semblable au ris du condamné, Quand le mot qui doit le proscrire A son oreille a résonné ! En pressant ta main convulsive, J'ai compris ta douleur pensive Et ton regard mome et profond. Qui, pareil à l'éclair des nues, Brille sur des mers inconnues. Mais ne peut en montrer le fond. Le collège des Nobles était fréquemment témoin de ces combats d^ enfants pour le grand empereur, dont l'auteur des Orientales fait quelque part mention S et oi^i les fils du premier majordome du palais rencon- traient surtout pour adversaires deux Espagnols l'un, appelé Frasco, comte de Belverana, qui, un jour, se jeta sur Eugène et le blessa à la joue, ce qui lui a valu de donner son nom à l'un des personnages les moins sympathiques des drames de M. Victor Hugo, à ce Gubetta, comte de Belverana, gentilhomme castil- lan, l'âme damnée de Lucrèce Borgia, Gubetta-polson, Gubeita-poignard , Gubetta-gibet ^ ; — l'autre un affreux grand gaillard, à cheveux crépus, à mains griffues, mal bâti, mal peigné, mal lavé, hargneux et risible ^ », qui s'appelait Elespuru, et dont le nom 1 Les Orientales, XLI. 2 Lucrèce Borgia, acte I*', l'^ partie, 3 Victor Hugo raconté, etc., t. I, p. 200. VICTOR lU'GO AVANT 1830 o3 s'est retrouvé plus tard sous la plume du poète, qui, sans doute en souvenir de quelques taioches reçues, en a fait l'un des quatre fous de Cromwell, celui qui chante, au troisième acte du drame Oyez ceci, bonnes âmes ! J'ai voyagé dans l'enfer. Moloch, Sadoch, Lucifer Allaient me jeter aux flammes. Avec leurs fourches de fer. Déjà prenait feu mon linge ; Mon pourpoint était roussi ; Mais par bonheur, Dieu merci ! Satan me prit pour un singe, Et me lâcha — Me voici. IV Au commencement de 1812, en présence de la tour- nure fâcheuse que prenaient les affaires des Français en Espagne, le général Hugo jugea prudent de ren- voyer à Paris sa femme et ses deux plus jeunes enfants. L'aîné, déjà sous-lieutenant, demeura avec son père. W^^ Hugo reprit son logement des Feuillantines, et c'est là qu'Eugène et Victor achevèrent leur éduca- tion classique sous le vieux maître, M. Larivière, qui, de 1808 à 1811, leur avait enseigné les premiers éléments du latin. Depuis qu'il est devenu républi- cain, M. Victor Hugo a trouvé bon de faire de son vieux maître un émule du P. Loriquet, afin de bien montrer que, s'il avait été, sous la Restauration, catholique et royaliste, il en fallait rendre respon- 54 VICTOR HUGO avant 1830 sable Véducation cléricale dont son enfance avait été victime, ïétroite éducation de caste et de clergé qui avait déformé son intelligence. Au commencement de ce siècle, dit-il, un enfant habitait, dans le quartier le plus désert de Paris, une grande maison qu'entourait et qu'isolait un grand jardin. Cet enfant vivait là, seul, avec sa mère et ses deux frères et un vieux prêtre, ancien Oratorien, encore tout tremblant de 93, digne vieillard persécuté jadis et indulgent maintenant, qui était leur clément précepteur, et qui leur enseignait baucoup de latin, un peu de grec et pas du tout d'histoire Le digne prêtre-précep- teur s'appelait l'abbé de la Rivière. Avoir été enseigné dans sa première enfance par un prêtre est un fait dont on ne doit parler qu'avec calme et douceur ; ce n'est ni la faute du prêtre ni la vôtre. C'est, dans des con- ditions que ni l'enfant ni le prêtre n'ont choisies, une ren- contre malsaine de deux intelligences, Tune petite, l'autre rapetissée, l'une qui grandit, l'autre qui vieillit. La séniiïté se gagne. Une âme d'eafant peut se rider de toutes les erreurs d'un vieillard Le prêtre a été lui-même anciennement le patient de cet enseignement dont il est aujourd'hui l'opérateur ; devenu maître, il est resté esclave. De là ses leçons redoutables. Quoid^ plus terrible que le mensonge sincère ? Le prêtre enseigne le faux, ignorant le vrai ; il croit bien faire. Cet enseignement a cela de lugubre que tout ce qu'il fait pour l'enfant estfait contre l'enfant ; il donne lentement on ne sait quelle courbure à l'esprit; c'est de l'orthopédie en sens inverse ; il fait tors ce que la nature a fait droit ; il lui arrive, affreux chefs-d'œuvre, de fabriquer des âmes difformes, ainsi Torquemada ; il produit des intelHgences inintelligentes, ainsi Joseph de Maistre ; ainsi tant d'autres, qui ont été les victimes de cet enseignement avant d'en être les bourreaux. Étroite et obscure éducation de caste et de clergé qui a pesé sur nos pères et qui menace encore nos fils ! VICTOR HUGO AVANT 1830 55 Cet enseignement inocule aux jeunes intelligences la vieil- lesse des préjugés; il ôte à l'enfant Taube et lui donne la nuit, et il aboutit à une telle plénitude du passé, que l'àme y est comme noyée, y devient on ne sait quelle éponge de ténèbres et ne peut plus admettre l'avenir... Les trois écoliers des Feuillantines étaient soumis à ce périlleux enseignement *. Il est fâcheux, pour ce plaidoyer du poète, que les bases sur lesquelles il repose aient été détruites d'avonce par le témoin de sa vie, c'est-à-dire par lui- même. On lit, en effet, au tome premier de ses Mémoires, une page singulièrement curieuse sur le digne prêtre-précepteur, M. Larivière. Voici cette page La mère s'inquiéta bientôt de commencer leur éducation. Ils n'avaient pas, surtout Victor, l'âge du collège; elle les envoya d'abord à une école de la rue Saint-Jacques, où un brave homme et une brave femme enseignaient aux fils d'ouvriers la lecture, l'écriture et un peu d'arithmétique. Le père et la mère Larivière, comme les appelaient les écoliers, méritaient cette appellation par la paternité et la maternité de leur enseigne- ment. Ça se passait en famille. La femme ne se gênait pas, la classe commencée, pour apporter au mari sa tasse de café au lait, pour lui prendre des mains le devoir qu'il était en train de dicter, et pour dicter à sa place pendant qu'il déjeunait. Ce Larivière, du reste, était un homme instruit et qui eût pu être mieux que maître d'école. Il sut très bien, quand il le fallut, enseigner aux deux frères le latin et le grec. C'était un ancien prêtre de l'Oratoire. La révolution l'avait épouvanté, et il s'était vu guillotiné s'il ne se mariait pas ; il avait mieux aimé donner sa main que sa tète. Dans sa précipitation, il * Actes et paroles, par V. Hugo. t. I, Introduction , IS7". 56 VICTOR lU'GO AVANT 1830 n'était pas allé chercher sa femme bien loin ; il avait pris la première qu'il avait trouvée auprès de lui, sa servaate K Allons ! avouez-le, avec ce prêtre jureiir qui a épousé sa servante, nous voilà loin, bien loin de Jo- seph de Maistre et du P. Loriquet ! Est-ce tout? Non. Le poète a ou un autre maître que le digne abbé-précepteur, il a eu sa mère. J'eus dans ma blonde enfance, hélas ! trop éphémère, Trois maîtres un jardin, un vieux prêtre et ma mère -. Or le système d'éducation de M^^ Hugo était en- core moins clérical que celui du père et de la mère Larivière ». M^^ Roland raconte, dans ses Mémoires, qu'un jour, toute jeune encore, elle lisait Candide, lorsqu'elle fut surprise par une voisine, M"^^ Ghar- bonné, qui dénonça le fait à sa mère et lui en té- moigna son étonnement. Ma mère sans lui répondre, continue M^e Roland, me dit purement et simple- ment de reporter le livre où je l'avais pris. Je regar- dai de bien mauvais œil cette femme à ligure re- vôche, grosse à pleine ceinture, grimaçant avec im- portance, et depuis onques je n'ai souri à M'"^ Ghar- bonné. Mais ma bonne mère ne changea rien à son allure fort singulière, et me laissa lire ce que je trou- vais, sans avoir l'air d'y regarder, quoiqu'en sachant fort bien ce que c'était ^. » ]\jrae Hugo faisait mieux encore que cette excellenle M»^e Phlipon. Aimant beaucoup à lire, et ne voulant 1 Victor Hugo raconté, et'"., t. I, p. 57. 2 Les Rayons cl les Ombres. 3 Mémoires de Mme Roland, édition Danban, p. 17. VICTOR UUGO AVANT 1830 57 pas s'exposer à entamer une lecture ennuyeuse, elle faisait essayer ses livres par ses enfants. Ici en- core, il faut citer les propres paroles de l'auteur de Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie Mme Hugo était pour l'éducation en liberté. On a déjà vu qu'en fait de culte elle n'avait pas voulu violenter rame de ses fils et leur faire leur religion ; elle ne gênait pas plus leur intelligence que leur conscience. Elle lisait beaucoup et avait un abonnement à l'année chez un loueur de livres. Quand on aime lire, quelque livre qu'on ait commencé, on va jusqu'au bout ; afin de ne pas s'engager dans une lecture trop en- nuyeuse, Mme Hugo faisait essayer ses livres par ses enfants. Elle les envoyait chez son loueur, un nommé Royol, qui était un bonhomme très particulier... Les deux frères Eugène et Victor allaient chez ce bonhomme, fourrageaient dans sa bi- bhothèque, et emportaient ce qu'ils voulaient. Avec ces deux pourvoyeurs qui ne manquaient jamais à sa faim de livres, Mme Hugo en consomma effroyablement et eut bientôt épuisé le rez-de-chaussée du bonhomme Royol ; il avait bien encore un entresol, mais il ne se souciait guère d'y introduire des en- fants ; c'était là qu'il reléguait les ouvrages d'une philosophie trop hardie ou d'une moraUté trop libre pour être exposés à tous les yeux. Il fit l'objection à la mère, qui lui répondit que les hvres n'avaient jamais fait de mal, et les deux frères eu- rent la clef de l'entresol. L'entresol était un pêle-mêle. Les rayons n'avaient pas suffi aux livres et le plancher était couvert. Pour n'avoir pas la peine de se baisser et de se relever à tout moment, les enfants se courbaient à plat ventre et dégustaient ce qui leur tombait sous la main. Quand l'intérêt les empoignait, ils restaient quel- quefois là des heures entières. Tout était bon à ces jeunes ap- pétits, prose, vers, mémoires, voyages, sciences. Ils lurent ainsi Rousseau , Voltaire, ^Diderot ; ils lurent Faublas et d'autres romans de même nature K 1 Victor Ilurjo raconté, etc., t. I, p. 213-21o. S8 VICTOR HUGO AVANT 1830 Le voilà donc connu ce secret plein d'horreur ! Cette étroite et obscure éducation de caste et de clergé qui a pesé sur l'enfance du poète ; cet ensei- gnement lugubre qui a cloîtré sa jeunesse dans Lori- quet *, les voilà ! Nous savons maintenant quelle réa- lité se cache sous cette légende de V éducation cléri- cale de M. Hugo. La réalité, la voici une éducation en liberté ; pour maître, un prêtre apostat, qui se fait à l'occasion remplacer dans sa classe par sa cuisinière, devenue sa femme; pour guide, une mère voltai- rienne, dont l'un des principes est que les livres, — même les livres obscènes, — n'ont jamais fait de mal ; — pour salle d'études, l'entresol d'un bon- homme très particulier, qui avait entassé là, pêle- mêle, les ouvrages de Voltaire et de Louvet, de Dide- rot et de Restif de la Bretonne ^ ! 11 était essentiel de rétablir la vérité sur ce point, et ce n'est pas ma faute, si je n'ai pu le faire sans montrer la mère du poète telle que lui-même nous l'a peinte. En reproduisant ces pages sur Mi"tl ij >, die - tées par son fils, écrites par sa belle-fille, je ne pou- vais me défendre de reporter ma pensée sur cette ad - mirable et noble femme qui a été la mère de Lamar - 1 Les Contemplations, t. II, p. 8b. 2 Sainte-Beuve, Biographie des Contempo- rains. 1831. VICTOR HUGO AVANT 1830 50 tine, et dont il nous a laissé, dans les Confidences, un si vivant portrait Ma pensée, dit-il, toujours en communication avec celle de ma mère, se développait, pour ainsi dire, dans la sienne... Le goût de la lecture m'avait pris de bonne lieure... Je regardais avec envie les volumes rangés sur quelques planches dans un petit cabinet du salon. Mais ma mère modérait chez moi cette impatience de connaître ; elle ne me hvrait que peu à peu les livres et avec intelligence On peut dire que ma mère vivait en Dieu, autant qu'il est permis à une créature d'y vivre. Il n'y a pas une face de son âme qui n'y fût sans cesse tournée, qui ne fût transparente, lumineuse, réchaufïee par ce rayonnement d'en haut, décou- lant directement de Dieu sur nos pensées. Il en résultait pour elle une piété qui ne s'assombrissait jamais. Elle croyait hum- blement, elle aimait ardemment, elle espérait fermement... Elle était née pieuse, comme on naît poète ; la piété, c'était sa nature ; l'amour de Dieu, c'était sa passion ! mais cette pas- sion, par l'immensité de son objet et par la sécurité même de sa jouissance, était sereine, heureuse et tendre comme toutes ses autres passions. Cette piété était la part d'elle-même qu'elle désirait le plus nous communiquer. Faire de nous des créatures de Dieu en esprit et en vérité, c'était sa pensée la plus maternelle... Sa piété, qui découlait de chacune de ses inspirations, de chacun de ses actes, de chacun de ses gestes, nous enveloppait, pour ainsi dire, d'une atmosphère du ciel ici-bas. Nous croyions que Dieu était derrière elle, et que nous allions l'entendre et le voir, comme elle semblait elle-même l'entendre et le voir, et converser avec lui à chaque impression du jour. Dieu était pour nous comme l'un d'entre nous. Il était né en nous avec nos premières et nos plus indéfinissables impressions. Nous ne nous souvenions pas de ne pas l'avoir connu ; il n'y avait pas un premier jour où on nous avait parlé de lui. Nous l'avions toujours vu en tiers entre notre mère et nous. GU VlCTOll HUGO AVANT 18^0 Son nom avait été sur nos lèvres avec le lait maternel, nous avions appris à parler en le balbutiant. A mesure que nous avions grandi, les actes qui le rendent présent et même sensible à Tàme s'étaient accomplis vingt fois par jour sous nos yeux. Le matin, le soir, avant, après nos repas, on nous avait fait faire de courtes prières. Les genoux de notre mère avaient été longtemps notre autel familier. Sa figure rayonnante était toujours voilée à ce moment d'un recueillement respectueux et un peu solennel, qui nous avait imprimé à nous-mêmes le sen- timent de la gravité de Tacte qu'elle nous inspirait. Quand elle avait prié avec nous et sur nous, son beau visage devenait plus doux et plus attendri encore. Nous sentions qu'elle avait communiqué avec sa force et avec sa joie pour nous en inon- der davantage 1. Et maintenant viennent la jeunesse et ses passions, la vieillesse et ses douleurs, les révolutions et leurs orages, le fils d'une telle mère pourra voir s'obscurcir et se voiler les rayons de la foi qu'elle a déposée au fond de son âme ; comme la lampe qui veille au fond du sanctuaire, elle ne s'éteindra jamaistout à fait. Il ne descendra jamais à d'indignes blasphèmes ; même au plus profond de sa chute, il balbutiera encore avec respect et avec amour le nom du Dieu qui a béni son enfance, et lorsque approchera l'heure suprême, il pressera sur ses lèvres mourantes le crucifix qui a reçu le dernier soupir de sa mère ! Il ne m'appartient pas d'insister plus longuement sur le rapprochement auquel j'ai été conduit presque ^ Les Confidences, par A. de Lamartiac, 1. IV. — Le Manuscrit de ma mère, publié par A. de Lamartine. — Chateaubriand a dit de sa mère, dans ses Mémoires d' Outre-tombe Pour la piété, manière était un ange. '> — Béranger a dit de la sienne qu'elle servait dans les troupes légères du beau sexe, qu'elle aimait la toilette au-dessus de tout. VICTOR HIGO AVANT 1830 01 malgré moi; j'estime d'ailleurs que ce serait manquer à l'admiration mémo et au respect que je professe pour la mère de Lamartine que d'opposer sa mémoire à celle de la mère do M. Victor Hugo. Mais je tiens en mémo temps que la critique littéraire ne serait plus qu'un jeu puéril, si elle se refusait à proclamer les enseignements qui se dégagent de la vie et des œuvres des écrivains qu'elle étudie. Or, ici, comment ne pas faire remarquer que les leçons reçues au foyer de la famille par l'enfant qui sera, un jour, un poète, un orateur ou un historien, sont les plus puissantes de toutes; qu'à cet enfant, à ce jeune homme, des- tiné à répandre un jour autour de lui la poésie ou l'éloquence, elles impriment une direction favorable ou funeste, qui sera le salut ou la perte de Lien des âmes ? Mères, dont le fils porte au front le signe du génie, n'oubliez jamais la grandeur de la mission que Dieu vous a donnée ; n'oubliez pas que vous avez charge d'âmes, non seulement de l'âme de cet enfant que vous avez nourri de votre lait, mais encore de toutes ces âmes à qui votre fils versera le lait et le vin de sa parole. Yl Par une contradiction singulière, en même temps qu'il nous peint son enfance courbée sous le joug d'une étroite et obscure éducation de caste et de clergé, 32 VICTOR UUGO AVA>T 1830 et cet enseignement lugubre inoculant àsajeime intel- ligence la vieillesse des préjugés \ M. Victor Hugo s'attache à nous persuader qu'il est non seulement un républicain de la veille, mais encore un républicain de naissance. Dans l'introduction de son livre Actes et Paroles, il se réclame de son parrain, le général Lahorie, qui lui aurait donné, aux Feuillantines, à l'heure où l'Empire était à son apogée, des leçons de républicanisme. Lahorie, qui avait été impliqué dans la conspiration de Georges Gadoudal, de Pichegru et de Moreau, en 1804, — et non en 1801, — comme le dit M. Victor Hugo, par distraction ^, — et qui devait être fusillé dans la plaine de Grenelle, le 23 octobre 1812, pour la part qu'il avait prise à la conspiration du général Malet, — était venu demander à M^e Hugo, qui le lui avait généreusement accordé, un asile aux Feuillantines. C'est là que se serait passée, en 1809, la scène dont l'auteur AWctes et Paroles nous a tracé un si dramatique récit. Trois généraux, les comtes Drouet, Lucotte et de Tilly, sont venus visiter M^e Hugo. C'est le soir, le grand jardin est dans l'ombre, tandis qu'au dehors resplendit la clarté d'une fête en l'honneur de l'empereur et de la grande armée. La cou- pole du Panthéon est entourée d'un cercle d'étoiles, le dôme du Val-de-Grâce dresse une flamme à son sommet ; le canon des Invalides tire de quart d'heure en quart d'heure. Les trois généraux se pro- mènent dans les herbes du vieux jardin ; ils causent, 1 Actes et paroles, par Victor Hugo. Inlroductioa. 2 Avant VExiL p. 10. VICTOn HUGO AVANT 1830 63 et le jeune Victor, marchant à leurs côtés, grave au fond de sa mémoire chacune de leurs paroles. Sou- dain, dans le clair-obscur des arbres, apparaît Lahorie. — Quelqu'un est plus grand que Napoléon, dit Lahorie au général Lucotte. — Qui ? — Bonaparte. Il y eut un silence. Lucotte le rompit. — Après Marengo ? Lahorie répondit. — Avant Brumaire Brumaire, c'est la chute. — De la République, oui. — Non, de Bonaparte. Les trois hommes écoutaient, stupéfaits et sérieux. Lucotte s'écria — Tu as raison. Pour effacer Brumaire, je ferais tous les sacrifices. La B'rance grande, c'est bien ; la France libre, c'est mieux. — La France n'est pas grande si elle n'est pas libre. — C'est encore vrai. Pour revoir la France libre, je donnerais ma fortune. Et toi ? — Ma vie, dit Lahorie. Il y eut encore un silence. On entendait le grand bruit de Paris joyeux ; les arbres, étaient roses ; le reflet de la fête éclai- rait les visages de ces hommes ; les constellations s'eflaçaient au-dessus de nos têtes dans le flamboiement de Paris illuminé; la lueur de Napoléon semblait remplir le ciel. Tout à coup l'homme si brusquement apparu se tourna vers moi qui avais peur et me cachais un peu, me regarda fixeiiiont et me dit — Enfant, souviens-toi de ceci avant tout, la liberté. Et il posa sa main sur ma petite épaule, tressaillement que je garde encore. Puis il répéta 64 VICTOR HUGO AYANT 1830 — A vaut tout, la liberté. Et il reatra sous les arbres d'où il venait de sortir ^ La scène est belle ; est-elle vraie ? Suivant M. Tictor Hugo, sa mère assistait à l'entre- tien de Lahorie avec le général Lu cotte, et c'était à elle que ce dernier était venu faire visite. Gomment alors expliquer ce passage de Victor Hugo raconté par 171 témoin de sa vie Victor Huijo raconté, etr.. t. I. VICTOR I[[IGO ANANT 1830 65 1809, employé clans leTyrol, sous les ordres du maré- chal Lefebvre K Les trois interlocuteurs de Lahorie lui font donc défaut. Ses antithèses sur Bonaparte et Napoléon, sur Brumaire etMareng'o, sur Brumaire qui est la chute, — non de la république, — mais de Bonaparte il paraît que l'on cultivait l'antithèse, sous le premier empire, entre généraux, avec autant d'ardeur et de succès que, sous le gouvernement de Juillet, entre romxantiques, toutes ces belles paroles se heurtent, du reste, à une autre impossibilité Lahorie avait coopéré au 18 Bru- maire et il en tirait gloire. V Histoire de la conspira- tion du général Malet, par l'abbé Lafon, l'un des con- jurés, ne laisse à cet égard aucun doute. Devant la commission militaire chargée de juger le général Malet et ses coaccusés, Lahorie fit la déclaration suivante Je n'ai pas cru concourir à une conspira- tion ; j'ai cru concourir à la formation d' un nouveau gouvernement, c^ovumQ f ai concouru au 18 Brumaire. C'était dans Paris un môme état de tranquillité. Trompé par ce souvenir, j'ai pu, plus qu'un autre, être dans l'erreur ; et j'y ai été, j'en conviens ; je dirais fran- chement si jj avais eu un tort ^.» Tout le monde a lu, dans les Châtiments, la belle pièce intitulée l'Expiation. Dans une suite de tableaux d'un dessin vigoureux et d'un coloris superbe, le poète fait passer sous nos yeux la retraite de Moscou, 1 Biographie moderne, t. I. 2 Histoire de la complration du f/énéral Malet, par M. Tabbé Lafon, p. l2o. 6 VICTOR Ur. AVANT 1830 la déroute de Waterloo, l'agonie de Sainte-Hélène. A chaque nouveau coup qui le frappe, pst-ce le châtiment, Seigneur? demande Napoléon, etiuie voix lui répond dans l'ombre Non ! L'empereur a été ramené sur les rives de la Seine , il dort dans son tombeau des Invalides, confiant et tranquille, sacré par l'exil et par la mort. Une nuit, il s'éveille. Une vision, oii l'horrible le dispute au grotesque, emplit sa paupière son nom sert d'en- seigne à une baraque de la foire On quête des liards dans le petit chapeau. La redingote grise, couverte de taches sordides, s'étale sur le dos de Cartouche; et, à la porte de la baraque, des pitres essouflés se démènent en criant Nous sommes les neveux du grand Napoléon. L'horrible vision s'évanouit. L'empereur, désespéré, pousse un cri Les victoires de marbre à la porte sculptées, Fantômes blancs debout hors du sépulcre obscur, Se faisaient du doigt signe et, s'appuyant au mur. Écoutaient le Titan pleurant dans les ténèbres. Et lui cria — Démon aux visions funèbres, Toi qui me suis partout, que jamais je ne vois, Qui donc es-tu ? — Je suis ton crime, dit la voix. La tombe alors s'emplit d'une lumière étrange, Semblable à la clarté de Dieu quand il se venge ; Pareils aux mots que vil resplendir Balthazar, Deux mots dans l'ombre écrits flamboyaient sur César ; Bonaparte, tremblant comme un enfant sans mère, Leva sa face pale et lut — DIX-HUIT BRUMAIRE ! Quand M. Yictor Hugo écrivait ces vers, se VICTOR HUGO AVANT 1830 7 doutait-il que son parrain avait été l'un des auteurs du Dix-huit Brumaire, de ce crime, le plus grand de l'histoire, à ses yeux... après le Deux Décembre ? Lahorie effaça-t il du moins sa faute le jour où il prit part à la conspiration du général Malet? Aucu- nement. Cette conspiration, en effet, n'était rien moins qu'une entreprise républicaine. Duruy a très-bien démontré qu'elle avait pour but le réta- blissement de la Monarchie légitime \ Parmi les membres du gouvernement provisoire appelé à remplacer le gouvervement impérial, figuraient le général Moreau, le duc Mathieu de Montmorency et le comte Alexis de Noailles. Un des articles du sénatus-consulte, préparé par Malet et par l'abbé Lafon, son principal complice, portait que tous les émigrés seraient rappelés; un autre, qu'une dépu- tation Victor Hiujo raconté 2^0-1' un témoin de sa vie. 3 Victor Hugo raconté, etc., t. I"»-,, p. 309. — Palmarès des concours /é- néraux. Bibliothèque de la Sorbonno. 78 VICTOR HUGO AVANT 1830 rexactilude la plus minutieuse, de mettre la main à la fois aux choses sublimes et aux petites choses, comme Ghaiiemagne qui déployait dans la guerre, dans la politique et dans l'administration le génie le plus vaste, et qui s'occupait en même temps des lé- gumes de ses jardins et des œufs de ses basses-cours de minimis curai Victor. La distribution solennelle des prix du concours gé- néral entre les quatre collèges royaux de Paris, — Bourbon, Louis-le-Grand, Henri IV et Gharlemagne S — eut lieu, le 17 août 1818, dans la salle des séances publiques de l'Institut, sous la présidence de M. Royer- Gollard, ayant à sa droite M, Guvier et à sa gauche M. Sylvestre de Sacy l'Université reverra-t-elle jamais pareille fête ? Le discours latin, prononcé par M. Andrieux, pro- fesseur au collège Bourbon, avait pour texte Non metuenclum esse ne juvenes, in tractandis veterum scriptisy concipiant insanum status popularis amorem, aut regni odium legibus temperati ^. 1 Ce n"ost pas Louis XVIII qui a proscrit les noms de Lycée Impérial, Lycéf! Napoléon et Lycée Bonaparte, et les a remplacés par ceux de Louis- le-Grand, Henri IV et Bourbon, C'est le conseil imjiérial de l'instruction publique, présidé par le sénateur, comte de Fontanes. grand-maître de l'Uni- versité, qui, dès les premiers jours d'avril 1814, prit l'initiative de cette mesure et la réalisa sans même attendre l'arrivée du comte d'Artois 12 avril. 2 Un ancien élève de M. Andrieux, M. Albert du Boys, le savant auteur \e Y Histoire du droit criminel, de Catherine d'Aragon, etc., m'a fait l'hon- neur, après avoir lu ce passage dans le Correspondant, de m'écrire une lettre d'où j'extrais les lignes suivantes D'une piété égale à son talent, M. Andrieux faisait tous les samedis, de trois à quatre heures, à sa classe de rhétorique, un cours de religion ou de haut catéchisme. Michelet, alors élève de l'Ecole normale, venait le voir souvent et lui témoignait une grande déférence. » VICTOR HUGO AVANT 1830 79 Un incident signala la coromonie. En rhétorique, le premier et le second prix de discours latin furent remportés par les jeunes Demersan et Gibon, tous les deux élèves de Henri IV. Les camarades des lauréats célébrèrent la victoire de leur collège en demandant à grands cris l'air de Vive Henri IV f Les vaincus, de leur côté, acceptèrent galamment leur défaite, et l'on vit Bourbon et Louis-le-Grand répé- ter avec Gharlemagne Vive Henri IV f Parmi les lauréats de ce concours, il en est jus- qu'à sept qui auraient pu marquer d'avance leur place sur les bancs de l'Institut Eugène Burnouf, Sylvestre de Sacy,Éliede Beaumont, Littré, Duchâtel, Guvillier- Fleury et Victor Hugo. D'autres noms retentirent, le 17 août 1818, sous la coupole du palais Mazarin, qui devaient marquer plus tard dans la philosophie et dans les lettres, au théâtre et au barreau, à la Chambre des Pairs et à l'Ecole de droit Georges Farcy, Paravcy, Léon Halévy, Gustave et Léon de Wailly, Baroche, Léon Duval, de Kergorlay, Oudot et cet incomparable professeur de droit, mort à trente ans, au seuil même de la gloire, Joseph-Edouard Boitard. Le nom de Victor Hugo fit moins de bruit ce jour-là que celui de Paravey, qui remporta le premier prix de dissertation française, et je soupçonne que son cinquième accessit de physique passa inaperçu. A propos de cet accessit, le Témoin de sa vie fait cette remarque Contrairement à la philosophie, la phj^- sique l'avait vivement intéressé *. » N'y avait-il pas là 1 Vicioj^ Hiif/o rnrnnt^ par 11V témoin df sa rir. t. l»'', p. •SOfl. 80 VICTOR HUGO AYANT 1 S30 un symptôme significatif ? Tel enfant, tel homme ; tel était l'écolier, tel est resté le poète, plus sensible à la forme qu'au fond, plus préoccupé de la physique, c'est-à-dire de la nature et des objets matériels, que de la philosophie, c'est-à-dire des principes et de l'âme même des choses. Encore bien que Victor Hugo n'ait point été reçu à l'École polytechnique, — où d'ailleurs il ne se présenta pas, — les études spéciales auxquelles il se livra, pendant trois ans, à la pension Gordier, n'ont pas été perdues pour lui, et l'on en retrouve la trace en plus d'un endroit de ses oeuvres. Nous lisons, par exemple, au premier chapitre de Notre-Dame de Paris Maître Andry, reprit Jehan, toujours pendu à son chapi- teau, tais-toi, ou je te tombe sur la tète ! Maître Andry leva les yeux, parut mesurer un instant la hauteur du pilier, la pesanteur du drôle, multiplia mentale- ment cette pesanteur par le carré de la vitesse, et se tut. Dans Littérature et philosophie mêlées, à la fin d'un article sur un jeune poète suisse, Ymbert G;dlois, M. Victor Hugo écrit Toute grande ère a deux faces; tout siècle est un binôme, a -\' h, Thomme d'action , plus l'homme de pensée, qui se multiplient l'un par l'autre et expriment la valeur de leur temps. Mais c'est surtout dans les Misérables que sa passion pour le chiffre et sa prétention à l'exactitude et à la précision mathématique se donnent libre carrière. Il se complaît dans des calculs comme celui-ci VICTOR HUGO AVA?^T 1830 81 On a calculé qu'en salves, politesses royales et militaires, échanges de tapages courtois, signaux d'étiquettes, formalités de rades et de citadelles, levers et couchers du soleil salués tous les jours par toutes les forteresses et tous les navires de guerre, ouverture et fermeture des portes, etc., etc., le monde civilisé tirait à poudre par toute la terre, toutes les vingt- quatre heures, 150 000 coups de canon inutiles. A 6 francs le coup de canon, cela fait 900 000 francs par jour, 300 mil- hons par an qui s'en vont en fumée K L'application des mathématiques à la littérature ne saurait sans doute être proscrite d'une manière absolue ; mais du moins convient-il de ne point s'en servir pour jeter de la poudre aux yeux du lecteur, et d'en user sobrement, sans affectation et sans pé- dantisme, comme Ta su faire, dans une page de ses Mémoires y M^e de Staal Je fus reçue dans mon couvent, écrit-elle, avec une extrême joie. J'y vécus comme à mon ordinaire, avec mes amis, M. Brunel, Miles d'Epinay et M. de Rey, qui me témoignait toujours beaucoup d'attachement. Je découvris cependant, sur de légers indices, quelque diminution de ses sentiments. J'allais souvent voir Mlles d'Epinay, chez qui il était presque toujours. Comme elles demeuraient fort près de mon couvent, je m'en retournais ordinairement à pied, et il ne manquait pas de me donner la main pour me conduire jusque chez moi. Il y avait une grande place à passer, et dans les commencements de notre connaissance, il prenait son chemin par les côtés de cette place je vis alors qu'il la traversait par, le milieu ; d'où je jugeai que son ainour était au moins diirtinué de 'la diffé- rence de la diagonale aux deux côtés du carré ^. ^^"^ p Glissez, mortels, n^ appuyez pas. En ^ qiialité d'im 1 Les Misérables. 2 Mémoires de M°»e de Staal M'ie de Lauuay, [. .i",. 82 VICTOR HUGO AVANT 1830 mortel, M. Hugo a refusé de prendre pour lui ce con- seil, peut-être parce qu'il ne vient pas de Voltaire, à qui on l'attribue généralement, mais du poète Roy, lauréat de l'Académie française, en 1715, et dont Fontenelle disait C'est l'homme d'esprit le plus bête que j'aie connu. » L'auteur des Travailleurs de la mer appuie de toutes ses forces, il entasse chiffres sur chiffres^ il met de l'arithmétique partout. Le plus fécondant des engrais, dit-il dans la cinquième partie des Misérables, c'est l'engrais humain.... Tout l'en- grais humain et animal que le monde perd, rendu à la terre au lieu d'être jeté à l'eau, suffirait à nourrir le monde. La statis- tique a calculé que la France à elle seule fait tous les ans à l'Atlantique, par la bouche de ses rivières, un versement d'un demi-milhard Or, Paris contenant le vingt-cinquième de la population française, et le giumo parisien étant le plus riche de tous, on reste au-dessous de la vérité en évaluant à 25 mil- lions la part de perte de Paris dans le demi-milliard que la France refuse annuellement ^ Et plus bas De 1806 à 1831, on avait bâti annuellement, en moyenne, 750 mètres d'égouts ; depuis, on a construit tous les ans 8 et même 10 000 mètres de galeries, en maçonnerie de petits ma- tériaux à bain de chaux hydraulique sur fondation de béton. A 200 francs le mètre, les 60 lieues d'égouts du Paris actuel représentent 48 millions 2. Décidément, je préfère la géométrie de M"»e de Staal à l'arithmétique de M. Hugo. 1 Les Misérables, p. 687. 2 JbiiJ., p. 606, VICTOR iïUGO AVANT 1830 83 II Nascuntur poetœ ; mathematici fiunt. — Victor Hugo aurait pu devenir mathématicien ; mais certes il était né poète. A l'âge où les autres enfants sont à peine en état de distinguer la prose des vers, il sen- tait déjà s'éveiller en lui et chanter sur ses lèvres de vagues et fraîches mélodies. Mes souvenirs germaient dans mon âme échauffée ; J'allais chantant des vers d'une voix étouffée, Et ma mère, en secret, observant tous mes pas, Pleurant et souriant, disait C'est une fée Qui lui parle et qu'on ne voit pas i. On sait quels spectacles magiques avaient frappé ses premiers regards, de quels récits merveilleux avaient été bercées ses premières années les Alpes et les Apennins, Florence et Rome, le golfe de Naples et les gorges de la Galabre, ces incomparables décors se déroulant devant les yeux d'un enfant de cinq ans ; le palais de marbre d'Avellino, tout creusé par le temps et par les tremblements de terre ^, » et le soir, dans la grande salle, le colonel Hugo racontant la capture de Fra Diavolo ; Naples quittée pour Paris, le vieux puisard et Vescarpolette sous les marronniers dans le jardin des Feuillantines, profond, mystérieux. Plein de bourdonnements et de confuses voix ; et, un jour, au Panthéon, la vision du grand empe- 1 Odes et Ballades. 2 Yictor Thujo raconté, t. I. \\. 51. 84 VICTOR HUGO AVANT 183U reiir, apparaissant dans un flot de poussière dorée, muet et grave, pendant que devant lui passent les régiments, les drapeaux, les musiques, et que la foule emplit les airs de cris enthousiastes ; — puis le voyage de Paris à Madrid, Ernani, ce nom inconnu, frappant les oreilles de cet enfant qui passe et qui s'en souviendra un jour, Burgos, où les pas des sol- dats de Napoléon retentissent sans réveiller dans sa tombe le Gid Gampéador, les cathédrales gothiques, les palais mauresques, les rues mystérieuses ; partout le bruit des combats, et, le soir encore, dans le palais Masserano, le général racontant ses chasses contre les guérillas ; — le retour de Madrid à Paris, les dé- sastres qui se succèdent comme hier encore se succé- daient les victoires, la France envahie, l'empereur qui prend le chemin de l'île d'Elbe pendant que le frère de Louis XYI rentre aux Tuileries ; et bientôt, comme sur un théâtre se produisent en un instant les changements de décors. Napoléon qui reparait, Louis XVIII qui s'éloigne à son tour, le Ghamp de Mai, Waterloo, la seconde Restauration Victor Hugo avait vu tout cela, et il n'avait pas quatorze ans ! Dans ces tableaux et ces souvenirs, que de germes d'inspirations pour cette âme de poète ! Et comment nous étonner maintenant qu'en 1815 — à treize ans — il eût déjà composé des pièces de vers sans nom- bre ? Pendant les trois années qu'il passa à la pension Gordier, de 1813 à 1818, il mena de front les mathé- matiques et la poésie. D'ordinaire, les écoliers-poètes VICTOR HUGO AYANT 1830 85 quittent le collège avec une tragédie en portefeuille. A la fin de ses études, Victor Hugo, outre la tragédie de rigueur, emportait avec lui force cahiers, sur les- quels il avait mis au net, de sa plus belle main, un mélodrame en trois actes avec deux intermèdes Inez de Castro, un opéra comique A quelque chose hasard est bon, un poème sur le déluge, des odes, des satires, des épitres, des élégies, des idylles, des imi- tations d'Ossian, des traductions de Virgile, d'Horace, de Lucain, d'Ausone et de Martial, des romances, des fables, des contes, des épigrammes, des madrigaux, des logogriphes, des acrostiches, des charades, dos énigmes et des impromptus *. n avait quatorze ans, lorsqu'il fit sa tragédie. Elle était intitulée Artamène, et célébrait, sous des noms égyptiens, le retour de Louis XVIII et la chute de Napoléon. L'usurpateur s'appelait Actor, et le roi légitime Zobéir. Le dernier vers, qui renfermait la morale de la pièce, était celui-ci Quand on hait les tyrans, on doit aimer les rois. L'année suivante, en 1817, il commença une autre tragédie, Athélie ou les Scandinaves, mais, cette fois, il n'alla que jusqu'à la fin du second acte. Les deux actes &' Athélie et les cinq actes d'Irt amène n'ont jamais vu le jour ; il n'en est pas de même des fragments de V Enéide et des Géorgiques, traduits par le jeune écolier ils ont été publiés en 1820, dans le 1 Victor Hugo raconté, etc., t. I, p. 277. 86 VICTOR HUGO AVANT 1830 Conservateur littéraire. Ces fragments sont au nombre de quatre le Vieillard du Galèse Géorgiques, 1. IV ; l'épisode à'Achéménide Enéide, 1. III ; celui de Cacus 1. VIII, et V Antre des Cyclopes 1. VÏII. Ces essais de Victor Hugo enfant témoignent déjà d'un rare talent de versificateur. Dans sa traduction de l'épisode des Géorgiques, tout en restant bien loin de l'inimitable perfection du poète latin, sans attein- dre même à la souplesse et à la dextérité de l'abbé Delille, il a des vers d'une facture excellente. Voici cette pièce, que le lecteur nous saura peut- être gré de placer sous ses yeux, M. Victor Hugo ne l'ayant recueillie dans aucune édition de ses œuvres. LE VIEILLARD DU GALÈSE Si mon vaisseau, déjà prêt à toucher les bords, Vers le but désiré ne tournait sans efforts, Poète des jardins, je chanterais peut-être La culture des fleurs et la rose champêtre. Je décrirais l'acanthe arrondie en berceaux. L'endive, se gonflant du suc des clairs ruisseaux. Le myrte, amant des eaux qu'il couvre de son ombre, Les contours tortueux de l'énorme concombre. Le narcisse tardif, le persil frais et vert, Et le herre rampant dont le chêne est couvert. Aux plaines du Galèse, où, noire et sablonneuse, Roule en des champs dorés son onde limoneuse. Sous les tours d'OEbalie, il fut, je m'en souviens, ' Un paisible vieillard, riche de peu de biens. C'était un lieu désert, aride pâturage. Funeste aux jeunes ceps, rebelle au labourage. Le vieux sage semait, dans ces prés buissonneux. Des légumes, parmi les chardons épineux. VICTOR HUGO AVANT 1830 87 Et croyait, cultivant le lis et la verveine, Être l'ég-al des rois dans son humble domaine. Le soir, à son retour, il goûtait sans ennui Des mets simples et purs, qu'il ne devait qu'à lui. Le premier au printemps, le premier en automne, Il recueillait les dons de Flore et de Pomone ; Et quand le triste hiver, brisant les rocs durcis. Mettait un frein de glace aux ruisseaux épaissis, Déjà taillant le front de l'acanthe encor tendre, Il hâtait les zéphirs, qu'il se lassait d'attendre. Aussi, sur mille essaims il étendait ses droits, Des rayons pleins de miel écumaient sous ses doigts ; Dans l'automne, cliez lui, chaque arbre se colore D'autant de fruits nouveaux qu'il voit de fleurs éclore. Il plantait le tilleul près du pin résineux. Et greffait le prunier sur l'arbuste épineux ; Chez lui, se soumettant au cordeau qui l'ahgne. Le platane ombrageait les sarments de la vigne ; Et seul il sut toujours transplanter, sans efforts, Des poiriers déjà vieux, des ormeaux déjà forts. Mais à d'autres sujets il faut que je me livre. Je laisse un vaste champ à qui voudra me suivre i. La traduction de l'épisode d'Achéménide et de Poly- phème a été reproduite au tome premier de Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie ^. Elle peut soutenir, sans désavantage, la comparaison avec celle de l'abbé Delille et celle de Barthélémy. Les trois fragments de V Enéide, auxquels s'est atta- ché le jeune traducteur, présentent tous les trois un caractère ils sont consacrés à peindre des 1 Géorfjiques, 1. IV. — Le Conservateur littéraire, t. II, p. 32!. 2 Yictor Hugo raconté, etc.. t. I. p. 293. 8H VICTOR HUGO AVANT 1830 monstres, ici Gacus, là Polyphème, ailleurs les Gy- clopes, Brontesque, Steropesque et nudus membra Pyracmon. N'y avait-il pas là comme un présage de l'étrange sympathie qui, plus tard, poussera le poète à choisir ses héros parmi les êtres difformes faits pour exciter l'horreur ou le dégoût, nains comme Habibrah, bor- gnes comme Quasimodo, bossus comme Triboulet, aux mains crochues, aux genoux noueux, aux rugis- sements féroces comme Han d'Islande ? Quoi qu'il en soit, ces traductions de V Enéide et des Géorgiques témoignent, chez celui qui sera bientôt le chef de l'école romantique, d'une prédilection toute particulière pour Virgile. A la même époque, dans une pièce qu'il présentait à l'Académie française et sur laquelle nous aurons à revenir tout à l'heure, il disait Mon Virgile à la main, bocages verts et sombres, Que j'aime à m'égarer sous vos paisibles ombres !... Là, mon âme tranquille et sans inquiétude S'ouvre avec plus d'ivresse aux charmes de l'étude ; Là... mon cœur est plus tendre et sait mieux compatir A des maux... que peut-être il doit un jour sentir. M. Victor Hugo — et ceci étonnera peut-être plus d'un de nos lecteurs, — est resté fidèle au culte de Virgile. On en trouve la preuve en plus d'un endroit, et en particulier dans les Voix intérieures et les Rayons et les Ombres. 0 Virgile ! ô poète ! ô mon maître divin, s'écrie-t-il dans le premier de ces ouvrages. — Et dans VICTOR HUGO AYANT 1830 81 le second, s'adressant à J/. le duc de.. .y le poète lui dit Prenez ce vieux Virgile où tant de fois j'ai lu ! Cherchez l'ombre, et tandis que dans la g-alerie Jase et rit au hasard la folle causerie, Vous, éclairant votre âme aux antiques clartés, Lisez mon doux Virgile, ô Jule, et méditez ! A^ous connaissez, écrivait-il, en 1838, à M. Louis Boulanger, mon goût pour les grands voyages à petites journées, sans fatigue, sans bagage, en cabriolet, seul avec mes vieux amis d'enfance, Virgile et Tacite ^ n Plus tard, et alors que, devenu pair de France, il semblait vouloir donner le pas à la politique sur la littérature, il écrivait à M. le baron Gaston de Flotte, en réponse à l'envoi de son poème sur la Vendée Ne croyez pas. Monsieur, que je renonce jamais à la place que les Poètes comme vous veulent bien me garder au milieu d'eux. Je me tourne, en ce moment, vers ce que les hommes appellent l'Utile, mais je n'en reste pas moins le contemplateur religieux de l'Idéal et du Beau. Vingt vers de Virgile tiennent plus de place dans le génie humain, et j'ajoute dans le progrès même de la civiUsation, que tous les discours de tribune faits ou à faire. Je sais cela, Monsieur, et c'est mon Credo de Pen- seur. Je ne l'oublierai jamais, je ne m'oublierai jamais 2. » Sans doute Victor Hugo n'a ni le goût exquis, ni le 1 Le Rhin, lettre première. 2 Lettre du 31 mars 1846. M, le baron Gaston de Flotte, à qui nous devons la communication de cette lettre, est mort au mois d'août 1882, à Saint- Jean-du-désert Bouches-du-Rliône, où il était né le 2G février 1803. Catholique et royaliste ardent, poète distingué, érudit aimable, il a publié plusieurs vo- lumes àQ^'Qvs, Jésus-Christ, la Vendée, Souvenirs poétiques. Sainte Cécile, et deux volumes de prose, singulièrement piquants, sous ce titre les Bévues parisiennes. 90 A'ICTOR HUGO AVANT 1830 sentiment profond qui respirent dans le chantre de y Enéide. Racine avait depuis longtemps recueilli cette partie de l'héritage. Mais peut-être le poète des Feuilles cV automne est-il parvenu, dans plusieurs de ses pièces, à donner à son vers un caractère de perfection qui prouve que, comme artiste et au point de vue de la forme, il a plus d'une fois merveilleusement profité des leçons de Virgile. En ces mêmes années où, dans sa petite chambre de la pension Cordier, au fond de la vieille rue Sainte- Marguerite, entre la prison de l'Abbaye et le passage du Dragon, enserré et martelé par ses forgerons*, » il demandait des inspirations au chantre de VEnéide, il en puisait d'autres dans un écrivain qui a eu, sur la direction de ses idées à cette époque, la plus heu- reuse et la plus puissante influence. Tous ceux, a dit Augustin Thierry dans une page ineffaçable, où il raconte comment, au fond d'un collège do province, à Blois, il a senti s'éveiller en lui, à la lecture du Yle livre des Martyrs, sa vocation d'historien, tous ceux qui, en sens divers, marchent dans la voie de ce siècle, ont rencontré, de même, à la source de leurs études, à leur première inspiration, l'écrivain de génie qui a ouvert et qui domine le nouveau siècle littéraire. Il n'en est pas un qui ne doive lui dire, comme Dante à Virgile Tu duca, tu signore e tumaestro ^. » Plus encore que d'Augustin Thierry, l'auteur des Martyrs a droit de réclamer de Victor Hugo cet hom- 1 Victor Huçin racnnU, etc., I, 2b8. 2 F'réfaop des Récits des temps mémrinf/iens. VICTOR HUGO AVANT 1830 91 mage. Le lecteur se rappelle peut-être cette note, signalée déjà dans notre premier chapitre et jetée par l'élève de la pension Gordier sur l'un de ses cahiers, à la date du 10 juillet 1816 Je veux être Chateaubriand ou rie7i. C'est que pourlui, en effet, la vérité politique, religieuse et littéraire se personnifiait tout entière en Chateaubriand. L'auteur de la Monarchie selon la Charte est ultra ; son jeune disciple l'est également. L'auteur des Martyrs est catholique ; en dépit de l'éducation qu'il a reçue, en dépit de sa mère voltai- rienne, en dépit même de l'entresol du bonhomme Royol % le poète des Odes et Ballades sera catholique^. L'auteur du Génie du Christianisme a remis en hon- neur la Bible et Homère, en même temps que Vir- gile ^ ; Virgile, Homère et la Bible seront les lectures favorites du poète des Rayons et des Ombres et des Voix intérieures Dans ma retraite obscure où, sous un rideau vert, Luit comme un œil ami maint vieux livre entr'ouvert, Où ma Bible sourit dans l'ombre à mon Virgile ^ Et dans la pièce A des oiseaux envolés i Voy. ci-dossus, chap. II. 2 La lecture de Chateaubriand modifia sensiblement les idées de Victor sur un point. Le Génie du Christianisme, en démontrant la poésie de la reli- gion catholique, avait pris le bon moyen de la persuader aux poètes. Victor passa du royalisme voltairien de sa mère an royalisme chrétien de Chateau- briand. ' Victor Hugo raconté, etc., t. II, p. 4. 3 Voir dans le Génie du Christianisme la seconde 2iartie, consacrée à la Poétique du CfuHstianisme, et en particulier le livre cinquième la Bible et Homère. 4 Les Rayons et les Ombres. Dans la préface de ce recueil mai 1840, M. Victor Hugo déclare que la Bible est son livre », 92 VICTOR HUGO AVANT 1830 Je VOUS laisserai même, et gaîment et sans crainte, 0 prodige ! en vos mains tenir ma Bible peinte, Que vous n'avez touchée encor qu'avec terreur, Où l'on voit Dieu le père en habit d'Empereur i ! Après Virgile et la Bible, Homère Elle parlait, charmante et fière, et tendre encor. Laissant sur le dossier de velours à clous d'or Déborder sa manche traînante. Et toi, tu croyais voir à ce beau front si doux Sourire ton vieux livre ouvert sur tes genoux, Ton Iliade rayonnante 2 ! Chateaubriand ne s'était pas borné, dans le Génie du Christianisme, à donner le signal du retour à la vérité littéraire, en même temps qu'à la vérité reli- gieuse ; il avait encore déposé, dans cette œuvre féconde, le germe de la réaction qui devait s'opérer quelques années plus tard en faveur de l'architecture gothique, couverte depuis plusieurs siècles d'un in- juste mépris. C'est là que M. Victor Hugo a puisé cet amour passionné pour nos vieux monuments qui lui dictera de si beaux vers et de si belles pages contre la Bande noire et qui lui inspirera un jour^ dans le plus célèbre de ses romans, cet admirable chapitre qui a pour titre Notre-Dame ^. Mais le futur auteur de Notre-Dame de Paris n'est encore que l'élève de la pension Cordier, et, en même temps qu'il traduit quelques-uns des plus beaux épisodes de Virgile, il met en vers quelques- 1 Les Yoix intérieures. 2 Ibid. 3 Notre-Dame de Paris, 1. III. cli. i. VICTOR HUGO AVANT 1830 93 uns des plus beaux morceaux de Chateaubriand. Millevoye, dans son poème sur PAmour matomel, Alexandre Soumet, au deuxième chant de son poème sur Vlncrédulité, avaient imité cette page charmante diAtala, qui nous montre une jeune mère suspendant aux branches d'un arbre, selon la coutume indienne, le tombeau de son enfant mort et plaçant sa dépouille innocente dans la demeure des petits oiseaux*. Séduit par les couleurs douces et pures de cet adorable tableau, Victor Hugo le reproduisit à son tour, dans une pièce très supérieure à celle de ses deux devan- ciers et publiée, en 1849, dans le Lycée français ^, sous ce titre la Canadienne suspendant au palmier le tombeau de son nouveau-né. Ces vers, qui n'auraient certes pas déparé les pre- mières Odes, ne figurent dans aucun des recueils du poète, qui les a seulement insérés, en 1863, au tome l^"^ de Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie ^. L'enfant qui écrivait à seize ans cette élégie, fraîche comme une rose trempée de rosée *, était déjà un vrai poète. Il maniait, du reste, non moins heureusement le vers de l'épitre. Je trouve encore, dans l'ouvrage que je viens de ciler ^, des fragments d'une Epître à 1 Atalu, épilogue. 2 Lycée français ou mélanges de littérature et de critique. Ce recueil, à la rédaction duquel concoururent Casimir et Germain Delavigne, Eugène Scribe, Brifaut, Patin, Victor Le Clerc, Bruguière de Sorsum, Viollet-Le-Duc père, Théry, Avcnel. Charles de Rémusat, Delécluze, fut fondé, en 1819, par Charles Loysou. Il a\ait pour épigrapiie Dulccs ante omnia Mitsâe. 3 P. 292-294. 4 Millon, VAllegro. s Victor Hugo raconté, Hc, t. I*', p. 308. 94 VICTOR HUGO avant 1830 M. Ourry, d'une facture excellente. M. Ourry, membre du Caveau moderney auteur de jolies chansons et de médiocres poèmes, venait de publier un volume dont les vers sont loin de valoir ceux de son jeune corres- pondant *. Celui-ci lui écrivait Peut-être tu me crois de ces vieux cacochymes, Nobles et grands prêcheurs des anciennes maximes ; Ourry, détrompe-toi j'ai seize ans et mes jours Dans une humble roture ont commencé leur cours... Il paraît qu'à cette époque, Victor Hugo ne s'était pas encore avisé qu'il sortait d'une ancienne et illustre maison. Royaliste, il ne se piquait pas d'être noble. C'est surtout depuis qu'il est devenu républicain qu'il a senti le besoin de se forger une généalogie et de nous apprendre qu'il sortait d'une souche aristocratique. J'ai seize ans, disait-il à M. Ourry ; cette épître est donc de 1818, l'année où il quitta les bancs du col- lège. L'année précédente, il avait concouru pour le prix de poésie à l'Académie française. C'est l'épisode le plus marquant de sa jeunesse, et il convient de s'y arrêter quelques instants, d'autant qu'il a été rap- porté inexactement par tous ses biographes . m En 1817, dit Sainte-Beuve, Victor avait envoyé de sa pension, au concours de l'Académie française, une 1 Poèmes, poésies fugitives, romances, chansons, etc., par M. Ourry, mem- bre du Caveau moderue, 1817. VICTOR iiUGO AVAiNT 1830 lo pièce de vers sur les Avantages de Vétude, qui obtint une mention. La pièce du jeune poète de quinze ans se terminait par ces vers Moi qui, toujours fuyant les cités et les cours, De trois lustres à peine ai vu finir le cours. Elle parut si remarquable aux juges qu'ils ne pu- rent croire à ces trois lustres, à ces quinze ans de Tauteur, et, pensant qu'il avait voulu surprendre la religion du respectable corps, ils ne lui accordèrent qu'une mention au lieu d'un prix. Tout ceci fut ex- posé dans le rapport prononcé en séance publique par M. Raynouard. Un des amis de Victor, qui assistait à la séance, courut à la pension Cordier avertir le quasi-lauréat, qui était en train d'une partie de barres et ne songeait plus à sa pièce. Victor prit son extrait de naissance et l'alla porter à M. Raynouard, qui fut tout stupéfait comme d'une merveille ; mais il était trop tard pour réparer la méprise *. » L'anecdote, ainsi mise en circulation par Sainte- Beuve et reproduite par lui dans la Revue des Deux Mondes- et dans ses Portraits littéraires, a été répétée depuis par les autres biographes de Victor Hugo, et en particulier par M. de Loménie, dans sa Galerie des Contemporains illustres Le ton grave et sérieux du morceau, dit M. de Loménie, annonçait au moins cinq lustres. L'Académie s'offensa de ces prétendus quinze ans de l'auteur comme d'une mystification irrespectueuse, et elle jugea à propos de l'en punir en le pri- 1 Biographie des contemporains, t. IV, deiuièiiie iai'tie. 2 T. III, 1831. 96 VlCTOll IILGO AVANT 1830 vaut du prix. Vainement le jeune Victor, averti par un ami, s'empressa de venir porter lui-même son extrait de naissance au rapporteur, M. Raynouard. Il était trop tard la palme avait été adjugée. Cette anecdote, maintenant passée à l'état de légende, est si inoffensive, que je me reproche vrai- ment de venir en démontrer la fausseté ; mais n'est- ce pas Sainte-Beuve lui-même qui a dit L'histoire littéraire veut des détails exacts ? » Dans un livre que nous avons déjà cité et dont il nous faut hien tenir compte, puisque l'auteur dit tenir ses informations de M. Victor Hugo lui-même, nous lisons ce qui suit, au sujet du concours de 1817 On était en 1817, en pleine Restauration. Sujet imposé le Bonheur que procure V étude dans toutes les situations de la vie. Le bonheur que procure l'étude dans toutes les situations de la vie, cela était une excuse pour la Restauration, et les gens de lettres se consolèrent. Par bonheur, le peuple ne fut pas longtemps de l'avis des gens de lettres i. Encore un crime à ajouter à tous ceux de la Res- tauration ! Par une inspiration machiavélique, le gouvernement de Louis XVIII a imposé ce sujet de concours les Avantages de Vétude, afin d'endormir les esprits et d'étouffer les souvenirs importuns des victoires impériales ! Malheureusement, cette belle invention a contre elle une date, et rien n'est brutal comme une date. C'est dans la séance publique du o avril 1815, — pondant les Cent-Jours, — que la seconde classe de l'Institut impérial fit connaître 1 Victor Hugo et son temps, par A. Barbou, p. 55. VICTOIl lUJGO AVANT 1830 97 qu'elle mellait au concours, comme sujet du prix de poésie, le Bonheur que procure l'élude dans toutes les situations de la vie \ Suivant l'usage, le prix ne fut décerné que deux ans plus tard, le 25 août 1817. Ce concours fut très brillant et offrit ce résultat qui ne s'est encore produit qu'une fois depuis deux siècles ^ sur quarante-six pièces soumises à l'exa- men de l'Académie, il y en eut jusqu'à dix qui paru- rent dignes d'être distinguées. Le prix fut partagé entre MM. P. Lebrun et Sain- tine. Gè dernier, qui débutait alors et que le Journal des Débats, dans le compte rendu de la séance, appe- lait M. de Saint-Cricq, gros comme le bras, avait pris pour épigraphe un des vers de son poème Je voudrais d'un laurier faire hommage à ma mère. Cette mère que je ne connaissais pas, écrivait le lendemain M. Tissot, dans le Constitutionnel, était à ma droite ; ses larmes et sa joie l'ont trahie au mi- lieu du triomphe de son fils. » L'ouvrage qui obtint Yaccessit et qui portait pour épigraphe Me vero primum dulces ante omnia Musée, était, d'après le secrétaire perpétuel, celui oi^i l'on trouvait le plus de verve, et M. llaynouard exprimait, au nom de ses collègues, le regret que l'auteur eût consumé les forces de son talent à dépasser le but. 1 Journal de l'Empire, 0 avril 1815. 2 Le prix de poésie a été décerné par i'Acudéni'c Irauoai&c pour la pre- mière fuis le 25 août 1071. U8 VICTOR IIL'GO 1830 L'écrivain, dont le Rapport parlait en ces termes, était Charles Loj^son, maître de conférences à l'Ecole normale, et chef de bureau au ministère de la Justice. Publiciste et poète distingué, ami de Yictor Cousin et de M. Guizot, consulté par MM. de Serre et Royer- Collard, Charles Loyson était une des espérances les plus brillantes de la Restauration. Il mourut de la poitrine, à peine âgé de vingt-neuf ans, le i27 juin 1820. Vingt ans plus tard, dans la discussion de l'Adresse de 1841, M. Guizot, qui avait pris plusieurs fois la parole, descendait de la tribune, tout prêt à y remonter encore. Son collègue, M. Yillemain, lui re- présenta qu'il semblait bien fatigué ; pour toute réponse, M. Guizot lui dit avec un sourire mélanco- lique C'est pour périr bientôt que le flambeau s'allume, Mais il brille un instant sur les autels des dieux ! Ce sont deux vers de Charles Loyson, dans sa pièce sur le Bonheur de l'étude \ Au-dessus de cette dernière pièce, l'Académie en plaçait une autre qui ne recevait cependant aucune récompense, l'auteur, M. Casimir Delayigne, s'étant mis lui-même hors du concours. Au lieu d'accepter le sujet comme une vérité reconnue, il l'avait envi- sagé comme une question à résoudre, et il était arrivé à cette conclusion que Vétude ne fait pas le bonheur dans toutes les situations de la vie. C'est dans cette Epitre de Casimir Delavigne à MM, de VAcadé- 1 Saiute-BeuNt;. Portraits contemporains, II, 2-lb, VICTOR ITIJGO AVANT 1830 99 7nie française que se trouve ce vers, devenu proverbe, dès son apparition Les sots, depuis Adam, sont en majorité. Voilà donc quatre pièces, — celles de MM. P. Le- brun, Saintine, Casimir Delavigne et Charles Loyson, — dont la supériorité avait paru incontestable aux juges du concours. Ils accordèrent de simples men- tions aux six autres pièces distinguées par l'Acadé- mie, mais placées par elle à une longue distance des quatre premières. Elles furent classées dans l'or- dre ci-après o° le n° 36, qui parait être, disait M. Raynouard, d'un auteur exercé dans l'art d'écrire et qui sait employer sagement les ressources de la versification ; » 6^ une pièce de la princesse de Salm- Dyck ; 7° et 8° deux discours en vers, dont l'un était du chevalier do Langeac, traducteur des Bucoli- ques de Virgile et lauréat de 1768 ; 9'' la pièce ins- crite sous le n° 15, avec cette épigraphe empruntée à Ovide At mihi jam puero cœlestia sacra placebant. C'était la pièce de Victor Hugo ; 10° une autre pièce, portant pour épigraphe ce vers de Racine Du chagrin le plus noir elle écarte les ombres. En présence de ce résultat, ofticiellement constaté par le rapport du secrétaire perpétuel, force nous est bien d'écarter le récit de Sainte-Beuve. Bien loin que M. Raynouard ait exposé dans son rapport prononcé en séance publique que l'Académie, au moment de 'JOO VICTOR HUGO AVANT 1830 décerner le prix à Victor Hugo, s'était ravisée et avait pris le parti de lui accorder une simple men- tion, pour le punir d'avoir voulu mystifier ses juges avec ses trois lustres, on trouve, au contraire, dans ce document, la preuve que l'Académie avait consi- déré les quinze ans du poète comme un titre à sa sympathie. Si véritablement il n'a que cet âge, — • ainsi s'exprimait le rapporteur, — l'Académie a dû un encouragement au jeune poète *. » Un encourage- ment, voilà donc ce qui fut accordé à Victor Hugo on ne le lit pas descendre du premier au second rang; on lui assigna d'emblée le neuvième rang, parce que huit autres pièces avaient paru à ses juges l'emporter sur la sienne. J'ai déjà eu occasion, il y a quelques années ^, de rectifier cette petite erreur de Sainte-Beuve, dans les œuvres duquel les erreurs de faits sont si rares. L'il- lustre auteur des Causeries du lundi me fit l'honneur de m'écrire à ce sujet ce qui suit, sous la date du 29 novembre 1864 En ce qui est de la pièce de Victor Hugo qui a concouru, mon récit, qui peut bien être inexact, est pourtant authentique, car le passage a été écrit d'après une communication directe de Victor Hugo lui-même. » Nul doute, en effet, que M. Victor Hugo ne soit le premier et véritable auteur de cette anecdote ; mais à quoi servirait d'être poète, 1 Recueil des discours, rapports et pièces diverses lues dans les séances publiques et particulières' de l'Académie française, 1803-1819, deuxième partie, p. 847, 2 Dans les Poètes lauréats de l'Académie française, par Edmond Biré et Emile 2 vol. in-iS, Bray et Retaux, éditeurs. T. I*"", p. 224 et suiv. VICTOR HUGO AA^ANT 1830 101 et grand poète, si l'on n'avait pas le droit d'embellir les faits et de les inventer au besoin ? M. Victor Hugo, ou le Témoin de sa vie ce qui est tout uni, reconnaît d'ailleurs que l'Académie fut pleine de sourires pour l'adolescent. François de Neufchâteau le complimenta en vers Ce n'est pas seulement votre âge Qui de l'Académie a fixé les regards, Lorsque jusqu'à deux fois elle a lu votre ouvrage ; Dans ce concours heureux brillaient de toutes parts Le sentiment, le charme et l'amour des beaux-arts ; Sur quarante rivaux qui briguaient son suffrage, Est-ce peu qu'aux traits séduisants De votre muse de quinze ans L'Académie ait dit Jeune homme, allons, courage i ? Ces vers de François de Neufchâteau confirme- raient, s'il en était besoin, le rapport de M. Ray- nouard ; comme le rapport, ils montrent que les quinze ans du poète, au lieu de le desservir auprès de ses juges, avaient au contraire augmenté ses chances. Un autre académicien, le successeur de Delille, M. Gampenon, lui écrivait de son côté L'esprit et le bon goût nous ont rassasiés ; J'ai rencontré des cœurs de glace Pour des vers pleins d'âme et de grâce Que Malfilâtre eût enviés. Je soupçonne M. Gampenon, quoique bon royaliste, de s'être inspiré, pour composer ce quatrain, de la lec- ture du Constitutionnel qui, au sortir de la séance acadé- 1 Victor Hiif/o raconté, etc.. t. I, p. 300. 6. J2 VICTOR HUGO AYANT 1830 mique, écrivait, avec un lyrisme auquel il n'avait point habitué ses lecteurs Parents auxquels appartient ce disciple de Virgile, lisez la Poétique de Vida et voyez avec quels soins, avec quelle tendresse il faut élever cette innocente et douce créature, écarter d'elle les peines qui usent le cœur avant le temps, les rigueurs qui flétrissent le talent avant qu'il ait poussé toutes ses fleurs; nous vous devrons peut-être un suc- cesseur de Malfilâti^e. » Il faut avouer que M. Victor Hugo a fait mentir la prédiction, toute bienveillante, d'ailleurs, du Cons- titutionnel, et que, s'il est vrai que la faim ait mis au tombeau Malfilâtre ignoré^, son successeur n'est menacé ni de finir à l'hôpital, ni de mourir ignoré ! IV Sa pièce sur le Bonheur de r étude n'a jamais été imprimée. J'en possède une copie, avec cette épi- graphe Œgri somnia et ce titre Essais poétiques. Elle est précédée d'une dédicace à M. D. L. R. M. de la Rivière 1 Gilbert, le Dix-huitième siècle. — Il n' 1830 reproduisons, d'après M. Paul Lacroix, le récit d'un des incidents de cette soirée Victor Hugo allait parler, tout le monde faisait silence et je n'étais pas le moins attentif. Il se recueillit un moment et commença son récit — Vous avez pu entendre dire que M. le vicomte de Chateaubriand, qui avait publié aussi, presque en même temps que moi, un Conservateur non littéraire, mais politique, daigna me citer dans une note de ce journal éloquent et passionné, en me qualifiant d'enfant sublime »^ Dans le cours de l'hiver de l'année 1818, je fus très surpris et très intrigué, en recevant une lettre de M. le comte François de Neufchâteau, ancien ministre, membre de l'Académie française, qui' m'invitait à venir le voir un matin pour une affaire pres- sante Je me hâtai de me rendre à l'invitation de François de Neufchâteau, qui avait joué un rôle considérable comme ministre de l'intérieur sous l'Empire. Asseyez-vous, mon enfant, me dit-il d'un air très avenant. C'est M. le comte de Chateaubriand qui m'a parlé de vous. M. le comte fait le plus grand cas de vos talents de littérateur. Il m'a dit que vous étiez plus capable que personne de me rendre le petit service littéraire que j'avais à vous demander .Vous savez l'espagnol? » Je m'excusai de savoir très imparfaitement cette langue, et je répondis qu'on m'avait sans doute confondu avec mon frère Abel, qui la savait à fond... François de Neufchâteau répliqua que c'était bien moi, VEnfant sublime ">, que le comte de Chateaubriand lui avait désigné et recommandé. Je ne pou- vais pas m'en dédire et je me mis aux ordres de cet entêté, en le priant de me renseigner à l'égard du petit service qu'il attendait de moi. — u C'est bien simple, me dit-il de l'air le plus confiant. M. Pierre Didot l'aîné veut réimprimer le Gil Blas de Le Sage ; mais il désire que j'examine la question de savoir si Le Sage est bien l'auteur de Gil Blas ou s'il l'a pris de l'espagnol Je vous prie de me donner quelques notes très précises et très détaillées sur la question^ et j'en ferai mon affaire... » VICTOR HUGO AVANT 1830 101 Je lui promis de faire de mon mieux pour répondre à la trop bomie opinion que M. de Chateaubriand avait de moi. — A bientôt, jeune homme, me criait François de Neufcliàteau en me reconduisant ; le plus tôt possible, car je me suis engagé à lire cette notice à l'Académie, dans la séance extraordinaire du 7 juillet prochain. Vous avez donc deux grands mois pour vos recherches. Soignez-moi cela, mon ami. » Je soignai donc ce travail, qui devait, me semblait-il, être honorable- ment payé... Je me fis aider par mon frère Abel qui avait étudié la question, et, dans l'espace de quinze ou vingt jours, j'eus achevé ma besogne... It y avait un gros manuscrit tout entier de mon écriture. Je le portai, un matin, chez François de Neufchàteau. — \^ous êtes un homme de parole, Mon- sieur, » me dit-il solennellement. Il me fit asseoir pendant qu'il dépliait mon manuscrit et en Usait les premières pages. — a Tout cela me parait très bien pensé et très bien dit, mur- murait-il, en lisant. Voilà bien ce que demande M. Pierre Didot l'ainé. C'est très bien, mon enfant, ajouta-t-il en se levant avec un sourire qui témoignait de sa satisfaction. Je lirai la suiti à tête reposée. Mais je veux vous donner un petit souvenir qui vous rappellera que j'ai toujours aimé la poésie et les poètes. > Et il me remit deux petits volumes de Fables et Contes en vers.... Ce fut là tout ce que me rapporta mon travail d'érudition critique sur le chef-d'œuvre de Le Sage. — Et votre travail vous a-t-il été restitué ? m'écriai -je, sans donner le temps à Victor Hugo d'achever son récit. Existe-t-il encore ? Est-il à jamais perdu pour vos admirateurs? — Il existe, répondit Hugo, il existe puisqu'il a été im- primé. — Imprimé ! repartis-je, déjà curieux et impatient de con- naître, de découvrir cette notice que je n'avais vu citer nulle part. Elle n'a pas été imprimée avec votre nom ? Autrement, elle serait connu a. = , — Ecoutez la fin, reprit Victor Hugo» François de Xeufchâ- teau eut l'aimable attention de m'envoyer un billet pour la 110 VICTOR IIUGO AYANT 1830 séance de l'Académie française, dans laquelle il devait lire sa notice sur M Blas. Il la lut fort bien, en homme accoutumé à parler et à lire dans les Assemblées, et j'eus lieu d'en être satis- fait. Sa notice n'était autre que la mienne ; il n'y avait pas changé dix phrases. Je suis heureux de pouvoir ajouter que la lecture avait complètement réussi. C'était la première fois que j'entendais applaudir un de mes ouvrages. — Et vous êtes certain que cette notice est imprimée ? repartis-je, avec la ténacité d'un bibliophile qui s'enquiert d'un livre à trouver... — Vous la trouverez tout au long, répliqua Victor Hugo, dans l'édition de Gil Blas, qui fait partie de la collection des meilleurs ouvrages de la langue française... — Edition formant trois volumes in-8o, imprimée en 1819 par Pierre Didot Famé et dédiée aux amateurs de l'art typo- graphique. Je la vois d'ici, quoique je ne l'aie jamais feuil- letée. Et la notice sur Gil Blas s'y trouve ? et cette notice est signée...? — Par le comte François de Neufchàteau, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire. — C'est un peu trop fort ! s'écria Mme Bouclier, dont l'in- dignation était au comble. Vous voler ainsi un de vos chefs- d'œuvre ! Et vous vous êtes laissé dépouiller ainsi ? Et vous n'avez pas même réclamé ? — Non, Madame, dit Victor Hugo avec indifférence. J'ai oubhé ma notice, et je n'ai jamais revu depuis François de Neufchàteau... Si fait, c'était un vieillard très poli, qui m'a rendu ma visite deux ans après. J'étais alors rédacteur en chef et principal rédacteur du Conservateur littéraire. François de Neufchàteau l'apprit, peut-être de la bouche de M. le comte de Chateaubriand ; il m'écrivit une lettre très cordiale, de poète à poète, en me priant de vouloir bien parler, dans mon Conservateur, du recueil de ses Fables et Contes, qu'il avait eu le plaisir de m'offrir, deux ans auparavant... — Et vous avez daigné, mon digne et bon maître, dis-je à mon tour en ajoutant cette apostille au récit de Victor Hugo, VICTOR HUGO AVANT 1830 111 vous avez daigné consacrer un très bienveillant article du Conservateur littéraire aux poésies de votre effronté pla- giaire * . Gomment lexcellent bibliophile Jacob n a-t-il pas vu que le récit de son digne et bon maître était inexact d'un bout à l'autre ? M. le vicomte de Chateaubriand, — et c'est par cette affirmation que débute le récit de Victor Hugo, — M. do Chateaubriand daigna me citer dans une note du Cotiservateur, en me qualifiant cVenfant sublime, » Cette note n'existe pas ^. Suivant M. Hugo, lors de sa visite à François de Neufçhâteau, celui-ci lui aurait rappelé la note du Conservateur. Or la visite est antérieure au 7 juillet 1818, et à cette date le Conservateur n'était pas encore né. Le premier numéro a paru seulement au mois d'octobre 1818. Lorsque M. Victor Hugo, toujours d'après son récit, s'est rendu, au cours de l'année 1818, chez le comte François de Neufçhâteau, il le voyait pour la première fois et n'avait jamais eu avec lui aucune relation. Troisième erreur. Nous voyons, en effet, au tome I de Victor Hugo raconté, {\\en 1817, à l'occasion du concours sur le Bonheur de VEtude, François de Neufçhâteau avait exprimé devant un ami d'Abcl le désir de voir le jeune lauréat, que celui-ci y avait coiiru et qu'ils avaient échangé ensemble force rimes. 1 L'Artiste, septembre 1882, p. 185 et suivantes. 2 Sur la légende de l'Enfant subWne, voyez ci-dessous notre chapitre Vl. i\2 VICTOR UUGO AVANT 183 Tendre ami des neuf Sœurs, disait au rhétoricien de la pension Gordier le doyen de l'Académie, Tendre ami des neuf Sœurs, mes bras vous sont ouverts, Venez, j'aime toujours les vers ! Je ne vous rendrai point louange pour louange, Laissons ces encensoirs l'un à l'autre pareils ; Dans un ordre meilleur ma vieillesse me range, Et je puis acquitter, par un plus noble échange, Vos éloges par mes conseils *. Et pour mieux assaisonner ses conseils, M. Fran- çois de Neufchâteau invita Yictor à dîner ^. » Depuis le 7 juillet 1818, M. Yictor Hugo n'aurait jamais revu François de Neufchâteau, sinon une fois, deux ans plus tard, un jour que le vieux poète lui vint rendre visite pour le prier de vouloir bien parler, dans le Conservateur littéraire, du recueil de ses Fables et Contes. Eh quoi ! M. Yictor Hugo n'a revu François de Neufchâteau que ce jour-là ! Il n'a pas couru chez lui, le 25 mars 1820, en recevant les vers par lesquels ce dernier lui annonçait que, sur sa recommandation, le Roi venait de lui accorder une gratification de 500 francs ^ ! M. Yictor Hugo, — nous suivons toujours son récit, — a daigné consacrer un très bienveillant article du Conservateur littéraire aux Fables et Contes en vers de François de Neufchâteau. — J'ai sous les yeux la col- lection complète du Conservateur littéraire, où ce j brille par son absence. 1 Victo' Hurjo raconté etc., t. I, p. 391, 2 Jbid., p. 394. 3 Le COmcroatcur littéraire, t. I, p. 361. Voj. ci-dessus chapitre V. VICTOR HUGO AVANT 1830 113 Si nous sommes obligés d'écarter comme inexacts tous les détails accessoires du récit de M. Victor Hugo, que devons-nous penser du fait principal, du fond même du récit ? Est-il possible d'admettre qu'un membre de l'Académie française, qui avait été pré- sident de l'Assemblée législative, membre du Direc- toire exécutif, ministre de l'intérieur, — avant le 18 Brumaire et non sous l'Empire, comme le dit à tort M. Victor Hugo, — président du Sénat, auteur de nombreux écrits en prose et en vers qui lui avaient acquis une légitime célébrité, ait poussé rimpudenco et la folie jusqu'à s'approprier le travail d'un enfant, le lire dans une séance publique de l'Académie et le faire imprimer sous son nom, livrant ainsi sa réputation et son honneur à la discrétion d'un collégien ? Que M. Victor Hugo s'amuse à conter de telles choses, je le veux bien ; mais comment l'érudit et judicieux biblio- phile Jacob se laisse-t-il aller à les croire ? Pour moi, j'y suis d'autant moins porté que je trouve au tome III du Conservateur littéraire, un long article do M. Victor Hugo lui-même sur l'étude consacrée à Gil Blas par François de Neufchâteau, et que j'y remarque ce pas- sage Cette notice, qui a été appréciée de tous les gens de lettres, et louée encore si justement dans le dernier ouvrage de M. Barbier, avait été imprimée en tête de la superbe édition do Gil Blas par Didot l'ainé ; elle est réimprimée en tête de celle-ci par Grapolet. Les nombreuses erreurs historiques et géographiques que M. F. de Neufchâteau relève avec tant d'exacti- tude dans Gil Blas prouvent de reste que ce livre H4 VICTOR HUGO AYANT 1830 n'est pas originaire de la Yieille-Gastillc ; et l'on en sera encore plus convaincu, si l'on songe que la plu- part des personnages de ce roman ont eu en France des originaux réels que Le Sage avait nommés au comte de Tressan. Les recherches de M. F. de Neuf- château sur ces originaux sont extrêmement piquan- tes *. » A qui M. Victor Hugo fera-t-il croire qu'il aurait ainsi couvert d'éloges l'écrivain qui l'avait volé ? Depuis quand, en Franco, répond-on par des compli- ments et des révérences au malhonnête homme qui vous dépouille ? VI Après le concours de 1817, d'oii \di Notice sur GUBlas et le comte François de Neufchâteau nous ont un peu éloignés, Victor Hugo reprit, à la fin des vacances, le chemin de la pension Gordier, oi^i il devait passer une année encore, en compagnie de son frère Eugène. C'était le tour de ce dernier de voir couronner ses vers ; il envoya aux Jeux-Floraux, de Tou- louse, une Ode sur la mort du duc d'Enghieiiy qui obtint, dans la séance du 3 mai 1818, non un beau lis d'argent, comme il est dit au tome I»" de Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, mais un souci réservé -. Décidément les deux frères prenaient le plus long pour aller à l'École polytechnique, ou plutôt ils n'en prenaient pas du 1 Le Conserratcur littéraire, t. III, p. 23. 2 Recueil de l'Académie des Jeux-Floraux, année 1818. VICTOR HUGO AVANT 1830 145 tout le chemin, et ils obtinrent de leur père qu'ils ne se pnisenteraient pas aux examens. Au mois d'août 1818, ils quittèrent définitivement la pension et revinrent habiter avec leur mère. Mïiie Hugo ne demeurait plus rue du Cherche-Midi. Elle était installée, depuis quelque, temps au nu- méro 18 de la rue des Vieux-Augustins, dans une maison contiguo au musée des Petits-Augustins, sur l'emplacement occupé aujourd'hui par la cour du palais des Beaux-Arts. Des fenêtres de l'appartement, situé au troisième étage, on avait vue d'un côté sur l'ancien jardin La Rochefoucauld et de l'autre sur la cour du musée, tout encombrée de sculptures et de fragments d'architecture *. Victor prit ses inscriptions de droit. Suivit-il les cours de la Faculté? il est permis d'en douter. Sa vocation poétique était trop prononcée, elle se révélait avec trop d'éclat pour que sa mère elle-même essayât de la combattre. Les trois frères embrassèrent du reste la carrière littéraire. En 1817, avait paru un Traité du mélo- drame, par A ! A ! A ! Les auteurs étaient Annancl Malitourne, Acier, et Abel Hugo ^ Abel faisait aussi des vers, et il fut couronné, en 1822, par la Société d'émulation de Cambrai, pour une Ode sur la bataille de Denain ^. * Yictor Hugo raconté, etc., I, 409. 2 On trouve dans VHermite de Bellemlle ou choix d'ojniscules politiques, littéraires et satiriques, de Charles Coluet, t. II, p. 3G9, un piquant article sur cet opuscule d'Abel Hugo. Le Traité du mélodrame, dit Colnet, est une plaisanterie ingénieuse. » ^ Moniteur dn 11 décembre 1822. H 6 VICTOR HUGO AA^ANT 1830 Encouragé par son succès de 1818, Eugène con- courut encore l'année suivante aux Jeux-Floraux ; mais cette fois il fut moins heureux. Son Ode sur la mort de S. A. S. Louis-Joseph de Bourbon, prince de Condé, n'obtint qu'une mention ; cette pièce, assez faible, figure dans le Recueil de l'Académie. Quant à Victor, il brûlait de prendre sa revanche à l'Académie française, et il n'entendait pas rester sur un simple encouragement. L'occasion justement était des plus propices, l'Académie ayant à décerner, en 1819, deux prix de poésie au lieu d'un. Outre le prix traditionnel, dont le sujet était V histitution du jury en France, il y avait, cette année-là, un prix extraor- dinaire. Un anonyme c'était M. Lemontey, qui ne faisait pas encore partie de l'Académie, lui avait remis une somme destinée à récompenser le meilleur discours en vers sur les Avantages de V enseignement mutuel, et le ministre de l'intérieur, M. Decazes, avait ajouté à la valeur du prix. Victor Hugo venait de quitter les bancs du collège, il avait seize ans ! Il se sentait donc de taille à courir les deux prix à la fois et à faire coup double il envoya deux pièces à l'Aca- démie. M. Raynouard fit son rapport dans la séance du 2o août 1819 et s'occupa d'abord du concours sur Vlns- titution du jury. Cinquante pièces avaient été en- voyées ; cinq furent distinguées, mais aucune ne parut digne du prix ; il ne fut même pas accordé de mentions. Le rapporteur parla seulement avec quel- ques détails de l'un des ouvrages qui avaient été VICTOR HUGO AYANT 1830 117 soumis à l'Académie, u II en esl un, dil-il, où l'Aca- démie a reconnu l'instinct do la vraie poésie, le germe d'un beau talent, un style parfois brillant et éner- gique, et une sorte d'originalité qui permet de beaucoup espérer mais elle ne doit pas dissimuler que le défaut de composition, l'incohérence des idées et des images, l'ignorance ou le mépris de l'art des transitions, feraient craindre pour le succès de l'au- teur s'il ne se hâtait, en s'imposant des études sévères et en invoquant d'utiles conseils, de se placer dans la bonne route dont il parait écarté \ » Le Témoin de la vie de Victor Hugo nous appre- nant que ce dernier a pris part, en 1819, au concours sur VInstitution du jury en France, il est permis de supposer que sa pièce est justement celle dont parle M. Raynouard dans les lignes que l'on vient de lire, et, si cette conjecture est fondée, on peut voir que le secrétaire perpétuel de l'Académie caractérisait assez bien, dès cette époque, quelques-unes des prin- cipales qualités et quelques-uns des plus grands défauts qui devaient éclater plus tard dans les œuvres du poète. Il avait donné à sa pièce la forme d'un dialogue entre Malesherbes et A^oltaire, le premier tenant pour les Parlements, le second accoidanl la préférence au jury ^. Dans la seconde partie de son rapport, consacrée au concours sur les Avantages de renseignement i Recueil des Discours, Rapports, etc., lus dans les séances publiques et particulières de l'Académie française, 1803-18 J9; deuxième partie, p. 868. 2 Victor Hvijo raconté, etc. \. I. M^. 118 VICTOR UUGO AVANT 1830 mutuel, M. Raynouard fit connaître qu'aucune des dix-neuf pièces adressées à l'Académie n'avait paru mériter le prix ; des mentions honorables étaient cependant décernées aux ouvrages inscrits sous les numéros 5, 9, 10, 13, 15 et 16. Le numéro 16, c'était Victor Hugo. Le Témoin de sa vie, dans le chapitre intitulé Premières relations avec VAcadéynie, a com- plètement passé sous silence la part prise par Victor Hugo à ce concours ; elle n'en est pas moins certaine, puisque le poète lui-même a publié sa pièce, au mois d'août 1820, dans le Conservateur littéraire, où elle est précédée de cette note L'auteur de cette pièce avait vu dans renseignement mutuel une méthode utile, mais non admirable, comme le prétend la l'action libérale. Considérant sa pièce sous le rapport littéraire, nous l'admettons dans ce recueil, sans partager tout à fait son opinion. L'enseignement mutuel y est, à la vérité, loué très modérément l'auteur le regarde seulement comme susceptible de rendre les premiers travaux élémentaires moins tristes et plus courts ; l'auteur a même su faire percer dans plusieurs endroits son opinion royaliste et ses sentiments religieux, et nous devons lui en savoir gré dans un pareil sujet ; cepen- dant nous pensons que la nouvelle méthode, sans même l'en- visager sous le point de vue moral, présente le grand inconvé- nient de laisser vite oubUer ce qu'elle a promptement enseigné, ce qui compense de reste l'avantage d'abréger et d'égayer les études. L'auteur de cette pièce nous autorise à la faire précéder de cette note ; de mûres réflexions et une observa- tion mieux entendue de la méthode mutuelle l'ont déjà fait presque revenir à notre avis. Son discours fut envoyé en 1819 à l'Académie, qui lui décerna une mention honorable sous le no 16, et décida qu'elle ne donnerait pas le prix. On l'insère ici tel qu'il fut soumis à l'Académie ; on croit devoir ajouter VICTOR HUGO AVANT 1830 119 que Tauteiir ne l'a point représenté au concours de cette année K » M. Yiclor Hugo a inséré, dans le livre publié par lui, en 1834, sous ce titre Littérature et philosophie mêléeSy deux passages de son Discours sur les avanta- ges de renseignement mutuel, — le début Je ris quand chaque soir de l'école voisine... et un très court fragment A des petits enfants en classe Vous qui, les yeux fixés sur un gros caractère.... Il a donné à ces deux morceaux la date de juin 1820, ce qui n'est pas exact, puisque sa pièce a figuré au concours de 1819. Encore bien que l'Aca- démie n'ait pas cru devoir lui décerner le prix, elle n'en est pas moins très remarquable et renferme plus d'un vers heureux, plus d'un tableau piquant. Le poète de dix-sept ans, qui avait, deux ans auparavant^ avoué ingénument ses trois lustres, s'est vieilli cette fois et déguisé en vieux maître d'école. Il trace de sa classe cette jolie peinture Là, j'ai mis de Jésus le sublime symbole, J'ai rempli ses désirs, car sa touchante loi Dit u Laissez les enfants approcher jusqu'à moi. » Au-dessous est ma table, et plus loin sont placées De mes jeunes sujets les banquettes pressées ; Ces cartes, ces tableaux, dont les murs sont couverts, Portent des premiers mots les mélanges divers, 1 Le Conservateur littéraire, t. III. p. T. 120 VICTOR HUGO AVANT 1830 Et l'enfant, qui les voit, aisément s'initie Aux arts que nous légua l'antique Phénicie. Mais l'instant est venu tu vas voir sous tes yeux Au temple de l'étude entrer l'essaim joyeux. Leur chef marche à leur tête en marquant la cadence, Et chacun sur son banc vient s'asseoir en silence. Tout se tait mais bientôt leur voix s'élève en chœur, Leur douce voix demande à ce Dieu protecteur Qui, parmi les vertus, compte l'humble espérance. De longs jours pour le roi, de beaux jours pour la France. La prière a cessé ; chacun avec ardeur Recommence un travail qu'il quitta sans tiédeur ; D'abord le maître dicte et leur main exercée Sur l'ardoise fragile a traduit sa pensée. Le plus faible au combat provoque les plus forts. Souvent son jeune chef, couronnant ses efforts. Compare les essais, sourit, et lui désigne Le rang plus glorieux dont il s'est rendu digne. Mon tour vient je dispense, en mon dernier coup d'œil, Le blâme avec regret, l'éloge avec orgueil. En 1820, l'Académie française avait à donner un prix extraordinaire de poésie, dont le sujet éiaiile Dé- vouement de Malesherbes. Trente-cinq poètes se dispu- tèrent le prix. M. A^ictor Hugo était-il du nombre ? Il ne fait aucune mention, dans son autobiographie, de ce concours et de la part qu'il y aurait prise. Elle pa- raît cependant certaine. Le comte Gaspard de Pons, l'un des trente-cinq, qui ne devait jamais être l'un des Quarante, raconte en effet, dans ses Adieux poéti- ques *, qu'il envoya une pièce à ce concours de 1820 et que M. Victor Hugo en fit autant de son côté. Il 1 Adieux poétiques, par le comte Gaspard de Pons, t. III, p. 10. VICTOR HUGO AVANT 1830 121 est difficile d'admetlre que ses souvenirs l'aient trom- pé sur ce point, car il était alors lié de la plus étroite amitié avec le futur auteur des Odes et Ballades *. Le prix ne fut décerné qu'en 1821, à la suite d'un nouveau concours pour lequel l'Académie ne reçut pas moins de quarante-six pièces. L'ode couronnée avait pour auteur M. Antony Gaulmier, professeur de rhétorique au collège de Nevers -. 1 Voy. ci-dessous, chapitre X. 2 Voy. les Poètes lauréats de l'Académie française, par Edmond Biré et Emile Grimaud. t. I, p. 277. CHAPITRE IV L'Académie des Jeux-Floraux. — Le Télégraphe. Les Vierges de Verdun. — Le Rétablissement de la statue de Henri IV. Alphonse de Lamartine et l'abbé Gerbet. — Moïse sur le Nil. — M. Victor Hugo maître es jeux- floraux. — Jules de Rességuier, Joseph Rocher et M. Durangel. — L'ode sur les Destins de la Vendée et la satire sur le Télégraphe. M. Ya- Rius. — Une lettre d'Alexandre Soumet. M. Victor Hugo et la Pairie. I Pendant qu'il soumettait ainsi plusieurs pièces à l'Académie française, M. Victor Hugo en adressait trois autres à une académie de province, mais à une aca- démie de province qui faisait alors beaucoup parler d'elle, — celle des Jeux-Floraux. Gomme elle avait le bon esprit de laisser aux concurrents le choix des su- jets, il lui était arrivé plus d'une fois de couronner des ouvrages très supérieurs aux meilleures composi- tions des lauréats de TAcadémie française. N'est-ce pas à elle que Millevoye avait envoyé V Aniiiv ers aire et la Chute des Feuilles, deux tendres et pénétrantes élégies, dont Tune au moins est assurée de ne pas pé- rir ? On pouvait donc se consoler de ne pas être vain- queur au palais Mazarin, pour peu que Ton triomphât au Gapitole. Les concours de Toulouse offraient de VICTOR HUGO AVANT 1830 1^3 plus col avantage que les prix y étaient très nom- breux. Les Jeux-Floraux, dit l'auteur de Vlcto?' Hugo raconté, n'étaient pas de ces académies avares qui n'ont pour la poésie qu'un seul prix ils en avaient sept \ » En 1819, l'Académie toulousaine avait bien plus de sept prix à donner aux poètes. Et d'abord, elle avait à distribuer, comme prix de l'année, l'ama- rante d'or, la violette d'argent, le souci d'argent et le lis d'argent. Outre ces quatre prix annuels ^, l'Acadé- mie avait décidé de décerner, comme prix extraor- dinaire, un lis Vor à l'auteur de la meilleure ode sur le Bétablissernent de la statue de Henri IV. Enfin, elle avait de plus à sa disposition, comme prix réservés des concours précédents, quatre amarantes d'or, deux lis d'argent, deux violettes d'argent et un souci d'argent. L'Académie, au concours de 1819, n'avait donc pas moins de quatorze prix à distribuer ! Les trois pièces envoyées aux Jeux-Floraux par Vic- tor Hugo étaient les Derniers bardes, les Vierges de Verdun et le Rétablissement de la statue de Henri IV. Les Derniers bardes, poème dans le goût d'Ossian, n'obtinrent qu'une simple mention ; mais les deux autres pièces furent couronnées. Le 3 mai 1820, un nouveau succès viendra confirmer cet éclatant début ; une troisième fleur viendra s'ajouter aux deux pre- mières, 1 Victor ffiifjo raconté, etc., t. I, 413. 2 Les Jeux-FlorauK disposent chaque année d'une cinquième fleur, réglan- tine d'or, réservée au meilleur discours en prose sur un sujet donné par rAcadémio. 12 i VICTOR nuGO avant 1830 Et les fruits passeront la promesse des fleurs ^ ! Les Vierges de Verdun, lisons-nous dans Victor Hugo raconté, eurent l'amarante d'or -. » C'est une petite erreur. Elles eurent seulement ce qu'on appelle, dans le langage des Jeux-Floraux, une amarante ré- servée, c'est-à-dire un prix inférieur d'un degré à l'a- marante d'or pure et simple, qui est le vrai prix de l'Ode ^. Il faut reconnaître que les juges toulousains étaient étrangement difficiles, et l'on a peine à com- prendre qu'ils aient refusé le prix de l'année à cette pièce dans laquelle le poète a trouvé des accents dignes de ces vierges innocentes, Martyres dont l'encens plaît au martyr divin ! Encore bien que le sujet du Rétablissernent de la sta- tue de Henri IV eût été proposé par l'Académie, Victor Hugo, en le traitant, avait bien moins rempli un pro- gramme de commande qu'il n'avait obéi à sa propre inspiration. Le 13 août 1818, le jour où la statue était sortie de la fonderie royale du faubourg du Roule, et, traînée par quarante jeunes bœufs, avait été dirigée vers le Pont-Neuf, par l'allée de Marigny et les quais, à un certain moment l'énorme bronze avait refusé d'avancer. Dételant alors les bœufs, la foule s'était jetée aux roues, au timon, à l'arrière, et avait elle-même porté 1 Malherbe. 2 Victor Hugo raconté, etc., t. I, p. 414. 3 Rectifil lie l'Académie des année 1810. VICTOR HUGO AVANT 1830 125 triomphalement jusqu'à la hauteur du Louvre la statue du bon Henri Accingunt omnes operi, pedibusque rotarum Subjiciunt lapsus, et stuppea vincula collo Intendant Pueri circum innuptœque puelUe Sacra canunt, funemque manu contingere gaudent K Au premier rang tigurait le jeune Victor Hugo qui a rappelé ce souvenir dans l'une des strophes de son ode Par mille bras traîné, le lourd colosse roule. Ah ! volons, joignons-nous à ces efforts pieux. Qu'importe si mon bras est perdu dans ta foule ? Henri ma voit du haut des cieux. Gomment s'étonner qu'après avoir été acteur dans cette belle journée, il l'ait célébrée avec un sincère enthousiasme, et que ses vers, écrits de verve, aient été composés en une nuit ? Voici les détails que je trouve, à ce sujet, dans la notice de Sainte-Beuve Mme Hugo était malade d'une fluxion de poitrine, et chacun de ses fils la veillait à son tour. La nuit du 5 au 6 février 1819, c'était le tour de Victor. Sa mère qui tenait beaucoup car elle y croyait déjà à la gloire future de son fils, regretta qu'il eût laissé passer un concours sans s'y essayer les pièces, en effet, devaient être envoyées à Toulouse avant le 15, et il aurait fallu que Victor eût expédié la sienne dès le lendemain matin pour qu'elle pût arriver à temps. La malade s'endormit sur ce regret, et le lendemain, au réveil, elle trouva pour bonjour l'ode pieuse composée à son chevet, et le papier, mouillé de ses larmes de mère, partit dans la journée même 2. 1 Virgile, .-En.. 1. II. 2 Borne ries Deux Mondes. 1831, t. III, p. 247. 126 VICTOR nUGO AVANT 1830 II Parmi les rivaux que A'ictor Hugo allait rencontrer en face de lui dans ce concours, il en était un qui, certes, était digne de lui disputer le lis d'or. Alphonse de Lamartine, encore inconnu, mais déjà âgé do vingt-huit ans, avait répondu, lui aussi, à l'appel de l'Académie de Toulouse. Il écrivait de Milly, à son ami Aymon de Virieu, le 10 août 1818 Pendant ma courte paralysie, j'ai composé rapidement, par circonstance, une ode sur le rétablissement de la statue d'Henri IV au Pont-Neuf, que j'enverrai aux Jeux-Floraux qui ont proposé ce prix-là après l'Académie de Mâcon. Comme j'avais entendu tant de ces odes ici, où personne ne faisait parler Henri IV en roi, cela m'a fait penser à essayer de le faire; je ne sais pas encore si mon ode vaut guère mieux que les leurs. Je m'en vais t'en envoyer quelques strophes pour que tu m'en fasses passer ton avis ; car il n'y a personne dans ce pays qu'on puisse entretenir de vers, ou qui les sente le moins du monde. ..... Cela commence par une longue comparaison à la ma- nière homérique Quand la lance d'Achille, après tant de batailles, De la ville d'Hector eût forcé les murailles Et ravi des Troyens le saint palladium. Le nautonier, voguant sur les flots du Bosphore, Des yeux cherchait encore Le palais de Priam et les tours d'ilium Surpris, il approchait, et la rive déserte. De silence et de deuil, hélas ! partout couverte, VICTOR HUGO AVANT 1830 127 Ne résonnait au loin que du seul bruit des flots ; Mais au moins ces débris, dans leur triste étendue, Découvraient à la vue, Près du tombeau d'Hector, les urnes des héros ! Mais nous ! — Quand le vieillard sur les bords delà Seine S'assied en soupirant, et tristement promène Ses yeux accoutumés aux splendeurs de nos rois, Il voit sortir de l'onde une cité superbe, Et cherche en vain sous l'herbe Une tombe, un débris, une ombre d'autrefois ! Quoi ! ce peuple, dit-il, nouveau fils de la gloire, N'a-t-il donc point d'aïeux au temple de Mémoire ? Dans les fastes du monde est-il né d'aujourd'hui ? A-t-il répudié, dans sa fierté sauvage, L'immortel héritage Que vingt siècles de gloire ont amassé pour lui? Le vieillard se plaint ainsi, et Henri IV lui apparaît à la même place où était son bronze. De son coursier de feu l'ondoyante crinière, Secouant la lumière. Frappe de mille éclairs les yeux du vieux Français. Henri IV lui promet son retour avec le retour de ses fils, etc. Penses-tu que ma gloire ait ressenti l'atteinte Des coups qu'ils ont portés à cette image sainte Que leur volage amour adorait autrefois ? Non, leur lâche courroux, dans la demeure sombre, A réjoui mon ombre ! La liaine des pervers est l'éloge des rois ! 128 VICTOR HUGO AVANT 1830 Qu'ils tremblent cependant ! Tel que m'ont vu leurs pères Dans mes mains tour à tour clémentes ou sévères Serrant le fer vainqueur, arbitre de leur sort, Tel, à la place même où ta douleur m'implore. Ils me verront encore Présenter à leur choix le pardon ou la mort ! Dans son bonheur d'un jour l'iniquité sommeille. Mais, la foudre à la main, la vengeance l'éveille; Le néant engloutit tous ces crimes perdus, Et, comme un astre fixe allumé par Dieu même, La justice suprême Se lève sur le monde et ne se couche plus ! Il dit la Seine au loin frémit ; le Louvre antique, Reconnaissant les sons de la voix prophétique, Incline en tressaillant ses superbes créneaux ; Et le temps se hâta d'enfanter la journée Où de la destinée L'arrêt avait marqué le retour du héros * î Dans son livre sur Mgr Gerbet, M. l'abbé de Ladoue nous apprend que le futur auteur de VEsqidsse de Rome chi^étienne, — l'un de nos meilleurs écrivains, au jugement de Sainte-Beuve . lequel ajoute sans y prétendre, l'abbé Gerbet e;^ t poète ^, » — a com- posé, lui aussi, en 1818, une pièce de vers sur le Rétablissement de la statue de Henri IV. De cette même inspiration, dit M. l'abbé de Ladoue, sortit la pièce qu'il adressa à l'Académie française qui avait fait appel à tous les sentiments poétiques des Fran- 1 Correspondance de Lamartine, t. II, p. 213. 2 Causeries du lundi, t. VI, p. 317. VJCTOU IILGO AVANT 1830 129 çais pour célébrer le rétablissement de la statue du plus populaire de nos rois. » L'Académie française n'ayant jamais mis ce sujet au concours, c'est sans doute à l'Académie des Jeux-Floraux que le jeune Gerbet avait envoyé sa pièce. Elle n'a pas été im- primée ; mais les amis de l'auteur en avaient retenu plus d'un fragment, la première strophe, entre autres, qui ne manque ni de mouvement ni de grandeur Dans mon essor perçant la nue, J'affronte le flambeau du jour ; Porté sur une aile inconnue, Je vole au céleste séjour. La terre a fui, les cieux s'entr'ouvreul, Mes regards étonnés découvrent, Dans un jour pur et radieux, Le monde, aux mortels invisible, Où, sur un trône inaccessible, Repose le maître des dieux K Ni Lamartine ni l'abbé Gerbet ne furent couronnés. Le lis .Vor fut décerné d'une voix unanime à Victor Hugo. Son ode souleva parmi les maint eneurs un enthousiasme dont nous retrouvons l'écho dans la lettre suivante qu'Alexandre Soumet adressa de Toulouse au jeune lauréat Toulouse. Depuis que nous avons vos odes, Monsieur, je n'entends parler autour de moi que de votre beau talent et des prodi- gieuses espérances que vous donnez à notre littérature. Si l'Académie partage mes sentiments, Isaure n^aura pas assez i Mgr Gerbet» sa viOi sea œuc/es et l'ccoîe MeiuzisiennCi pai' M. Tabbé de Ladoue, t. I, p. î^. 130 VICTOR UUGO AYANT 1830 de couronnes pour les deux frères. Vos dix-sept ans ne trou- vent ici que des admirateurs, presque des incrédules. Vous êtes pour nous une énigme dont les Muses ont le secret. Au mois de février 1820, Victor Hugo célébra ses dix-huit ans en écrivant Moïse sur le Nil ; il l'envoya aux juges de Toulouse, qui accordèrent à la pièce une amarante d'or réservée, et qui, par lettre du 28 avril, nommèrent l'auteur maître es jeux-floraux. 11 fut proclamé sous ce titre, dans la séance du 3 mai ^ III Toulouse la Romaine où, dans des jours meilleurs. J'ai cueilli tout enfant la poésie en fleurs Ainsi s'exprimait Victor Hugo, dix ans plus tard^, dans les Feuilles cV automne. Nous aussi, nous nous complaisons au souvenir de ces jours meilleurs, et nous allons compléter ici l'histoire de ses relations avec l'Académie des Jeux-Floraux. f]n 1820, il lui avait adressé, en même temps que l'ode de Moïse sur le Nil, une héroïde intitulée le Jeune banni Raymond à Emma, et une idylle, les Deux âges. Ces deux pièces furent mentionnées. En 1821, reçu maître es jeux, il n'avait plus le droit de concourir, mais il paya son tribut à l'Académie avec son ode sur Quiberon, slii sujet de laquelle il * Le Consercateur littéraire, t. II, p. 118. VICTOR HUJO AVANT 1830 131 écrivait à son aini Jules de Rességuier, le 21 Je serai éternellement reconnaissant à l'Académie de son indulgence. J'ai tâché de le lui prouver en lui faisant, pour Tune de ses séances publiques, une ode sur Quiberon, que j'aurai incessamment l'honneur d'envoyer à cet excellent M. Pinaud, qui aura aussi toujours une bien grande place dans mes affections. Je l'ai faite de mon mieux je regrette d'être de ces hommes dont le mieux est encore si loin d'être bien ; mais j'espère qu'elle aura quelque prix aux yeux de l'Académie, sinon par le talent, du moins par les efforts de l'auteur. Cet excellent M. Pinaud, dont le nom revient dans toutes les lettres de Victor Hugo à Jules de Ressé- guier, était le secrétaire perpétuel de l'Académie dos Jeux-Floraux. Incarcéré pendant la Terreur, lié, au sortir de prison, avec Bernardin de Saint-Pierre, il menait de front l'étude des lettres et celle du droit. Sous la Restauration, successivement avocat général et conseiller à la cour royale de Toulouse, puis pro- cureur général à Metz, c'est à ce dernier poste que le trouva la révolution de Juillet. 11 donna sa démission au mois d'août 1830. En 1822, je trouve deux autres envois du poète aux Jeux-Floraux. J'enverrai peut-être cette année, à l'Académie, écrit-il le 17 janvier 1822, une ode sur 1 ;M. le comte Albert de Rességuior a inid à notre disposltiou, avco une bonne grâce dont nous ne saurions trop lui témoigner notre gratitude, les nombreuses lettres de Victor Hugo écrites à son père, le comte Jules' de Rességuier, l'un des poètes les plus distingués de la période romantique. '13i V1CT0]Î IIL'GO AVANT 1830 le Déoouemoil dans la peste. Au moins ne renfermera- t-elle aucun sentiment politique *. » Le 3 avril, il adresse sa pièce à Jules de Rességuier. Maintenant, lui dit-il , elle vous appartient ; donnez-lui le titre qu'il vous plaira. Je l'ai intitulée Barcelone, afin de la rattacher aux événements récents, quoique le sujet soit réellement ce type moral, et par consé- quent lyrique, le Dévouement dans la peste ^. » Et le 19 avril ecazes, et l'un des secrétaires de la Cliambre des députés à la sessioQ de 1819. VICTOR HUGO AVANT 1830 149 Ou Bar**te S éludant un orateur chagrin, Vivre en prince, aux dépens de vingt commis sans pain ; a J'admirais avec vous tous ces nobles courages, Par qui le trône enfin survit à tant d'orages ; Et lorsqu'un pair voulut, pour la France alarmée -, Voir le Sénat du peuple aux factieux fermé, u Je blâmais cette loi qu'osait flétrir son zèle, u Et je parlais pour lui, tout en votant pour elle. » On se quitte, et notre homme, en l'ardeur qui l'enivre. Contre les libéraux déjà rêve un gros livre. Télégraphe ! ô quel coup pour son cœur affligé ! Hélas ! le lendemain ton langage est changé Que fera Varius ? pensez-vous qu'il balance ? Varius haletant court chez Son Excellence, Il sort tout radieux, et sans perdre^ un instant, Va courtiser Etienne, et saluer Constant. Il fuit ces émigrés, à face féodale ; Leur ombre est un fléau, leur luxe est un scandale. La PiCnommée ^, enfant qui languit nouveau-né. Doit à sa jeune ardeur un centième abonné ; 1 Le baron de Barante, conseiller d'Etat, avait été nommé pair de France, par ordonnance du 5 mars 1819. M, de Barante était un des défenseurs les plus ardents et en même temps les plus habiles du ministère Decazes. 2 Le 20 février 1819, le marquis de Barthélémy, pair de France, avait demandé à ses collègues de prendre une résolution en vertu de laquelle le roi serait humblement supplié de présenter aux Chambi'cs un projet de loi tendant à faire éprouver à l'organisation des collèges électoraux les modifi- cations dont la nécessité paraîtrait indispensable. Adoptée à la Chambre des pairs, le 2 mars 1819, par 98 voix contre 55, la proposition Barthélémy fut combattue, à la Chambre des députés, par M. Royer-Collard et par M. de Serre et repoussée dans la séance du 23 mars, par 123 voix contre 94. 3 La Renommée, feuille libérab, fondée le lo juin 1819, et réunie au Courrier français, le 15 juin 1820. Elle comptait parmi ses rédacteurs Benja- min Constant. 150 VICTOR HUGO AVANT 1830 11 lit jusqu'à Tissot *, souscrit pour Sainneville ^, Et pare son salon d'un plan du champ d'asile. Villèle est, à l'entendre, un fanatique ardent, De Pradt sait le français, Fiévée est un pédant 3 ; Les nobles, le clergé sont faits pour nos insultes. Il faut un protestant pour ministre des cultes En un mot, Monseigneur, qu'il vit liier au bain, Veut qu'on soit libéral il s'est fait jacobin. Rien ne l'arrête ; il ose, et sans art et sans honte, Flatter l'abbé-barou, excuser l'abbé-comte ^ ; Devant leurs valets même il met bas son chapeau ; Car enfin un boucher peut devenir bourreau s. Et le jeune poète, — se doutait-il alors qu'il chan- gerait aussi souvent d'opinions que cet excellent M. A^vRius ? — terminait par ces vers Moi qui dans tout excès cherche un juste équilibre, Loin des Indépendants je prétends vivre libre ; 1 Tissot, rédactoup du ConstUutionnel et du Mercure, terroriste sous lu république, écrivain officieux sous l'empire, habile homme du reste qui, sans autre titre qu'une médiocre traduction en vers des Bucoliques de Vir- gile, trouva moyen de se faire nommer professeur de poésie latine au Col- lège de France et membre do rAcadémie française. 2 JI. de Sainneville, commissaire général de police à Lyon, lors des évé- nements qui avaient eu lieu dans cette ville et dans le département du Rhône en 1817, et auteur de plusieurs écrits dans lesquels il attaquait vio- lemment le général Canuel et les, autres autorités royalistes de Lyon. 3 Fiévée, publiciste, moraliste, observateur, écrivain froid, aiguisé et mordant, très distingué. » Ainsi l'a défini Sainte-Be^^e. Il était en 1810 Tun des rédacteurs principaux du Consermiteur. 4 L'abbé baron Louis et l'abbé comte Grégoire. 5 Témoin cet habitant de Versailles, d'abord boucher, puis député à la Convention et régicide. Les crimes de cet homme furent grands ; mais nous croyons devoir ajouter que son repentir les a sinon effacés, du moins rendus pardonnables. » Note de M. Victor Hugo. Legendre, 1 oucher, conventionnel et régicide, n'était point un habitant de Versailles; il était député de Paris et vdenipurait rue des Roucheries-Saint-Oermain. vicTon HUGO avant 1830 151 Heureux si, par relï'roi de raes hardis pinceaux, Je fais rugir le crime et grimacer les sots. Je veux, eu flétrissant leur audace impunie, Adorer la vertu, rendre hommage au génie ; Car le temps d'Azaïs a vu naître Bonald, Et s'il fut plus d'un Brune, il est un Macdonald. ^'engeur des Vendéens S je t'admire et je t'aime ; Mais le talent m'est cher dans un Hbéral même^ Etienne ^ me fait rire, et parfois j'applaudis, Dans l'Ermite déchu, l'esprit qu'il eut jadis 3. Aussi, gaiement je siffle, atîi"ontant leur colère, Rover à la tribune et Bavoux dans sa chaire ^ ; Au cou de Rodilard j'attache le grelot, Et du Joonnet d'Hébert je coiffe Montar *** 5. Quand Grégoire au Sénat vient remphr un banc vide s. Je le hais libéral, je le plains régicide. Et s'il pleurait son crime, au lieu de s'estimer. S'il s'exécrait lui-même, oui, je pourrais l'aimer. 1 Chateaubriand, 2 Etienne, auteur de la comédie des Deux Gendres, publiait dans la Mi- nerve française des Lettres sur Paris qui étaient très remarquées. 3 M, de Jouy qui, après avoir brillamment réussi avec YHermite de la Chaussée-d'Antin 1812-1814, faisait alors paraître, avecun succès médiocre, VHermite en province. 4 Nicolas Bavoux, juge suppléant au tribunal civil de la Seine, et profes- seur suppléant à la Faculté de droit, avait été suspendu de ses fonctions de professeur, le l"' juillet 1819, par la commission de l'instruction publique, à la suite de désordres graves dont l'Ecole de droit avait été le théâtre. ^ Cugnot de Montarlot, ancien sous-officier et l'un des adversaires les plus implacables du gouvernement de la Restauration. Impliqué en 1817 dans le procès de la Société du Lion dormant, poursuivi en 1819 comme gérant du Nouvel homme gris, en 1820 comme auteur d'une brochure publiée quelques jours après l'assassinat du duc do Berry, et, en 1821, comme affilié à la Conspiration de l'Est, il passa à cette époque en Espagne, oi'i, sous le nom de don Carlos de Malsot, il conspira contre Ferdinand comme il l'avait fait contre Louis XVIII. Il fut condamné à mort par une commission mil taire et fusillé à Alméria en Andalousie, le 24 avril 1824, 6 L'abbé Grégoire, élu député de l'Isère au mois de septembre 1819. 152 VICTOR HUGO AYANT 1830 Ainsi, jeune et brûlant d'un courroux qui m'honore, Je fronde un siècle impur, censeur sans tache encore, Qui ne saura jamais, peu fait pour parvenir, Dans l'esclave en faveur voir le maître à venir. Toi cependant, aux lois de ta langue inconnue Courbe ton front bizarre, élancé dans la nue. Poursuis, cher Télégraphe, agite tes grands bras Semblable à ce baron, fameux par son fatras, Qui, grattant son cerveau, l'œil en pleurs, le teint blême, Annonce un grand secret, qu'il ne sait pas lui-même ^ Le jeune homme qui débutait dans la satire parles vers que l'on vient de lire, en même temps qu'il composait des Odes comme les Vierges de Verdun, \esDesti7is de la Vendée^ le Rétablissement de la statue de Henri IV et Moïse sur le Nil, était de ceux qui pour leurs coups d'essai veulent des coups de maître, et Alexandre Soumet n'exagérait rien lorsqu'il par- lait, dans la lettre que nous citions tout à l'heure, des prodigieuses espérances que le poète de dix-sept ans donnait à notre littérature. Au commencement de 1820, Soumet vint à Paris, et l'une de ses premières visites fut pour Victor Hugo. Voici en quels termes il en rend compte à son ami Jules de Rességuier, qui était resté à Toulouse i baron Bignon, membre de la Chambre des députés, ancien ministre des affaires étrangères du gouvernement provisoire juin-juillet 1815. se van- tait de posséder un secret de nature à porter un coup accablant au gouver- nement royal. Sommé de le produire, p ir MM. Decazes et de Serre, il s'y refusa. Séance du 19 juin 1819. On fil grand bruit, sous la Restauration, du Sicret de M. Bignon beaucoup de bruit pour rien. — Voyez Alfred Nette- ment, Histoire de la Restauration , t. III, p. 64, 400 et 660 ; t. V, p. 114 et suivantes. VICTOR HUGO AVAiXT 1830 lo3 Paris, samedi. Vous aurez peut-être appris, mon ami, la cause de mon voyage à Paris ; elle était bien triste puisqu'elle m'a forcé de quitter Toulouse sans chercher à dire adieu à mes amis ; mais j'ai retrouvé ici votre souvenir. — Vous faites presque partie de notre cercle poétique. L'éloge de Clémence Isaure a révélé partout le troubadour, et vous avez gardé pour vous plus d'une fleur de sa corbeille. — J'ai entendu des vers ravissants d'un jeune homme nommé Alfred de Vigny. C'est une élégie intitulée le Somnambule et inspirée par la muse d'André Chénier i. Je la demanderai pour vous, afin que mes admirations soient aussi les vôtres. — On a osé me dire beaucoup de mal de Lamartine, et je l'ai défendu avec votre suffrage autant qu'avec le mien. On l'appelle le poète des pj'osateurs, et l'on ne se doute pas de l'éloge que renferme ce jugement. Le jeune Hugo vous adresse mille expressions de sa recon- naissance. Je lui ai promis de vous les faire parvenir. Cet enfant a une tête bien remarquable, une véritable étude de Lavater. Je lui ai demandé à quoi il se destinait, et si son intention était de suivre uniquement la carrière des lettres. 11 m'a répondu qu'il espérait devenir un jour pair de France... et il le sera ! Avant de quitter Toulouse, mon ami, j'ai laissé pour vous quelques brouillons de poésie. Si vous voulez les demander vous-même à mon père, il vous les remettra, et vous me direz votre pensée ; mais ne les montrez à personne. ... Votre château s'élève-t-il toujours aussi rapidement ? Comme vous y serez bien !... Xe faites pas le voyage d'Itahe, n'allez pas aux rives lointaines, restez sous vos orangers et renfermez comme Horace de longues espéranees dans un eercle * Voy, cette pièce dans les Poèmes coifiques et nindernes. d'Alfred Ai Vignv, 151 VIOTOU IllCid AVANT I HIÎO étroit. Horace offrait des sacrifices au gniie du lieu; vous avez aussi votre bon génie à adorer. Adieu, embrassez pour moi vos enfants... A. Soumet. Si vous pouvez m'envoyer une lettre de recommandation de M. de Villèle pour M. de Serre, ministre de la justice, vous me ferez plaisir. Je chercherai, peut-être, à rentrer au conseil d'Etat ou dans quelque administration... Guiraud est de moitié dans tous mes souvenirs. Rue Saint-Honoré, ??» 341, Hôtel de la Grande -Bretaçine ^. Ainsi Victor Hugo est encore un enfant, et déjà il aspire à la pairie. Ses premiers regards se tournent, non vers le palais Mazarin, mais vers le palais du Luxembourg. S'il est entré dans la carrière des let- tres, c'est avec le dessein d'en sortir. Pour lui, poète, la poésie ne vient qu'au second rang ; d'abord et avant tout, la politique. Et voilà pourquoi les prodi- gieuses espércoices que ses débuts avaient fait conce- voir, ne se réaliseront pas tout entières. 1 Nous devons l,i conimiinicatlon lio rctto lettre à M. lo comte Albert d\\v le Télégraphe. VICTOR IICGO AVANT 1830 157 Il y a, dans celle honorable entreprise, quelque chose de plus intéressant, de plus touchant encore, c'est son motif, dont MM. Hugo, que nous n'avons point l'avantage de connaître, nous pardonneront de révéler ici le secret. L'éducation de ces intéressants jeunes gens a été dirigée par une mère distinguée, qui a pensé de bonne heure que de bons principes et des talents formaient la seule fortune qui pût être à l'abri des révolutions, la seule arme avec laquelle on put, non pas se défendre de l'envie, de la calomnie, mais les braver. Maintenant, fils reconnaissants, ils essayent d'acquit- ter une dette aussi sacrée que douce. Ils doivent à leur mère une seconde vie ; ils veulent soutenir, embellir la sienne ; et, pour y parvenir, ils unissent la fraternité du talent à la frater- nité du sang. Heureux jeunes gens d'avoir une mère qui ait senti le prix de l'éducation ! Heureuse mère de voir ainsi cou- ronner ses soins ! Outre l'utilité et la bonne rédaction du Conservateur litté- raire, c'est donc la piété filiale et fraternelle qui le recommande à tous les gens de bien. Il est difficile qu'une entreprise de cette nature paraisse sous de plus heureux et de plus touchants auspices... Nous aimons à le répéter, disait en terminant Fauteur de l'article, M. F. Agier, il est consolant, il est rassurant pour l'avenir de voir cette foule de jeunes gens qui aiment les let- tres pour elles-mêmes, et non pour flétrir, en les vendant au pouvoir, les premières faveurs qu'ils en reçoivent. Lorsque le culte qu'on leur adresse est pur, elles se montrent généreuses ; car alors c'est dans leur sein que se forment les grands talents et que se préparent les grands caractères *. Le Conservateur littéraire, dont le premier numéro est du mois de décembre 1819 et le dernier du mois de mars 1821, paraissait deux fois par mois, en une i Le Corner oateur, t. VI. p. 401. iriS VICTOI? Illi0 AVANT \HHi^^ livraison do 40 pages in-8°, qui portait cotte épi- graphe, empruntée à VArl poéf'irpm d'Horace FuDgar vicecotis, acutum Reddere qua? ferrum valet, exsors ipsa secandi. Chaque livraison commence par une ou plusieurs pièces de vers viennent ensuite des articles de cri- tique littéraire, un article sur les spectacles et des Variétés et nouvelles littéraires V Sainte-Beuve, — après M. Agier, — a commis une erreur lorsqu'il a dit Eugène et Victor étaient les rédacteurs assidus de ce journal... Les nombreux ar- ticles de critique dans lesquels Eugène juge les ou- vrages et les drames nouveaux respirent une cons- cience profonde et accusent un retour pénétrant sur lui-même, un souci comme effaré de l'avenir ^. » L'erreur de Sainte-Beuve vient de ce qu'il a cru pou- voir attribuer à Eugène Hugo les nombreux articles du Conservateur littéraire signés E. Ces articles sont de Victor, ainsi que nous l'établirons tout à l'heure ; Eugène n'écrivait pas dans le recueil fondé par ses frères. Nous trouvons, on effet, dans la huitième li- vraison, la note suivante Les rédacteurs du Conservateur littéraire avaient déclaré, dans la 7e livraison, qu'ils continueraient à garder Tanonyme, comme ils l'ont cru devoir faire jusqu'ici. Cependant, un ar- 1 Les exemplaires complets du Cnnst^rvateur littéraire sont devenus ex- trêmement rares. Celui dont je me suis servi pour le travail que l'on va lire m'a été oommuniqué par M. de la Sicotière, sénateur de l'Orne, dont la bibliothèque est si riche, rérudition si sure, l'obligeance si parfaite. 2 Pnrf raif s contemporains, t. I. p. 402. VICTUll lilliO 1830 L'^ii» iiclc que M. Agier a bien voulu consacrer à leur recueil, dans la 75e livraison du Conservateur, article, du reste, plein d'in- dulgence et de sentiments bienveillants, pourrait faire croire que MM. Hugo frères sont les seuls auteurs du Conservateur littéraire. MM. Hugo il n'est pas inutile d'observer que ileux le ees messieurs seulement, rainé et le plus jeune S eomptent parmi les rédacteurs, uniquement dons Tintérêt de la vérité, nous prient de rectifier cette erreur involontaire. Ils nous in- vitent à faire connaître qu'ils comptent plusieurs collabora- teurs dont les articles ne sont soumis, comme les leurs, qu'à la censure du conseil de rédaction, composé de la réunion de tous les rédacteurs. C'est avec regret que les rédacteurs du Conservateur littéraire se voient encore forcés d'entretenir d'eux leurs lecteurs, mais c'est avec un bien vrai plaisir qu'ils saisissent cette occasion de remercier publiquement M. Agier de ses éloges et de ses honorables encouragements -. Cette note était exacte. Le Conservateur littéraire a seulement inséré deux pièces de vers d'Eugène Hugo ÏOde sio- la mort du duc cVEiighien, couron- née aux Jeux-Floraux, en 1818, et une traduction de l'ode d'Horace A Thaliarque ^. J'y remarque ce vers Le présent est à toi ; l'avenir est aux dieux î Victor Hugo se souvenait-il de ce vers de son frère, lorsqu'il a dit Non l'avenir n'est à personne ! Sire ! l'avenir est à Dieu '* ! Abel Hugo, au contraire, ne laissait guère passer 1 L'aîné, Abel, et le plus jeune, Victor. 2 Le Conservateur littéraire, t. I,p. 320. 3 Horaec, Odes, 1. 1", ode vni. 4 Les Chants fin Napoléon 11. 160 VICTOR HUGO AVANT 1830 de livraison sans y écrire. Ssearticles étaient signés A. et quelquefois A. H. Plusieurs sont consacrés aux littératures étrangères;, et plus particulièrement cà la littérature espagnole. Le Conservateur littéraire ren- dait compte de toutes les poésies qui paraissaient, et il en paraissait tous les jours de nouvelles. Abel et Victor suffisaient à cette lourde charge les odes, les épitres, les dithyrambes, les satires, relevaient de Victor. Les poèmes on en faisait encore en ce temps- là ressortissaient au tribunal d'Abel, qui a eu à juger tour à jour la Panhypocrisiade, de Népomucène Lemercier, comédie épique en seize chants ; la Mas- siliade, de S. Marin, poème épique en douze chants ; VOrléanide, de Le Brun des Gharmettes, poème national en vingt-quatre chants, etc., etc. Ces longs poèmes n'étaient point pour effrayer Abel Hugo, qui avait entrepris lui-même une publication en trente volumes ! Il est vrai que, de ces trente volumes, il n'a paru que le prospectus. On lit dans la vingt- septième livraison du Conservateur littéraire Le prospectus d'un ouvrage en trente volumes in-8o, inti- tulé le Géîiie du théâtre espagnol, par A. Hugo, se distribue en ce moment, et paraît devoir fixer l'attention du monde littéraire. Cette entreprise, dont l'importance et l'utilité sem- blent incontestables, a déjà mérité à son auteur une foule de suffrages honorables. Nous voudrions qu'il nous fût permis d'y joindre le nôtre, motivé sur ce que nous connaissons de ce grand travail ; mais nous nous interdisons cette satisfaction. M. Abel Hugo est notre ami et, de plus, notre collabo- rateur *. 1 Le Conservateur littéraire, t. HT. p. 2ft7, VICTOR IllGO AVANT 1830 161 Abel Hugo faisait ainsi volontiers de vastes projets que, malgré un réel talent et une remarquable facilité de travail, il ne lui était pas toujours donné de réaliser. Il a inséré dans le Conservateur littéraire quatre nouvelles El Viejo, la Naissance de HenrilV, le Combat de taureaux, le Carnaval de Venise, et il annonçait, en této de ce dernier récit, qu'il était extrait d'une suite de compositions, dans lesquelles l'auteur s'est proposé de retracer, d'une manière dramatique, les coutumes do quelques peuples * ». Encore un projet qui ne devait pas recevoir d'exé- cution ^. Ce que Chateaubriand a fait pour sa sœur Lucile, pourquoi M. Victor Hugo ne le ferait-il pas pour ses frères ? Pourquoi ne recueillerait-il pas dans l'édition définitive de ses œuvres les vers d'Eugène et les nou- velles d'Abel ? La gloire alors serait bien tenue de laisser tomber devant eux ses barrières il leur suffi- rait de dire, comme Hernani De sa suite! J^en suis ; et ils passeraient. Les autres rédacteurs du Conservateur littéraire étaient Alexandre Soumet, Alfred de Vigny, Ader, Saint-Valry, Adolphe Trébuchet, cousin ger- main des Hugo, J. Sainte-Marie, Gaspard de Pons, etc.; mais aucun d'eux ne donnait au journal une collaboration active et régulière ; de loin en loin seulement, ils apportaient, qui une ode ou une élégie, qui un article de prose. C'est ainsi qu'Alfred de 1 Le Conservateur littéraire, t. lU, p. 303. 2 Abel Hueo est mort au mois de février 18oo, 162 VICTOR mGO avant 1830 Vigny n'a fourni que deux morceaux son joli poème intitulé le Bal ^y et une étude sur lord Byron, que Sainte-Beuve attribue à tort à Victor Hugo ^. Le poids de la rédaction retombait donc à peu près tout entier sur Abel et sur Victor, sur ce dernier principalement, qui était, dès cette époque, un travailleur infatigable, et qui, des trois volumes dont se compose la collec- tion du recueil, en a écrit au moins deux à lui seul. Pendant près de deux ans, il s'est dépensé là tout entier. Une part de son âme, de sa jeunesse et de son talent est enfermée sous la couverture bleue de cette revue oubliée, comme Vâme du licencié Pierre Qarcias, sous la pierre que rencontrèrent, en allant de Penafiel à Salamanque, les deux écoliers de Gil Blas. Je ne voudrais pas ressembler au plus jeune de ces écoliers, qui passa outre étourdiment. J'imiterai, au contraire, son compagnon qui, ayant creusé tout autour de la pierre et l'ayant soulevée, fut bien récompensé de la peine qu'il avait prise. Peut-être me sera-t-il donné, comme à lui, de trouver Vâme du licencié. Je sais bien qu'à m'arréter, comme je le fais, à chaque détour de la route, je m'expose à m'entendre dire par le lecteiu^ Si nous allons ainsi, nous n'arriverons pas. Je ne saurais pourtant lui promettre de marcher 1 Poèmes, par A. de V^'gny, 1 822. 2 Portraits contemporains, t. I. p. 401. VICTOR JIUGO AVANT 1830 133 beaucoup plus vile. Ceci n'est point une œuvre didactique, allant directement au but par une route tracée d'avance ; c'est une causerie, un peu longue, je l'avoue; une sorte de promenade, à travers champs, dans le passé. Nul plus que moi ne respecte et n'ad- mire, — de loin, — le grand chemin battu où passe l'histoire en son carrosse, ce grand chemin qui s'al- longe toujours en ligne droite et d'où sont bannis le buisson d'aubépine, le liseron et l'églantier ; mais j'ai un faible pour les sentiers de traverse où l'herbe ' pousse, où fleurit l'anecdote, et où se rencontrent à . chaque pas les petits détails inconnus, pareils à ces petites fleurs qui ne révèlent leurs couleurs et leurs parfums qu'à l'humble piéton, voyageant à petites journées, le bâton à la main. N'est-il pas, d'ailleurs, plus d'un motif qui nous commande de nous arrêter quelques instants à cet épisode de la jeunesse de Victor liugo, et de parler, avec quelques détails, de la part considérable prise par lui à la rédaction du journal qu'il avait fondé avec son frère Abel ? Rien de ce qui so rattache aux débuts de l'auteur des Odes et Ballades ne doit être perdu pour l'histoire littéraire. Nulle part, cependant, on ne trouve de renseignements exacts sur le Conservateur littéraire et sur les nombreux articles que Victor Hugo y a insérés. Sainte-Beuve en a bien parlé, en 1831, dans Xdi Biographie des contemporains et dans hi Revue des Deux Mondes ; mais, outre qu'il l'a fait très briève- ment, on ne retrouve pas dans ces deux ou trois 164 VICTOR HUGO AVANT 1830 pages son exactitude et sa précision habituelles *. En 1834, M. Victor Hugo a publié, sous le titre de Littérature et Philosophie mêlées, un livre qui ren- ferme, s'il faut l'en croire, la collection de tous ses articles de jeunesse ; la vérité est qu'il n'en a pas reproduit la dixième partie, et comme s'il craignait que le lecteur ne remontât à la source et ne rouvrit le Conservateur littéraire, il a soigneusement évité, dans sa préface, de nommer ce recueil. Le Témoin de sa vie est presque aussi discret. Abel, dit-il, eut l'idée d'une revue qui paraîtrait deux fois par mois. Il fonda, avec ses deux frères et quelques amis, le Con- servateur littéraire. Victor y collabora assidûment. Il y publia Bag-Jargal ; il y lit des vers et de la prose. Tout cela fort royaliste^. » Quatre lignes sur le journal oii Victor Hugo lit ses premières armes, où il publia ses premières odes et son premier roman, quatre lignes seulement, alors que l'auteur consacre de lon- gues pages à raconter les jeux de Victor Hugo enfant, à décrire les combats des veaux et des chiens dans la cour de la pension Gordier ! Il semble qu'autour de Tillustre écrivain on se soucie peu de voir remuer les cendres du Conservateur littéraire. Nous le ferons néanmoins, non pour y chercher des sujets de querelle, mais afin, au contraire, de découvrir les étincelles de génie enfouies sous ces cendres éteintes, afin d'y rallumer la flamme de ces croyances, qui furent celles 1 Portraits contemjiorains, t. I, p. 400-403. 2 Yictor Hugo raconté par un témoin de sa vie, t, II, p. 1. VICTOR HUGO AVANT 1830 165 de M. Victor Hugo et qui sont les nôtres, heureux de nous réchauffer un instant avec lui au même foyer. II Victor Hugo, nous l'avons dit, travaillait à lui seul plus que tous ses collaborateurs réunis. Il est telle livraison de son journal dont tous les articles sont de lui, depuis Tode qui brille à la première page jus- qu'aux variétés et nouvelles littéraires qui se cachent modestement à la dernière ; d'où la nécessité pour lui de varier ses signatures, de recoudra des initiales diverses et à des noms empruntés, ahn que le lecteur ne s'aperçût pas qu'il avait presque toujours devant lui le même rédacteur. J'ai relevé, au bas d'articles qui lui appartiennent sans conteste, jusqu'à dix signatures différentes, sans compter celle de son vrai nom. Les voici cVAuvernmj ^,— Aristide, — Publicola Petissot, — B, — E, — H, — M, — M***% — V, - U. Les pièces de vers qu'il a insérées dans le Conser- 1 Aiweniey, petit bourg- de la Loire-Inférieure, situé ù trois lieues de la ville de Châtcaubriant, était le pays d'origine de la mère du poète. Voyez, au tome III du Conservateur littéraire, le récit d'un voyagea Auverneij, signé J. A. dont quelques détails semblent pris sur le vil", dont les autres sont tout à fait de fantaisie, et dans lequel on lit > l7o l^ui', une ct'iilaiiios darlicles qui témoignent d'une rare flexibilité d'esprit ei d'un talent de prosateur déjà singulièrement remarquable. La phrase est élé- gante et correcte, précise et vigoureuse. Plus tard, sans doute, dans la préface de Cromivell et dans Nolre-Damc rïr Paris, la prose du grand poète sera plus haute en couleur, elle acquerra plus de puissance et plus d'éclat ; mais peut-être y a-t il, dans les arti- cles du Coïiservctteiir liftraire, des qualités qu'il im- jorte d'autant plus de saluer au passage qu'on ne les reverra plus dans les œuvres de M. Victor Hugo. Bien- tôt, en effet, il ne faudra plus lui demander ce qui brille à chaque page dans ces écrits de sa jeunesse, le naturel et la gaieté, la sincérité de l'émotion, la franchise de l'accent. De ces cent articles, dont la moitié au moins méri- teraient d'être tirés de l'oubli et de ligurer dans l'édi- tion déhnitive des Œuvres cojnplètes de l'auteur, quelques fragments seulement ont été insérés par lui dans les deux volumes de Littéral ure et Philosophie mêlées. Il les a fait précéder d'une préface intitulée Bat de cette pablieation, et dans laquelle il s'exiiilme ainsi Ces deux volumes ne sont autre cliose que la collection complète de toutes les notes que l'auteur, dans la route litté- raire et politique qu'il a déjà parcourue, a écrites çà et là, che- min faisant, depuis quinze ans qu'il marche... En consultant les dates qu'on a eu soin de placer en tête de tous les fragments, ceux des lecteurs qui se plaisent à ces sortes de comparaison, même lorsqu'il s'agit d'ouvrages aussi peu importants que 176 VICTOR HUGO AVANT 1830 celui-ci, pourront voir aisément à quelle œuvre de l'auteur, à quel moment de sa manière, à quelle phase de sa pensée sur la société et sur l'art se rattache chacune des divisions de ce livre... On y retrouve, de 1819 à 1834, tous les changements successifs de style et de pensée, toutes les modifications d'opi- nion et de l'orme, tous les élargissements d'horizon politique et littéraire que les personnes qui veulent bien suivre le déve- loppement de son esprit ont pu remarquer en gravissant la série totale de ses œuvres... Il livre ce recueil au public en toute franchise et en toute confiance. Le premier de ces deux volumes ne contient que deux divi- sions ; l'une a pour titre Journal des idées, des opinions et des lectures d'un jeune jacobite de 1819 ; l'autre .• Journal des idées et des opinions d'un révolutionnaire de 1830. Le plus ancien de ces deux journaux, surtout, a besoin d'être lu avec une extrême indulgence, et sans que le lecteur en perde un seul instant la date de vue, 1819. L'auteur l'offre ici, non comme une œuvre littéraire, mais comme sujet d'étude et d'observation... Aussi, pour que cette partie du livre ait, du moins, le mérite de présenter une base sincère aux études de ce genre, a-t-on eu soin de l'imprimer .sans y rien changer, absolume7ît telle qu'on Va recueillie, soit dans les publications du temps, aujourd'hui oubliées, soit dans des dossiers de notes restées manuscrites. Ce recueil représente durant deux années, de l'âge de seize ans à l'âge de dix-huit ans, l'état de l'esprit de l'auteur... il y a des plans de tragédie faits au collège *... Eh bien ! rien de tout cela n'est vrai, pas mènie les plans de tragédie faits au collège ! Et d'abord, M. Victor Hugo insiste tout particuliè- rement sur la date de 1819 ; il l'inscrit en tête de son journal, il la répète en tète de plusieurs des articles * LltttTfititrr l't P/iilosop/lifi iiii'Ji'Ps. Introdurtioii. VICTOR HUGO AVANT 1830 177 qu'il renferme. Or tous ces articles sont extraits du Conservateur littéraire, dont deux livraisons seulement ont paru au mois de décembre 1810 ; toutes les autres appartiennent à Tannée 18^20 et à l'année 1821. Il date, par exemple, de février 1819, le fragment qui commence ainsi Ce que je veux, c'est ce que tout le monde veut, ce que tout le monde demande, c'est-à-dire du pouvoir pour le roi, et des garanties pour le peuple \ » Ce passage est tiré d'un article sur les Avantages de la monarchie, inséré dans la ¥ livrai- son du Conservateur littéraire, qui a paru au mois de janvier 1820 ^. 11 donne également la date de février 1819 à des pages très piquantes sur les orateurs du barreau et de la tribune. Elles ont paru, eu janvier 1820, à l'occasion d'un livre de M. Laurentie, intitulé de V Éloquence po- litique et de son influence dans les gouvernernents popu- laires et représentatifs ^. Le morceau sur Le Sage et ]Valter Scott, dat'' d'avril 1819, est du mois iV octobre 1820. Il se trouve dans un article sur l'Etude consacré par le comte François de Neufcliàteau à WHistoire de Gil Blas de Santillane '\ Ailleurs, M. Victor Hugo ne se borne pas à l'indi- cation de l'année et du mois, il précise le joiu^ E. nous avons vu que c'était une des nombreuses signa- tures dont il se servait dans le Conservateur litté- 1 Littérature et Philosophie mêlées, p. 87. Edition Fiinio i' '.••. I8il. 2 Le Conservateur littéraire, t. I. p. I ii. 3 md., t. I,p. 104. 4 Ibid., t. [II. p. 478 VICTOR HUGO AYANT 1830 raire, E. vient d'écrire ceci aujourd'hui 27 avril 1819... » Suit un fragment de son article sur la pre- mière représentation de la tragédie de Mario. Sluart, par M. Pierre Lebrun. Cette représentation ayant eu lieu le 6 mars 1820, la date du 27 avril 1819 est évi- demment erronée. L'article est de man^ 1820 \ Ces inexactitudes ont, à coup sûr, peu d'impor- tance. Il convient pourtant de les relever, parce que, de la part de M. Victor Hugo, elles sont volontaires et systématiques. En antidatant ses écrits royalistes, il espère en atténuer la portée que voulez-vous ? il était si jeune ! Il affirme n'avoir absolument rien changé à ses ar- ticles d'autrefois ; il n'a touché, dit-il, ni à la forme ni au fond, voulant fournir une base sincère aux lec- teurs désireux d^étudier les changernents sftrcessifs do son style et de sa pensée. J'ai regret à le dire, cette déclaration n'est rien moins que conforme à la vérité. En reproduisant ses anciens articles, M. Victor Hugo a fait subir à son style et à sa pensée des changements nombreux et parfois importants. Tantôt il retranche et tantôt il ajoute. Passionné pour les antithèses, — en 183 i, — il les sème à pleines mains sur ses articles de 1820, comme on jette de la poudre d'or sur la page que l'on vient d'écrire. Toutes les fois que le mot de la fin ne, lui semble pas assez bien venu, il le remplace par un autre il est devenu homme de théâtre, et il sait combien il est important de soigner ses sorties. 1 f,p Cnnafir-.'ntevr Jiffrrniri\ t. I. p. S50. VICTOR IILGO AVANT 1830 HU Je citerai quelques-unes de ces antithèses, quel- ques-uns de ces mots de la fin, ajoutés après coup. Dans un article sur la tragédie de Clovis, par M. Népomucène Lemercier, dont il devait être, vinj^t ans plus tard, le successeur à T Académie française, il avait établi un très ingénieux parallèle entre le dé- nouement du Mahomet de Voltaire et celui du Britan- nicus de Racine. Il reproduit ce parallèle dans Litté- rature et philosophie mêlées, avec cette addition Le sujet de Racine est mieux choisi que celui de Voltaire. Pour le poète tragique, il y a une profonde et radicale différence entre Tempereur romain et le chamelier prophète. Néron peut être amoureux, Mahomet, non. Néron *...» Mais ici, continuer la cita- tion devient impossible. L'antithèse devant laquelle ne recule pas M. Victor Hugo — le Victor Hugo de 1834 — brave l'honnêteté, et elle n'a pas môme l'ex- cuse d'être mise en latin. Rendons à chacun ce qui lui appartient cette an- tithèse dont la reproduction nous est interdite, c'est le révolutionnaire de 1830 qui Va commise ; le jeune jacobite de 4819 aurait rougi de l'écrire. Son article sur Ivanhoé, publié dans la 12 livraison du Conservateur littéraire, renfermait de curieux dé- tails sur la condition des juifs au moyen âge. Hugo les reproduit, mais il éprouve le besoin de les compléter par une triple antithèse ce Aujourd'hui, il y a fort peu de juifs qui soient juifs, fort peu de chrétiens qui soient chrétiens. On 1 Littérature et PhÛosophie mêlées, p. ti. 480 VICTOR HUGO AVANT 1830 ne méprise plus, on ne hait plus, parce qu'on ne croit plus. Immense malheur! Jérusalem et Salomon, choses mortes. Rome et Grégoire YII, choses mortes. Il y a Paris et Voltaire \ » Dans un article sur VHistolre générale de France depuis le règne de Charles IX jusquà la paix générale en 1815, Victor Hugo parle de Voltaire comme histo- rien^. Son jugement est plein de justesse et d'éléva- tion. Mais le mot de la fin manque ; le voici, — écrit en 1834 Voltaire a toujours l'ironie à sa gauche, sous sa main, comme les marquis de son temps ont toujours l'épée au côté. C'est fin, brillant, luisant, poli, joli, c'est monté en or, c'est garni de diamants, mais cela tue ^ » M. Victor Hugo ne se borne pas à ajouter des phrases ou à refaire et à polir celles qu'il conserve, il modifie quelquefois sa pensée et la change du tout au tout. 11 avait écrit, par exemple, en 1821 Pour moi, je n''aime point, je l'avouerai, qu'un historien soit cosmopolite, et je trouve quelque chose de lier qui me plaît dans ce mot d'un Arabe à Haygage Je ne sais que des histoires de mon pays'*'. » Le mot de cet Arabe est heureux, en effet, et M. Victor Hugo tient à s'en parer ; il le reproduira donc en 1834, mais non sans avoir pris la précaution de déclarer qu^il aime qu'un 1 LUtéra ture et Philosophie mêlées, p. 30. 2 Le Conservateur littéraire, t. III. p. 306. 3 Littérature et Philosophie mdées, p. 40. 4 Ze CoiTSPrt'ateiir littéraire, t. III, p. 311. VICTUU IILGO AVAAT 1830 181 historien soit cosmopolite, — c'est-à-dire tout le con- traire de ce qu'il a dit dans cet article qu'il est censé réimprimer sans y faire aucun changement. Il est devenu humanitaire, et il entend bien faire croire qu'il l'a toujours été. Il refait ainsi le passage que je viens de citer Pour moi, bien que l'historien cosmo- polite soit plus grand et plus à mon gré, je ne hais pas l'historien patriote. Le premier est plus selon l'hu- manité, le second est plus selon la cité. Le conteur domestique d'une nation me charme souvent, même dans sa particularité étroite, et je trouve quelque chose de fier qui me plaît dans ce mot d'un Arabe à Haygage Je ne sais que des histoires de mon pays *. » A un traducteur d'Homère sous ce titre, je trouve, au tome I^^^ de Littérature et Philosophie 7nêleés, un fragment dans lequel l'auteur s'élève avec force contre les pygmées qui essayent de soulever la massue d'Hercule, contre les versificateurs qui ne craignent pas de toucher à la poésie d'Homère. S'adressant à l'infortuné traducteur, il lui dit Croyez-moi, ne vous mêlez pas à ces nains. Votre traduction est encore en portefeuille ; vous êtes bien heureux d'être à temps pour la brûler. Une traduction d'Homère en vers français ! C'est mons- trueux et insoutenable, monsieur. Je vous affirme, en toute conscience, que je suis indigné de votre traduction. Je ne la lirai, certes, pas. Je veux en être quitte pour la peur. Je déclare qu'une traduction en vers de n'importe qui, par n'importe qui, me semble chose absurde, impossible et * Littérature et Philosophie mêlées, p. 40. M 182 VICTOR HUGO AVANT 1830 chimérique. Et j'en sais quelque chose, moi qui ai rimé en français ce que j'ai caché soigneusement jusqu'à ce jour quatre ou cinq mille vers d'Horace, de Lacain et de Virgile ; moi, qui sais tout ce qui se perd d'un hexamètre qu'on trans- vase dans un alexandrin ; Mais Homère ! monsieur ! traduire Homère i ! J'ouvre maintenant le Conservateur littéraire . Victor Hugo y a rendu compte, au tome le^, pages 255 et suivantes, de la traduction de trois chants de riliade, par M. A. Bignan, et c'est de cet article que sont extraits le début et la conclusion du fragment, cité dans Littérature et Philosophie mêlées. Quant aux lignes que l'on vient de lire, elles ne sont pas dans l'article de 1821, et pour cause. Votre traduction est encore en portefeuille, dit le fragment. — H nous reste, dit l'article, à féliciter M. Bignan du mode de publication partielle qu'il a choisi pour donner aux gens de lettres un avant-goût de sa nouvelle traduction. » Vous êtes bien heureux d'être à temps pour la brûler, continue le fragment. — Espérons, dit l'article, que M. Bignan, qui ne doit point se décourager, fera dis- paraître, dans sa traduction complète de VJliade, ces faux ornements que réprouvent également le goût français et la gravité sévère de la muse grecque. » Je vous affirme, en toute conscience, que je suis in- digné de votre traduction. Je ne la lirai, certes, pas ! A la bonnne heure ! Et voilà qui est bravement dit. * Littérature et Philosophie mêlées, p. 112. VICTOR ilUiiO AVANT 1830 183 Mais, en 1820, Victor Hugo ne disait pas cela. Non content de lire la traduction de M. Bignan, d'en dis- cuter le fort et le faible et d'en reproduire de longs passages, il lisait encore celles de ses devanciers ; il comparait, c'est lui-même qui nous l'apprend, l'essai de M. Bignan avec plusieurs autres traductions de V Iliade, et notamment avec celle de M. Aignan. » On voit que l'auteur de Littérature et Philosophie mêlées en a pris fort à son aise avec ses articles du Conservateur littéraiy^e. C'était son droit, à une condi- tion pourtant, celle de ne pas venir nous dire qu'il les publiait absolument tels quils avaient été écrits dans leur temps. Mais voici qui est mieux encore. Il nous annonce, dans sa préface de 1834, qu'il y a de tout dans son journal de 1819, même un plan de tragédie fait au collège, et un peu plus loin, en effet, il en donne l'analyse. Nous assistons, acte par acte, au dévelop- pement de la pièce qui a pour héros Phocion, chef du sénat, accusé de trahison, traduit devant le peuple et condamné, dans le temps même où, insensible à tout autre intérêt qu'à celui de ses concitoyens, il ne songe qu'au salut de la république. Avec une impar- tialité louable, M. Victor Hugo signale les côtés faibles de son plan et il en fait ressortir les qualités avec une satisfaction légitime. C'est le tableau, dit-il, des agitations populaires et de la vertu malheureuse, c'est-à-dire le plus grand exemple qu'on puisse mettre sous les yeux des hommes et le spectacle digne des dieux... L'action se déroule par une suite de révolu- iHi VICTOR JIUGU AVANT 183U tions inattendues ; les moyens d attaque et de résis- tance ont entre eux des proportions qui rendent l'anxiété possible. » Il termine son analyse en disant, non sans modestie Cette tragédie pourrait être belle ; cependant elle n'obtiendrait qu'un succès d'es- time. Gela tient à ce qu'elle serait froide ; au théâtre, un conte d'amour vaut mieux que toute l'histoire*. » Pourquoi M. Victor Hugo ne parle-t-il ici qu'au con- ditionnel ? Pourquoi ne dit-il pas que sa pièce n'a ob- tenu qu'un succès d'estime, lorsqu'elle a été jouée au Théâtre-Français par les comédiens ordinaires du roi^ le 16 juillet 1817? Son plan de tragédie fait au col- lège n'est pas autre chose, en effet, que l'analyse faite par lui, dans la cinquième livraison du Conservateur littéraire^, de la tragédie de Phocion, par Royou, frère de l'abbé Royou, rédacteur de VAini du roi, et beau-frère de Fréron, l'ennemi de Voltaire. L'auteur d'Hernani et de Ruy-Blas, se parant des plumes de Gorentin Royou et démarquant une de ses tragédies pour se l'attribuer, voilà, certes, un des plagiats les plus extraordinaires dont l'histoire des lettres fasse mention ! Que penseriez-vous, monsieur Hugo, de M. de Rothschild, s'il lui prenait un jour fantaisie de dérober le mouchoir de quelque pauvre diable et de le ma rquer à son chiffre ? 1 Littérature et Philosophie mêlées, p. 145. a Le Conservateur littéraire, t. I, p. 189. VICTOR HUGO AVANT 1880 185 IV On pense bien que M. Victor Hugo, qui a si étran- gement remanié ses articles littéraires, n'en a pas usé moins librement avec ses articles politiques. Au lieu de les reproduire tous ou de nous donner tout au moins le dessus du panier, il n'en a réim- primé qu'un seul, consacré à la mort du duc de Berri. Après ce grand effort, éprouvant sans doute le besoin de montrer au lecteur que, môme en 1820, il n'était pas si royaliste que cela, il publie, en les da- tant d'avril 1820, des pages où l'on trouve ce qui suit Que dire de la littérature de 1820, encore plus plate que celle de 1810, et plus impardonnable, puisqu'il n'y a plus là de Napoléon pour résorber tous les génies et en faire des généraux ! Qui sait ! Ney, Murât et Davoust auraient peut- être été de grands poètes. Ils se battaient comme on voudrait écrire *. En 1820^ M. Victor Hugo ne disait point Napoléon, il disait Buonaparte. Il ne faisait point l'éloge de Mural; il insérait dans son journal l'ode de son frère Eugène sur la mort du duc d^Enghien, dans laquelle on lit cette stropbe Du moins que la parole sainte Pour la dernière fois descende sur d'Enghien ! 11 parle... et ce Murât, qui vit l'homme avec crainte. Avec mépris voit le chrétien. i Littérature et Philosophie mêlées, p. 03. 186 VICTOR HUGO AVANT 1830 Retiens, lâche, retiens ton insultant blasphème 1 Tu ne crois pas en un juge suprême Témoin de tes longs attentats... Mais tremble ! la Calabre et ses rochers t'attendent ; Ses vautours naissants te demandent ! Il est un Dieu vainqueur et tu le connaîtras * ! L'année littéraire, continue M. Yictor Hugo, s'an- nonce médiocrement. Aucun livre important... Il se- rait temps, cependant, que quelqu'un sortit de la foule et dit Me voilà. Il serait temps qu'il parût un livre ou une doctrine, un Homère ou un Aris- to4e... Pauvre temps que le nôtre ! Force vers, point de poésie... Le fait politique de l'année 1820, c'est l'assassinat de M. le duc de Berri ; le fait littéraire, c'est je ne sais quel vaudeville. Il y a trop de disproportion ^. » Eh ! non, monsieur, le fait littéraire de l'année 1820, ce n'est pas un vaude- ville, c'est un livre, — un livre admirable, les Médita- tions poétiques d'Alphonse de Lamartine. Elles ont paru au mois de mars 1820 ^ ; vous n'avez donc pas pu écrire, au mois cV avril Aucun livre important. Force vers, point de poésie !... » Tout ce morceau a été écrit, arrangé après coup. En veut-on une nouvelle preuve ? il se termine ainsi M. le duc de Berri, c'est la tragédie. Voici la parodie main- tenant. Une grande querelle politique vient de s'émouvoir ces jours-ci, à propos de M. Decazes. M. Donnadieu contre M. Decazes. M. d'Argout contre M. Donnadieu. M. Clausel 1 Le Conservateur littéraire, 9» livraison avril 1820. 2 Littérature et Philosophie mêlées, p. 92. 3 Journal de la librairie, année 1820. n» 882. VICTOR HUGO AVANT 1830 187 de Coussergues contre M. d'Argout. — M. Decazes s'en mêlera- t-il enfin lui-même ? Toutes ces batailles nous rappellent les anciens temps où les preux chevaliers allaient provoquer dans son fort quelque géant félon. Au bruit du cor un nain parais- sait. Nous avons déjà vu plusieurs nains apparaître ; nous n'attendons plus que le géant *. Gomment, au mois d'avril 1820, M. Hugo aurait-il parlé de ces grandes querelles, si elles n'étaient pas nées ? Le Projet de la proposition d'accusation contre M, le duc Decazes, par M. Glausel de Coussergues ^, est du mois d'août 1820, ainsi que les Observatimis de M. d'Argout sur récrit publié par M. Clausel de Cous- sergues ^. Le Mémoire pour le vicomte Donnadieu n'a été publié qu'au mois de septembre *, et la Réponse de M. de Sainte-Aulaire, au mois d'octobre. Le pas- sage de M. Victor Hugo sur la grande querelle poli- tique de 1820 n'a donc pas été écrit au mois d'avril ; il n'a même été écrit que longtemps après l'événe- ment, car s'il l'eût été au moment oii il se produisit, M. Hugo n'aurait pas dit M. Donnadieu contre M. Decazes. M. d'Argout contre M. Donnadieu. M. Glausel de Goussergues contre M. d'Argout. » Il eût dit M. Clausel de Coussergues et M. Donnadieu contre M. Decazes. M. d'Argout contre M. Clausel de Cous- sergues. M., de Sainte-Aulaire contre M. Donnadieu. Tous les doutes sont, d'ailleurs, levés par ce fait que la sommation à M. Decazes et l'air de bravoure sur 1 Littémture et Philosophie mêlées, p. 93. 2 Journal de la librairie, année 1820, n» 2990. 3/6irf., n» 3061. ^ Ce Mémoire iivait pour .inteur M. Berryor. fils. 188 VICTOR HUGO AVANT 1830 les 7iains et le géant, qui terminent le prétendu article dî' avril 1820, se trouvent dans la 24 livraison du Conservateur littéraire, publiée au mois de novembre 1820 *, aprh et non avant les brochures de MM. Clausel de Goussergues et d'Argout, Donnadieu et de Sainte-Aulaire. Dans ce morceau, faussement daté de 1820, et qui est en réalité, sauf quelques lignes, de 1834, M. Victor Hugo a eu évidemnant pour objet de faire croire au lecteur qu'à l'époque même où il composait son Ode sur la mort de S. A. R. C harles-Ferdinand d'Artois, duc de Berri, fils de France, il commençait déjà à professer le culte de Napoléon, ce qui était, à ses yeux, en 1834, un comble de libéralisme. Il ne s'en est pas tenu là, et il termine son Journal des idées d'un jeune jacobite de 1819 par un autre morceau, daté, celui-là, de décembre 1820 et dont voici le texte Le tout jeune homme qui s'éveille de nos jours aux idées politiques est dans une perplexité étrange. En général, nos pères sont bonapartistes, nos mères sont royalistes. JNos pères ne voient dans Napoléon que l'homme qui leur donnait des épaulettes, nos mères ne voient dans Bonaparte que l'homme qui leur prenait leurs fils. Pour nos pères, la révolution, c'est la plus grande chose qu'ait pu faire le génie d'une assemblée ; l'empiré, c'est la plus grande chose qu'ait pu faire le génie d'un homme. Pour nos mères, la révolution, c'est une guillotine ; l'empire, c'est un sabre. Nous autres enfants nés sous le consulat, nous avons grandi * Le Conservateur littérnirp. t. III. p. 142. VICTOR HUGO AVANT 1830 189 sur les genoux de nos mères, nos pères étant au camp ; et, bien souvent privées, par la fantaisie conquérante d'un homme, de leurs maris, de leurs frères, elles ont fixé sur nous, frais écoliers de huit ou dix ans, leurs doux yeux maternels remplis de larmes, en songeant que nous aurions dix-huit ans en 1820, et qu'en 1825 nous serions colonels ou morts... En général, il est peu d'adolescents de notre génération qui n'aient sucé avec le lait de leurs mères la haine des deux époques violentes qui ont précédé la Restauration. Le Croque- mitaine des enfants de 1802, c'était Robespierre ; le Croque- mitaine des enfants de 1815, c'était Bonaparte. Dernièrement, je venais de soutenir ardemment, en présence de mon père, mes opinions vendéennes. Mon père m'a écouté parler en silence, puis il s'est tourné vers le général L*** % qui était là, et il lui a dit Laissons faire le temps ; l'enfant est de l'opinion de sa mère, Vhomme sera de Vopinimi de son père. Cette prédiction m'a laissé tout pensif. Quoi qu'il arrive, et en admettant même jusqu'à un certain point que l'expérience puisse modifier l'impression que nous fait le premier aspect des choses à notre entrée dans la vie, l'honnête homme est sur de ne point errer en soumettant toutes ces modifications à la sévère critique de sa conscience -. Ainsi, le lecteur est averti si M. Victor Hugo a été royaliste sous la Restauration, ce n'est pas la faute à Voltaire et à Rousseau^ cest la faute à sa mère. Nous le voulons bien ; mais qu'en 1820, à l'heure où ses opinions monarchiques étaient le plus ardentes, alors que^ suivant ses propres expressions, il poussait la passion politique jusqu'à la folie et jusqu'à la rage, quand Bonaparte » n'était pour lui qu'un Corse 1 Le général Lurotte. 2 Littéi'atvre et Philosophip mêlées, p. 11 190 VICTOR HUGO AVANT 1830 gardé par un mameluck * », il ait écrit la page que nous venons de reproduire, dans laquelle l'idée, le principe royaliste, sont réduits à n'être plus qu'un conte de nourrice où l'on fait peur aux petits enfants de Groquemitaine et de l'ogre... de Corse; qu'il ait prévu à ce moment que ses convictions se modifie- raient sans doute à mesure qu'il avancerait en âge et que bientôt il dépouillerait ses opinions vendéennes, comme le jeune homme dépouille les vêtements deve- nus trop étroits pour lui, voilà ce que nous ne saurions admettre. Qu'on le remarque d'ailleurs, le morceau que l'on vient de lire forme une longue suite d'anti- thèses. Or, en 1820, M. Victor Hugo partageait l'avis de Pascal, qui a dit Ceux qui font des antithèses en forçant les mots sont comme ceux qui font de fausses fenêtres pour la symétrie ^. » — Les jeunes gens, a dit, de son côté, la Bruyère, sont éblouis de l'éclat de l'antithèse et s'en servent ^. » Chose éton- nante, M. Victor Hugo, en sa prime jeunesse, n'a pas été ébloui de l'éclat de cette figure ; il n'en a fait au- cun emploi dans les trois volumes du Conservateur littéraire, où il ne cache pas, au contraire, l'éloigne- ment qu'il professe pour elle. Vous trouverez, dit-il dans son article sur les poésies d'André Chénier, vous trouverez dans Chénier la manière franche et large des anciens, rarement de vaines antithèses ^. » Et ail- 1 Le Conservateur littéraire, t. I, p. 275. 2 Pensées, édition de M. Havet, p. 110. 3 Des ouvrages de l'esprit. '* Le Conservateur littéraire, t. I. p. 23f>. VICTOR HUGO AVANT 1830 191 leurs, dans un article sur l'abbé Delille On pour- rait critiquer dans ce morceau une recherche d'ex- pressions antithétiques c'est là le défaut de Delille, ou plutôt du genre qu'il avait adopté '. » La page que M. A^ictor Hugo a datée do décembre 1820 ne peut donc être de cette époque si elle avait été écrite à ce moment, elle ne renfermerait pas les nombreuses antithèses que l'on y trouve presque à chaque ligne. Le morceau, du reste, n'a été fait que pour amener le mot du général Hugo Laissons faire le temps ; Venfant est de l'opinion de sa mère, l'homme sera de r opinion de son père . L'auteur tient tellement à ce mot-là, que, dans son autobiographie, il lui a con- sacré un chapitre entier, sous ce titre Un mot du général Hugo^. Ce mot a-t-il été prononcé? H n'a pu l'être que si le général Hugo était, en 1820, un adversaire de la Restauration. Or ses Mémoires^ publiés en 1823, attestent qu'il n'en était rien. H n'y dissimule pas, en effet, son peu de sym- pathie pour Napoléon ; il y rappelle que c'est à Louis XVIII qu'il doit d'avoir été confirmé dans le grade de général qu'il tenait du roi Joseph et que le gouvernement impérial s'était refusé à recon- naître ; il y donne place à un écrit de son fils Abel, où respire le plus ardent royalisme. Arienne le règne de Charles X, et l'un des premiers actes du nouveau roi sera de le nommer lieutenant général de ses ar- mées, ce qui ne fait pas supposer que le comte Hugo 1 Le Conservateur littéraire, t. II, p. 18. 2 Victor Hugo raconté, p\c.. t. II. p. I . 192 VICTOR HUGO AVANT 1830 fût un ennemi bien prononcé du gouvernement royal *. Aussi bien, puisque M. Victor Hugo attache une si grande importance au mot qui nous occupe, puisque ses biographes le répètent à l'envi, achevons de prouver qu'il n'a point été prononcé. C'est au général Lucotte qu'il aurait été adressé ^. Le général Lucotte n'était donc pas royaliste ; car s'il eût partagé les opinions du fils, le père n'aurait pas pu avoir l'idée de dire à son vieux camarade Laissons faire le temps; l'enfant est de l'opinion de sa mère, l'homme sera de l'opinion de son père. » Or il se trouve que le général comte Lucotte était, en 1820, un fervent royaliste, voire même un clérical. Marié à la fille du marquis de Gorberon, qui avait péri sur l'échafaud révolutionnaire, il avait servi dans le royaume de Naples et en Espagne, sous le roi Joseph, et pas plus que le général Hugo, il n'avait eu à se louer de l'em- pereur. En 1814, il avait été des plus empressés à se rallier à la Restauration. H était allé à Saint-Ouen ofTrir ses services à Louis XVIII, qu'il avait accom- pagné aux Tuileries, et qui le récompensa en le nommant lieutenant général. En 1815, pendant les Cent-jours, il s'opposa à ce que les soldats sous ses ordres prissent la cocarde tricolore, et il fut compris, en 1818, dans le corps royal d'état-major. Lorsqu'il mourut, le 21 septembre 1825, il était un des admi- nistrateurs de la confrérie du Saint-Sépulcre, asso- * Voy. ci-dessus, chapitre II, p. 70 et suiv. 2 Victor Hugo raconté, etc., t. II. p. 3. VTCTOR HUGO AVANT i83 193 dation qui ne comptait dans ses rangs que des roya- listes ultras \ Adressé au baron Lucotte, le mot du général Hugo n'aurait pas eu de sens. Que les deux morceaux datés à' avril 1820 et de décembre 1820 aient été écrits beaucoup plus tard, après 1830 ; que M. Victor Hugo, après avoir an- noncé, dans la préface de Littérature et Philo- sophie mêlées, qu'il allait réimprimer, sans y rien changer, ses articles du Conservateur littéraire, leur ait fait subir des altérations qui en dénaturent complètement le sens et la portée, nous croyons l'avoir démontré ; et ce n'est pas notre faute si, après avoir été forcé de contester, sur plusieurs points, la véracité de ses affirmations, nous sommes amené à établir, par un nouvel exemple, que l'illustre écrivain est coutumier du fait. En 1875, il a publié sous ce titre Actes et Paroles avant VexiU les discours politiques que, de 1846 à 1851, il a prononcés à la tribune de la Gbambre des pairs, de l'Assemblée constituante et de l'Assemblée législative. S'il s'était borné, là où le Moniteur dit Marques cV approbation, à mettre Explosion cV ap- plaudissements, et là où le Moniteur ne dit rien, à suppléer à son silence par une série de formules ad- 1 Biographie unîoérselle. supplément, t. LXXIL 194 VICTOR HUGO AVAMT 1830 miratives Vive émotion, — Explosion de bravoSy — lîires d'approbation, — Frémissement sur tous les bancs, — il y aurait simplement lieu de sourire. Mais il ne s'en est point tenu là il a modifié le texte même de ses discours, dans le dessein évident de tromper le lecteur d'aujourd'hui sur ses opinions d'autrefois. Dans son discours du 14 juin 1847, en faveur de la rentrée en France des membres de la famille Bona- parte, il avait dit Je leur imposerais une condition, une seule ce serait de demander leur rentrée. — De la demander à qui ? Au roi, qui représente rmiité inviolable et perpétuelle de la nation, et aux Chambres, qui en représentent le mouvement, la pensée et la vie *. » Supprimé en 1875. Le 17 juillet 1851, dans son discours sur la révision de la constitution, voici dans quels termes il parlait du roi Charles X ; intérieures, xxx et Tristesse d'Olympio {les Rayons et les Ombres, xxxiv. 2 William Shakespeare, pur Victor Hugo. Parmi ces quatorze grands génies de rhumanité », M. Victor Hugo a trouvé piquant de ne pas faire figurer Bossuet ; il ne l'a même pas jugé digne d'un accessit ! H est vrai qu'il n'en accorde pas non plus à Pascal ni à Racine. Les Quatorze qui ont trouvé grâce devant lui le doivent à cela seulement qu'ils ont été ses précurseurs. C'est ainsi que Juvénal et saint Jean ont été admis dans le groupe immortel le premier, parce que ses Satires annoncent les Châtiments ; le second, parce que son Apocalypse est la préface de Ce que dit la bouche d'ombre les Con- templations, 1. Vie. — Voyez aussi, dans ce recueil, la pièce qui commence par ce vers Ecoutez. Je suis Jean. J'ai vu des choses sombres. 3 Les Orientales, xi.. 208 VICTOR iiroo avant 1830 damné à no réfléchir jamais qu'une seule image, celle de Victor Hugo. Il n'en allait pas de même en 1820 et en 1821. Le poète alors était véritablement un critique, s'oubliant lui-même pour ne voir que ceux qu'il avait à juger, les appréciant avec une curiosité intelligente et tou- jours en éveil, avec une originalité qui n'excluait pas la justesse. Il est temps, écrivait un jour l'auteur du Gé7iie du Christianisme, de quitter la critique mes- quine des défauts pour la critique féconde des beau- tés. Ce noble conseil de Chateaubriand, le jeune rédacteur du Conservateur littéraire s'applique géné- reusement à le suivre. Sans arrière-pen-ûe person- nelle, avec une naïveté dont il se corrigera plus tard, il glisse sur les défauts, il insiste sur les beautés. Il salue, avec une joie fraternelle, les glorieux débuts de Lamartine ; le génie de Walter Scott trouve en lui un panégyriste enthousiaste ; personne n'a mieux parlé de l'auteur ïlvanhoé que celui qui devait être un jour l'auteur de Notre-Dame de Paris. De la lecture des nombreux articles du Conserva- teur littéraire ressort la démonstration qu'à cette époque 1819-1821, Victor Hugo n'était pas encore romantique. S'il admirait Lamartine et André Ghénier, il ne laissait pas de goûter fort l'abbé Delille. Dans une étude consacrée aux Œuvres posthumes du chantre de la Pitié, il célèbre l'élégance et l'har- monie de son style » ; il fait l'éloge du joli poème que le traducteur du Paradis perdu a laissé sur le Départ d'Eden ». Il le loue d'avoir changé le sau- VICTOR HUGO AVANT 1830 209 vage mécontentement qu'Adam témoigne à Eve, dans Milton, en une tendre commisération », et il ajoute Cette idée heureuse prouve que Delille connaissait parfaitement les délicatesses de la muse française *.» Il proclame la supériorité des tragédies de Corneille et do Racine sur les drames de Shakespeare et de Schiller, et il appuie sa thèse de considérations à la fois neuves et ingénieuses Nous n'avons jamais compris, dit-il, cette distinction entre le genre classique et le genre romantique. -Les pièces de Shakespeare et de Schiller ne diffèrent des pièces de Cor- neille et de Racine qu'en ce qu'elles sont plus défectueuses. C'est pour cela qu'on est obligé d'y employer plus de pompe scénique. La tragédie française méprise ces accessoires, parce qu'elle marche droit au cœur, et que le cœur hait les distrac- tions ; la tragédie allemande les recherche, parce qu'elle s'adresse souvent à l'esprit et plus souvent encore à tous les sens. L'une présente un spectacle attachant, l'autre un tableau singulier. Dans l'une, tout concourt au même but ; dans l'autre, il n'y a point d'ensemble. Les Français veulent que l'intérêt se concentre sur quelques personnages ; les Anglais regardent la variété comme une qualité tragique. Chez nous, l'intérêt va toujours croissant ; chez eux, chaque scène en est réduite à son propre intérêt ; et veut-on voir quelle différence il en résulte dans les effets ? Prenez le cinquième acte d'une de nos tragédies, et lisez-le séparément, souvent vous le trou- verez faible et languissant ; hsez-le en le faisant précéder de tous les autres, vous n'aurez rien remarqué, seulement vous aurez fondu en larmes. Mais les Allemands se contentent de leurs tragédies... Cela prouve que les Allemands ont moins de goût que nous, c'est- à-dire qu'ils raisonnent moins leurs sensations. 11 suffit de la 1 Le Conservateur littéraire, t. H, p. lf>. 12. 210 VICTOR UUGO AVANT 1830 simple narration des faits les plus bizarres et les plus invrai- semblables pour émouvoir les enfants, parce que les enfants n'ont pas la force de comparer leurs idées *... On le voit, nous sommes encore loin de la préface de CromwelL Classique par le fond des idées, Yictor Hugo l'est également au point de vue de la forme. C'est ainsi qu'il n'hésite pas à condamner, dans les vers, l'emploi de l'enj ambement , qui sera cependant bientôt, dans les recueils romantiques, comme le signe parti- culier'èwv les passeports. Rendant compte d'un poème sur la mort du duc d''Enghien, par M. E. Michèle t La manière de l'auteur, dit-il, n'apparlient à aucune école, ses vers ne sont pas d'un versificateur ; un ver- sificateur aurait évité ces fréquents enjambements qui détruisent souvent toute l'harmonie d'une période, d'ailleurs poétique ^. » Dans ce même article, Yictor Hugo indique les rai- sons pour lesquelles il est partisan de la rime riche, et l'on sait que sur ce point, du moins, il n a jamais varié. Il faut à présent, continue-t-il, que M. Michelet tâche d'ap- prendre à faire difficilement les vers faciles, qu'il cherche à resserrer sa pensée dans un petit nombre de vers, et surtout qu'il s'attache soigneusement à la richesse des rimes. Car et cette réflexion n'est pas pour M. Michelet seulement, dont les rimes sont généralement suffisantes depuis que la prose est venue empiéter sur le domaine de la poésie, depuis qu'elle s'est emparée des tours poétiques et des épithètes sonores, la * Le Conservateur littéraire, t. I, p. 335. ^Ibid., t. II. p. 384. VICTOR HUGO AVANT 1830 !2ll poésie, qui n'a pas la ressource d'employer les tournures pro- saïques, doit chercher, dans les attributs qui lui sont parti- culiers, celui qui peut servir à la faire distinguer de sa sœur ambitieuse ; et comme, pour la poésie française, le plus dis- tinctif de tous, c'est la rime, un poète français doit travailler avec soin cette partie de la versification *. III En même temps qu'il parlait des livres que voyait naître chaque quinzaine, Yicto;i^ Hugo faisait aussi, dans le Conservateur littéraire, le feuilleton drama- tique, et il n'est que juste de reconnaître qu'il s'en acquittait à merveille. Il n'estime point que cette besogne soit au-dessous de lui, et parce qu'il a charge de garder un troupeau de vaudevilles et d'en rendre compte, il ne croit point poar cela devoir se com- parer à Apollon , réduit à garder les troupeaux d'Admète. Il paraît, au contraire, porté d'un naturel et vif attrait vers les choses de théâtre. Qu'il ait à juger une tragédie du Théâtre-Français ou une comédie du théâtre du Vaudeville, un opéra de l'Académie royale de musique, ou une parodie du théâtre de la Porte- Saint-Martin, il y apporte un soin égal. Il est tout à son affaire, et c'est le plus consciencieusement du monde qu'il analyse les pièces de Casimir Delavigne et d'Ancelot, d'Eugène Scribe et de Pierre Lebrun, de Brifaut et de Viennet, de Royou et de Delrieu, de Liadières et de Népomuccne Lemercier, de Désau- 1 Lp Conserva ffir liffprnirc t. II. p. •'^84. 212 MCTOR HUGO AVANT 1830 giers et de Delaville de Miremonl, de Wafflard et de Fulgence, de Dupin et de Garmouche. L'un de ses premiers feuilletons est consacré aux Vêpres Sici- liennes, de Casimir Delavigne, et au Louis IX, d'Ancelot, et ce qui frappe tout d'abord dans le travail du jeune écrivain , — l'article est du mois de dé- cembre 1819, et l'auteur n'avait pas encore dix-huit ans, — c'est une impartialité d'autant plus méritoire que la vivacité de ses passions politiques était plus grande. Ancelot est royaliste; Casimir Delavigne est libéral Victor Hugo n'hésite pas à donner le pas au libéral sur le royaliste. C'est une chose étrange, écrit-il, et digne de notre siècle vraiment unique, que de voir l'esprit de parti s'emparer des banquettes d'un théâtre, comme il assiège les tribunes des Chambres. La scène littéraire a acquis presque autant d'im- portance que la scène politique. Le public aveugle ou mali-n prête aux paroles des acteurs tout le poids qu'elles devraient avoir si elles sortaient de la bouche de ceux qu'ils repré- sentent ; il semble ne voir dans nos comédiens que de grands personnages, de même qu'il ne voit dans plusieurs de nos grands personnages que des comédiens. Le petit marchand électeur s'en va siffler Louis IX, non parce que Lafon manque de majesté ou la pièce de chaleur ; mais son Constitutionnel lui a révélé que Louis IX s'appelle sami Lowe's, et le mar- chand-électeur est philosophe. Les gazettes libérales exaltent les Vêpres siciliennes, non parce que cette tragédie renferme des beautés, mais en raison des mouvements d'éloquence qu'elle peut leur fournir contre les fanatiques, les prêtres et les massacres au son des cloches ; les siècles féodaux offrent seuls de pareilles horreurs ; car on sait que, durant les beaux jours de 93, toutes les cloches étaient changées en gros sous.,. Le déchaînement des indépendants contre M. Ancelot et HUGO AVANT 1830 il 3 pour M. G. Delavigne a dû naturellement influer en sens contraire sur l'opinion des royalistes à l'égard des deux au- teurs. Cependant nous conviendrons que, cette fois, leur esprit de parti a mieux servi les libéraux que ne l'auraient peut-être fait leurs lumières. A l'exagération près, leur juge- ment, qui place Louis IX au-dessous des Vêpî^es siciliennes, nous semble juste ; ceux des journaux royalistes qui ont ma- nifesté l'opinion contraire reviendront sans doute sur leur décision, après avoir lu les deux tragédies dans cette affaire, les indépendants ont mieux vu qu'eux ; ce qui rappelle cet âne de l'Ecriture, qui eut une fois la vue plus prompte et plus perçante que son maître. S'il y a quelque courage à casser les arrêts de la faction, il y en a peut-être plus encore à les défendre, quand le hasard les fait justes. Dans le premier cas, on ne s'expose qu'aux in- jures de quelques sophistes et aux menaces de quelques furieux ; dans le second, on provoque la défiance des honnêtes gens ; pour dissiper une telle impression, nous ferons tous nos efforts ; car nous sentons que, plaidant momentanément la même cause que le parti novateur par excellence, nous avons besoin de preuves magnifiques et plus claires que le soleil Bossuet ». Suivent les preuves qui sont en effet concluantes ; c'est un excellent morceau de critique. Victor Hugo rend pleine justice au talent de Casimir Delavigne, sans pourtant le surfaire. A quelque temps de là, il avait à rendre compte de la seconde pièce de l'auteur des Vêpres Siciliennes, les Comédieyis. Ce nouveau feuilleton est vif, alerte, écrit de verve; c'est du Janin de derrière les fagots. Le mot de la fin est des plus heureux et renferme, sous une forme piquante, un jugement que l'avenir a pleinement confirmé. * Le Cnnservatojr littéraire, t. I. p, tVi. 214 VICTOR HUGO AVANT 4830 Nous terminerons, écrivait Victor Hugo, par une observation que ses deux ouvrages nous ont mis à même de faire ; nous craignons que M. Delavigne ne soit dépourvu des deux qua- lités les plus essentielles au théâtre. Comme auteur tragique, il a du mouvement et manque de sensibilité ; comme auteur comique, il a de l'esprit et point de gaieté. // semble, ainsi que le disait cet infortuné Scarron, il semble que cet homme-là n'ait ni entrailles ni rate i. Son appréciation du talent de Scribe n'est pas moins remarquable. Voici le début de son feuillelon sur la Somnambule, représentée le 6 décembre 1819 Une chaise de poste qui verse, un domestique poltron, un revenant, un capitaine étourdi, un mariage fait et rompu, etc.; voilà des choses bien rebattues. Cependant, allez voir la Scm- 7iambule, et dites-nous si le premier mérite de cette charmante pièce ne vous paraît pas la nouveauté. Ce joli vaudeville res- semble à ces décorations fraîches et brillantes que le machi- niste monte sur de vieux ressorts, ou plutôt à ces physiono- mies originales qui n'ont pourtant d'autres éléments que ceux de toutes les figures humaines. Que nos vaudevillistes par métier n'aillent pas demander à MM. Scribe et Germain Dela- vigne leur secret ce secret-là ne peut se communiquer, c'est le talent. Depuis longtemps aucun théâtre n'avait vu les genres mis à part un succès aussi éclatant, et, ce qui est plus encore, aussi mérité. Nous n'analyserons pas le vaudeville nouveau ; l'ennui qu'inspire une analyse est presque toujours en raison directe du plaisir que cause un ouvrage, et, dans ce cas, nous risquerions d'être mortellement ennuyeux. La Somnambule est un petit chef-d'œuvre où nous aurions honte de relever quel- ques invraisemblances et peut-être quelques incorrections. Ces défauts sont si légers que nous ne savons si les auteurs doivent 1 Le Conservateur littéraire, t. I. p. irî8. VICTOR HUGO AVANT 1830 215 chercher à les ejftacer souvent quand le tissu est délicat, en voulant enlever une tache on le déchire. Parmi la foule de scènes vives et animées que présente cet ouvrage, il serait aussi difficile de trouver une situation froide qu'il est malaisé de trouver une idée dramatique dans la plu- part des pièces qui se succèdent journellement sur nos théâtres. Le style rappelle quelquefois la manière de Beaumarchais ; et pour la liaison des scènes et le naturel du dialogue, les au- teurs ne nous semblent pas inférieurs à Sedaine. L'intérêt ne languit jamais, et l'attention est constamment éveillée, sans être fatiguée. Les plaintes de Cécile vous attendrissent, et le moment d'après vous riez aux éclats des plaisanteries de Fré- déric. Voilà Fart tant vanté par Boileau*. Scribe jugé par Hugo, l'auteur de la Demoiselle à marier célébré par l'auteur d'JIsrnani, n'y a-t-il pas là un curieux chapitre d'histoire littéraire, et ne vous semble-t-il pas que M. Villemain, lorsqu'il reçut Eugène Scribe à l'Académie française, aurait pu tirer un charmant parti de ce feuilleton du Conservateur littéraire ? IV Que d'heureuses rencontres, que de trouvailles ne pourrions-nous pas faire encore dans ce recueil ? Obligé de nous borner, nous ne voulons pourtant pas finir sans une dernière citation, empruntée au feuil- leton sur la Marie Stuart de M. Lebrun. Après avoir analysé la pièce, qui venait de réussir brillamment * Le Conservateur littéraire, t. I, p. 72. ait VICTOR HUGO AVANT 1830 au Théâtre-Français, avec Talma, dans le rôle de Leicester, et M^^ Duchesnois, dans celui de Marie, M. Victor Hugo esquisse, à son tour, le plan d'une tragédie sur le même sujet, telle qu'il la conçoit Tout roule, dit-il, sur ce caractère de Leicester qui veut une chose au premier acte, et qui fait le contraire au cinquième ; il le fait par faiblesse ; il y aurait tragédie s'il le faisait par violence ; il faudrait donc qu'il fût trompé ; or, quel moyen plus naturel pouviez-vous désirer que l'amour et les illusions de la jalousie ? Je suppose donc que vous nous eussiez montré la belle et repentante Marie, enfermée dans une prison, sans autre espé- rance que la mort ; elle a fait vœu de se consacrer au ciel et de se retirer dans un monastère pour pleurer les fautes de sa vie, si jamais elle se voyait délivrée. Depuis elle a connu Leicester, elle l'aime, mais d'un amour pur et céleste, tel qu'elle n'en avait jamais ressenti ; elle combat cette passion, elle la cache à son amant de peur de lui donner des armes contre elle-même. A ce caractère angélique, il fallait opposer le carac- tère de Leicester. C'est ici, monsieur Lebrun, que le sang devait vous bouillonner dans les veines ; il ne fallait pas nous montrer le lâche, le courtisan Leicester, mais un homme hardi, énergique, impétueux, un de ces êtres nés pour le mal- heur d'eux-mêmes et des autres, ayant les bras d'un géant et les entrailles d'un lion, un de ces êtres qui ont tout prévu dans leurs desseins, sauf un coup de tonnerre. Il aime Marie, mais il l'aime avec tout l'égoïsme d'une âme dégradée ; il veut, il peut la sauver ; mais, comme Roxane, il aime mieux la voir périr que de la sauver pour un autre. Après avoir tracé ces caractères, il fallait élever la jalousie entre eux ; c'est à quoi pouvai 'nt vous servir les froideurs étudiées de Marie, l'âme soupçonneuse de Leicester, et surtout le personnage de Mortimer, ou tout autre moyen que vous auriez facilement imaginé; ce n'était là qu'affaire de patience; j'arrive au dé- VICTOR HUGO AYANT 1830 217 nouement. Je suppose que vous nous ayez montré, au qua- trième acte, le jaloux Leicester, se croyant trompé par Marie, croyant avoir des preuves de sa trahison, persuadé qu'il ne la sauve que pour Mortimer ; il se jette à ses genoux, il lui de- mande de lui promettre de l'épouser, d'une main il lui montre le trône et de l'autre l'échafaud. En vain Marie lui objecte son vœu ; il n'y croit point, il veut qu'elle le rompe, et il le lui propose avec toute la liberté d'esprit d'un anglican. Marie hésite, combattue entre son amour, la crainte de la mort et la voix de la religion ; enfin son devoir l'emporte ; désespérée, elle se résout à boire le caHce ; elle refuse, et soudain elle voit le barbare Leicester passer de ses genoux à ceux d'Elisabeth, découvrir à son ennemie cette conspiration qui fait sa seule espérance, et ne demander d'autre grâce que de la conduire elle-même à la mort. Je pense que ces situations étaient tra- giques. Je suppose donc qu'au cinquième acte vous nous montriez le coupable et malheureux Leicester ; il se croit sûr de son courage, il a été trahi, il vient jouir de sa vengeance. Il est là, debout, dans le fond de la scène ; sur le devant paraît Marie, vêtue de blanc, prête à monter au ciel, entourée de ses femmes ; elle les console, elle leur fait ses adieux, ses derniers regards se reportent vers sa patrie ; enfin elle tombe aux ge- noux de son sujet, et elle reçoit la bénédiction du vieillard. Cette situation est belle dans Schiller ; mais alors elle eût été terrible, parce que le spectateur l'eût sentie avec l'âme de Leicester. Cependant l'heure sonne, les portes s'ouvrent ; Leicester, dont l'âme est brisée, rappelle son courage, il s'avance, il présente la main à Marie, il la conduit silencieusement vers l'échafaud. Tout'à coup, prête à entrer dans le lieu fatal, Marie s'arrête, elle se retourne, elle lui dit, comme dans Schiller Comte de Leicester, je vous aimais ; elle se jette dans ses bras ; soudain elle s'élance dans la salle, et les portes se re- ferment. Leicester pousse un cri, tire son épée, et veut la sauver ; les gardes d'Ehsabeth paraissent, il est désarmé, 13 218 VICTOR UUGO AVANT 1830 chargé de chaînes ; immobile au milieu de la scèpe, il entend le bruit des bourreaux dans la salle d'exécution ; il entend les sanglots de l'assemblée, la voix de Marie qui prie, le dernier silence, et enfin une tête qui tombe. Ah ! c'est alors qu'il n'y eût point eu assez de cris, assez de pleurs, c'est alors, Talma, que vous auriez été sublime. Enfin, pour terminer cette scène, Mortimer, cet ami qu'il avait voulu faire périr, parvient jusqu'à lui, et lui rend le der- nier service de lui prêter un poignard. J'ai dit que cette tra- gédie aurait été sublime, et qu'était-ce en effet ? rien que quelques pages d'Atala, deux scènes d'Àndromaque et le dé- nouement de Zaïre et d'Othello *. Feuilletoniste dramatique, Victor Hugo était égale- ment critique d'art ; il a des pages sur le musée de peinture et sur l'exposition des prix de Rome. C'est encore lui qui rend compte des séances publiques de l'Institut et des leçons du Collège de France. Tout lui est sujet d'article, tout, même le Manuel du Recrutement, ou recueil des ordonnances ^ ins- tructions approuvées par le Roi, circulaires et déci- sions ministérielles, auxquelles Inexécution de la loi du j 0 mars 1 81 8 a donné lieu ; et comme, en ces heu- reuses années, tout ce qu'il touchait se convertissait en or, il se trouve que cet article sur le Manuel du recrutement est le plus charmant du monde. En voici la fin Le débit de cet ouvrage sera prompt, grâce aux fonction- naires publics, dont le nombre est immense, quoique beaucoup de ces messieurs, convenons-en tout bas, soient à peu près aussi utiles à l'Etat que l'Arlequin de Regnard, qui recevait * Le Conservateur littéraire, t. I, p. 357. VICTOR UUGO AVAAT 1830 â'l9 une pension de la ville pour faire tous les quinze jours le crin au cheval de bronze *. M. Hugo se rappelait-il ce vieil article du Conserva- teur littéraire, lorsque trente-deux ans plus tard, à Bruxelles, il écrivait dans Napoléon le Petit Que faites-vous dans ce pays ? demande-t-on au Sénat. — Nous sommes chaT^gés de garder les libertés publiques. — Qu'est-ce que tu fais dans cette ville? demande Pierrot à Arlequin. — ,]e suis chargé, dit Arlequin, de peigner le cheval de bronze'^. En 1818, a dit quelque part M. Victor Hugo, l'au- teur avait seize ans ; il paria qu'il écrirait un volume en quinze jours. Il fit Bug-Jargal. » Bug-Jargal a paru dans le Conservateur littéraire, avec cette indi- cation Extrait d\in ouvrage intitulé les contes sous LA TENTE. Cet ouvrage ayant été remanié et récrit en grande partie sept ans plus tard, en 1825, nous aurons à y revenir. Le Conservateur littéraire cessa de paraître au mois de mars 1821. Le Conservateur s'est réuni aux Annalesy écrivait Victor Hugo à Jules de Rességuier. Cette réunion des deux recueils m'a fait plaisir en me débarrassant d'un travail permanent qui me fatiguait depuis longtemps ; d'un autre côté, je n'aurai plus un journal à la disposition de mes amis, comme l'était le Conservateur, et cette privation compense, de reste, le plaisir '. » ^ Le Conservateur littéraire, i. II, p. 305. 2 Napoléon le Petit, 1, II. S Lettre du 17 avril 1821. 220 VICTOR nuGO avant 1830 Les Annales de la littérature et des aiHs, qui re- cueillirent la succession du Conservateur littéraire^ avaient pour rédacteurs quelques-uns des écrivains les plus distingués du parti royaliste Charles Nodier, Alexandre Guiraud, Quatremère de Quinc}^ Abel Rémusat, Edouard Mennechet, Vanderbourg, l'auteur des Poésies de Clotilde de Surville, Raoul Rochette, Brifaut, Malitourne,Chênedollé, le baron d'Eckstein, etc. Yictor Hugo n'avait que dix-neuf ans, et déjà il était entré dans la gloire. En môme temps que deux satires remarquables, le Télégraphe et VEnrôleur politique, il avait écrit des odes qui lui assuraient le premier rang parmi nos poètes lyriques, les Vierges de Verdun, le Rétablissement de la statue de Henri IV, les Destins de la Vendée, la Mort du duc de Berri, Moïse sur le Nil, le Génie, la Naissance du duc de Bordeaux, la Fille d'0-Taïti, Quiberon,]di Vision sur le dix-huitième siècle et le Poète dans les Révolutions. Lauréat de l'Académie française, il avait été couronné trois fois aux Jeux-Floraux. Prosateur, il avait, pendant près de deux ans, soutenu presque seul tout le poids d'un journal, semant sans compter les articles politiques, les analyses de livres ou de pièces de théâtre, les pages de critique, d'imagination et de pensée. Si doux que soient les premiers rayons de la gloire, le bonheur est plus doux encore, et le bonheur était assis au foyer du poète. Sa mère était là, près de lui, VICTOR HUGO AVANT 1830 221 lisant par-dessus son épaule l'ode commencée ou la page interrompue. Un noble et chaste amour ajoutait ses ivresses à celles de la gloire et du bonheur, et le jour n'était pas éloigné oi^i celle qui avait été la com- pagne de son enfance allait unir sa destinée à la sienne et devenir le tétnoin de sa vie. Par delà l'amour, le bonheur et la gloire, dans une sphère plus haute, s'élève la foi le chantre de Moïse sur le Nil et de la Naissance du duc de Bordeaux avait, en religion comme en politique, de sincères et ardentes convic- tions. Oh! la radieuse aurore î et combien l'avenir s'ouvrait, éclatant et superbe, plein d'immenses pro- messes et de merveilleuses perspectives, devant cet enfant que la gloire avait déjà touché de son aile, devant ce jeune homme qui demandait à la foi le secret du génie et au travail le secret du bonheur ! CHAPITRE YII L'Enfant sublime. — Odes et Poésies diverses. La légende de l'enfant sublime. Sainte-Beuve et le Conservateur. La Quotidienne. Le Drapeau blanc. Le salon de l'Abbaye-aux- Bois. M. de Salvaudy. — Henri Heine, Chateaubriand et M. Victor Hugo en déshabillé. — Mort de madame Hugo. Second mariage du général. Une lettre de faire part. — La Société royale des Bonnes-Lettres. L'Académicien Roger. — Odes et Poésies diverses. Variantes. Raymond d'Ascoli. — Les Méditations et les Messéniennes de Casimir Delavigne. — Un vers d'Horace traduit par le roi Louis XVIIL La duchesse de Berri et la pre- mière pension de M. Victor Hugo. Le Conservateur littéraire s'étant fait, en toute rencontre, le champion de Chateaubriand, le panégy- riste de son caractère et de ses écrits, des relations s'étaient naturellement établies entre l'illustre écri- vain et son jeune et enthousiaste disciple. Victor Hugo lisait quelquefois ses vers à l'auteur du Génie du Christianisme, qui lui donnait des conseils et lui indi- quait les corrections à faire. En adressant, le 20 oc- tobre 1820, à son ami Saint-Valry, son ode sur la Naissance du duc de Bordeaux, il lui écrivait L'ode que je vous envoie était terminée deux jours après l'accouchement. M. de Chateaubriand, à qui je la fis VICTOR HUGO AVANT 1830 223 voir sur-le-champ, m'indiqua cinq ou six taches à faire disparaître. Ce travail minutieux me coûta huit grands jours. Vous voyez qu'en vous invitant à cor- riger, je prêche d'exemple. » Qu'après la lecture de cette ode ou de celle inspirée à Victor Hugo, quelques mois auparavant, par la mort du lac de Berri, Chateaubriand eût appelé leur auteur l'enfant sublime, cela, certes, n'aurait rien eu que de très naturel et n'aurait étonné personne. Est-il vrai, cependant, que ce mot, aujourd'hui légendaire, ait été prononcé, ou ne doit-il pas, au contraire, être rangé parmi ces mots célèbres qui, pour être repro- duits partout, n'en sont pas pour cela plus authen- tiques ? Suivant Sainte-Beuve, qui en parle dans la Biogra- phie des contemporains * et dans la Bévue des Deux Mondes ^, dans les Portraits littéraires ^ et dans les Portraits contemporains *, ce serait dans une note du Conservateur que Chateaubriand aurait qualifié Victor Hugo à' enfant sublime . J'ai parcouru avec soin les six volumes de ce journal dont les rédacteurs s'appelaient Chateaubriand, La Mennais, Bonald, Fiévée, Genoude, Berryer fils la note à laquelle renvoie l'auteur des Portraits littéraires n'existe pas. L'année même de la mort de Sainte-Beuve, ayant eu occasion de signaler la petite erreur qu'il avait * Biographie des Contemporains, publiée sous la direction de Boisjolin, Supplément. 2 Vol. IlI-IV. — 1831. 3 T. I, p. 321.— 1839. 4 T. T, p. 402. — 1869. 224 VICTOR HUGO AYANT 1830 commise à ce sujet, je reçus de lui une lettre, en date du 19 avril 1869, de laquelle j'extrais ce passage Je réimprime en ce moment mes Portraits contemporains. Deux premiers volumes de cette réimpression paraîtront à la fois. Dans le premier, où j'ai placé tout ce que j'avais écrit sur Victor Hugo, vous verrez une note sur le mot di' enfant sublime. Je suis persuadé et convaincu que le mot a été dit par Chateaubriand ; après m'être assuré, comme vous, qu'il ne se trouvait point dans une note du Conservateur, j'en suis venu à penser que c'était en causant avec M. Agier que Chateaubriand l'avait dit, et M. Agier l'aura répété et l'aura même imprimé dans quelque article de la Quotidienne ou de quelque autre journal royaliste. La grimace que faisait Chateaubriand et sa dénégation ne prouvent rien que sa variation de sentiment à l'égard de Hugo. Je pris la liberté de faire observer à l'éminent cri- tique qui voulait bien me faire l'honneur de discuter avec moi ce petit point d'histoire littéraire, que le mot de Chateaubriand ne se trouvait pas plus dans la Quotidienne que dans le Conservateur, Il ne voulut pas en avoir le démenti, et il inséra dans la réim- pression de ses Portraits contemporains la note sui- vante Ce n'est point dans une note du Conservateur, comme je l'avais dit d'abord, que M. de Chateaubriand lui décerna cet éloge, c'était dans une conversation avec M. Agier, lequel, au sortir de là, n'eut rien de plus pressé que de le répéter à l'auteur, et le consigna même publiquement dans un article de journal *. On remarquera qu'ici Sainte-Beuve n'indique plus * Portraits contemporains, édition do 1860, t. I, p, 402. VICTOR HUGO AVANT 1830 225 le journal qui aurait publié, sous la signature de M. Agier, le mot de Chateaubriand. La précaution était sage. Le Témoin de Yictor Hugo a été moins prudent. Voici sa version La mort du duc de Berry inspira à Victor une ode qui réussit beaucoup dans le monde royaliste. Louis XVIII en récita plusieurs fois, devant ses intimes, la strophe qui com- mence par Monarque en cheveux blancs, M. de Chateaubriand, causant avec un député de la droite, M. Agier, lui parla de l'ode en termes enthousiastes, et lui dit que l'auteur était un enfant sublime. M. Agier fit, dans le Drapeau blane, mi article sur l'ode, et cita le mot de M. de Chateaubriand. Cette parole fat répétée partout, et Victor entra dans la vraie célébrité ^ Le Drapeau blanc ne contient point l'article dont parle le Témoin. M. Agier, qui ne faisait pas partie, en 1820, de la Chambre des députés, où il ne fut envoyé qu'en 1824 par les électeurs du département des Deux-Sèvres, publia bien quelques lignes sur l'ode de Victor Hugo, mais elles parurent dans le Conser- vateur ; les voici in extenso Une affreuse catastrophe, dont tous les cœurs français ne se remettront de longtemps, est venue, soudainement autant que violemment, arracher des mains de M. Victor Hugo le fouet de la satire et demander à sa lyre de douloureux sons. Ceux qu'elle a rendus vont jusqu'à l'âme et la déchirent de nouveau. L'ode sur la mort de Mgr le duc de Berri rend en beaux vers, à chacun, l'expression du sentiment qu'il éprouve. C'est 1 Yictor Hugo raconté par un témoin de sa vie, t. U, p. 5. , 13. ^20 VICTOR HUGO AVANT 1830 bien rinspiration du désespoir commun, de l'indignation géné- rale ; c'est bien l'enthousiasme de la douleur *. De Venfant sublime^ on le voit, il n'est fait aucune mention, et le Témoin de sa vie se trompe, comme s'était trompé Sainte-Beuve. Mais si le mot n'a pas été écrit, peut-être a-t-il été prononcé ? Pas davantage ; et à cet égard je puis invoquer un témoignage formel, celui d'un habitué du salon de M™^ Récamier, M. de Loménie J'ai entendu de mes propres oreilles, dit-il au tome V"^ de la Galerie des Contemporains illustres, j'ai entendu M. de Chateaubriand lui-même déclarer positivement que, de sa vie, il n'imagina cet heureux accouplement du substantif enfant et de l'adjectif sublime. C'était quelques jours avant la réception de M. Hugo à l'Académie. M. de Salvandy, chargé de répondre au récipiendaire et assez peu hugolâtre, comme chacun sait, se lamentait en présence de M. de Chateaubriand sur la difficulté de sa tâche Après tout, ajouta-t-il en s'adressant au grand écrivain, je me tirerai toujours bien d'affaire en brodant votre fameux mot. — Allons, vous aussi ! s'écria vivement M. de Chateaubriand ; mais sachez donc, une fois pour toutes, que je n'ai jamais dit cette... j'atténue l'expression ,p/aisa/z^me. — Gomment, répliqua M. de Salvandy, Venfant su- blime n'est pas de vous ? — Eh ! non, vraiment ! — Pas possible ! Ah ! ma foi, tant pis, le mot est con- sacré, il fait bien et je m'en servirai tout de même. » 1 Le Conservateur, t. VI, p. 468. VICTOR HUGO AVANT 1830 227 Et en effet, le spirituel académicien n'a pas manqué d'orner son discours du mot consacre ; seulement, par un scrupule de conscience dont l'histoire doit lui tenir compte, il a laissé en blanc le nom de l'auteur*.» Eh bien ! j'en suis fâché ; le mot ne laissait point d'être d'une justesse rare sublime^ M. Hugo l'a été quelquefois ; e/?//i^^ ill'est toujours. Ne se montre-t-il pas, dans ses derniers livres, léger, oublieux, ingrat, brisant ses hochets de la veille, battant le sein qui l'a nourri, prodigue, envers cette Restauration qui l'a élevé, de ces gamineries ^ et aussi, il faut bien le dire, de ces méchancetés souvent cruelles, qui ont fait dire à La Fontaine Cet âge est sans pitié ? II Tout en se parant du mot de Chateaubriand, au- quel il a consacré tout un chapitre de son autobio- graphie ^, M. Victor Hugo croit devoir nous apprendre que, s'il est allé plusieurs fois, en 1820, chez le grand écrivain royaliste, c'a été uniquement pour obéir aux ordres de sa mère. Sans elle, sans son 1 M. de Salvandy tourna fort habilement la difficulté. Nous vous avons vu, dit-il, homme de lettres avant l'âge dhomme, poursuivre et obtenir à quinze ans des palmes dans cette enceinte ; composer coup sur coup, i cet âge où Voltaire ne méditait pas encore Œdipe, vos premiers poèmes qui vous valurent ce nom d'enfant sublime où le mot d'enfant était de trop. » Académie française, séance du 3 juin 1841. 2 Voy. dans les Misérables, le chapitre intitulé V Année / à l'unanimité. 3 Le Conservateur littéraire, t. III, p. 363. 4 Lettres champenoises, t. VII^ p. 188. VICTOR HUGO AVANT 1830 241 La séance du 13 mars, ouverte par M. Raoul Ro- chette, qui présenta des Considérations su?' les jwinci- pales époques de rhistoh^e moderne, se termina par la lecture de l'une des plus belles odes de Victor Hugo, celle qui a pour titre Vision \ Le 10 décembre 1822, Victor Hugo souleva des transports d'enthousiasme en lisant son ode sur Louis XVII. Au début de cette séance, qui inaugurait la seconde année de la Société des Bonnes-Lettres, l'académicien Roger avait prononcé un discours qui se terminait par cet appel aux poètes royalistes Venez, enfants des muses royalistes, ajouter à l'éclat de nos séances par les heureux tributs de votre veine poétique. Préparons, messieurs, de nouvelles couronnes à ces jeunes fronts déjà ceints des lauriers académiques ou des palmes du théâtre! Je vois d'ici, et le peintre noble et touchant de Saint Louis 2, et le pathétique auteur des Machabées 3, et le poète ^ qui, dans un même jour, ravissait nos âmes par des accents dignes du roi-prophète et nous faisait retrouver des pleurs pour ces lamentables Atrides, dont les malheurs semblaient avoir épuisé les ressources du génie, de l'intérêt et de la terreur ! Je vois enfm, ou plutôt, messieurs, vous allez entendre tout à l'heure ce jeune lyrique, dont les premiers accords respirent une si heureuse audace, et qui a peint la chute des plus célèbres tyrans du monde en traits aussi profonds, aussi ter- ribles que la catastrophe elle-même. 1 Odes et Ballades, liv. I, ode x. 2 Ancelot. 3 Alexandre Guiraud. 4 Alexandre Soumet, auteur des tragédies de Clytemnestre et de Saiil, représentées à deux jours de distance, sur le Théâtre-Français et sur le théâtre de l'Odéon, les 7 et 9 novembre 1822. 14 M"! VICTOR JlUGO AVANT 1830 Quelle génération de poètes s'élève autour de votre berceau, comme pour attendre les jours de votre gloire, jeune prince, vous, l'enfant de la douleur, mais qui êtes aussi l'enfant de l'espérance ! vous, à qui un auguste père n'a jamais pu sou- rire, mais que les muses qu'il aima vont servir à leur tour de toute h. puissance de leurs vœux et de leurs voix reconnais- santes ! Dernier rejeton d'une tige adorée, croissez, nouvel Henri, sous l'aile maternelle, sous les regards des rois et des saints, vos aïeux, environné de la protection du ciel et de l'amour de la terre ! Consolez-nous,. .s'il se peut, de nos pertes com- munes ; rendez-nous les vertus et l'image du héros que nous pleurons, et que notre chère France, un jour illustrée par vous, ne cesse jamais d'être la terre de la gloire, du courage et de la fidéhté i. IV Je travaille beaucoup en ce moment, écrivait Victor Hugo à Jules de Rességuier, le 19 avril 1822. Tous ces perfides amis se sont mis dans la tête qu'il fallait que je publiasse un volume d'Odes, et je leur obéis cruellement. Je corrige, et, quand j'ai fini, il n'y a plus à corriger que les corrections. Je ne sais rien d'insipide comme ce genre de travail. » Le volume que Victor Hugo annonçait ainsi à son ami, parut au mois de juin 1822, avec ce titre Odes et Poésies diverses. Sorties des presses de Guiraudet, impriineury rue Saint-Honoré, n"" 315, vis-à-vis S aint-Roch^ les Odes 1 Œuvres diverses de M. Roger, de l'Académie française, publiées par M. Charles Nodier, t. II, p. 337. VICTOR HUGO AVANT 1830 243 et Poésies diverses étaient éditées par Pélicier, libraire, place du Palais-Royal, n" 243. Ce fut également Pélicier, — Victor Hugo l'appelle quelque part un éditeur naïf ^, — qui fît paraître, en cette même année 1822, le premier recueil d'Alfred de Yigny, publié, sans nom d'auteur, sous ce titre Poèmes. Quelle merveilleuse succession de cbefs-d'œuvre en 1819_, les Poésies d'André Ghénier ; en 1820, les Méditations de Lamartine ^ ; en 1822, les Poèmes d'Alfred de Vigny et les Odes de Victor Hugo ! Une courte préface ouvrait le livre. Il y a, disait Victor Hugo, deux intentions dans la publi- cation de ce livre, l'intention politique et l'intention littéraire ; mais, dans la pensée de l'auteur, la première est la consé- quence de la dernière, car Vhistoire des horrimes ne iwésente de poésie que jugée du haut des idées monarchiques et des croyances religieuses. On pourra voir dans l'arrangement de ces odes une division qui, néanmoins, n'est pas méthodiquement tracée. Il a semblé à l'auteur que les émotions d'une âme n'étaient pas moins fécondes pour la poésie que les révolutions d'un empire. * Le libraire Pélicier publiait une édition de Voltaire sous ce titre Œuvres de Voltaire, de l'Académie française. Cela fait venir les acheteurs,» disait cet éditeur naïf. » {Les Misérables, I'» partie, liv. III, chap. i. 2 Les Méditations poétiques, éditées par un brave homme dont la postérité devra retenir le modeste nom, le libraire NicoUe, firent leur apparition dans les premiers jours du mois de mars 1820, sans nom d'auteur. Voy. Journal de la librairie, année 1820, n» 882 ; Quérard, France littéraire, t. IV, p. 479; Correspondance de Lamartine, t. II. C'est donc par erreur que Sainte- Beuve parle, en plusieurs endroiis et notamment dans ses Nouveaux lundis, t. XIII, p. 189, de cette mémorable année 1819, où Lamartine se révélait par ses premières Méditations. » Comme les Méditations de Lamartine et comme les Poèmes d'Alfred de Vigny, un autre chef-d'œuvre de la poésie au dix-neuvième siècle, Marie, de Brizeux, a été publié également sans nom d'auteur. 244 AICTOR HUGO AVANT 1830 Au reste, le domaine de la poésie est illimité. Sous le monde réel, il existe un monde idéal qui se montre resplen- dissant à l'œil de ceux que des méditations graves ont accou- tumés à voir dans les choses plus que les choses. Les beaux ouvrages de poésie en tout genre, soit en vers, soit en prose, qui ont honoré ce siècle, ont révélé cette vérité, à peine soupçonnée auparavant, que la iwésie n'est pas dans la forme des idées, mais dans les idées elles-mêmes. La poésie, c'est tout ce qu'il y a d'intime dans tout. Dans ces quelques lignes, il y a beaucoup de choses et peu de mots depuis, Victor Hugo a changé tout cela. Ses dernières œuvres pourraient avoir pour épigraphe ce passage d'Hamlet Des mots ! des mots ! des mots ! Les Odes étaient au nombre de vingt-quatre. Comme elles ont été, dans l'édition définitive de 1828, mêlées et confondues avec celles du second volume, publié en 1824, et celles du troisième, publié en 1826, nous croyons utile, pour que le lecteur puisse suivre la marche des idées et du talent de l'auteur, relever les dates de sa pensée et apprécier les modifications de sa manière à trois âges différents, de donner ici la liste des pièces que renfermait le volume de 1822. Nous les avons classées dans l'ordre même de leur composition. Année 1818 les Vierges de Verdun. Année 1819 le. Rétablissement de la statue de Henri IV ; la Vendée. Année 1820 Moïse sur le Nil ; la mort du duc de Berri ; le Génie ; la Naissance du duc de Bordeaux. Année 1821 la fille d'0-Taïti; le Regret; Quiberon ; VICTOR HUGO AYxVNT 1830 245 le Poète dans les Révolutions ; le Baptême du duc de Bordeaux; Vision; Au vallon de Chérizy ; le Dévoue- ment; A toi. Année 1822 V Homme- heureux ; Buonaparte ; la Chauve-Souris ; le Nuage ; le Cauchemar ; le Matin ; la Lyre et la Harpe; A V Académie des Jeux-Floraux. On a vu, tout à l'heure, clans la lettre du poète à son ami Jules de Rességuier, qu'il avait revu avec le plus grand soin chacune de ces pièces. Il devait les corriger encore dans les éditions suivantes, et dans la préface de l'édition définitive des Odes août 1828, il a dit Quelque puérile que paraisse à l'auteur l'ha- bitude de faire des corrections érigée en système, il est très loin d'avoir fui, ce qui serait aussi un système non moins fàcheuX;, les corrections qui lui ont paru importantes... Ainsi, bon nombre de vers se sont trouvés refaits, bon nombre de strophes remaniées, remplacées ou ajoutées. » Ces vers refaits », ces strophes remaniées », nous nous attendions à les retrouver, à titre de va- riantes, dans l'édition nouvelle des Œuvres complètes, faite diaprés les inanuscrits originaux. Il n'en est rien. Une Note, placée à la fin du premier volume, nous apprend que les éditeurs de 1880 n'ont pas jugé qu'il fût intéressant de reproduire ces variantes ». Il y aurait eu là cependant, pour tous ceux qui aiment les vers, un curieux sujet de comparaison et d'étude. Il n'est rien de tel que ces retouches successives pour faire pénétrer le lecteur dans les secrets mêmes du travail du poète. 14. 246 VICTOR nuGO avant 1830 Voici, par^exemple, une strophe remaniée ». Dans le texte, publié au mois de juin 1820 par le Conser- vateur littéraire, de l'ode sur le Génie, dédiée à M. le vicomte de Chateaubynand, la strophe dixième se lisait ainsi A l'ombre de la pyramide, Tente immobile de la mort, Le camp voyageur du Numide T'accueillit, errant sur ce bord. Tu vis encor le mont auguste Où, maudit par son peuple injuste. Mourut le Sauveur des humains ; Sur le tombeau qui nous rachète, La muse sainte du prophète T'enseigna ses secrets divins, Victor Hugo, dans son recueil de 1822, fit subir aux quatre premiers vers la modification suivante Le camp voyageur du Numide T'accueihit, errant sur ce bord, Où s'élève la pyramide. Tente immobile de la mort. Dans l'édition de 1828, l'auteur n'a conservé de son premier texte qu'un seul vers Mais si la Grèce est sans prestiges, Tu savais des lieux solennels Où sont de plus sacrés vestiges, Des monuments plus éternels, Une tombe pleine de vie. Et Jérusalem asservie VICTOR HUGO AVANT 1830 447 Qu'un pacha foule sans remord, Et le Bédouin, fils du Numide, Et Carthage, et la Pyramide, Tente immobile de la mort ! Strophes ajoutées. » — Une strophe entière a été ajoutée, dans l'édition de 1828, à l'ode qui a pour titre r Homme heureux. C'est la strophe septième. Je m'ennuie au Forum, je m'ennuie aux Arènes, Je demande à tous Que fait-on ? Je fais jeter par jour un esclave aux murènes, Et je m'amuse à peine à ce jeu de Caton. Yers refaits. » — Leur nombre est considérable ; si nous en reproduisions, même une faible partie, il faudrait indiquer le vers primitif, en regard de celui qui a prévalu; un pareil travail, on le comprend, ne serait point ici à sa place. Nous nous bornerons à un seul exemple. Dans le Cauchemar^ édition de 1822, on lisait ce vers Tantôt dans une eau morte il traîne son corps bleu. Ce corps hleuy qui dut faire frissonner d'aise Eug ène Delacroix alors à ses débuts, — la Barque de Dante est contemporaine de la première édition des Odes % — provoqua chez tous les tenants de la littérature impériale un rire inextinguible. M. Hoffman, le spi- rituel critique du Journal des Débats , s'écriait Gorbleu î ce n'est pas là du classique 1 » Yictor Hugo 1 SaloH de 1822, par A. Thiers. Paris, 1822. 248 VICTOR HUGO AVANT 1830 eut la faiblesse de rougir de son vers, et il le remplaça par celui-ci Tantôt d'une eau dormante il lève son front bleu. Le volume des Odes et poésies diverses se terminait par trois pièces^ dont la publication justifiait la se- conde partie du titre Raymond d'Ascoli, élégie, les Deux âges, \^y\\Q ; les Derniers bardes, poème. En- voyées par l'auteur au concours des Jeux-Floraux, en 1819 et 1820, elles n'avaient point été couronnées ; l'Académie leur avait accordé une simple men- tion *. Si la première de ces pièces, l'élégie, n'offre rien de très remarquable au point de vue littéraire, elle a en revanche une réelle valeur comme pièce auto- biographique. En voici le sujet Raymond d'Ascoli, jeune poète, disciple de Pétrarque, est amoureux d'Emma-Giovanna Stravaggi. Son père, ayant découvert cette passion par des mots entrecoupés qu'il lui a entendu proférer dans son sommeil, le chasse de sa présence. Raymond, désespéré, écrit à sa maîtresse une lettre, — en vers, naturellement, — dans laquelle il donne un libre cours à son désespoir. Mais sous ce sujet apparent il y en avait un autre plus intime et plus vivant ; derrière cette fiction, il y avait une réalité. La passion de Victor pour la jeune fille qu'il aimait, a dit Sainte-Beuve qui avait 4 Voy. oi-dcsïus, chapitre IV, pp. 123 et 130. VICTOR nUGO AVANT 1830 249 reçu les confidences du poète lui-môme, avait fini par devenir trop claire aux deux familles, qui, ré- pugnant à unir un couple de cet âge et sans fortune, s'entendirent pour ne plus se voir momentanément. Il a consacré cette douleur de l'absence, dans une pièce intitulée Prernler soupir * ; une tristesse douce etfière y est empreinte. Mais ce qu'il n'a pas dit et ce que je n'ai le droit ici que d'indiquer, c'est la fièvre de son cœur durant ces années continentes et fécondes, ce sont les ruses, les plans, les intelligences de cet amour merveilleux, qui est tout un roman ^. » L'élégie de Raymond cFAscoli fut l'une de ces ruses. La lettre de Baymond à, Emma n'est pas autre chose qu'un message d'amour adressé par le poète à celle qu'il aimait depuis l'âge de neuf ans, — l'âge auquel Dante était tombé amoureux de Béatrice Portinari. A ce titre, il n'est pas sans intérêt de relire aujour- d'hui ces vers où, sous une forme imparfaite^ éclate une passion ardente et sincère. Victor Hugo est si vivement ému, il écrit si bien avec son cœur et son cœur seul que, pour la première et la dernière fois de sa vie, il oublie de rimer richement ! Cette élégie a paru d'abord dans le Conservateur littéraire , en 1820. Lorsqu'il l'a réimprimée, en 1822, dans les Odes et poésies diverses, l'auteur lui a fait subir de nombreux retranchements. Il a supprimé notamment tout un passage;, dans lequel étaient retracées ses promenades solitaires sous les arbres de l'hôtel Tou- 1 Odes et ballades, liv. V, ode i. 2 Portraits contemporains, t. I, p. 309, 250 VICTOR nuGO avant 1830 louse *, et aussi ces heureuses soirées où M^'" Hugo, ]^jme Foucher et sa fille travaillaient à l'aiguille autour d'un guéridon, tandis que Victor Foucher, son frère Eugène et lui, formaient le cercle Hier... te souvient-il, fille aimable et modeste, De cet hier, déjà si loin de moi ?... Le soir, aidant ton père en sa marche pesante, Auprès de toi je suis entré Dessins, tissus, travaux de ta main diligente, J'ai tout vu, j'ai tout admiré, J'ai cultivé les fleurs que mon Emma cultive ; Ton frère, encore enfant, jouait sur mes genoux 2... Le frère encore enfant, c'était Paul Foucher. De tous ceux qui s'asseyaient alors, le soir, autour de la table de travail, Victor Hugo reste seul au- jourd'hui Toutes ces choses sont passées Comme Fonde et comme le vent ! Les Deux âges, idylle antique, dans le goût d'André Ghénier, sont une pièce agréable, mais où l'on cher- cherait en vain les qualités principales du genre, la légèreté, la grâce naïve et simple. Le spiritus Graiae tenuis camœnœ faisait défaut dès lors à Victor Hugo. 1 L'hôtel Toulouse, où siégeaient alors les conseils de guerre, était situé au n» 39 de la rue du Cherche-Midi. M. Foucher, chef de bureau au minis- tère de la guerre, après avoir été longtemps greffier des conseils de guerre, avait conservé à l'hôtel Toulouse l'appartement qu'il y avait occupé en qualité de greffier, et qu'il partageait avec son beau-frère, M. Asseline, à qui il avait cédé son greffe. 2 Consercateur littéraire, t. Il, p. 200, VICTOR UUGO AVANT 1830 251 Il y a dans son génie quelque chose de la puissance, mais aussi de la dureté du génie romain; il n'a pas la fraîcheur et la fleur du génie grec on ne reconnaît jamais chez lui le parfum exquis de l'Hymette. Les Derniers bardes nous transportent bien loin du ciel bleu de la Grèce, dans les brouillards de l'Ecosse. L'auteur a fait précéder son poème de cet argument, destiné à éclairer les obscurités du sujet qu'il avait choisi Edouard, roi d'Angleterre, ne put pénétrer en Ecosse qu'a près avoir taillé en pièces les guerriers calédoniens. Les bardes, alors, se réunirent sur des rochers que l'auteur sup- pose être ceux de Trenmor, aïeul de Fingal, père des vents, des tourbillons, etc., et là, ils maudirent solennellement l'armée et le roi à leur passage, puis se précipitèrent dans l'abîme où marchaient les bataillons anglais. Victor Hugo attachait sans doute une certaine im- portance à ce poème, puisqu'ill'a publié trois fois, — dans le Conservateur littéraire *, dans les Odes etpoésies diverses^ et enfin au tome 1er ^e Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie *. Des trois versions, qui dif- fèrent considérablement entre elles, la plus complète est celle du Conservateur, qui n'a pas moins de deux cent quatre-vingt-dix-huit vers. Dans les Odes et poésies diverses, la pièce a cent quatre-vingt-seize vers seulement ; elle n'en a plus que cent cinq dans Victor Hugo raconté. Lorsqu'on recueillera ses œuvres de jeunesse, c'est donc la version du Con- 1 T. I, p. 281. a Yictor Hugo raconté, etc., t. I, p. 284 et suiv. 252 VICTOR HUGO AVANT 1830 servateur Httéraire qu'il importera de donner. Chateaubriand, avant d'écrire le Génie du christia- nisme, avait traduit quelques productions ossianiques de John Smith, les poèmes de Dargo, de Duthona et de Gaul. Il leur a donné place dans ses OEuvres complètes *. Pourquoi Victor Hugo ne publierait-il pas, dans les siennes, les Derniers bardes ? Les débris des tours de Morven, frappés des rayons de l'astre de la nuit, ont leur charme ". » Je t'enverrais les Méditations, écrivait Lamartine à son ami Aymon de Yirieu, le 23 mars 1820, si je savais comment et où. Elles ont un succès inouï et universel pour des vers en ce temps-ci. Le roi en a fait des compliments superbes ; tous les plus anti- poètes, MM. de Talleyrand, Mole, Mounier, Pasquier, les lisent, les récitent, enfin on en parle au milieu de ce brouhaha révolutionnaire du moment. Je te dis tout cela pour te tranquilliser et te rendre la justice que tu as été bon prophète ^ ... » Dans cette lettre, Lamartine n'exagérait rien. Le succès soudain qu'obtinrent les 3Iéditations, a dit Sainte-Beuve, fut le plus éclatant du siècle depuis le Génie du chrîs- 1 Œuvres complètes de Chateaubriand, édition Ladvocat, t. XXII. 2 Chateaubriand. 3 Correspondance de Lamartine, t. II, p. 450. VICTOR HUGO AVANT 1830 253 ùanisjne; il n'y eut qu'une voix pour s'écrier et ap- plaudir *. i Le succès des Odes et poésies diverses fut loin d'égaler celui des Méditatioiis. Victor Hugo écrivait à Jules de Rességuier, le 20 juillet 1822 Nos journa- listes n'ont point encore honoré d'un article mon pauvre recueil. Ils attendent, m'a-t-on dit, des visites, des sollicitations, des louanges. Je ne puis croire qu'ils fassent cet affront à moi et à eux-mêmes. » Les journalistes ne tardèrent pas à rompre le silence dont se plaignait le jeune poète, et la plupart ne lui refu- sèrent pas les éloges qui lui étaient dus ; ils n'eurent garde cependant de mettre sur la même ligne l'œuvre de A^ictor Hugo et celle de Lamartine, en quoi, il faut le reconnaître, ils eurent pleinement raison. Les premières Odes, faites de main d'ouvrier, étonnent, surtout lorsqu'on songe à l'âge de l'auteur, elles n'émeuvent pas. Les Méditations, au contraire, aujourd'hui comme il y a 'soixante ans, font battre nos cœurs et mouillent nos yeux de larmes. H y a une âme dans le livre de Lamartine, et l'âme est immortelle. Mais où les journalistes et le public de 1822 ces- saient do voir juste, c'est lorsqu'ils préféraient aux Odes et poésies diverses les Ti^ois Messéniennes que venait de faire paraître Casimir Delavigne le jeune Diacre ou la Grèce chrétienne, Parthénope ou V Etran- gère, Aux ruines de la Grèce païenne. Pour étrange i Portraits contemporains, t. I, p. 20î. 15 234 VICTOR HUGO avant 1830 que nous semble cette préférence accordée aux vers de Delavigne, elle n'en est pas moins incontestable, et j'en trouve la preuve dans une publication du temps, VAiinuaire historique de Lesur, qui, à égale distance des libéraux et des ultras, représentait assez exactement l'opinion de la moyenne des lecteurs. Entre quatre à cinq autres publications en vers, écrivait Lesur, on a remarqué un poème didactique en quatre chants, VArt historique^ d'un anonyme dont les vers sont faciles, pleins de sens, de raison et d'une élégante simplicité, et un recueil à^Odes et poésies diverses, de M. Victor Hugo, d'un style chaud, vigoureux, mais surtout trois nouvelles Messé- niennes de M. Casimir Delavigne ^. Cependant, le livre de Victor Hugo faisait son cbe- min, et l'auteur écrivait, à la fin de juillet 1822 En attendant, le volume se vend bien au delà de mes espérances, et j'espère songer, avant peu, à une seconde édition^. » Dans tous les salons royalistes, on célébrait ses vers et on chauffait son succès. C'est ce que nous apprend Stendhal dans sa Correspoii- dance. V E dinburgh-Revieic, lisons-nous dans une de ses lettres, s'est complètement trompée en faisant de M. de Lamartine le poète du parti ultra. Ce parti, si habilement dirigé par MM. de Yitrolles et Frays- sinous, cherche à adopter toutes les gloires. Il a pro- curé à M. de Lamartine neuf éditions de ses poésies ; * Annuaire historique et universel pour iS23, par Lesur, p. 853. — Cette préférence accordée à Casimir Delavigne sur Victor Hugo subsistait encore à la fin de la Restauration. Voyez, à ce sujet, ce que dit M. de Pont • raartin, au tome I*' de ses Mémoires, p. 106-110. 2 Lettre de Victor Hugo à Jules de Rességuier VICTOR UUGO AVANT 1830 25o mais le véritable poète du parii, c'est M. Hugo. Ce M. Hugo a un talent clans le genre de celui de Young, l'auteur des Niglit Thoughts; il est toujours exagéré à froid ; son parti lui procure un fort grand succès. L'on ne peut nier, au surplus, qu'il ne sache fort bien faire des vers français ; malheureusement il est somni- fère \ » Si l'auteur des Odes et poésies diverses avait eu con- naissance de ce jugement échappé à la plume d'un bonapartiste, il en eût été bien vite consolé par la pensée que son livre avait obtenu le plus auguste des suffrages, celui du roi lui-même. Edouard Mennechet, confrère de Victor Hugo à la Société des Bonnes- Lettres et presque son compatriote, puisqu'il était de Nantes comme la mère du poète, était lecteur duroi^ Il porta les Odes aux Tuileries. Non content de se les faire lire, Louis XVHI les relut et les annota de sa main. H salua au passage, avec un sourire d'approba- tion, les épigraphes que l'auteur avait empruntées à Horace, celle-ci entre autres qu'il rencontrait dès la première page Dictus ob hoc lenire tigres, rabidosque leones* Peut-être ne put-il se défendre de blâmer çà et ià quelques vers trop hardis et d'inscrire en marge de quelques strophes trop audacieuses cette maxime de son auteur favori, qui renfermait la condamnation de tous les ultras, en littérature comme en politique 1 Correspondance inélite de Stendhal., t. I, p. 221. 2 Edouard Menneo6 , VICTOR IILGO AYANT 183U Est modus in rébus, sunt certi denique fines Quûs ultra citraque nequit consistere rectum *. Mais il se dit en même temps, toujours avec Horace, qu'il ne faut pas s'ofïenser de quelques taches là où les beautés abondent ... Ubi plura nitent in carminé, non ego paucis Offendar maculis -... Heureux de l'avènement d'un astre nouveau dans le ciel de la Restauration et de l'éclat fraternel des Méditations et des Odes, de Lamartine et de Victor Hugo, — fratres Helenx lucida sidéra, — entraîné par l'amour des citations, il n'hésita pas à en faire une de plus ; hedera nascentem ornate poetain, et à la traduire ainsi pour l'intendant de sa liste civile A compter de ce jour, vous aurez à payer à M. Tictor Hugo, auteur des Odes et poésies diverses, une pension annuelle de 1000 francs sur ma cassette particulière. » n a plu à M. Victor Hugo de donner une autre ori- gine à la pension qu'il a reçue du roi. Il aime à raconter, et tous ses biographes racontent d'après lui, qu'en 1822, son ancien camarade d'enfance, Edouard Delon, ayant été condamné à mort par contumace pour sa participation à la conspiration de Saumur, il avait écrit à la mère de Delon, femme du lieutenant du roi, à Saint-Denis, lui offrant un asile sûr pour son fils Je suis trop royaliste, madame, lui disciit- 1 Huiace, Satires, I. 2 Horace. Art poétiqup... VICTOR HUGO AVANT 1830 257 il, pour qu'on s'avise de le venir chercher dans ma chambre, » Trois ans plus tard, au printemps de 1825, il eut occasion de voir l'académicien Roger, secrétaire général des postes, qui le plaisanta sur ses relations avec les conspirateurs. Gomme il se récriait, Roger lui rappela sa lettre à M""'' Delon, et lui apprit qu'elle avait été décachetée et mise sous les yeux du roi, qui dit Je connais ce jeune homme ; il se con- duit en ceci avec honneur ; je lui donne la prochaine pension qui vaquera \ » Le mot est d'un homme d'esprit; rien ne s'oppo- serait donc à ce qu'il eût été dit par Louis XYlll, et pour ma part je serais charmé que les choses se fussent ainsi passées. Mais la vérité m'oblige à recon- naître que la pension accordée à l'auteur des Odes ne l'a point été dans les conditions et pour la cause qu'il indique. Louis XYlIl, qui avait donné des mar- ques de sa bienveillance à tous les jeunes poètes dont le talent honorait son règne, à Lamartine, à Soumet, àCîuiraud, à Ancelot, à Casimir Delavigne lui-même -, ne pouvait pas oublier, dans la distribution de ses faveurs, le poète royaliste par excellence, celui qui avait eu des hymnes pour toutes les douleurs, des chants pour toutes les joies de^ la famille des Bourbons ! 11 le pouvait d'autant moins qu'il y avait là, auprès de lui, pour plaider la cause, d'ailleurs gagnée d'avance, de l'auteur des Odes ei poésies dl- 1 Sainte-Beuve, Portraits contemporains. — Barbou, Victor Hinjo et son temps. — Victor ffufjo raconté par un témoin de sa vie, t. II. 2 Voy. le Journal d'un poète, par Alfred de Vigny, p. 201. 258 VICTOR HUGO AVANT 1830 verses, la voiivo du duc de Berri, la mère du duc de Bordeaux. Voici, en effet, ce qu'écrivait M. Victor Hugo, en 1826, à M. le vicomte de la Rochefoucauld, aide de camp du roi, chargé du département des Beaux-Arts Monsieur le vicomte, Par décision du mois de septembre 1822, S. M. Louis XVIII, sur la proposition de M. le marquis de Lauriston, alors mi- nistre de la maison du roi, et sur la recommandation spéciale de S. A. R. Madame^ duchesse de Berri, transmise au ministre par Mme la maréchale, duchesse de Reggio, daigna m'ac- corder une pension de 1000 francs. Le ministre et M. le vicomte de Senonnes, alors secrétaire général de la maison du roi, en me transmettant l'avis de cet honorable bienfait du roi, me donnèrent l'assurance verbale que cette pension, quo plusieurs circonstances n'avaient point permis de créer plus forte, ne serait que provisoire, et qu'ils ne tarderaient pas à en solliciter l'augmentation auprès de Sa Majesté... CHAPITRE VIII Le Mariage du Poète. — M. Viciou Hugo ET Alexandre Soumet. Un voyage sentimental. La cité de — Lettre de faire part et Acte de mariage. — Deux faux témoins. — Le roman d'une confession. L'abbé-duc de Rohan et Mgr Frayssinous. Miie Du- chesnois, M^ie Leverd et M^^^ Sophie Gay. L'abbé Garron et l'abbé de la Mennais. Alphonse de Lamartine et le duc Mathieu de Montmorency. — A ce qui fut Eugène. Une tragédie de Spartanus. — Seconde édition des Odes. — Feuilleton de .M. Victor Hugo sur la tragédie de Saul d'Alexandre Soumet. J'arrive tout poudreux Dans la cité de Dreux, , crivait M. Victor Hugo à son ami Saint-Valry, au mois de juillet 1822, et quittant les vers pour la prose, il continuait ainsi son épîlre, toute pleine de la grâce et de la fraîcheur des jeunes années Mon expédition n'a rien eu d'extraordinaire, sinon qu elle m'a distrait et rendu le sommeil ; elle a encore eu cela de remarquable, qu'à Pontchartrain, le papier de la chambre où j'ai déjeuné représentait un couple villageois se donnant le bras, et qu'ici il représente un couple bourgeois ; ce couple quitte une voiture versée et entre dans une chaumière. Je me suis demandé si une vilaine chaumière qui se tient toujours 260 VICTOR HUGO AVANT 1830 debout ne vaut pas une belle voiture qui verse. — Ma foi, non ! Pour lui, il n'avait point ou à craindre que sa voi- ture versât, car il avait voyagé à pied, le bâton à la main, la bourse assez légère, mais le cœur plein d'il- lusions et de craintes, plein de tristesse et d'espoir. Les parents de M^'*^ Foucher, qui ne pouvaient se dé- cider à unir leur fille à un jeune homme de vingt ans, avaient cru sage de mettre entre le poète et celle qu'il aimait la distance qui sépare Paris de la cité de Dreux. Peine perdue ! précaution inutile ! la distance avait été lestement franchie, et le poète avait retrouvé bien vite la trace adorée. Devant cette preuve nouvelle d'un amour que rien ne lassait, M. et M^e Foucher s'avouèrent vaincus, et la date du mariage fut enfin fixée. L'expédition du jeune poète eut un heu- reux résultat, » dit M. de Saint-Yalry, qui a retracé dans des pages exquises les aimables péripéties de ce voyage senùinental . tor Hugo, dominé sans doute par la puissance de ses souvenirs Massiques, é^rit à tort Carcn. 3 Œuvres posthumes dp La Mennnis. Correspondance, t. I. VICTOR llUdO AVANT I S30 271 vous la lui rapportez, et je me plais à en trouver dans votre lettre l'expression naïve et touchante. Mais entendez aussi que c'est une joie du temps, et fugitive comme lui. Il y a une autre joie dans l'éternité, et c'est celle-là qui doit être l'objet de tous les désirs de votre âme. Que le Ciel cependant, cher ami, répande sur vous et sur celle dont le sort ne sera plus séparé du vôtre, tout ce qu'il y a de plus doux dans les grâces qu'il accorde aux jeunes époux. Qu'il daigne écarter de votre route à travers ce monde ce qui pourrait affliger votre vie et en troubler l'aimable paix. Voilà les vœux que forme pour vous le plus sincère et le plus tendre de vos amis. Dans une autre lettre, écrite également de la Chênaie et datée du 9 juin 1822, LaMennais remercie Yictor Hugo de l'envoi de ses Odes et poésies diverses J'ai le recueil de vos poésies, mon cher Victor, et je vous remercie du plaisir que vous m'avez procuré. Les beaux vers ressemblent à la lumière du Midi, qui colore davantage les objets et répand sur eux des teintes plus variées et plus harmonieuses. Et la lettre, très longue et très belle, se termine par ces mots Ce qui me peine le plus, c'est d'être si longtemps séparé de mes amis. 11 faut que je me redise de temps en temps que Dieu le veut, et il est vrai que ce mot répond à tout et console de tout. Prie', pour moi, mon cher Victor. Je ne vous oublie point à l'autel, et votre souvenir est partout un des plus doux de mon cœur. Votre ami, F. M*. i Voir cette lettre et la préoéilonte. tome II de Victor Huçjn raconté, etc.. p. 5 8 et suivantes, 272 VICTOR HUGO AVANT 1830 Au mois d'octobre 1822, La Mennais et Victor Hugo étaient donc , depuis longtemps déjà , liés d'une étroite amitié, et sur ce point comme sur tous les autres, le récit du poète est en contradiction formelle avec les faits et les documents les plus authentiques. Celte démonstration faite, nous nous garderons bien de rechercher quels motifs ont pu conduire M. Victor Hugo à bâtir ainsi tout un roman autour d'un fait aussi simple et aussi naturel que sa confes- sion, à une époque oi^i il était sincèrement religieux. Serait-ce donc qu'il en rougirait aujourd'hui ? Lamar- tine s'est confessé lui aussi. Voici en quels termes nobles et touchants, dans une lettre écrite de Florence le 6 avril 1826, il en donnait la nouvelle à sa mère La mort angélique de ce brave et saint duc de Alontmorency me fait un vrai chagrin. C'était un homme unique, accompli, et non remplaçable pour tout ce qui l'a connu. Outre cela, c'est une perte de cœur pour moi. On me mande de Paris que les dernières lignes qu'il ait tracées de sa main étaient une lettre commencée pour moi. Je l'aimais beaucoup, et il m'aimait sincèrement aussi. Tout s'en va successivement ainsi, bon et mauvais ; tout nous montre le chemin et le monde se renouvelle. Heureux ceux qui suivent les traces des Montmorency dans ce monde et surtout dans l'autre ! J'es- père être du nombre, car je fais mes pâques demain. Je sais que c'est une bonne nouvelle à vous donner *. 1 Correspondance de Lamart ne, t. III, p. 308. A'ICTOR HUGO AVANT 1830 273 III La veillo de son mariage, à son ami Saint-Yalry, celui qu'il appelait le doux confident de ses jeunes mys- tères et qui était en ce moment retenu loin de Paris^ M. Yiclor Hugo écrivait a Félicitez-moi, aimez-moi et hâtez-vous de revenir ici voir le rare visage d'un homme pleinement heureux. » 0 poêle ! oubliez- vous donc que nul ne peut jamais, sans imprudence, se diïvQ pleinement heureux, et ne vous souvient-il plus de ce beau vers de VOdyssée Le chemin de la nuit est près du chemin du jour? » Une grande douleur allait atteindre M. Victor Hugo en pleine félicité. Au dîner de noces, son frère Eugène prononça des paroles incohérentes qui frappèrent ses voisins de table. Lorsqu'on entra chez lui le lende- main matin, on le trouva poussant des cris forcenés et s'escrimant à grands coups de sabre contre les meubles de la chambre, illuminée comme pour une fête. Il était fou. Le comte Gaspard de Pons, très lié à cette époque avec les frères Hugo, a, dans une pièce de ses Adieux poétiques, intitulée /a Démence, soulevé une partie du voile qui recouvre cet épisode. J'en citerai seulement quelques vers. S'adressant A ce qui fut Eugène, le poète lui dit Peut-être, dédaigné par l'Amour et la Muse, Un désespoir jaloux s'alluma dans ton cœur Tu haïs malgré toi ton rival, ton vainqueur... 274 VICTOR HUGO AVANT 1830 La mort d9 la pensée au plus affreux dsstin A seule, hélas ! pu te soustraire Tu cessas b eu à temps d'être toi, d'être frère, Le pre nier frère fut Caïn. Oui, certe, et dans ce mot ne vois pas un outrage ; L'outrage sarait lâche autant que solennel. Ton coeur fut assez chaud pour qu'un moment d'orage En toi pût allumer un foudre criminel *... Et dans une des notes de sa pièce, Gaspard de Pons ajoutait Cet Eugène, qui est mort enfin, après avoir survécu quatorze ou quinze ans à son âme, à son intelligence, cet Eugène dont j'ai voulu recueillir la gloire avortée avait ébauché une tragédie de Spartacus, tragédie très romantique alors, qui serait trouvée trop classique aujourd'hui. Dans la scène d'exposition, un édile faisait l'appel des gladia- teurs inscrits pour les prochains jeux du cirqu?, et les accouplait chacun avec Thomme ou la bête féroce contre laquelle il devait combattre. On appelait ainsi, au milieu da noms l'Ours le Dévorateur ! Spartacus ! et voilà de quelle manière le héros esclave était annoncé. Je ne sais si c'esl du romantique ou du classique, mais c'est du assurément. » — Eugène Hugo est mort dans la maison de Saint-Maurice, à Gharenton, le 5 mars 1837 ^. Oh ! ne regrette rien sur la haute colline Où tu t'es endormi ^ ! ^ Adieicx poéti'jues, par le comte Gaspard de Pons. t. Il, p. 324. 3 Moniteur du 6 mars 18-37. 3 A Eugène, V»» H. Les Voix intérieures, xxix. VICTOR HUGO AVANT 1830 27o Après son mariage, Yictor Hugo quitta sa mansarde de la rue du Dragon et vint loger avec son beau-père à Thôlel Toulouse. Les ressources du jeune ménage étaient très étroites, et le poète se remit sur-le-champ au travail avec cette ardeur qui ne devaitjamais l'abandonner. Il composa, à quelques jours d'intervalle, doux odes nouvelles, Jéhovah et Louis XVII. L'ode sur Jéhovah renferme de très beaux vers ; l'auteur y reste cependant très loin de Lamartine dans sa méditation sur Dieu, dédiée à l'abbé de la Mennais *, et surtout dans cet admirable poème lyrique que le chantre des Harmonies poétiques et religieuses a intitulé Jéhovah ou l'Idée de Dieu, — le Chêne, suite de Jéhovah, — VHumayiité, suite de Jéhovah, — Vidée de Dieu, suite de Jéhovah ^. L'ode sur Louis XVII, lue à la Société des Bonnes- Lettres ^, reçut la publicité du Moniteur, qui la donna en entier dans son numéro du 13 décembre 1822. La première édition des Odes, tirée à quinze cents exemplaires, s'était écoulée en quatre mois. La se- conde édition parut dans les derniers jours de 1822, chez Persan, un marquis ruiné, qui s'était fait libraire. Elle ne portait plus pour titre, comme la pre- mière, Odes et poésies diverses, mais simplement Odes. L'auteur avait supprimé avec raison l'élég'e, le poème et l'idylle, qui altéraient l'unité de son recueil. ^ Premià^es Mélitations, '-i I/armoniei poétiques et relujieuses, li^. If. S Voyez ci-dessus chap. VII. page 241. 276 VICTOR HUGO AVANT 1830 En tête de cette édition nouvelle, il avait mis une nouvelle préface, contenant quelques observations sur le but qu'il s'était proposé en écrivant ses odes. L'ode française, disait-il, généralement accusée de froideur et de monotonie, paraissait peu propre à retracer ce que les trente dernières années de notre histoire présentent de tou- chant et de terrible, de sombre et d'éclatant, de monstrueux et de merveiUeux. L'auteur de ce recueil, en réflécliissant sur cet obstacle, a cru découvrir que cette froideur n'était point dans l'essence de l'ode, mais seulement dans la forme que lui ont jusqu'ici donnée les poètes lyriques. Il lui a semblé que la cause de cette monotonie était dans l'abus des apostrophes, des exclamations, des prosopopées et autres figures véhé- mentes que l'on prodiguait dans l'ode ; moyens de chaleur qui glacent lorsqu'ils sont multipliés, et étourdissent au lieu d'émouvoir. Yictor Hugo était dans le vrai en reprochant aux poètes lyriques, qui l'avaient précédé, l'abus des apos- trophes, des exclamations et des prosopopées. Mais lui-même avait-il évité l'écueil qu'il signalait ? N'avait- il pas prodigué, lui aussi, ces figures de rhétorique qu'il condamnait avec raison chez Malherbe, chez Rousseau et chez Lebrun-Pindarc ? Dans l'ode célèbre de Jean-Baptiste \ M. le comte du Luc, qui n'a pas moins de trente-quatre strophes et de deux cent quatre vers, il n'y a qu'une seule apostrophe Puissantes déités, qui peuplez cette rive... Dans les premières odes de Yictor Hugo, au con- traire, et en particulier dans les Vierges de Verdun, la Vendée, le Rétablissement de la statue de Henri IV, VICTOR ULGO AVANT 1830 ^77 /c Génie, la Mort du duc de Bei'rl, la Naissance du duc de Bordeaux, le Baptême du duc de Bordeaux, les apostrophes abondent. Dans la Naissance du duc de Bordeaux, j'en ai relevé près de vingt, et l'ode n"a que seize strophes Savez-voLis, voyageur, pourquoi, dissipant l'ombre, D'innombrables clartés brillent dans la nnit sombre?... Ce bruit, si cher à ton oreille, N'a-t-il donc rien qui te réveille, 0 toi qui dors à Saint-Denis?... Lève-toi 1 Henri doit te plaire Au sein du berceau populaire ; Accours ! o père triomphant ! Enivre sa lèvre trompée, Et viens voir si ta grande épée Pèse aux mains du royal enfant... 0 toi, de ma pitié profonde Reçois l'hommage solennel, riumble objet des regards du monde, Privé du regard paternel !... Oui, souris, orphelin, aux larmes de ta mère ! Ecarte, en te jouant, ce crêpe funéraire... Sois aux sombres soucis qui nous rongent encore Ce qu'est le flambeau de l'aurore Aux vapeurs dont la nuit couvre son char de deuiJ ^. Guerriers, peuple, chantez Bordeaux lève ta tête... 1 L'auteur, dans les éditions suivantes, a ainsi refait ces trois vers Chasse le noir passé qui nous attriste encore ; Sois à nos yeux comme une aurore ! Rends le jour et la joie à notre ciel en deuil ! 16 278 VICTOR HUGO AVANT 1880 Et toi, que le martyr aux combats eût guidée, Sors de ta douleur, ô Vendée !... Dis, qu irais-tu chercher au lieu qui te vit naître, Princesse ?... Courage ! ô vous, vainqueurs sublimes, Tandis que vous marchez aux crimes, La terre tremble sous vos pas !... Reste au sein des Français, ù fille de Sicile 1 Ne fuis pas, pour des bords d'où le bonheur s'exile. Une terre où le lis se relève immortel. Les exclamations ne sont pas plus rares que les apostrophes dans le premier recueil de M. Victor Hugo Quoi ! mes chants sont-ils téméraires ?... Quoi! ce trait glorieux, qui t ahit leur belle âme. Sera donc leur arrêt de mort ! Quoi ! disaient les captifs, déjà Ton nous délivre !... Quoi ! de ma longue vie ai-je achevé le reste !... Eh quoi ! sont-ils donc loin, ces jours de notre histoira ?... Le poète, du moins, s'est-il abstenu de la proso- popée ? Aucunement. Dans l'ode sur la Vendée, il évoque un vieux prêtre martyr On dit qu'en ce moment, dans un divin délire, Un vieux prêtre parut parmi ces fiers soldats ;... et il met dans sa bouche un discours qui n'a pas moins de soixante-dix vers. ^ Ni cette prosopopée, d'ailleurs, ni l'abus des apos- trophes el des exclamations ne nuisirent au succès de la seconde édition des Odes, et le roi Louis XVIH VICTOR HUGO AVANT 1830 1279 tint à honneur d'en donner lui-même le signal. On lit dans le Journal des Débats du 18 décemi re 1822 Sa Majesté vient de faire souscrire, par S. Exe. le Ministre de sa maison, aux Odes de M. Victor Hugo, pour un nombre de vingt-cinq exemplaires destinés à ses iDibliothèques parti- culières. IV Dans celle édition, comme dans la précédente, le volume s'ouvrait par une dédicace à M. Alexandre Soumet, placée en tête de l'ode I^^, le Poète dans les révolutions. Victor Hugo était, à cette époque, le plus fervent admirateur de l'auteur de Saûl, et il venait de répondre, dans le Moniteur du 26 novembre 1822, aux critiques dirigées contre cette tragédie. Ce feuilleton dramatique de l'auteur d'Hernani m'a paru msriter, à plus d'un titre, d'être tiré de l'oubli et mis sous les yeux du lecteur Au rédarfcur du Moniteur. Monsieur, Dans un moment où l'attention publique est si vivement excitée par le triomphe, sans exemple, de M. Alexandre Soumet, me permettrez-vous de vous entretenir de celle de ses deux belles tragédies, qui a été le plus diversement jugée, de cette pièce de SaUl, sur laquelle vous avez publié un article plein de sagesse et de mesure. Cette -lettre sera principale- ment consacrée à relever une erreur grave et étrange dans laquelle sont tombés, ce me semble, presque tous les critiques qui ont rendu compte de ce grand ouvrage, erreur que vous 280 VICTOR HUGO AVANT 1830 avez déjà signalée en partie, et que je vais essayer de combattre entièrement. Je garderai ici le silence du mépris sur toutes les attaques malveillantes qu'ont prodiguées à M. Soumet les grands et petits journaux d'une faction qui est antipoétique, parce quelle est antireligieuse et antisociale. C'est aux hommes de bonne foi et de conscience que je m'adresse avec conscience et bonne foi, sans consulter d'autre intérêt que celui des lettres et de la vérité, et bien moins dans l'intention d'éclairer que dans l'espérance d'être éclairé. Frappé de la nouveauté et de la grandeur de ce drame do Saill, j'en ai longtemps médité, autant qu'il est en moi, toutes les parties, et j'avoue que je ne puis me ranger de l'avis de la, plupart des critiques qui se sont accordés, en admirant la beauté constamment irréprochable du style de M. Soumet, à dire que la conception et la conduite de son ouvrage en étaient le côté faible. Certes, nul n'est plus disposé que moi à rendre justice à la poésie de Saiil, à ce style qui s'empreint de toutes les nuances de la pensée conmie de toutes les couleurs de la Bible ; qui se plie aux blasphèmes infernaux de la Pythonisse et de Saùl comme aux angéliques prières de David et de Michol ; en un mot, qui semble magique parce qu'il est vrai. Mais je ne crains pas d'avancer que c'est surtout par la con- ception et la conduite que le drame de M. A. Soumet me semble digne d'être hautement et profondément étudié. VA d'abord, .Monsieur, c'est à mon sens une nécessité de toute production de l'esprit humain, depuis la chanson jusqu'à l'épopée, que de reposer sur une idée mère primitive, unique, comme un édifice sur sa base. Que si l'ouvrage est destiné à raconter un fait, il faut, pour qu'il y ait unité dans la compo- sition, que le développement de la pensée fondamentale s'ap- puie dans toutes ses parties sur le développement du fait. Je n'ai point la prétention de donner ceci comme une règle, c'est simplement le résultat d'une étude sévère de tout ce qu'il y a de vraiment beau dans les œuvres de l'espèce humaine. Je sais que bien des ouvrages admirés sur parole ne résistent pas à l'application de cette loi intime que découvrent et que suivent VICTOR HUGO AVANT 1830 281 naturellement tous les vrais génies ; mais cela ne prouve rien, sinon qu'il ne faut pas admirer sur parole, même si l'on peut s'exprimer ainsi sur la parole des siècles. C'est en soumettant cette belle tragédie de Saiil à cette épreuve, que j'ai vu quelle liante idée en avait dominé la conception, que j'ai admiré la hardiesse du poète créateur, qui a su transporter sur notre étroite scène toute l'immense épopée de Milton. L'idée première de ce drame n'est, eu effet, autre chose que ce qu'il y a de plus vaste dans la créa- tion, la lutte perpétuelle du bien et du mal, de Dieu et de Satan. Et remarquez, monsieur, avec quel art la balance dra- matique est établie dans ce combat entre l'être qui peut tout pour le bien et l'être qui ne peut rien que pour le mal. Voyez la toute-puissance divine de l'un représentée par ce qu'il y a de plus faible parmi les hommes, un vieillard et un enfant ; tandis que la faiblesse infernale de l'autre a pour agent tout ce qu'il y a de puissant sur la terre un monarque con- quérant,' une magicienne qui fait pâlir les astres et réveille les morts. Observez encore les deux personnages de Jonathas et de Michol, unis par leur naissance à Saïil, à David par leur vertu, placés comme un lien entre les deux principes opposés, et secondant, souvent à leur insu, l'esprit du mal de tout le pouvoir de leur caractère presque angélique. J'ignore si toutes ces combinaisons dramatiques sont le résultat de longues mé- ditations ou l'effet d'une inspiration soudaine ; mais il me paraît difficile de pousser plus loin le talent, et je ne comprends pas comment on a pu accuser de faiblesse et même de médio- crité une création aussi vaste, une conception aussi sûrement originale. A ces considéralions le jeune critique en ajoutait d'autres, non moins ingénieuses, dans lesquelles il répondait aux attaques dont la marche de l'action avait été l'objet, et il terminait son feuilleton en ces termes 28l> VICTOR HUGO AVANT 1830 J'ignore, Monsieur, si, dans cette analyse beaucoup trop restreinte, je suis parvenu à faire ressortir le haut talent dra- matique que décèle le plan de Sntil. Bien des choses m'ont sans doute échappé ; j'aime mieux que ce les imper- fections que les beautés. On pourra toujours faire à M. Soumet quelques, reproches fondés, soit sur la difficulté de traduire les Livres Saints sur la scène sans les altérer, soit sur le degré de convenance que présente cette sorte de translation. En tout cas, M. Soumet pourra s'appuyer d'exemples respec- tables, et entre autres de celui de Racine. Pour moi, monsieur, si je me suis trompé, j'aime mieux m'être trompé dans la louange que dans le blâme. Je ne crois pas, du reste, m'aventurer, en signalant une grande appari- tion dramatique. Il importe fort peu au public qui lira cette lettre, à la fois trop longue et trop courte, de savoir quel nom insignifiant suivra ces observations bonnes ou mauvaises. S^ je les signe, c'est uniquement pour montrer que je ne recule pas devant mon opinion. Agréez, etc., etc. VlCTOR-M. Huoo. Paris, le 20 novembre 1822. Tant d'enthousiasme pour une tragédie , écho affaibli des tragédies de Racine, ne laissait guère pressentir l'auteur de la préface de Cromicell. Cette lettre, en revanche, témoignait chez Victor Hugo d'un vif attrait pour le théâtre. Peut-être rêvait-il déjà de s'adresser, lui aussi, à un autre public que celui des livres, de lui demander des larmes ou des sourires, des applaudissements et des couronnes ! Prévoyait-il qu'un jour à ces mêmes acteurs qui jouaient dans les pièces de son ami Soumet, il demanderait de tra- duire sur la scène sa pensée et de la rendre visible à VICTOR HUGO AVANT 1830 1283 la foule ? C'est Joanny qui remplissait le rôle de Saûl ; il créera, dans Hernam, le rôle do don Ruy Gomez de Silva, et celui de M. de Sainl-Vallier dans le Roi s'amuse. M"e Georges — qui était à cette époque le Talma du second Théâtre-Français — tenait le râle de la Py honisse d'Endor ; Victor Hugo écrira pour elle Lucrèce Borgia et Marie Tudor. A M'i Anaïs, qui jouait io rôle de Michol, la fille de Saul, il confiera le rôle de Blanche^ la fille de Tri- boulet. Ligier, qui jouait à côté de Talma dans la Clytemnestre de Soumet et qui représentait Pylade, sera plus tard le Triboulet du Roi s amuse et le Fré- déric Barbcrousse des Biirgraves. Mais ne nous éloignons pas de notre année 1822 et revenons, pour quelques instants encore, à l'auteur de Clyteynnestre et de Srxïd, à celui que Victor Hugo appelait alors notre Alexandre». Après avoir rem- porté au théâtre de nombreuses victoires, il consacra les vingt dernières années de sa vie à la composition de deux vastes poèmes, la Divine épopée et Jeanne F Arc. Sans doute le succcs n'a pas répondu à la grandeur de son effort, et, quand on voit que les trente mille vers de ses deux épopées pèsent moins dans la balance de la postérité que ^a. courte élégie de la Pauvre fille, on se demande si lui aussi, au déclin de sa journée, n'a pas pu s'écrier avec l'un des auteurs de V Anthologie Je suis sorti ce matin pour chasser de^ sangliers, et je su,s rentré ne rapportant que des cigales. » Cela est vrai ; serait-il juste jiéan- moins de ne pas lui tenir compte de ses généreuses 284 VICTOR HUGO avant 1830 tcnlalivos? N'est-ce donc rien, à une époque comme la nôtre, alors que la vapeur et l'électricité étendent leurs applications jusqu'à la littérature et que tous, marchands et poètes, ne songent qu'à arriver le plus rapidement possible et répètent à l'envi les uns des autres ce mot, devenu le mot du siècle Le temps est de l'argent, Time is money ; » — n'est-ce donc rien que de s'enfermer pendant vingt ans dans son cabinet de travail et de consumer ses jours et ses nuits dans l'élaboration d'une œuvre unique, sans autre espoir que d'obtenir de son pays un peu d'es- time et peut-être un peu de gloire ? Alexandre Soumet n'a jamais écrit un seul vers qui ne respirât le culte du beau et l'amour du bien il s'est quelquefois perdu dans les nuages, il n'a jamais sali les ailes de sa muse ; il n'a pu soutenir sans éblouissement la vue du soleil, il a essayé du moins de contempler ses rayons, et si, dans sa grande chambre de la rue Saint-Florentin , il avait sur sa table des plumes d'aigle, il avait peut-être le droit de leur dire, après un autre poète plus grand que lui^ mais moins pur V'ous avez erré dans les nues, Vous avez plaaé dans les cieux *. Ce galant homme avait une vertu bien grande chez un poète, — et bien rare 11 aimait tous les beaux vers, a pu dire de lui M. Vitet, ceux des autres aussi bien que les siens. Un grand succès était une fêle * Victor Hugo. Z^'-s- Coiiti'inplations A u poèt^ qui m'enraie vne phone l'aif/le. VICTOR llUiiO AVANT I S.'JO >8o pour lui, quelle que fût la main qui dût cueillir la palme ; il écoutait avec bonheur, il admirait avec attendrissement les œuvres de ses émules ; il faisait plus encore, il aimait ses successeurs ; il exaltait leurs jeunes essais, les animait du regard, de la voix, et à force d'enthousiasme les remplissait de courage et d'espoir ^ » Ainsi avait-il fait avec Victor Hugo, dont il était l'aîné de quatorze ans. Mais bientôt le disciple allait devenir un maître à son tour. Soumet assista au déclin de sa propre renommée, en même temps qu'il était témoin des triomphes éclatants du poète des Feuilles V automne. Plus le nom de Victor Hugo grandissait, plus l'ombre et le silence descen- daient sur le sien Majoresque cadunt altis de montilnis iimlK'ce. Et cependant il ne laissa pas un seul instant la jalousie pénétrer en son âme ; jusqu'à son dernier jour, il resta l'admirateur et l'ami de celui dont la gloire avait effacé la sienne. Au mois de janvier 1811, étant tombé gravement malade à la Rochelle, chez sa fille, M™ d'Altenheym, il n'hésita pas, malgré l'avis formel de son médecin, à faire le voy,ge de Paris pour venir déposer son vote à l'Académie en faveur de l'auteur des Odes et Ballades ^. C'est la * Discours de ri'Cf'ptian à l'Acadibnie française, jjrononcé le 20 mars ISU!. 2 Victor Hugo fut élu le 7 janvier 1841, en remplacement de Népomucène Lemercier, par 17 voix contre lo, accordées ù M. Ancelot. Les 17 voix don- nées à Victor Hugo étaient celles de Soumet, Lamartine, Chateaubriand. Charles Nodier, Royer-Collard, Villemain, Lacretelle, Philippe de Ségur, Pongerville, Mignet, Thiers. Cousin. Lebrun. Dupin. Mole, Salvaudy et... 286 YICTOll HUGO AYANT 1830 seule vengeance qu'il ait tirée du poète qui, après avoir inscrit son nom à la première page de son pre- mier livre, l'en avait retiré. Comment M. Vic'or Hugo n'a-t-il pas compris que c'était pour lui un devoir, au moment où il publiait l'édition définitive de ses oeuvres, de rétablir en tête de ses Odes sa dédicace d'autrefois A M. Alexandre Soumet ? 11 a un autre devoir à remplir vis-à-vis du chantre de la Divine épopée. Il annonce qu'il fera figurer dans ses Œuvres coynplètes le livre intitulé Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie. Lorsqu'il le réimprimera, quil en efface cette page où il fait jouer à Alexandre Soumet, à l'occasion du dîner chez M'i^ Duchesnois, un rôle contre lequel protestent la dignité do son caractère, la pureté de sa viC;, sa p'été, si tolérante et si douce, mais si profonde et si vive. Viennet. — Les 15 voix obtenues par Ancelot élaicut celles de Casimir Delavigne, Jouy, Dupaty, Jay, Brifaut, Campenon, Droz, Etienne, Tissot, de Féletz. Flourens, Baour-Lormian, Lacuée de Cessac, Roger et Scribe. CHAPITRE IX Han d'Islande. — La Muse française. — M. Victor Hugo ET Alfred de Vigny. Han d'Islande. — Le Mercure du A7Xe siècle et Léon Thiessé. Charles Nodier et la Quotidienne. — Polémique entre l'auteur et les éditeurs de IJan d'Islande. Le Miroir et le Drapeau blanc. De l'art de faire plusieurs éditioas avec uue seule, de ses ori- gines et de ses progrès. Qualorze éditions en un mois! - Nouvelle pension accordée au poète par le roi Louis XVIII. — La Muse française. — M. Victor Hugo éditeur de Voltaire. — Eloa et le Paradis perdu. Alfred de Vigny et Milton, — Uue lettre inédite d'Alfred de Vigny. Satan et Roland. — Adolphe de Saint- Valry et Chateaubriand. On vient de mettre en vente, chez Persan, librair?, rue de l'Arbre-Sec, n" 22, un roman intitulé Han d'Islande, ei quatre volumes in-18. On attribue ce roman à M. Victor Hugo auteur d'un recueil d'Odes. Ces lignes, que nous trouvons clans le Constitu- tionnel du lo février 1823, fixent, d'une manière pré- cise, la dale de la publication de Han d'Islande. Le Journal des Débats du \2 février contient une liote identique à celle du Constitutionnel. Victor Hugo, écrivant aux rédacteurs du Miroir, à la date du 24 ^88 VICTOR IILGO AVANT 1830 mai 1823, rappelle que son livre a été publié dans la première quinzaine de février S. Sainte-Beuve a donc commis une légère inexactitude, lorsqu'il a dit queHan V Islande avait paru au mo\^ janvier 1823^. L'illustre critique se trompe encore, et l'erreur ici est un peu plus grave, quand il affirme que Han dislande a été commencé dès 1 820 '». Hugo a commencé d'écrire son roman au mois de mat i une lettre écrite par lui à l'un de ses amis, et rapportée au tome II de Victor Hugo raconté, ne laisse subsister à cet égard aucune incertitude *. A peine entrepris, son travail fut interrompu par la mort de sa mère. Il ne s y remit qu'assez longtemps après, et le termina dans les derniers mois de 1822. Il avait vingt ans. A vingt ans, on peut faire de beaux vers ; il ne se peut guère que l'on fasse un bon roman. Pour pré- coce qu'il soit, le génie ne peut suppléer à l'expé- rience de la vie et à la connaissance des hommes. Aussi s'en faut-il de beaucoup que le premier roman de Tictor Hugo soit à la hauteur de ses premières poésies. Ce qui frappe tout d'abord dans Han d' Islande ^ c'est l'absence d'originalité. L'auteur lui-même nous apprend, dans une lettre contemporaine de la compo- sition de son livre, qu'il s'est proposé d'imiter Walter * Le Miroir des spectacles, des lettres, des mœurs et des arts, hindi iO mai 18>3. 2 Portraits contemporains, t. !»•. p. 40G. 3 Ibid., t. I", p. 400. 4 Victor Eugo raconté, atc, t. II. p. 40. ViOTUK JILGO AVAM 1830 28'J Scott ; u i\îûn roman, dit-il, était un diaino dont les scènes étaient des tableaux, dans lesquels la des- cription suppléait aux décorations et aux costumes. Du reste, tous les personnages se peignaient par eux- mêmes ; c'était une idée que les compositions de Walter Scott in'' avaient inspirée ^ » Il ne se borne point à imiter Walter Scott. Lu autre romancier anglais, Maturin , l'auteur alors célèbre de Bertram, de Mehnoth et de Montorio, avait mis à la mode le genre frénétique. Charles Nodier, — qui était un romantique de la veille, tandis que Victor Hugo ne fut, en réalité, nous le montrerons, qu'un romantique du lendemain, — avait fait paraître, en 1820, Lord Ruthwen ou les Vampires. Victor Hugo imite le révérend Maturin et le bon Nodier ; seule- ment, ainsi que cela arrive presque toujours, l'élève est allé plus loin que ses maîtres. Il a fait de son héros un anthropophage Han d'Islande se nourrit de chair humaine et boit dans le crâne de ses victimes Veau des mers et le sang des hommes, et c'est sans doute à cette œuvre étrange que pensait Henri Heine, lorsqu'il écrivait Tout, chez M. Victor Hugo, est barbarie baroque, dissonance criante et horrible dif- formité*! » L'idée première de l'ouvrage a-t-eile du moins quelque chose de neuf? Le lecteur en pourra juger par cette courte mais fidèle analyse. Victime d'un complot ourdi par un chevalier félon, 1 \ictov Huyo raconté, etc.. t. II. ^ Lntèce, p. îiî. 17 290 VICTOR UUGO AVANT 1830 le vertueux Schumacker, grand chancelier de Dane- mark et de Norwège, est enfermé dans une tour, où sa fille Éthel est captive avec lui. Ordener, fils du vice-roi de Norwège, est amoureux d'Elhel, et il forme le projet de la délivrer, ainsi que Schumacker ; mais, pour cela, il lui faut aller à la recherche et à la conquête du coffret de fer où sont déposées les preuves de l'innocence du chancelier. Ce coffret est gardé par deux monstres, Han d'Islande et l'Ours blanc qui lui obéit comme un chien à son maître. Guidé par Benignus Spiagudry, une sorte de Sancho Pança maigre, qui remplace les proverbes par des citations pédantes, Ordener finit par rencontrer Han d'Islande dans la grotte de Walderhog, qui devient le théâtre d'un combat terrible. Ordener n'est pas vaincu, mais il ne peut cependant conquérir la cas- sette, et, après avoir bravé de nouveaux dangers, tra- versé de nouvelles aventures, il va périr enfin, quand le coffret de fer se retrouve par enchantement le chevalier félon périt par la main du bourreau, qui se trouve être précisément son frère ; le chancelier Schumacker est rendu à la liberté, et Ordener devient l'époux d'Éthel. Au fond, qu'est-ce que ce roman, sinon un roman de chevalerie, un de ces romans de la Table-Ronde, dans lesquels le héros allait, au travers des plus effroyables dangers, arracher à quelque génie terrible le talisman qui devait lui ouvrir les portes du château fort où gémissait sa dame ? On le voit, l'idée première de Han cV Islande est VICTOR UUGO AVANT 1830 211 empruntée aux rimeurs du treizième siècle, comme étaient empruntées au révérend Maturin les horreurs et les monstruosités accumulées à plaisir par l'au- teur ; comme était emprunté à Walter Scott le pro- cédé nouveau de composition si habilement mis en œuvre par le grand Ecossais, cette transformation du roman en une sorte de drame, où la narration des faits et l'analyse des sentiments, à l'aide desquelles les anciens romanciers faisaient connaître leurs per- sonnages, sont remplacées par une suite de scènes dialoguées, oi^i les personnages se peignent par eux- mêmes. Han d'Islande présente cependant un véritable intérêt, si on y cherche, sous les difformités du roman, ce que l'auteur y a mis de sa jeunesse, la peinture des agitations de son cœur, à l'époque où, séparé de celle qu'il aimait, il se demandait comment faire parvenir jusqu'à elle le cri de son désespoir, de son courage et de son amour. Il ne pouvait lui parler, il ne pouvait lui écrire ; puisqu'il ne peut briser l'obs- tacle, il le tournera. Il insérera dans le Conservateur littéraire une lettre en vers, à laquelle il donnera pour titre le Jeune banni, Raymond à Emma *. Il fera imprimer Han d'Islande, c'est-à-dire encore un message d'amour ; seulement, cette fois, le mes- sage a quatre volumes ! Il y a là quelques pages qui ne sont plus du romancier, mais de l'homme même, sincères, émues, vivantes ; et il semble par instants 1 Voyez chapitre Vif,, p. 249. i92 VICTOR HUGO AVANT '183U que si le jeaiie écrivain multiplie les scènes atroces, les peintures hideuses, les détails horribles, ce soit pour faire perdre de vue au lecteur ces pages intimes, ces touchantes confidences, qui ne sont point écrites pour lui et qui sont destinées à n'être comprises que d'une seule jeune fille. A un autre point de vue, Han cV Islande mérite encore que l'on s'y arrête. On y trouve, en effet, la première ébauche de quelques-uns des personnages et de quelques-unes des situations, auxquels le poète donnera plus tard, dans Notre-Dame de Paris, un relief plus saisissant, une forme plus éclatante. Entre Banignus Spiagudry, l'écuyer d'Ordener, qui a le visage hâve, le corps maigre, long et légèrement voûté », et Pierre Gringoire, grand, maigre et blême », la ressemblance est frappante, au physique et aussi au moral. L'un et l'autre sont facilement accessibles à la peur, et, à la moindre apparence de danger, tremblent de tous leurs membres. Tous deux ont une érudition singulière et se plaisent à en faire étalage. — Savez-vous que c'est une chose bien impertinente que d'évaluer un savant tel que moi quatre méchants écus ? Il est vrai que le fameux Phèdre était esclave, et qu'Ésope, si nous en croyons le docte Planude, fut vendu dans une foire comme une bête ou comme une chose. Et qui ne serait pas fier d'avoir un rapport quelconque avec le grand Ésope * ? » Est-ce rhonnête Spiagudry qui parle de la 1 II an d'Islande, chap. xxii. VICTOR HUGO AVAIVT 1830 293 sorte ? Sans doute, à moins pourtant que ce ne soil V honnête Gringoire. Le lieutenant d'Ahlefeld, cet ennuyeux bellâtre, remarquable par la ricbesse élégante et l'excessive recherche de ses vêtements », recevra de l'avance- ment M. Yictor Hugo en fera un jour le capitaine Phœbus. Au chapitre vn de Han d'Islande, le gouverneur de Drontheim, enfoncé dans un large fauteuil, ordonne, pour se distraire, à l'un de ses secrétaires, de lui rendre compte des placets adressés au gouverne- ment. Il y a dans ces pages le germe de l'un des plus beaux chapitres de Notre-Dame de Paris, celui où le roi Louis le Onzième se fait donner lecture, par son barbier, maître Olivier le Daim, du mémoire des dépenses royales *. L'esquisse imparfaite de 1823 est devenue en 1831 un tableau achevé. Mais les critiques de 1823 ne pouvaient juger que l'œuvre qu'ils avaient sous leurs yeux ; ils ne la mé- nagèrent guère, les critiques libéraux surtout, et au premier rang M. Léon Thiessé, qui, dans le Mercure du dix-neuvieme siècle, se montra impitoyable pour le livre et pour l'auteur. L'auteur, disait-il au début de sou article, ne se nomme point nombre de gens croient néanmoins le connaître. On prétend qu'il se livre à des travaux plus difficiles et d'un ordre plus élevé c'est, dit-on, un poète, et même un poète lyrique. 11 st, assurent quelques personnes, une des colonnes de la société des Bonnes-Lettres on l'accueille dans certains 1 fjiv. X. rbnp. v. 29 i VICTOR HUGO ayant 1830 salons ; de grands seigneurs le protègent ; le Trésor le pen- sionne. Un écrivain si bien entretenu ne devait pas rester inactif ; il a senti cette obligation, et c'est sans doute pour la remplir qu'il a publié Han dislande. L'article se terminait ainsi Les métaphysiciens prétendent que le génie est voisin de la démence. S'il en est ainsi, on peut dire que l'auteur de Han d'Islande n'est pas très éloigné du génie... L'explication la plus favorable que l'on puisse offrir sur l'origine de ses inspi- rations, c'est de dire qu'il a subi les tourments d'un long cauchemar, pendant lequel il a rêvé les quatre volumes de Han d'Islande. Ce roman est le fruit d'un songe pénible et prolongé. Au reste, les auteurs sont quelquefois sujets à ce genre d'in- disposition. Je ne citerai pour exemple que M. Victor Hugo, qui paraît en être plus travaillé qu'un autre, puisqu'il a cru devoir lui consacrer une ode entière. On trouve dans cette ode quelques vers qui peuvent s'appliquer au roman de Han d'Islande Il remplit le sommeil de vagues épouvantes. Et laisse à l'âme un long ennui *. A la lecture de cet article, l'émotion fut vive parmi les amis de Victor Hugo ; et l'un d'eux, Adolphe de Saint-Valry, adressa à Léon Thiessé une lettre, dans laquelle il prenait la défense du poète. J'ai sous les yeux la réponse de l'écrivain du Mercure, dont je reproduirai seulement les dernières lignes Vous parlez souvent, monsieur, de l'amitié qui vous unit à * Le Mercure du XIX" siècle, p. 513, 525. Les principaux rédacteurs du Mercure étaient MM. Tissot, Jay, Sénancour, Léon Thiessé, Félix Bodin, Thiers, Berville, Lemontey, Casimir Uelavign*', Bert. B-ichon, Dulaure, Emmanuel Dupaty, etc. VICTOR HUGO AVANT 1830 295 l'auteur de Han d'Islande. J'ai aussi des amis ; j'en ai même dans votre parti ; mais j'ai conçu des devoirs de l'amitié une idée très différente de la vôtre. Si j'avais l'honneur de con- naître intimement M. Victor Hugo, mon amitié se serait d'abord exercée sur un talent qui s'égare ; je me serais appliqué à protéger sa réputation contre lui-même ; je l'eusse empêché de composer et de pubKer Eaii d'Islande; et si mes efforts eussent été vains, je me fusse gardé de répondre aux justes critiques qu'il aurait méritées, et je me serais persuadé rendre, par cette réserve, service à un talent qui, pour produire d'excellents fruits, n'a besoin que d'une direction sage et d'un ami sévère '. II Violemment attaqué par la presse libérale et bona- partiste, critiqué avec une vivacité = spirituelle par M. Victor Vignon, petit-fils de Rétif de la Bretonne, qui publia, sous le titre de OG, une parodie de Ban cVhlande ^, l'auteur eut pour lui les journaux ultra- royalistes. Charles Nodier, qui ne le connaissait pas encore, consacra à son livre, dans la Quotidietine, un long article, rempli de bonne grâce et de la louange la plus aimable. On reconnaît dans Han d'Islande, écrivait Nodier, beaucoup d'érudition, beaucoup d'esprit, même celui qui naît du bon- heur et qu'on appelle la gaieté, même celui qui vient de l'expérience et que l'auteur n'a pas eu le temps de devoir à l'habitude du monde et à l'observation. On y trouve enfin un * Lettre inédite, en date du 2G juin 182 . 2 OG a paru sans nom d'auteur. Paris, 1824. Hubert Locard et Davi, édi- teurs. 29G VICTOR HUGO AVANT 1830 style vif, pittoresque, plein de nerf, et, ce qu'il y a de plus étonnant, cette délicatesse de tact et cette finesse de senti- ment qui sont des acquisitions de la vie, et qui contrastent ici de la manière la plus surprenante avec les jeux barbares d'une imagination malade. Cependant, ce ne sont pas toutes ces qualités qui feront la vogue d'Han d'Islande et qui force- ront rinflexible et savant Mmos de la librairie à reconnaître le débit authentique et légitime de douze mille exemplaires de ce roman que tout le monde voudra lire. Ce seront ses défauts 1. Malgré tout son esprit, Charles Nodier n'était pas prophète, et lorsqu'il parlait d'une vente de douze mille exemplaires, il était singulièrement loin de compte. Han Vis lande avait été tiré à douze cents exemplaires. Une seconde édition, il est vrai, fut annoncée au mois de mai 1823; mais le pubUc apprit presque en même temps que la première n'était pas encore épuisée. Auteur et éditeurs échangèrent à cette occasion des lettres enfouies dans les journaux du temps et qui nous ont paru mériter d'être tirées de la poussière, oi^i elles dorment depuis plus d'un demi-siècle. C'est le Miroir, feuille libérale, qui ouvrit le feu, dans son numéro du 17 mai 1823, en publiant la lettre suivante A M. le Rédacteur du Miroir. ^Monsieur, Nous venons de lire avec étonnement, dans un journal du dimanche 11 de ce mois, que le \uh\\c attendait avec mpa- * Qmfidicnne. 12 mars 182{. VICTOR HUGO AVANT 1830 297 ticnce clepiiù plus cVim mois la seconde édition du roman inti- tulé Han d'Islande. Sans nous permettre la moindre réflexion sur la mise en vente d'une seconde édition, lorsque la pre- mière est loin d'être écoulée, nous nous bornerons ici à pré- venir les lecteurs impatients de lire cet ouvrage justement recherché, qu'il en reste encore plus de 500 exemplaires dans notre magasin. Agréez, etc. Les Éditeurs de Han d'Islande. A'ictor Hngo choisit, pour publier sa réponse, le journal de xMarlainville, le Drapeau bla^ic, qui arbo- rait à sa première page dix-huit fleurs de lis et qui avait pour épigraphe VIVE LE ROI L,. QUAND MÊME Gentllly, 19 mai 1823. A M. le Rédacteur du Miroir. Monsieur, C'est dans mon obscure retraite, aux portes de Paris où pourtant le bruit de la ville arrive peu jusqu'à moi, qu'on me remet celui de vos derniers numéros qui pubhe une lettre signée les éditeurs de Han d'Islande. Je suis vraiment charmé d'apprendre qu'il existe des éditeurs anonymes de Han dislande, lesquels possèdent dans leur magasin inconnu plus de 500 exemplaires de cet ouvrage. Comme je suis au nombre des lecteurs impatients de lire quelqu'un des exemplaires extraits de cette singulière boutique, et qu'il pourrait me prendre fantaisie d'exercer certains droits de propriété sur cette édition plus justement recherchée encore par moi que par le public, j'aurais été enchanté que messieurs mes mysté- rieux éditeurs eussent bien voulu joindre à leur déclaration de ci7iq cents exemplaires leur nom et leur adresse. Jusqu'ici je ne me suis connu d'autres éditeurs que MM. Persan et 17. 298 VICTOR HUGO AVANT 1830 Heurtaux, ex-libraires, lesquels demeuraient rue de l'Arbre- Sec, n° 22, et ont fait banqueroute, il y a environ deux mois... Après avoir déclaré qu'il ne restait plus chez les éditeurs que vingt-cinq exemplaires de son roman et une cinquantaine chez les brocheurs, Victor Hugo terminait ainsi Du reste, la seconde édition de H an d'Islande, qui va paraître chez MM. Lecointe et Durey, quai des Augustins, no 49, en est, à proprement parler, la première ; car le Ha7i d'Islande de la rue de l'Arbre-Sec était tellement défiguré de fautes typographiques, qu'il était méconnaissable pour VœiV même de son père. La nouvelle édition, revue avec soin, est la seule que j'avoue. L'Auteur de Han d'Isla?ide *. La réplique des éditeurs parut dans le Miroir du 24 mai Monsieur, Ayant lu dans un journal qu'une seconde édition de Han d'Islande se préparait, nous pensâmes qu'en qualité d'éditeurs de la première, nous devions prévenir le public qu'il en restait plus de 500 exemplaires, et nous le fîmes avec tous les égards que l'auteur pouvait désirer; mais M. Victor Hugo dont cette simple déclaration a blessé l'amour-propre, a cru probablement pouvoir anéantir ces 500 exemplaires en assu- rant qu'ils n'existaient pas, et par là rassurer son nouveau libraire, que notre déclaration pouvait alarmer... M. Victor Hugo se plaint des fautes qui défigurent la pre- mière édition de son ouvrage ; nous répondrons que c'est sous ses yeux que cette édition a été faite ; qu'il a lui-même cor- * Le Drapeau blanc, 21 mai 1823. VICTOR HUGO *^ AVANT 1830 299 rigé les épreuves, et que lui seul enfin donnait les bons à tirer. Le métier d'un libraire est de vendre les livres et non de les corriger. M. Victor Hugo veut faire parler de lui ; ce désir est tout naturel chez un jeune auteur ; mais nous ne voyons pas ce que sa gloire littéraire gagnera par les calomnies qu'il a répandues sur des gens que leur position fâcheuse devait lui faire ménager. Si M. V. Hugo qui, dès le mois de mars der- nier, voulait avoir une seconde édition de son Han, désirait tant obtenir les honneurs d'une édition nouvelle, il n'avait qu'à faire pour son roman ce qu'il a fait pour son recueil d'Odes. Par marché passé entre ledit sieur et nous, le 13 décembre 1822, M. Hugo nous autorise à faire, de compte à demi avec lui, la réimpression de son recueil d'Odes réimpression dont nous n'avons encore vendu que 200 exemplaires, et dont les frais sont par conséquent loin d'être couvertsj. Nous allons citer la clause la plus remarquable de ce marché ce Les sieurs Persan et G» auront le droit de faire aux titres de la réim- pression tous les changements qu'ils jugeront favorables aux intérêts communs ,• c'est-à-dire qu'ils pourront annoncer, au moyen d'un changement convenable dans les titres, une seco7ide, troisième, quatrième édition ET CAETERA. Les frais de remaniement terme d'imprimerie auxquels ces change- ments donneront lieu seront aux frais comynuns des parties contractantes. » On voit par cette clause que nous avons la faculté, M. Victor Hugo et nous, de gratifier le pubhc chaque mois, même chaque semaine, d'une édition nouvelle, qui n'au- rait de neuf que les titres des Odes de M. V. Hugo. Une transaction semblable pour Han d'Islande aurait satisfait M. V. Hugo, car avec les 500 exemplaires qui restent, on aurait pris facilement l'engagement de faire arriver ce célèbre ouvrage à sa sixième ou douzième édition... Persan et Ce, demeurant toujours rue de l'Arbre-See, no 22. ;JU0 VICTOR HUGO AVANT 1830 Le débat fut clos par une longue lettre de Victor Hugo, datée du 24 mai 1823, et signée, comme la première l'auteur de Ha\ d'Islande. Voici comment il s'expliquait au sujet de la réimpression de ses Odes et de la clause qui permettait de tirer plusieurs édi- tions d'une seule Puisque les sieurs Persan et Ce ont mêlé à cette misérable querelle les Odes d'un certain Victor Hugo qu'en effet je connais assez, je dois leur rappeler, au nom de Victor Hugo, que la clause sotte et ridicule qu'ils rapportent n'a été insérée qu'à leur demande très expresse ; qu'il a fallu à Victor Hugo une certaine dose d'humilité pour l'admettre ; qu'ils ont invo- qué, pour l'y décider, un usage universel en librairie, et qu'enfin c'est en effjt comme un droit qu j cette faculté morti- fiante leur a été accordée por Victor Hugo ^ Est-ce en souvenir de cette discussion avec le Miroir, que M. Victor Hugo a écrit dans les Misérables En 1817, le Nain Jaune se transformait en Miroir^ »? Deux erreurs en une seule ligne. Le Miroir, desliné à refléter l'opinion libérale, et dont les principaux rédacteurs étaient MM. Jouy, Arnault, Emmanuel Dupaty, Gosse et Cauchois-Lemaire, n'a point été créé en 1817, pas plus que le Nain Jaune nsL terminé son existence à cette époque. Le dernier numéro du Nain Jaune, le 379, est du 15 juillet 1815 ; le pre- mier numéro du Miroir est du 15 février 1821. — Quoi qu'il en soit, de la querelle enlre M. Victor Hugo et ses éditeurs, au sujet de Han d'Islande, un 1 Le Mirnir, 2G mai 1S23. 2 Lfis MiftprnMpr 1829, n'en avait plus que six au mois de mars 1830 ! M. Victor Hugo qui ne croit pas aux miracles, devrait bien nous donner la clef de celui-là. ITI Si les éditeurs de Han cVIslande payèrent assez mal M. Victor Hugo et lui causèrent maint ennui, il trouva une compensation à ces petits déboires dans les nouvelles bontés du roi à son égard. Déjà, nous l'avons vu S Louis XVHI lui avait octroyé, au mois de septembre 1822, une pension de 1000 francs sur sa cassette particulière. H lui en accorda une seconde sur les fonds littéraires du ministère de l'intérieur, au mois de février 1823, dans les jours qui suivirent la publication de Han fVhlande. Cette pension nou- velle était de 2000 francs. Par la même ordonnance royale, une pension d'égale somme était donnée à Lamartine. On lit, dans une lettre de ce dernier, écrite le 15 février 1823 à son ami Aymon de Virieu Je viens de vendre 14 000 francs comptant mon deuxième volume de Méditations, livrable et payable cet été. Cela me mettra au niveau et au delà de mes besoins présents. En sus, * Voy. oi-dessns rhap. VII. p. 256. VICTOR JlUGO AVANT 1830 303 le roi m'a donné une pension de 2000 francs ceci entre nous; plus, mes appointements courront encore, je crois, cette année. Ainsi, si tout cela aborde, nous serons de force à finir Saint-Point pendant que tu finiras Papetièresi. Victor Hugo n'avait point, comme Lamartine, de château à finir ; mais estimant qu'avec 3000 francs de rente il était assez riche pour avoir un apparte- ment à lui, il quitta, au mois de mars 1823^ la maison de son beau-père, et il vint s'établir rue de Yaugi- rard, n" 90. Sainte-Beuve demeurait alors avec sa mère dans la même rue, au n° 94. Le poète et le cri- tique ne devaient d'ailleurs se connaître que plus tard leur première rencontre, destinée à exercer sur leur vie une si grande influence, n'aura lieu qu'au mois de janvier 1827 -. Après la publication de Ban V Islande, Victor Hugo revint à la poésie avec une ardeur nouvelle. Au cours de l'année 1823, il ne composa pas moins de vingt- deux odes. C'est aussi de cette époque que datent ses deux premières ballades le Sylphe et la GranfV- Mère Dors-tu?... réveille-toi, mère de notre mère ! Assise à son foyer, la muse lui dicta alors quel- ques-uns de ses plus doux chants, ces belles pièces où l'âme du poète répand aux pieds du Seigneur les effusions de son cœur, les parfums de son amour * Correspondance de Lamartine, t. III, p. 216. 2 Portraits contemporains, t. I*"". p. 468. Appendice de l'édition de 1860. 'MM VICTOR HUGO AVANT 1830 Voici la vérité qu'au monde j^ révèle, Da ciel dans mon néant je me suis souvenu ; Louez Dieu ! la brebis vient quand l'agneau l'appelle ; J'appelais le Seig'neur, le Seigneur est venu *. Il écrivait ces vers, au mois d'août 1823, auprès du berceau de son premier-né. Deux mois plus tard, un ange an radieux visage emportait l'enfant dans ses bras. Ce pauvre Victor ! écriveit Emile Daschamps à Adolphe de Sainl-Valr}^ le 12 octobre 4823 ; com- bien je suis triste de son chagrin ! Son enfant était bien faible, mais enfin il vivait ! » — Victor Hugo a consacré le souvenir de cette grande douleur, — il en devait, hélas ! éprouver de plus amères, — dans une ode touchante A Pombre d'un enfant. 0 ! dans ce monde auguste où rien n'est éphémère, Dans ces flots de bonheur que ne trouble aucun fiel, Enfant ! loin du sourire et des pleurs de ta mère, N'es-tu pas orphelin au ciel 2? Dans la lettre d'Emile Deschamps que nous venons de citer, nous lisons ce qui suit Vous savez que décidément nous ne mettrons pas dans la Revue les vers de Latouche ^ C'est une chose convenue avec Victor Nous aurons des vers charmants de Del- 1 Actions de grâces. {Odes et Ballade-,, liv. V. ode xiv. 2 Oies et Ballades, liv. V, odcxvi. 3 La Revue dont parle Emile Desrhamps, la Muse française, ne renferme, en effet, aucune piè^e de M. de Ldtou'^he, Téditeur d'André Chenier, et Sainte-Beuve s'est tromp3, lorsqu'il a dit, dans ses Causeries du Lunii, t. III, p. 374 M. de Latou'^be avait commencé par des espèces de bal- lades imitées de l'anglais, de l'allemand, par des descriptions de printemps, de paysages, qui parai aient dans les journaux littéraires d'alors, dans la Miisp frnnnrnse, . . i> VICTOR HUGO AVANT 1830 305 phine, en décembre. » La Revue dont il est ici ques- tion, avait été créée, quelques mois auparavant, par les amis de Victor Hugo, et il en était un des princi- paux collaborateurs. Voici en quels termes, dans son autobiographie, il s'exprime à ce sujet MM. Soumet, Guiraud et Deschamps eurent l'idée de fonder une revue et demandèrent à M. Victor Hugo de se mettre avec eux. Il résistait, ayant des travaux à ter- miner ; mais le bailleur de fonds fit de sa collabora- tion une condition absolue, et il céda par amitié. Ainsi naquit la Revue française *. » Et, dans les lignes qui suivent, il nomme encore par deux fois la Revue française. La Revue française, dont les fondateurs étaient MM. Guizot, le duc de Broglie et Charles de Rémusat, a paru du mois de janvier 1828 au mois de septembre 1830. M. Victor Hugo n'y a jamais écrit. La Revue, créée en 1823, avec son concours, par MM. Soumet et Guiraud, Emile Deschamps et Adolphe de Saint- Valry, avait pour titre la Muse française. Que M. A'ictor Hugo ait oublié jusqu'au nom d'un recueil où il a écrit pendant une année et sur lequel Sainte-Beuve, dans la biographie du poète, a cru nécessaire de s'étendre longuement, c'est là une inadvertance d'au- tant plus étonnante que la mémoire de M. Victor Hugo est à coup sûr la plus extraordinaire qui soit. Lui- même, à cet égard, n"a voulu nous laisser aucun doute. H déclare, en effet, dans la préface de ses lettres sur le Rhin^ qu'elles ont été écrites sans * Motor Hiif/o nironfi'-. otc, t. II. p. 83. 306 A'ICTOR HUGO AVANT 1830 livres, et que les faits historiques ou les textes litté- raires qu'elles contiennent sont cités de mémoire ». Il affirme ne leur avoir fait subir aucune retouche. Or ces lettres, écrites ainsi au hasard de la plume, non point dans le silence du cabinet, au milieu d'une riche bibliothèque, mais le soir d'un jour de marche, à l'angle d'une table d'auberge, au bruit du souper qui s'apprête S ces lettres énumèrent patiemment les faits les plus microscopiques, sans rien ometti^e et sans prévariquer ; elles retracent les infiniment petits de l'histoire, les détails les plus inconnus des époques les plus obscures. On y trouve, à chaque instant, des pages telles que celle-ci, par exemple Quatre de ces châteaux ont été bâtis au onzième siècle Ehrenfels, par l'archevêque Siegfried ; Stahleck, par les comtes Palatin ; Sayn, par Frédéric, premier comte de Sayn, vainqueur des Maures d'Espagne ; Hammerstein, par Othon, comte de Vétéravie. Deux ont été construits au douzième siècle Gutenfels, par les comtes de Nuringen ; Rolandseck, par l'archevêque Arnould II, en 1149 ; deux au treizième Furstemberg, par les Palatins, et Rheinfels, en 1219, par Thierry III, comte de Katzenellenbogen ; quatre au quator- zième Vogtsberg, en 1340, par un Falkenstein ; Fursteneck, en 1348, par l'archevêque Henri III ; le Chat, en 1383, par le comte de Katzenellenbogen ; et la Souris, dix ans après, par un Falkenstein. Un seulement date du seizième siècle Philipsburg, bâti, de 1568 à 1571, par le landgrave Philippe le Jeune... - » * Le voyageur a marché toute la journée... Le soir venu, il entre dans une auberge, et pendant que le souper s'apprête, il demande une plume, de l'encre et du papier, il s'accoude à l'angle d'une table, et il écrit. '> {Le Rhin. préface, p. 12. 2 Lp Rhin, t. II. p. 200. VICTOR HUGO AVANT 1830 307 Si quelque lecteur malappris s'avisait de penser que cette page et cent autres pareilles ont pu diffici- lement être écrites sans livres, dans une chambre d'hôtel ; si, cherchant à l'auteur du Rhin une que- relle d'Allemand, il demandait à voir les originaux eux-mêmes, cette requête indiscrète tournerait bien vite à sa confusion. La forme et le fond de ces lettres, dit M. Victor Hugo, sont restés ce qu'ils étaient. » Et il ajoute On pourrait au besoin mon- trer aux curieux toutes les pièces de ce journal d'un voyageur authentiquement timbrées et datées par la poste *. » Oui, toutes, même la lettre vingt-cinquième où j'ai compté soixante-deux dates, et quelles dates ! escortées de quatre cent soixante noms propres, et quels noms propres ! Tandis qu'il suffisait, pour arrêter Boileau, de quatre ou -cinq noms hérissés do consonnes Zutphen, Wageninghen, Hardewic, Knotzembourg^, M. Victor Hugo cite de mémoire, sans broncher, quatre cent soixante noms aux syllabes bizarres^ et nous sommes bien forcés de croire, — puisque le timbre de la poste est là, — qu'il n'en a pas ajouté un seul sur ses épreuves... ajwes la lettre. Mais alors comment se fait-il qu'avec une mémoire si prodigieuse il ait oublié le nom de la Muse fran- çaise, qu'il ait confondu cette Revue avec une autre d'un caractère tout différent, et qu'il ait laissé sub- * Le Rhin, préface, p. 20 ^ Fpître IV, Au roi. 308 VICTOR HUGO AVANT 1830 sister cette erreur dans toutes les éditions de ses Mémoires publiées depuis vingt ans ? N'ayant point les mêmes raisons que l'illustre poète pour laisser dans l'ombre une Revue honorée de sa collaboration et à la direction de laquelle il a même pris une part active, nous nous y arrêterons quelques instants. IV La Muse française, qui commença en juillet 1823 pour finir en juin 1824, paraissait une fois par mois. Elle avait pour épigraphe ces vers de Virgile Jam redit et Virgo. ....... .Tarn nova progenies Ccelo demittitur alto. Chaque livraison était divisée en trois parties, réser- vées la première à la poésie, la seconde à la cri- tique littéraire, la troisième à des articles sur les mœurs et les caractères du jour. Titre oblige la Muse française accordait aux poètes la plus large hospitalité. Voici les noms de ceux dont elle publia des vers Victor Hugo, Alfred de Vigny, Soumet, Guiraud, Jules de Rességuier, Emile Deschamps, Adolphe do Saint-Valry, Charles Nodier, Pichald, Jules Lefèvre, Ulric Guttinguer, Ancelot, Ghênedollé, Raour-Lormian, Brifaut, L. Belrnontet, Victor Chauvet, de Villebois, Nestor de Lamarque, Adolphe Michel — M"^es Des- VICTOR HUGO AVANT 1830 309 Jbordes-Yalmore, Dufréno}^ Verdier , Géré-Barbé , Amable Tastu, Sophie Gay et Delphine Gay. La critique n'est point d'ordinaire le fait des poètes, mais il en allait autrement à la Muse, oii les critiques s'appelaient Victor Hugro, Charles Nodier, Soumet, Emile Deschamps, Alfred de Vigny, Gaspard de Pons, Adolphe de Saint-Valry, Guiraud, Holmondurand. Ce dernier nom cachait M. Durangel, déjà couronné plu- sieurs fois par l'Académie des Jeux-Floraux et dont nous avons eu précédemment occasion de parler avec quelques détails \ Les esquisses de mœurs qui occupent la dernière partie de chaque livraison sont dues à Emile Des- champs, Jules de Rességuier et Adolphe de Saint- Valry. Emile Deschamps signait le Jeune Moraliste. Il a, trois ans plus tard, réuni ses articles en un volume, sous ce titre le Jeune Moraliste du dix-neuvième siècle. La collection de la Muse française forme deux volumes in-octavo -, qui fourniraient matière à plus d'un extrait intéressant. On y trouverait notamment tout un Alfred de Vigny inédit, prose et vers. Outre Dolorida ^, Alfred de Vigny a donné, à la Muse, deux fragments d'un poème de Suzanne^, dont le premier seulement a été réimprimé dans ses Œuvres * Voy. ci-dessus, chapitre iV, 2 Les volumes de la 3Iuse française ne sont guère moins rares que ceux du Conservateur littéraire. Nous en devons également la communication à M. Léon de la Sicotière. 3 4 livraison, t. I, p. 231. •V 10" livraison, t. IL p. 212. 310 VlCTUll JlUGO AVANT 1830 complètes. Neuf stances, mi\i\x\ée^ le Chant de Suzanne au bain, n'ont pas été recueillies par le poète, non plus que ses vers sur la Mort de Bijron, insérés dans" la douzième livraison, avec ce sous-titre Fragment d'un poème qui va être publié. Voici la lin de ce remar- quable morceau Poète conquérant, adieu pour cette vie ! Je regarde ta mort et je te porte envie ; Car tu meurs à cet âge où le cœur, jeune encor, De ses illusions conserve le trésor. Tel, aux yeux du marin, le soleil des tropiques Se plonge tout ardent sous les flots pacifiques, Et, sans pâlir, descend à son nouveau séjour Aussi fort qu'il était dans le milieu du jour. Des deux morceaux de prose qu'Alfred de Vigny a fait paraître dans la Muse française, le premier, — consacré à un petit recueil de vers intitulé Amour. — A Elle, dont l'auteur, le comte Gaspard de Pons, avait garde l'anonyme % — respire une douloureuse tristesse, une sombre mélancolie, déjà voisine de cette noire désespérance qui éclatera plus tard dans Stello et dans Servitude et grandeur militaires ; le second est un compte rendu des Œuvres posthumes de M. le baron deSorsum. Au chapitre I^^ du livre III des Misérables, M. Victor Hugo, dressant à sa façon le bilan de Vannée 1817, nous dit C'était l'année où M. Bruguière de Sorsum était célèbre. » Eh ! mon Dieu ! nul n'est * Ces vers du comte Gaspard de Pons ont été réimprimés, en 1860, dans ses Adieux joétiques, t. I, p. 12 et suivantes. VICTOK IIL'GO AVANT 1830 311 tenu d'être célèbre, et M. Bruguière de Sorsum ne se piquait point de l'être. Homme du monde et homme d'esprit, il ne demandait aux lettres que d'occuper et de charmer ses loisirs. L'Académie française avait accordé, en 1807, une mention à sa pièce sur les Voyages. Après avoir donné, en 1821, une traduction en vers du poème de Robert Southey, Roderick^ le dernier roi des Goths, il traduisit quelques-uns des chefs-d'œuvre de Shakespeare, conformément au texte original, en vers blancs, en vers rimes et en prose. Cette tentative a inspiré à Alfred de Vigny une page remarquable et qui ne serait pas pour déparer ses œuvres *. Mais c'est surtout Victor Hugo qui doit ici nous occuper. Deux de ses Odes ont paru dans la Muse française VOde ci mon "père et la Bande noire ^. Au mois de septembre 1823, date de la publication de la première de ces deux pièces, un rapprochement s'était opéré entre le général Hugo et ses fils. Les vers du poète étaient suivis d'une longue note rappe- lant les états de services de son père... depuis 1805 seulement, de façon à ne point réveiller les souvenirs du temps où il arborait le prénom de Brutus. La Bande noire est restée l'une des plus belles odes de Victor Hugo, la plus belle peut-être. 11 a d'ailleurs corrigé très heureusemenll'une des dernières strophes. Parlant des démolisseurs révolutionnaires, il disait dans la Muse française 1 7* livraison, t. II, p. 0J. 2 La Muse française, t, I'»', p. 141 ; t. II. p. 43. 31 i VICTOR HUGO AVANT 1830 Qu'ils viennent maintenant, que leur foule s'élance, Qu'ils se rassemblent tous ces soldats aguerris 1 Voilà des ennemis dignes de leur vaillance ! Des ruines et des débris. Qu'ils entrent sans effroi sous ces portes ouvertes ; Qu'ils assiègent ces tours désertes ; Pour eux il n'est point de dangers ; Les héros qui veillaient sur ces hautes murailles, Les ombres qui jadis ont gagné des batailles, Les prendraient pour des étrangers ! Lorsqu'il publia sa pièce dans le second volume de ses Odes % il refit ainsi les derniers vers Qu'ils assiègent ces tours désertes ; Un tel triomphe est sans dangers. Mais qu'ils n'éveillent pas les preux de ces murailles ; Ces ombres qui jadis ont gagné des batailles Les prendraient pour des étrangers ! Les articles en prose de Victor Hugo dans la Muse française sont au nombre de cinq. En voici les titres Quentin Durivard, par sir Walter Scott ; — Essai sur Vindifférence en matière de religion, par M. l'abbé F. de la Mennais, tomes III et IV ; — Sur Voltaire, fragment ; — Sur Georges Gordon, lord Byron ; — Eloa ou la Sœur des Anges, mystère, par le comte Alfred de Vignj-. A l'exception du dernier, ces articles ont été repro- duits dans Littérature et Philosophie mêlées ; mais l'auteur leur a fait subir d'assez nombreux change- 1 Nouvelles Odes.^av Victop-M. Hugo, 1824. VICTOK UUGO AVAiNT 1830 313 ments portant ici sur le style, là sur les idées elles- mêmes ; nous en signalerons quelques-uns. Dans les pages sur Quentin Dunvard, après cette phrase Nous aimons d'ailleurs à retrouver nos ancêtres avec leurs préjugés, souvent si nobles et si salutaires, comme avec leurs beaux panaches et leurs bonnes cuirasses, » Victor Hugo ajoutait ceci Cet homme Bonaparte connaissait bien peu le génie populaire, qui essayait de rajeunir le Louvre et de recrépir la monarchie de Gharlemagne. Walter Scott comprend mieux sa mission de poète que ce géant aveugle n'a compris celle de fondateur '. » Napoléon aveugle! M. Victor Hugo, devenu en 1834 bonapar- tiste ardent, s'empresse d'effacer ce blasphème. D'un trait de plume il biffe tout le passage. Il supprime également celui-ci Comme Français, nous ne remercierons pas sir WaUer Scolt de l'incursion qu'il vient de faire dans notre histoire ; nous serions plutôt tenté de la reprocher à cet Ecossais. Certes, celui qui, entre tous nos rois, nos Charlemagne, nos Phihppe Auguste, nos saint Louis, nos Louis XII, nos Fran- çois 1er, nos Henri IV et nos Louis XIV, a été choisir pour son héros Louis XI, ne peut être qu'un étranger. Voiià bien une inspiration de la muse anglaise -. 0 poète ! le jour où, voulant placer dans un de vos romans 2 l'un de nos rois, vous avez été choisir précisé- ment Louis XI ; le jour surtout où, dans l'un de vos 1 La Musc française, t. h»", \. 31, 2 Ibid.» t. I", p. 38. 3 Notre-Dame de Paris. 18 31i VlCTOll UUGU AVANT 1830 drames \ vous avez introduit François pr pour en faire un coureur de tavernes ; où vous avez traîné dans le taudis de Maguelone le rival de Charles-Quint ; où vous avez fait souffleter par un bouffon l'ami du Primatice et de Léonard de Vinci, où vous avez bar- bouillé de boue Ce François Premier, dont Pavie Trouva l'armure sans défaut ^ ; ce jour-là, o poète ! n avez-vous donc pas compris que de vous aussi l'on pourrait dire Certes, celui qui insulte ainsi un héros qui a combattu deux grands jours à Marignan, celui-là n'obéit pas à une inspira- tion française ^!» C'est une page bien française, au contraire, que celle qui termine l'étude sur Quentin Dunva?'d, et dans laquelle \e jeuyie Jacobite de 1823 s'incline avec émo- tion devant ces deux choses sacrées, la vieillesse et le malheur Puisque nous avons reproché à sir Waller Scott le choix de * Le Roi s'amuse. 2 V. Hugo, ode sur le Sacre de Charles X. 3 Le Roi s'amuse, représenté le 22 novembre 1832 ; interdit le lendemain. — Depuis que ces lignes ont paru dans le Correspondant, le Théâtre-Français a donné, le 22 novembre 1882, la seconde du Roi s'amuse. Les spectateurs étaient venus avec le ferme propos d'applaudir ; mais le courage leur a man- qué, en présence de cette pièce antifrançaise. L'ennui, d'ailleurs, ne leur en eût point laissé la force. L'un des plus fervents admirateurs du Maître, M. Francisque Sarcey, a dû le confesser dans son feuilleton dramatique. Personne, dit-il, ne peut lutter contre cette vérité qui s'impose à tous les esprits on s'ennuie tout bas ; on enrage de s'ennuyer ; on ne se Tavoue pas à soi-même; mais on s'ennuie. C'est une déroute, c est un eftbndrement.. . La représentation a été exécrable. 11 n'y a pas deux mots pour la qualifier elle a été exécrable. -> Le Tonps^, 27 novembre 1882. VICTOR HUGO AVANT 1830 313 son personnage royal, nous ne terminerons point cet article sans le remercier de sa touchante et ingénieuse préface. Son vieux marquis provoque à chaque instant le sourire et les larmes. Loin de nous la pensée de réveiller ici le moindre souvenir de parti ! S'il est, comme on l'assure, des Français qui osent rire de quelques vieillards français comme eux, les- quels ont vécu dans l'exil et meurent dans la pauvreté, qu'ils lisent la préface de Quentin Durivard, elle les réconciliera avec les infortunes de l'honneur. Nous regrettons seulement que ce service leur soit rendu par un étranger. Pour nous, nous avons toujours pensé qu'il peut y avoir au monde quelque chose de plus ridicule que la vieillesse et le malheur *. M. Victor Hugo a supprimé, en 1831, cette page touchante. A la Muse française, comme au Conservateur litté- raire, Chateaubriand était l'objet d'une religieuse admiration. Il était le dieu du temple, ou plutôt de la petite chapelle moyen âge, où les jeunes lévites de l'École romantique célébraient devant quelques fidèles choisis les rites de la poésie nouvelle. Victor Hugo excellait entre tous à manier l'encensoir devant l'au- teur du Génie du Christianisme. Dans l'étude sur Walter Scott, il plaçait les Martyrs au premier rang des épopées. Bien que l'auteur de cet admirable poème, disait-il, ne l'ait point assujetti au joug mé- trique, ceux-là seuls lui refuseront la palme épique, qui voudraient en décorer leur aride Henriade, cette gazette en vers, où Voltaire a évité soigneusement la poésie, comme on évite un ami avec qui l'on veut se brouiller -. » 1 La Muse française, t. I*', p. 45. 2 Ihid., t. I»»-, p. .{' . 316 VICTOR HUGO avant 1830 Un peu plus tard, clans son article sur La Mennais, il parlait de l'enlhousiasme avide qu'a éveillé dans notre siècle le Génie du Christianisme », — de l'im- pulsion donnée aux esprits par les admirables écrits de M. de Chateaubriand » ; et il écrivait M. de Chateaubriand, dont le génie flatte toutes les imagi- Tiations lors même qu'il ne touche pas tous les cœurs^, a laissé tomber sur les Juifs quelques-unes de ces pages merveilleuses qui, passant de mémoire en mé- moire, n'auraient pas besoin du secours de l'impri- merie pour arriver à la postérité la plus reculée \ Dans l'article sur Georges Gordon, lord Byron, com- parant Chateaubriand à Byron, il n'hésitait pas à déclarer le premier supérieur au second, autant par sa propre élévation que par la hauteur de sa morale '». Tous ces passages en l'honneur de Chateaubriand, M. Victor Hugo les a effacés dans ce livre de Littéra- ture et Philosophie mêlées, où pourtant, s'il faut l'en croire, il a eu soin de réimprimer ses articles d'au- trefois, sans y rien changer ». En même temps qu'il biffait les éloges qu'il avait accordés au chantre des Martyrs, il atténuait les critiques que, dans son Fragment sur Voltaire, il avait adressée-s à l'auteur de V Essai sur les mœurs. Sa Benriade, écrivait-il en 1823, est encore bien infé- rieure, comme composition littéraire, à son infâme Pucelle, ce qui ne signifie certes pas que ce repous- sant ouvrage soit supérieur, môme dans son genre 1 La Muse française. 2 Ibid.. t. n. p. 334. VICTOR HUGO AVANT 1830 317 honteux *. » Repoussant! Infâme! M. Victor Hugo rature philosophiquement, en 1834, ces deux épithètes attentatoires à l'honneur de M. de Voltaire. Ce Fragment sur Voltaire était accompagné, dans la Muse française, de la note suivante Ce fragment est tiré d'une Notice sur la vie et les écrits de Voltaire, qui précède un Choix de lettres, de cet écrivain célèbre, publié par A. Boulland et Ce. Ce choix de lettres fait partie d'une collection imprimée par Firmin Didot, sur papier fin, publiée en deux formats, in-12 etin-18 grand raisin. Elle sera ornée des portraits des divers auteurs. L'éditeur n'épargnera rien pour que cette collection, parti- culièrement destinée à la jeunesse, soit également digne des bibliothèques de tous les amateurs de bons et beaux livres. Elle sera, par son extrême élégance, susceptible d'être donnée en étrennes. — Chaque choix de lettres sera précédé d'une notice biographique et raisonnée sur l'auteur auquel elles seront empruntées. Le choix de lettres et la rédaction des Notices sont confiés à M. Victor Hugo 2. Des cinq Études publiées par Victor Hugo dans la Muse française, la plus remarquable est celle qu'il a consacrée à Eloa ; et l'on s'étonne de ne pas retrouver dans ses œuvres ces pages tour à tour éloquentes ou gracieuses, cette critique d'un poète par un autre poète, où brillent les plus rares et les plus char- mantes qualités. Pourquoi ne les a-t-il pas admises dans Littérature et Philosophie inêlées ? Serait-ce parce qu'en 1834, la gloire d'Alfred de Vigny parais- 1 La Muse française, t. I"»". p. 431. 2 lbirJ..\. î". p. 427. 18, 318 VICTOR HUGO AVANT 1830 sait à quelques-uns moins éclatante que la sienne, mais plus haute et plus pure ; parce qu'elle semblait à tous devoir grandir encore, nul ne pouvant prévoir alors que l'auteur à!Eloa et de Moïse, de Cinq-Mars et de Stello, allait, au lendemain même de Chatterton et de Grandeur et Servitude militaires, en pleine sève et en plein triomphe, rentrer, avant midi, dans sa tour d'ivoire * ; parce que, dans l'entourage même de M. Victor Hugo, ses plus fidèles disciples murmu- raient tout bas ce que Théophile Gautier devait un jour écrire » Eloa est le plus beau poème, le plus parfait peut-être de la langue française ^ ? » Quoi qu'il en soit des motifs qui l'ont décidé à ne pas reproduire son article sur Eloa, M. Victor Hugo n'a pu se résigner à le perdre tout entier. Il en a donc extrait certains passages, où le nom d'Alfred de Vigny ne se trouvait pas, et il les a insérés dans un chapitre de Littérature et Philosophie înêlées, auquel il a donné pour titre Idées au hasard. Jusque-là tout allait bien ; mais que faire de la page suivante toute constellée d'antithèses, mais où brillait aussi, éclatant de blancheur, le nom d'Eloa ? Ces réflexions nous amènent naturellement à l'auteur d'Eloa. Si jamais composition littéraire a profondément porté l'empreinte ineffaçable de la méditation et de l'inspiration, c'est ce poème. Une idée morale, qui touche à la fois aux deux natures de l'homme ; une leçon terrible donnée en vers * Et Vigny plus secret, Comme en sa tour d'ivoire, avant midi, rentrait. Sainte-Beuve. Ips Pensées d'août. 2 Moniteur du 28 septembre 1863. VICTOR HUGO AVANT 1830 319 enchanteurs ; une des plus hautes vérités de la religion et de la philosophie, développée dans une des plus belles fictions de la poésie ; l'échelle entière de la création parcourue depuis le deg-ré le plus élevé jusqu'au degré le plus bas ; une action qui commence par Jésus et se termine par Satan ; la sœur des anges entraînée par la curiosité, la compassion et l'impru- dence, jusqu'au Prince des réprouvés voilà ce que présente Eloa, drame simple et immense, dont tous les ressorts sont des sentiments ; tableau magique qui fait graduellement suc- céder à toutes les teintes de lumière toutes les nuances de ténèbres ; poème singulier qui charme et qui effraye * ! Gomment faire ? Sacrifier cette page et tant de belles antithèses ? C'était dur ! Signaler à l'admiration du lecteur l'auteur d'Eloa ? Jamais ! C'est alors que M. Victor Hugo eut une idée qui porte manifestement, elle aussi, l'empreinte de la rnéditation et de Vinspi- ration. 11 se rappela qu'un certain poète anglais, nommé Milton, lequel jouait même un rôle dans son drame de Cromwell, avait publié, vers l'an 1667, un poème, qui avait quelques rapports avec celui d'Alfred de Vigny. Cela trouvé, le reste allait de soi il n'y avait qu'à mettre Milton^ là où il y avait Alfred de Vigny ; à mettre le Paradis perdu, là où il y avait Eloa. Ainsi fut fait ^. Mais on ne s'avise jamais de tout! M. Victor Hugo ne s'est pas aperçu qu'en se servant de ce petit subterfuge pour ne pas rappeler Eloa, il grandissait singulièrement ce poème, et qu'en voulant abolir jusqu'au nom d'Alfred de Vigny, * La Muse française, t. II, p. 279. 2 Littérature et Philosophie mêlées, p. 2n .*i20 VICTOR IJUGO AVANT 4830 il faisait rejaillir sur ce nom effacé quelque chose de Féclat du nom même de Milton ! y Le soin mis par Victor Hugo à laisser dans l'ombre Eloa est d'autant moins excusable que c'est précisé- ment à lui qu'Alfred de Tigny, au moment où il s'était cru appelé à prendre part à l'expédition d'Espagne, avait confié la mission de faire imprimer son poème et de le présenter au public. C'était sur lui qu'il se reposait, s'il tombait sur quelque champ de bataille, pour protéger sa mémoire. La lettre qu'il lui écrivit à cette occasion est intéressante à plus d'un titre, et mérite d'être mise en entier sous les yeux du lecteur. Alfred de Vigny avait quitté la garde royale au mois de mars 1823, pour passer, avec le grade de capi- taine, au 55^ de ligne, alors en garnison à Strasbourg. Au mois de juillet de la même année, le 55 de ligne fut envoyé à Bordeaux. C'est de cette ville que l'officier-poète écrivait à son ami, à la date du 3 octobre J'ai reçu, mon cher Victor, et avec plus que du plaisir, votre aimable lettre. J'ai tardé à vous répondre, parce que l'ordre que nous venons de recevoir de partir pour l'Espagne m'a donné quelque occupation *. A présent que je sais que j'ai 1 Le o5e de ligne fut envoyé à Pau, mais il ne franchit pas la frontière. Alfred de Vigny fut rondamné à assister à l'expédition larme au bras. Ne pouvant combattre, il composa, dans les Pyrénées, ses trois beaux poèmes DoJorifin. Ip Dphiqp. Le Cnr. et écrivit Je. 1^1». 3 Epître à Jules de Uessérjuier. 350 \ ICTOJi JlUGO AVAiXT 1830 traient avec ceux de l'école de la Restauration, où Parseval-Grandmaison, l'auteur du poème àe Philippe- Auguste^ tendait la main à l'auteur du poème dEloa. Le plus jeune des deux frères Deschamps, Antony, le futur traducteur de Dante, nous a laissé, dans son livre des Dernières paroles, une peinture touchante du salon paternel. C'était là mon bon temps, c'était mon âge d'or, Où, pour se faire aimer, Pichat vivait encor, Cygne du paradis, qui traversa le monde, Sans s'abattre un moment sur cette fange immonde. Soumet, Alfred, Victor, Parseval, vous enfin, Qui dans ces jours heureux vous teniez par la main, Rappelez- vous comment, au fauteuil de mon père Vous veniez, le matin, sur les pas de mon frère, Du feu de poésie échauffer ses vieux ans Et sous les fleurs de mai cacher ses cheveux blancs. Les plus jeunes vantaient Byron et Lamartine Et frémissaient d'amour à leur muse divine ; Les autres, avant eux, amis de la maison. Calmaient cette chaleur par leur froide raison. Et savaient, chaque jour, tirer de leur mémoire Sur Voltaire et Lekain quelque nouvelle histoire, Et, le cœur tout ému d'un innocent plaisir, Avec les jeunes gens se sentaient rajeunir ^. Passionné pour le beau sous toutes ses formes, Emile Deschamps traduisait Horace en même temps que Shakespeare et le Romancero ; il passait sans effort de l'ode à Quintus au poème de Rodrigue et à la scène des sorcières de Macbeth. Prosateur et poète, 1 Dernières paroles, xix. VICTOR HUGO AVANT i830 .Sol il redisait les Plaintes de la jeune Emma, et il don- nait, dans chaque livraison de la Muse française, de piquantes études de mœurs qu'il signait Le jeune moraliste. Gomment donc s'est-il fait que cet homme d'un si vrai talent, au lieu de le concentrer en une œuvre puissante et forte, l'ait perdu et dépensé en menue monnaie, en petites pièces de salon et d'album ? L'explication se peut donner d'un mot Emile Des- champs avait trop d'esprit, et ceci a tué cela l'esprit a tué la poésie. Quand ils ont tant d'esprit, les poètes vivent peu. Adolphe de Saint-Valry % qui partageait avec Emile Deschamps la direction de la Muse française, était, à cette époque, l'ami le plus intime de Victor Hugo n'avaient-ils pas même passion pour la poésie, mêmes croyances religieuses et monarchiques ? Il a marqué son rang, comme romancier, par une œuvre éminente, Madame de Mably. Ses A^ers sont purs, élégants, nobles et faciles ils coulent d'une source élevée. Il avait fait paraître, en 1825 et en 1826, deux poèmes, la Chapelle de Notre-Dame du Chêne et les Ruines de Monifort-VAmaury ; mais, après la révolution de 1830, il renonça à publier de nouveaux recueils, sans pour cela renoncer à la poésie. A plusieurs reprises, il adressa à M. Victor Hugo des vers éloquents, pleins des souvenirs de leur commun passé, pleins aussi de l'espoir que le poète des Odes et Ballades n'était pas perdu sans retour pour les grandes et saintes causes i Né en 1796, mort en 1S07. Jo^ VICTOR HUGO AVANT 1830 qu'avait chantées sa jeunesse. A l'envoi d'une de ces pièces, M. Yictor Hugo répondit, le 17 juin 1841 Cher poète, vous voulez bien me prédire qu'en vieillissant je reviendrai aux illusions de ma jeunesse ; cela s'appelle bien un peu, je crois, retomber en enfance ; mais vous me le pro- phétisez en vers si charmants, si tendres et si beaux, que je suis tout heureux de la prophétie. Cependant je vous crois plus poète que prophète, et je ne vous en aime que mieux. Votre vieux camarade, Victor. Non, certes, Adolphe de Saint-Yalry n'était pas prophète ; mais M. Hugo l'était-il davantage, lui qui écrivait ces lignes au lendemain de son discours de réception à l'Académie française, dont la péroraison est consacrée à célébrer, en termes magnifiques, le défenseur de Louis XYI, ce noble et vénérable Malesherbes, pour lequel il a toujours eu une piété particulière * ! » Prévoj^ait-il alors qu'un jour vien- drait où il se prosternerait, éperdu d'enthousiasme et d'amour, devant les hommes qui ont assassiné Louis XVI et Malesherbes, où il admirerait Danton, où il glorifierait Robespierre, où il diviniserait Marat ? A partir de 1850, les liens qui unissaient, depuis trente ans, le chantre de Louis A VII et son vieux camai^ade, se relâchent, puis se brisent complètement, sans pourtant que l'amitié meure tout à fait, chez l'un d'eux du moins, M. de Saint-Valry, ^qui terminait, en 1862, le récit d'un épisode de leur jeunesse par ces paroles émues * V. Hugo, Discours le ri'ception à l'AcarJé/nle f'rançcns''. i juin IS'il. VICTOR HUGO AVANT 1830 353 Hélas ! ce temps-là est bien loin, bien loin, et il nous semble néanmoins, tant la vie est courte, que c'était hier. Un amas d'événements prodigieux ont roulé depuis comme des flots amers sur nos têtes blanchies par les années ; l'éloigne- ment, des rapports plus rares, les dissentiments politiques s'aggravant sans cesse, des tiers malveillants, de bons con- seils trop méconnus, ont peut-être refroidi peu à peu, de part et d'autre, une vieille et sincère affection ; mais ces amitiés du premier âge ont des racines si fortes et si profondes, que rien ne saurait les détruire entièrement, et qu'il s'exhale encore de leur ruine un reste de parfum qu'on respire avec une douce tristesse jusque sur le seuil de la tombe *. Mais voilà que l'espace va me faire défaut et que je n'ai plus que quelques lignes à accorder à Delphine Gay, Ulric Guttinguer et Ghênedollé;, tous les trois rédacteurs de la Muse et membres du Cénacle. Delphine Gay- était, en 1824, dans toute la fraî- cheur et tout l'éclat de sa rayonnante beauté. Elle n'avait pas encore reçu le surnom de Muse de la patrie, et elle se contentait, en attendant;, d'être appelée par les poètes du Cénacle la Muse française. L'un d'eux, le plus exquis, le plus pur, le plus che- valeresque, avait, sans le vouloir, touché son cœur ; et Mie Sophie Gay avait fait ce beau rêve d'unir le chantre de Madeleine au chantre d'Eloa '. Hélas ! il était écrit que Delphine épouserait, au lieu du plus 1 Un voyage sentimental, par A. de Saint-Vaîry. Voy. ci-dessus, ch. VIII, p. 2G0. 2 Née à Aix-Ia-ChapelIc en 1804, morte en 1855. 3 Voy., dans les Nouveaux Lundis de Sainte-Beuve t, VI, p. 41G et suiv., les lettres de M™^ Sophie Gay à M™e Desbordes-Valmorc;, relatives à ce curieux épisode. 20. 354 VICTOR HUGO AVANT 1830 éthéré des poètes, le plus prosaïque dos hommes d'affaires, au lieu d'Alfred de Vigny, M. Emile de Girardin. Si elle n'a pas terminé son poème de Made- leine; si elle a versé de la poésie dans la prose, du char de la reine Mab dans le fourgon du journalisme, c^est la faute du jnari *. Ulric Guttinguer, né à Rouen en 1785, et plus âgé que la plupart des rédacteurs de la Muse française, était un homme du monde à qui sa belle prestance, ses manières distinguées et sa grande fortune assu- raient, parmi les membres du Cénacle, un réel pres- tige. Emile Deschamps, qui traduisait alors Horace, se plaisait à lui appliquer ces vers de son poète favori Di tibi formam, Di tibi divitias dederunt, artemque fruendi. Sainte-Beuve l'a peint dans Volupté, sous le nom de l'Ami de Noi^mandie ; Victor Hugo lui a dédié l'une de ses odes, V Homme heureux; Alfred de Musset lui a adressé quelques-uns de ses plus beaux vers Ulric, nul œil des mers n'a mesuré l'abîme... Oh ! la belle destinée, — c'est un mot du grand poète italien Leopardi, — oh ! la belle destinée, de ne pouvoir plus mourir, sinon avec un immortel ! » 1 C'est la faute du mari M^e Emile de Girardin fit jouer, sous ce titre, au Théâtre-Français, en 1851, un proverbe en un acte et en vers. — L'Odéon avait représenté, le 9 février 1843, une comédie de M. Léon Guillard, inti- tulée Delphine ou a faute au mari. VICTOR HUGO AVANT 1830 355 Normand comme Ulric Guttinguer, — il était né à Vire, le 4 novembre 1769, — Ghênedollé * avait fait partie, au commencement du siècle, de ce premier cénacle, dont Chateaubriand était le chef et où figu- raient, avec lui, Joubert et Fontanes ^. Étant venu à Paris au mois de juillet 1823, au moment de la fon- dation de la Muse française^ il avait été heureux d'unir sa collaboration à celle des nouveaux poètes, comme lui disciples et amis de Chateaubriand. Je trouve, dans la quatrième livraison de la Muse, à côté de la Dolorida d'Alfred de Vigny, une ode de Ghênedollé sur le Supplice des suicides , imitée de Dante. Alexandre Soumet lui écrivait, à l'occasion de cette pièce, le 20 septembre 1823 Mon cher maître et ami, je viens moi-même du bureau de notre journal ; je n'ai voulu m'en rapporter qu'à moi-même pour corriger les épreuves de vos beaux vers. Nous avons hésité longtemps entre les stances du Troubadour et le mor- ceau du Dante, comme on hésite entre une statue d'Hébé et celle d'un Hercule. La force l'a emporté sur la grâce, et votre admirable imitation est déjà imprimée. J'ai sollicité la laveur de paraître dans le même numéro que vous, afin de me mettre sous votre sauvegarde comme autrefois. Je rends compte des Soirées de Saint-Pétersbourg ; je parle des peines de l'Enfer, et le morceau du Dante viendra joindre l'exemple au précepte... C'est ainsi, dit Sainte-Beuve, après avoir cité cette lettre dans sa belle étude sur Ghênedollé, c'est ainsi qu'on se parlait tous les jours^, à toutes les 1 Né en 17G9, mort en 1833. 2 Chateaubriand et son groupe littéraire sous l'Empire, par Sainte-Beuve. 356 VICTOR ]IUGO AVANT 1830 heures, dans ce monde-là c'était les plus grandes rudesses. » On peut sourire assurément, et Sainte- Beuve ne s'en est pas fait faute, des travers de ce petit monde poétique, caressant et parfumé, tout confit en douceurs, où les poètes de la Muse s'appe- laient entre eux Alfred, Victor^ Adolphe, Jules, Gas- pard, Emile ou Delphine. Mais cette camaraderie innocente ne valait-elle pas mieux, après tout, que les jalousies et les haines qui bientôt attristeront la poésie et les lettres? Cet âge d'or de la littérature romantique n'était-il pas préférable cent fois à cet âge de fer de la littérature industrielle, contre lequel il appartiendra à Sainte-Beuve lui-même de réagir un jour avec éclat *? En dépit de ses défauts, le groupe de la Muse fran- çaise a exercé une influence heureuse sur la poésie et sur l'art. Son véritable caractère, celui qui lui est propre, c'est la tendance à l'élévation. Élégant et noble, gracieux et pur, ce groupe d'élite mérite qu'on l'appelle de ce nom que Dante nous fournit, la hella Scuola. Dans les premiers jours d'août 1830, Charles X, le duc d'Angoulême, la duchesse sa femme, la duchesse de Berry, le duc de Bordeaux, sa sœur, escortés de leur garde fidèle , se dirigeaient vers Cherbourg. Tandis que ces princes^ dont les ancêtres avaient fait la France, s'acheminaient vers l'exil, l'auteur des Odes 1 Voy., dans les Portraits contemporains t. !', p. 427, l'article intitulé ; Quelques vériiés svr la situation en littérature, !' juillet IS43. VICTOR HUGO AVANT 1830 357 et Ballades, de la même plume qui avait écrit les odes sur la Naissance du duc de Bordeaux et sur le Sacre de Charles X, écrivait des strophes enthou- siastes en l'honneur des héros de Juillet Frères ! et vous aussi vous avez vos journées M... Cependant le cortège royal, poursuivant son triste itinéraire, traversait le val de Yire et passait non loin de la maison de Ghênedollé il était sur la route, entouré de tous les siens, tenant à la main des branches de lis qu'ils offrirent au vieux roi, prêt à quitter, pour ne les plus revoir, les rivages de la patrie pieuse et touchante inspiration ! Adieux de la poésie à la royauté ! Traduction vraiment française du vers de Virgile Manibus date lilia plenis ! Ghênedollé, ce jour-là, le généreux poète, a noble- ment payé au petit-fils de Louis XIV la dette de la Muse française. * Les Citants du crépuscule. CHAPITRE XI Les Nouvelles Odes. — Le Sacre de Charles X. Préface des Nouvelles Odes, Racine et Boileaii. M. Ternaux et l'abbé Delille. Variantes, — Du rôle des initiales dans la répu- blique des Lettres. Un article d'Hoffman. Mémoires de Phila- rète Chasles. Un plagiat d outre-tombe. Réponse de M. Victor Hugo à Hoffman. — La Légion d'honneur en 1825. Lettres iné- dites. Augustin Soulié. — Le Sacre de Charles X. Comment M. Victor Hugo a vu, à Reims, le 29 mai 1823, M. de Lamar- tine qui était Lyon. Un passage de Malebranche. — Une au- dience aux Tuileries. La culotte courte de M. Brifaut. —Voyage en Suisse. Le bon éditeur Urbain Canel. Visite à Saint-Point. Julia de Lamartine et Léopoldine Hugo. Album de trois voya- geurs à la vallée de Chamonix. I\L X. Doudan. Ce cyclope de Victor Hugo! — Guerre aux démolisseurs ! Dans les quelques lignes consacrées par M. Victor Hugo à la Muse française, il ne s'est pas fait faute de reprocher à ses collaborateurs leur timidité, de tourner en ridicule leur polémique douceâtre et trop peu agres- sive. Les questions, au lieu d'être abordées de front, étaient prises de biais, et l'on n'arrivait à aucune con- clusion définitive. » Ah ! s'il eût été le maître ! ce n'est pas lui qui se serait contenté d'une opposition de salon ; il aurait fait une guerre à outrance *. Comme * Victor Hugo raconté, etc., t. II, p. 83. VICTOR HUGO AVANT 1830 359 le bon Canaris sur les vaisseaux des Turcs, il aurait, sur les tragédies des classiques, arboré riticendie^f — M. Victor Hugo oublie qu'en 1824 il n'était pas aussi farouche que cela Gresset se trompe, il n'est pas si coupable. 1824, c'est l'année où parut le second volume des Odes ; il était accompagné d'une préface dans laquelle l'auteur exposait ses principes et ses théories litté- raires en toute liberté et sans avoir à tenir compte des ménagements et des scrupules de collaborateurs trop timorés. Or rien ne ressemble moins à une décla- ration de guerre que ce manifeste, oi^i Victor Hugo se montre à nous sous les traits, non d'un romantique intransigeant, mais d'un modéré et d'un conciliateur. H adresse aux deux partis en lutte des paroles de paix ; il répudie toutes les violences ; il écarte ce qui divise, pour rechercher ce qui rapproche. \\ semble que par moments on l'entende s'écrier comme cet honnête Sosie Messieurs, ami de tout le monde. Il y a maintenant, écrit-il, deux partis dans la littérature comme dans l'État... Les deux camps semblent plus impa- tients de combattre que de traiter... Quelques voix impor- tantes néanmoins se sont élevées, depuis quelque temps, parmi les clameurs des deux armées. Des conciliateurs se sont pré- sentés avec de sages paroles entre les deux fronts d'attaque. Ils seront peut-être les premiers immolés, mais qu'importe ! 1 Les Orientales, t. II. 360 VICTOR HUGO AVA^T 1830 C'est dans leurs rangs que l'auteur de ce livre veut être placé, dût-il y être confondu ^.. Pour lui, il ignore profondément ce que c'est que le genre classique et le genre romantique. Sans doute, il admire Shakespeare et Galderon, mais il n'admire pas moins Racine et Boileau. Voici en quels termes il parle de ce dernier Nul ne pousse plus loin que l'auteur de ce livre l'estime pour cet excellent esprit. Boileau partage avec notre Racine le mérite unique d'avoir fixé la langue française, ce qui suffirait pour prouver que lui aussi avait un génie créateur, » Un seul reproche peut être adressé aux admirables poètes du grand siècle Français et chrétiens, ils ont eu le tort de ne chanter que les dieux de l'Olympe, de ne célébrer que les héros de la Grèce et de Rome. Cette faute, en apparence purement littéraire, a eu, dans l'ordre politique et social, des conséquences funestes que l'auteur des Nouvelles Odes fait ressortir avec force dans une page éloquente Si la littérature du grand siècle de Louis le Grand eût invoqué le christianisme, au lieu d'adorer des dieux païens, si ses poètes eussent été ce qu'étaient ceux des temps primitifs, des prêtres chantant les grandes choses de leur religion et de leur patrie, le triomphe des doctrines sophistiques du dernier siècle eût été beaucoup plus difficile, peut-être même impos- sible. Aux premières attaques des novateurs, la religion et la morale se fussent réfugiées dans le sanctuaire des lettres, sous la garde de tant de grands hommes. Le goût national, accou- tumé à ne point séparer les idées de religion et de poésie, 1 Préface des Nouvelles Odes, p. 7, VICTOU HUGO AVANT 1830 301 eût répudié tout essai de poésie irréligieuse, et flétri celte monstruosité, non moins comme un sacrilège littéraire que comme un sacrilège social. Qui peut calculer ce qui fût arrivé de la pliilosophie, si la cause de Dieu, défendue en vain par la vertu, eût été aussi plaidée par le génie ?... Mais la France n'eut pas ce bonheur ; ses poètes nationaux étaient presque tous des poètes païens ; et notre littérature était plutôt l'ex- pression d'une société idolâtre et démocratique que d'une société monarchique et chrétienne ; aussi les philosophes par- vinrent-ils, en moins d'un siècle, à chasser des cœurs une religion qui n'était pas dans les esprits i. Pour réparer le mal fait par les sophistes, il importe de ne pas retomber dans la faute commise au dix- septième siècle, il faut que les ouvrages des poètes nouveaux, vrais pour le fond, soient également vrais dans la forme la poésie vit moins de fiction que de vérité. Le poète, aujourd'hui, disait Victor Hugo, en terminant, doit marcher devant les peuples, comme une lumière, et leur montrer le chemin... Il ne sera jamais l'écho d'aucune parole, si ce n'est de celle de Dieu. Il se rappellera toujours ce que ses prédécesseurs ont trop oublié, que lui aussi il a une religion et une patrie. Ses chants célébreront sans cesse les gloires et les infortunes de son pays, les austérités et les ravisse- ments de son culte... Telle est la mission du génie ; ses élus sont ces sentinelles laissées par le Seigneur sur les tours de Jérusalem, et qui ne se tairont ni jour ni nuit. » Certes, c'était là un noble programme ; mais ce pro- gramme était précisément celui de la Muse française, 1 Préface des Nouvelles Odes, p. 2i. 21 362 VICTOR iiuGO ayant 1830 tel que l'avait exposé, peu de temps auparavant, Alexandre Guiraud, dans un article où il parlait au nom de tous ses collaborateurs et qui. était intitulé Nos doctrines \ Gomme ses amis de la Muse, et après eux, Victor Hugo se bornait à revendiquer pour notre littérature le droit d'être française et chrétienne; pour le poète le droit de puiser ses inspirations dans son âme et dans son cœur, dans nos traditions et dans nos croyances. En ce qui touche la forme même des vers, la versification proprement dite, l'auteur des Nouvelles Odes n'était pas plus révolutionnaire. S'il est utile et parfois nécessaire, écrivait-il, de rajeunir quelques tournures usées, de renouveler quelques vieilles expressions, et peut-être d'essayer encore d'embellir notre versification par la plénitude du mètre et la pureté de la rime, on ne saurait trop ré- péter que là doit s'arrêter l'esprit de perfectionne- ment. Toute innovation contraire à la nature de notre prosodie et au génie de notre langue doit être signalée comme un attentat aux premiers principes du goût.» Ni la brisure du rythme, ni la césure mobile, ni l'enjambement , n'étaient encore inscrits sur son programme. Depuis, il s'est vanté d'avoir démoli la prosodie, cette Bastille des vers, et d'avoir mis l'hé- mistiche en liberté Tous les envahisseurs et tous les ravageurs, Tous ces tigres, les Huns, les Scythes et les Daces, N'étaient que des toutous auprès de mes audaces 2... 1 La Muse française, janvier 1824. 2 Les Contemplations, t. I, p. 33. VICTOR HUGO AVANT 1830 060 Ses audaces, en ce temps-là, n'allaient môme pas jusqu'à rejeter complètement le joug de la périphrase, et il était sur ce point moins hardi que quelques-uns de ses confrères de la Muse. Tandis que Jules de Rességuier écrivait simplement Tes grâces sous ton schall te trahissent encore S Victor Hugo, qui avait acheté à sa jeune femme, avec le produit de la première édition des Odes et poésies diverses, un beau schall Ternaux, ne se déci- dait à l'introduire dans ses vers qu'après l'avoir soi- gneusement enveloppé dans les plis de cette péri- phrase Couvre-toi du tissu, trésor de Cachemire... n Ternaux eût approuvé, Delille eût applaudi. II Les Nouvelles Odes ^, dont la préface nous a retenus quelques instants, furent publiées chez Ladvocat, non au mois de février 1824, comme l'a dit Sainte-Beuve*, mais dans les derniers jours de mars ^. 1 Le Schall, par Jules de Rességuier, 2 Odes et Ballades la Promenade, 3 Nouvelles Odes, par M. Victor Hugo ; avec cette épigraphe A'os canimus surdis. Chez Ladvocat, libraire. Un vol. grand in-S», orné d'une gravure. Prix 4 fr. * Portraits contemporains, t. I, p. 40G. s Journal des Débats, 24 mars 1824. ;jGi VICTOR HUGO AVANT 1830 Dans redit ion définitive de 1828, M. Victor Hugo a distribué ses odes suivant un classement méthodique où il n'est tenu nul compte de leur date de publica- tion. Afin de permettre au lecteur de rétablir la phy- sionomie du volume de 1824, nous donnerons la liste des pièces qui le composaient, en les rangeant dans l'ordre même de leur composition, ainsi que nous l'avons fait pour le volume de 1822 Année 1823 A mes vers ; VEistolre ; la Bande noire ; le Repas libre ; le Sylphe ; la GrancVMhre ; Mon Enfance ; Epitaphe ; A. G... Y.; le Paysage; Encore à toi; Son Nom ; le Dernier Chant; V Anté- christ ; VAme ; la Liberté; A mon père; le Poète ; Actions de grâces ; A mes Amis; A V Ombre d'un en- fant ; la Guerre cV Espagne ; A VArc de triomphe de r Étoile ; la Mort de J/^i^ de Sombreull. Année 1824 Ballade; le Chant de r Arène ; le Chant du Cirque ; le Chant du Tournoi. La première de ces pièces, A mes Vers, a pour titre, dans l'édition de 1828 A mes Odes. Celle qui était intitulée, en 1824, Ballade, a maintenant pour titre Une fée Que ce soit Urgèle ou Morgane, J'aime, en un rêve sans efTroi, Qu'une fée, au corps diaphane, Ainsi qu'une fleur qui se fane, Vienne pencher son front sur moi. La Bande noire était dédiée à l'auteur du Voyage pittoresque et romantique dans rancienne France, à Charles Nodier. Cette dédicace a disparu. Disparue VICTOR AVANT 1830 ;]>.' aussi la note qui procédait cette ode et qui était ainsi conçue On reprochera peut-être au titre de cette ode sa trivialité • mais la Bande noire était une des institutions laissées par la révolution ; et, en parlant des choses de cette révolution, la trivialité est souvent un défaut inévitable. Victor Hugo a corrigé, dans les éditions suivantes, la plupart des pièces de son volume de 1824, refaisant bon nombre de vers, remaniant bon nombre de stro- phes. La place nous manquerait ici pour reproduire ces variantes, et nous devons nous borner à en signa- ler quelques-unes. La sixième stance de la GranfVMère se lisait ainsi dans l'édition do 1824 Ou montre-nous ta bible, aux figures dorées ; Les saints, vêtus de blanc, protecteurs des hameaux. Les vierges, de rayons dans leur joie entourées. Et ces feuillets où luit, en lettres ignorées, Le langage inconnu qui dit à Dieu nos maux. Elle a été entièrement refaite dans l'édition de 1828 Ou montre-nous ta bible et les belles images, Le ciel d'or, les saints bleus, les saintes à genoux. L'enfant Jésus, la crèche, et le bœuf et les mages ; Fais-nous bre du doigt, dans le milieu des pages, Un peu de ce latin qui parle à Dieu de nous. Dans l'ode intitulée Mon Enfance^ la strophe sixième olait d'abord ainsi conçue 366 VICTOR HUGO AVANT 1830 Et j'accusais mon âge, et je disais 0 gloire ! Quand donc serai -je aussi connu de la victoire ? Mon sang dormira-t-il, dans mes veines perdu ? Faut-il qu'en un combat, célébré par l'Jnstoire, Il ne soit jamais répandu ? » Elle a reçu, en 1828, les modifications suivantes Et j'accusais mon âge — Ah ! dans une ombre obscure. Grandir, vivre ! laisser refroidir sans murmure Tout ce sang jeune et pur, bouillant chez mes pareils. Qui dans un noir combat, sur l'acier d'une armure, Coulerait à flots si vermeils ! La strophe deuxième de l'ode sur la Liberté n'a pas été remaniée moins heureusement Non, sur nos tristes bords, ô belle voyageuse ! Sœur auguste des rois, fille sainte de Dieu, Liberté 1 guide pur de la gloire orageuse. Non, je ne t'ai point dit adieu ! Mes hymnes dévoués ne vont point sur l'arène. Traînant dans la lutte une chaîne, Mais du manteau d'azur vêtus. Mon luth n'est point de ceux dont les voix importunes Ne savent pas pleurer toutes les infortunes Et bénir toutes les vertus. Tel était le texte de 1824. Voici le texte de 1828 Liberté ! pur flambeau de la gloire orageuse, Non, je ne t'ai point dit adieu! Car mon luth est de ceux dont les voix importunes Pleurent toutes les infortunes, Bénissent toutes les vertus. Mes hymnes dévoués ne traînent point la chaîne Du vil gladiateur, mais ils vont dans l'arène, Du linceul des martvrs vêtus. VICTOR HUGO AVANT 1830 367 Le Journal des Débats rendit compte des Nouvelles Odes dans son numéro du 14 juin 1824. L'article était signé Z. M. Victor Hugo a dit au tome I"' des Misé- rables, dans son chapitre sur Vannée 1817 M. de Féletz signait A. et M. Hofmann signait Z. » C'était un usage accepté, sauf de très rares exceptions, par les journalistes de l'Empire et de la Restauration, do no jamais mettre leur nom au bas de leurs articles poli- tiques, et de se contenter pour leurs articles litté" raires d'un signe conventionnel ; les initiales jouaient, par suite, un rôle considérable dans la république des lettres. Les articles de l'abbé de Féletz étaient signés A., bien que leur auteur, depuis longtemps, n'en fût plus à l'A, B, G de la critique, où il était passé maître. Ceux de M. Hoffman et non pas Hoffmann, ainsi que l'écrit M. Hugo, comme s'il s'agissait du célèbre con- teur allemand étaient signés, en 1817, de l'initiale de son nom, à laquelle il substitua plus tard la lettre Z. Un autre rédacteur des Débats, Dussault, signait Y, tandis que Gastil-Blaze, dans le même journal, signait XXX ses articles de critique musicale. L'alphabet fran- çais y avait passé tout entier. Un aimable érudit, M. Boissonnade, fut obligé de recourir à l'alphabet grecj il choisit modestement la dernière lettre et signa Q,. Hoffman, a dit quelque part Sainte-Beuve, avait bien des qualités du vrai critique conscience, indé- pendance des idées, un avis à lui. Esprit exact, sincère et scrupuleux, il possédait l'art d'une ironie fine... Il était l'ennemi des engouements et de tous les char- 368 VICTOR HUGO AYANT 1830 latanismes*. » Son article sur les Nouvelles Odes est des plus spirituels, et, à côté de justes éloges, il ren- ferme des traits qui eurent le don d'émouvoir Hugo. Le poète se garda pourtant de tomber dans la faute de l'ancien archevêque de Malines, M. de Pradt, qui, piqué au vif par un article d'Hoffman, avait, un jour, gravi les quatre étages du critique et lui avait adressé une homélie d'une vivacité singulière, qui se terminait par ces mots a Vous m'avez traité comme un prestolet, un procureur ou un journaliste. » Hofî- man, qui était un homme de théâtre et avait fait jouer, avec le plus vif succès, le Roman cVune heure et les Ben de z-v DUS bourgeois^ mit en scène dans les Débats le ci-devant aumônier du dieu Mars, et traduisit le plus gaiement du monde les injures, les gesticula- tions et les anathèmes du fougueux abbé ; la visite de l'archevêque chez le journaliste, racontée par ce der- nier, amusa pendant huit jours tout Paris ^. Victor Hugo, au lieu d'aller trouver le critique, lui adressa une lettre qui parut, le 26 juillet 1824, dans le Journal des Débats. Celte lettre, qui a les dimen- sionsd'une brochure, est un des documents les plus 1 Causeries du Lundi, t. I, p. 362. 2 Au tome I*"^ de ses Mémoires, p. 279 et suiv., M. Philarète Chasles s'est approprié sans \ergogne ces pages d'Hoffman. Il reproduit, sans y changer une syllabe, le récit de la visite de Tarchevêque de Malines au critique des Débats, présente cette visite comme lui ayant été faite à lui-même et donne ce récit comme son œuvre personnelle. Cet homme d'esprit se disait sans doute que jamais personne n'irait déterrer ce cadavre enfoui dans les Débats du 3 août 1817; ou bien peut-être se proposait-il tout simplement de jus- tifier, par ce larcin posthume, les sévérités de l'Académie française qui, en dépit de son rare talent, s'était obstinément refusée à l'admettre dans ses rangs. YlCTOn HUGO AVANT 1830 3G9 importants clc Thistoirc du romaiilisme, et on ne s'explique pas qu'elle n'ait point trouvé place dans l'édition des Œuvres complètes du poète. Nous ne pouvons en donner ici que de courts extraits. Après avoir rendu hommage au caractère et au génie de Chateaubriand, ce grand homme qui, non content d'avoir, dans le Génie du Christianisme, tracé les préceptes de la poésie nouvelle, en a don^ié dans ses Martyrs le plus magnifique exemple ; généreux écrivain qu'ont tour à tour trouvé fidèle, en leur temps de péril, la religion, la monarchie et la. liberté, les trois grandes nécessités d'un grand peuple, » Victor Hugo continue en ces termes Vous avez choisi, monsieur, pour rendre votre démonstration plus sensible, quelques expressions qui vous paraissent carac- tériser essentiellement le genre romantique, et c'est à moi que vous avez fait l'honneur de les emprunter. Ayant depuis assez longtemps ces Nouvelles Odes entre les mains, je dois supposer que vous n'avez pas pris vos exemples au hasard, et que les locutions que vous citez sont celles qui vous ont paru repré- senter plus fidèlement les défauts particuhers à l'école nou- velle. Or, monsieur, si ces locutions, qui vous semblent spécia- lement romantiques, ont par hasard une foule de types et d'équivalents chez les auteurs classiques, ne faudra-t-il pas en conclure que la différence que vous avez voulu établir par des exemples entre les deux genres n'est pas moins illusoire que celle que vous avez indiquée par des raisonnements aussi spiri- tuels qu'erronés ? C'est ce que nous allons examiner. Selon vous, les anciens et les grands écrivains modernes ont toujours parlé aux sens pour mieux émouvoir l'esprit. Ils ne nous ont pas montré des rohes de vapeur... » Je vous arrête ici, monsieur Horace nous représente Apollon 21. ,370 VICTOR HUGO AVANT 1830 Nube candentes humeros amictus. Or, quand on est revêtu d'un nuage, ne porte-t-on pas une wbe de vapeur ? — Ils n'ont pas, continuez-vous, donné à un dieu le mystère pour vêtement. » Je ne vous dirai pas que cette expression est littéralement empruntée à la Bible. La Bible n'est-elle pas un peu romantique ? Mais je vous deman- derai en quoi cette locution vous semble vicieuse. C'est, me direz-vous, parce qu'une idée abstraite, le fnystère, y est immédiatement associée à une image physique, le vêtement. £h bien ! monsieur, ce genre d'alliance de mots, qui vous paraît si exclusivement romantique, se retrouve à chaque ins- tant chez les anciens et les grands écrivains modernes. » Virgile, dans sa belle peinture de V Antre des Cyclopes, nous représente les compagnons de Vulcain occupés à mêler, pour forger la foudre, trois rayons de pluie et le BRUIT, trois rayons de flamme et la PEUR. Voilà certainement une singu- lière fusion de réalités et d'abstractions, et ce n'est certaine- ment pas du Baal romantique que les cyclopes de Virgile tiennent le secret de cette composition, où il n'entre pas moins d'éléments métaphysiques que d'éléments chimiques. Horace nous montre également Pallas apprêtant tout à la fois son casque, son égide, son char et currusqiie et PiABIEM parât. Ode xv, liv. I. Ailleurs, il charge les vents de PORTER dans la mer de Crète {Creticum mMre ses CRAiyTES et sa TRISTESSE {TRISTITLUI et METUS. Ici, il engage ses amis à chasser leurs SOUCIS par le vin, vino pellite CUPiAS, et de cette ro?nantique alliance de mots est né le vieux proverbe, noyer ses CHAGRINS dans la bouteille. Plus loin, c'est Vénus plaçant sous des jougs d'airain juga ahenea des ESPRITS inégaux [impures animos ; ou les COLÈRES {tristes IRiE frappant l'airain avec plus de fureur que ne le frappent les corybantcs. Les exemples de ces sortes d'alliance de mots se présenteront en foule chez les classiques, monsieur. Toutefois, resserré par l'espace, je ne veux plus citer que quelques exem- ples décisifs. Vous affirmez que les classiques, soigneux de ne VICTOR HUGO AYANT 1830 371 jamais lier les abstractions aux réalités, n'auraient pas donné à un dieu le mystère pour vêtement ; mais, monsieur, ils ont donné la JUSTICE et la VÉRITÉ pour fondement à son trône Rousseau, ode xi, livre I, et par conséquent ils ont appuyé une réalité, le t?vne, sur deux abstractions, la justice et la vérité. Autres exemples Horace a dit, ode xxix, liv. III VIRTUTE me involvo mea je m'enveloppe de ma VERTU. Jean-Baptiste a dit liv. IV, ode x Pour souverain mérite on ne demande aux hommes Qu'un vice complaisant de GRACE revêtu. Or, monsieur, quand Horace fait de la VERTU une enveloppe, et Rousseau, des GRACES un vêteinent, n'emploie-t-on pas précisément la même figure, en appliquant la même expres- sion au MYSTÈRE, qui est une abstraction comme les mots grâce et vertu ? Voici la fin de cette habile et spirituelle défense Il faut conclure, monsieur, et voici ma conclusion Vous convenez positivement qu'il n'existe, entre les genres classique et romantique, de différence que dans le style, et vous établis- sez cette différence par des exemples qui vous paraissent carac- téristiques. J'ai eu l'honneur de vous prouver que les locutions dans lesquelles vous découvrez tout le romantisme ont été au moins aussijréquemment employées par les classiques anciens et modernes que par les écrivains contemporains ; or, comme dans ces locutions résidait spécialement votre distinction entre les deux genres, cette distinction tombe d'elle-même ; et il suit de là, toujours d'après votre système, qu'il n'existe aucune différence réelle entre les deux genres, puisque la seule que vous reconnaissez, celle du style, s'est complètement évanouie. Permettez-moi de vous remercier de ce résultat. Cette lettre est longue, monsieur ; je pourrais dire, avec un 372 VICTOR HUGO AVANT 1830 fameux écrivain Je n'ai pas eu le temps d'êtf^e court. Pressé par le temps et par l'espace, obligé le plus souvent de citer de mémoire, je vous laisse à juger du degré d'évidence que j'aurais produit si j'avais eu votre érudition profonde et votre ingénieux talent. Sûr de votre loyauté, c'est à vous que je m'adresse pour obtenir l'insertion de cette réponse dans le Journal des Débats. Venez vous-même m'ouvrir la porte de l'arène où je me présente pour vous combattre, avec plus de confiance en vous qu'en moi-même. Méritez de ma part encore cette recon- naissance, et faites que mes paroles aient du moins la même publicité que les vôtres, puisqu'elles ne peuvent avoir la même autorité. YiCTOR-M. Hugo ^ III Après avoir fait paraître, en 1824, Ilan cVlslande et le second volume de ses Odes, Victor Hugo ne publia, l'année suivante, ni roman nouveau ni poésies nou- velles. Cette année 1825 fut cependant marquée pour lui par quelques événements dignes d'être notés. On lit dans le Moniteur du 29 avril 1825 Le roi vient de nommer MM. Alphonse de Lamartine et Victor Hugo chevaliers de la Légion d'honneur. En même temps, le roi Charles X l'invitait à son sacre, qui devait avoir lieu le 29 mai. Lorsque cette invitation lui parvint, il était à Blois, chez son père, et c'est de là qu'il écrivait à l'un de ses amis, M. Au- gustin Soulié, rédacteur de la Quotidienne ^ 1 Journal des Débats, 26 juillet 1824. - Jean-Baptiste-Augiistin Soulip. né à Castres en 1780, mort à Paris en VICTOR UUGO AYANT 1830 373 Blois, 27 avril 1825. Savez-vous, mon bon Soulié, que les grâces royales pleuvent sur moi ? Le roi me nomme chevalier de la Légion d'honneur et me fait l'insigne faveur de m'inviter à son sacre. \'ous allez vous réjouir, vous qui m'aimez, et je vous assure que le plaisir que cette nouvelle vous donnera augmente beaucoup ma propre satisfaction. Ce qui accroît beaucoup le prix de cette croix à mes yeux, c'est que je l'obtiens avec Lamartine, par ordonnance spéciale qui ne nomme que nous deux... Je dois ajouter que M. de la Rochefoucauld * a été charmant dans cette circons- tance pour Lamartine et moi. Il est impossible de s'efiacer plus complètement pour laisser au roi toute la reconnaissance, de mettre plus de grâce et de délicatesse dans ses rapports avec nous. C'est à lui que nous devons nos croix et c'est lui qui nous remercie. Je vais donc vous revoir, cher ami, et il me faut cette espé- rance pour apporter quelque adoucissement au cliagrin de quitter mon Adèle pour la première fois. Victor. Le 7 mai suivant, il écrivait à un autre de ses amis. Adolphe de Saint-Valry Blois, 7 mai 1825. Oui, mon ami, de cette ville historique et pittoresque, je tournerai bien souvent mes regards vers Paris et Montfort ^, 1845. Il avait pris part, le 12 mars 1814, au mouvement royaliste de Bor- deaux, et il avait fondé dans cette ville trois journaux le Mémorial borde- lais, la Ruche d'Aquitaine et la Ruche politique. Fixé à Paris, à partir de 1820, il devint un des principaux rédacteurs de la Quotidienne et fut nommé conservateur à la bibliothèque de l'Arsenal. Il a publié des traductions en vers de plusieurs poètes anglais, Gray, Robert, Charlotte Smith et James Montgomery, et donné une excellente édition des Poésies de Charles d'Or- léans. 1 I-e vicomte Sosthènes de la Rochefoucauld, aide de camp du roi, chargé du département des Beaux-Arts. 2 Montfort-rAmaury, où Victor Hugo avait reçu, en 1821. l'hospitalité d> Mae de Sainl-Valrv. 374 VICTOR HUGO AYANT 1830 et le château de Blois ne me fera point oublier Saint-Laurent. J'ai passé là, en août 1821, des moments bien doux, et votre excellente mère m'y a fait presque oublier pendant huit jours l'admirable mère que je venais de perdre. Je vous remercie des nouvelles que vous me donnez. Je suis charmé que le bon Jules Lefèvre vous doive la vente de son Clocher de Saint-Marc. C'est un homme d'unvrai talent, et ilne imanque à son caractère qu'un succès. Rien de tout cela ne vous manque à vous, mon cher ami, et vous avez tort de désespérer de vous-même ; il faut que votre poème 1 se vende, et il se vendra. Entre le talent et le public, le traité est bientôt fait. On me dit ici que l'on dit là-bas que j'ai fait abjuration de mes hérésies littéraires, comme notre grand poète Soumet. Démentez le fait bien haut, partout où vous serez, vous me rendrez service. J'ai visité hier Chambord. Vous ne pouvez vous figurer comme c'est singulièrement beau. Toutes les magies, toutes les poésies, toutes les folies même sont représentées dans l'admirable bizarrerie de ce palais de fées et de chevaliers. J'ai gravé mon nom sur le faîte de la plus haute tourelle ; j'ai emporté un peu de pierre et de mousse de ce sommet, et un morceau du châssis de la croisée sur laquelle François 1er a inscrit les deux vers Souvent femme varie, Bien fol est qui s'y fie ! Ces deux reliques me sont précieuses. Adieu ! mon ami, vous savez que le roi m'invite à son sacre. Je serai à Paris vers le 20, et je vous embrasserai. L'amitié d'un homme comme vous est douce et inappré- ciable. Victor. 1 La chapelle de Notre-Dame du Chêne. VICTOR HUGO AVANT 1830 375 Adolphe de Saint-Valry avait des premiers composé des vers sur le sacre. Victor Hugo lui écrivit à cette occasion Je suis bien impatient de connaître des vers de vous sur le sacre. J'aime autant le poète que le sujet. Lamartine, qui est à Paris depuis trois jours pour huit, m'est venu A-oir deux fois, m'a dit en avoir fait aussi pour cette époque, et m'a demandé si j'en ferais. Je ne le crois pas ; mais je l'ignore Spiritus flat ubivult *. » Victor Hugo aimait le sujet ; nul doute dès lors qu'il ne chantât le sacre de Charles X, comme il avait chanté le baptême du duc de Bordeaux. Il fit le voyage de Reims en compagnie de Charles Nodier, chargé d'écrire le discours préliminaire à la relation des cérémonies ; de M. de Cailloux, secrétaire général des musées, et d'un jeune peintre, M. Alaux, qui fut depuis directeur de l'École de France à Rome. Le 29 mai, revêtu du costume officiel, habit à la française, épée en verrouil, manchettes et jabots de dentelles, il pénétra dans la vieille basilique, toute tapissée de velours et de soie, il s'agenouilla sur ces dalles qu^ avaient vu Jeanne d'Arc à genoux, et du fond de son cœur, cette prière monta à ses lèvres 0 Dieu ! garde à jamais ce roi qu'un peuple adore ! Romps de ses ennemis les flèches et les dards, Qu'ils viennent du couchant, qu'ils viennent de l'aurore, Sur des coursiers ou sur des chars ! Charles, comme au Sina, t'a pu voir face à face ! Du moins qu'un long bonheur efface * Lettre de Victor Hugo à Adolphe de Saint-Valry. Paris, 13 avril 1825. ;j76 VICTOR HUGO AYANT 1830 Ses bien longues adversités ! Qu'ici-bas des élus il ait l'habit de fête ! Prête à son front royal deux rayons de ta tète Mets deux anges à ses côtés i ! IV M. de Lamartine aussi était venu au sacre, » dit M. Victor Hugo dans ses Mémoires - ; et un peu plus loin A Reims, M. de Lamartine rappela à Victor Hugo la promesse qu'il lui avait faite d'aller le voira Saint-Point. M. Nodier était présent, Lamartine l'invita aussi ^. » — Ainsi, M. Victor Hugo a vu Lamartine à Reims au sacre de Charles X. Ses souvenirs à cet égard sont précis et formels. Malheureusement la Correspondance de Lamartine est là, non moins pré- cise et non moins formelle, et il en résulte que le poète des Méditations n'a pas mis les pieds à Reims en 1825. H écrit de Mâcon au comte de Virieii, le 7 avril Je suis forcé de partir à l'improviste pour Paris... J'y res- terai dix jours et pas plus. Ecris-moi chez Mme de Vaux, rue Pérou, no 16, près la place Saint-Sulpice. C'est là que je vais débarquer, étant trop souffrant pour le bruit de notre quartier et l'abandon d'une auberge... Je vais vendre aussi un petit fragment intitulé le Chant du sacre ou la Veille des armes. C'est mon poème de Fontenoy. Mais je ne le fais ni pour 1 V. Hugo, le Sacre de Charles X. Reims, mai-juin 182o. 2 Victor Hugo raconté, etc., t. II, p. 103. 3 Oih cit., t. II, p. 107, VICTOR HUGO AYANT 1830 377 gloire ni pour argent, par pure conscience royalisLe, et pour témoigner une juste reconnaissance à qui de droit... Nous partons décidément pour Aix le h^^ juin. Venez-y donc, c'est un site divin. Voguons encore sur le lac i ! Le Chant du sacre était donc composé dès le com- mencement d'avril. Le poète s'était décidé à devancer ainsi les fêtes de Reims, sachant qu'il ne pommait y assister, et qu'à l'heure où elles se célébreraient, il serait en route pour les eaux d'Aix, où l'envoyaient les médecins. Le 7 mai, il écrit à M. de Virieu Je ne puis te promettre une visite dont j'aurais plus besoin que toi ma femme veut me garder et me soigner au moins un petit mois. Je prends le petit-lait, les bains, etc., pour couper ma fièvre qui paraît y céder un peu. Le 29 'mai, nous allons à Aix pour six semaines avec. Mme de Barol, etc., et nous nous verrons au retour 2. Quelques jours après, de Mâcon, où il est auprès de sa mère malade, il informe son ami qu'il le verra en passant à Lyon, le 30 ou le 3 î mai ou le j^^' juin ^. Au commencement de juin, il est installé à Aix, et c'est de là qu'il adresse à son fidèle correspondant cette nouvelle lettre Nous sommes malheureux cette année en rencontre tu vas au nord et moi au midi... Quant tMS>acre, tu sais, sans doute, qu'il se vend à 20,000, et peut-être ira-t-il à 30,000 exem- plaires. Mon libraire me mande 5,000 dans une journée ! Ils i Corresjiondance de Luiiiarilne, t. III. p. 33-2. ^rbid., t. III, p. 311. 3 Ibid., p. 3i2. 378 VICTOR nuGO avant 1830 gagneront 50,000 francs avec ce rogaton dont j'ai eu 100 louis et la honte ! Sais-tu le t&page qu'il fait contre son auteur ? Le duc d'Orléans est allé se plaindre au roi, co' fiocclu, des insultes que je lui adressais. Le roi a ordonné la suppression du pas- sage. Les libraires, comme des coquins, l'ont refusée. J'ai été instruit trop tard^ et je me suis empressé d'écrire d'arrêter, de changer, de tout faire pour contenter le roi. Le roi m'a fait écrire de Reims son mécontentement par M. Doudeauville. J'ai répondu de mon mieux. Les journaux libéraux ont écrit. J'ai répondu pour disculper seulement le roi que ces coquins avaient l'air d'accuser de mon fait très isolé. Enfm tu triom- pheras à bon droit, une sanglante satire ne m'eût pas fait plus d'amis ; mais, malgré cela, je ris, excepté delà peine du Me voilà ici, venant du lac. 0 lac, ô pays, ô vignes feston- nées, noyers, érables, prairies, délicieuses montagnes, neiges, ciel, lumière et ombre ! Il y a de quoi s'exclamer jusqu'à la fin de la page. C'est toujours tout neuf, comme ce que Dieu a fait. Mais toi, je te plains Plombières est du pittoresque pour les bourgeois de Paris *. Voilà donc une fois de plus les souvenirs personnels de M. Victor Hugo démontrés inexacts. Est-ce donc à dire que nous entendions mettre en doute la bonne foi du poète ? En aucune façon. Il croit évidemment que c'^est arrivé; il croit qu'il a vu à Bems, le 29 mai 1825, Lamartine, qui était ce jour-là sur la route de Mâcon à Lyon. Qui eût jamais plus que lui l'imagi- nation forte et vigoureuse ? » Et Malebranche ne nous apprend-il pas que les esprits ainsi doués s'ima- ginent les choses tout autrement qu'elles ne sont, et en imaginent même qui 7ie sont point ^ ? » Tout ce 1 Correspondance de Lamartine, t. III, p. 344. 2 Malebranche, de la Recherche de la vérité, 1. 11^. 3e partie, ch. I. VICTOR nUGO AVANT 1830 379 chapitre de Malebranche sur les défauts et aussi sur la puissance de ceux qui ont l'imagination forte » s'applique d'une façon merveilleuse à Victor Hugo, à sa vie et à ses œuvres Ces esprits sont excessifs en toute rencontre ; ils relèvent les choses basses, ils agrandissent les petites... Rien ne leur paraît tel qu'il est. Ils admirent tout *. Ils n'imitent jamais la na- ture ; tout est affecté, tout est forcé, tout est guindé. Ce ne sont que figures et qu'hyperboles ^. » Voilà les défauts. Voici maintenant les qualités Ceux qui imaginent fortement les choses, les expri- ment avec beaucoup de force... Ils ont l'avantage de plaire, de toucher et de persuader, à cause qu'ils forment des images très vives et très sensibles de leurs pensées... Ils ne se servent que d'expressions et de termes qui ne réveillent que les notions confuses des sens, lesquelles sont toujours très fortes et très tou- chantes ^ » Victor Hugo quitta Reims dans les premiers jours de juin, après avoir composé, à l'ombre même de la cathédrale, son Ode sur le sacre. A peine avait-elle paru, que Charles X récompensait l'auteur de la façon la plus délicate il conférait au général Hugo le titre * Quant à moi, qui parle ici, j'admire tout, comme une brute. » Victor Hugo, ^Villiam Shakespeare, {i. 371. 2 Malebranche, Ibid. 3 Ibid., id. .*i80 VICTOR HUGO AYANT 1830 de lieutenant général de ses armées \ Le 24 juin, le poète eut l'honneur de présenter ses vers au roi ^. Il avait sollicité lui-même cette audience, et fut avisé seulement la veille au soir qu'elle lui était accordée. Si sa joie fut grande, son embarras ne le fut guère moins. Il n'ignorait point en effet que, pour se pré- senter au château, la culotte courte était de rigueur, et il n'en avait pas. Oi^i en prendre une ? Il eut la bonne idée de courir chez un de ses anciens collabo- rateurs de la Muse française, M. Charles Brifaut, homme de cour par excellence et possesseur des plus belles culottes du monde. Il lui exposa sa situation. L'auteur de Ninus //prêta bien vite au futur auteur do Croimvell l'objet de ses convoitises, et c'est ainsi que le grand poète fit son entrée aux Tuileries, dans la culotte de M. Brifaut. — Les temps sont bien changés M. Hugo n'a plus aujourd'hui pour amis que des sans-culottes ^. Quoi qu'il en soit, quelques jours plus tard, on lisait dans le Moniteur Nous avons annoncé que le roi avait accueilli avec bonté M. Victor Hugo, auteur d'une Ode sur le sacre. M. le vicomte Sosthènes de la Rochefoucauld, chargé du département des Beaux- Arts, vient d'informer ce jeune poète que Sa Majesté, voulant témoigner la satisfaction que lui a causée la lecture de cette ode, avait ordonné qu'elle fût réimprimée avec tout le luxe typographique par les presses de l'Imprimerie royale ^. 1 Moniteur du o juin 1825. 2 Moniteur du 25 juin 1825, 3 Nous empruntons le récit de ce petit épisode au remarquable et curieuv volume de M. Louis Favre Etienne- Denis Pasqnier; Souvenirs de son der- nier secrétaire. ^ Moniteur du 30 juin 1825. V VICTOR HUGO AVANT 1830 ;]81 Victor Hugo et Charles Nodier avaient formé à Reims le projet clïm vojage en Suisse, ils le réali- sèrent au mois d'août 1825. Le bon éditeur Urbain Gànel avançait les fonds en échange d'une promesse de manuscrit. Nodier, qui avait publié, en 1821, un si charmant livre sous ce titre Promenade de Dieppe aux montagnes d'Ecosse, devait écrire une Promenade de Paris aux montagnes de Suisse, à laquelle Victor Hugo apportait un contingent de quatre odes et de deux ou trois feuilles de prose. Les deux amis reçurent un à-compte chacun de 1730 francs et louèrent aus- sitôt deux berlines. Mie yictor Hugo et sa petite fille Léopoldine, âgée de dix mois, M^^e Charles Nodier et sa fille Marie, étaient du voyage, ainsi qu'un peintre, M. Gué, chargé d'illustrer le livre \ On sortit de Paris par la barrière de Fontainebleau, et, à quelques jours de là, la joyeuse caravane arrivait à Saint-Point, chez Lamartine. Nous quittons notre solitude de Saint-Point avec regrets, écrivait ce dernier à M^^ Eugène de Genoude le 18 août 1825. Nous venons d'y recevoir nombreuse compagnie M. et M^e Hugo, Charles Nodier, sa femme et sa fille, et un peintre qu'ils ont avec eux, et quelques Anglais. Nous sommes désolés que vous n'ayez pas pu trouver, Eugène et vous, une quinzaine à nous donner depuis deux ans vous y auriez laissé pour nous des souvenirs bien plus chers encore -. » 1 Charles Nodier, épisodes et souvenirs de sa vie, par M™e Menucssicr- Nodier, p. 268. 2 Cori^espondrnice de Lamarfine, t, IIJ, p, 3.'3G, 382 VICTOR HUGO AVANT 1830 Trente ans plus tard, Lamartine, évoquant les sou- venirs heureux de sa ^ie passée, retraçait avec com- plaisance les détails de cette visite de Victor Hugo et de Charles Nodier à Saint-Point Je passais un congé diplomatique dans mes montagnes natales. Je vis descendre par les rudes sentiers, en face de ma fenêtre, à travers les châtaigniers, une caravane de voya- geurs, hommes, femmes et enfants, les uns à pied, les autres sur des tnules au pied réfléchi, comme dit le poète. Bientôt la caravane eut atteint le pied sablonneux des montagnes, gavé le ruisseau, traversé les prés et regi'a\4 le mamelon du château. C'était Victor Hugo et Charles Xodier, suivis de leurs char- mantes jeunes femmes et de leurs enfants. Ils venaient me demander Thospitalité de quelques jours en allant en Suisse. Charles Nodier était Tami-né de toute gloire. Aimer le grand, c'était son état. Il ne se sentait de niveau qu avec les sommets. Son indolence l'empêchait de produire lui-même des œuvi'es achevées, mais il était capable de tout ce qu'il admirait. Il se contentait de jouer avec son génie et avec sa sensibilité, comme un enfant avec Fécrin de sa mère. Il perdait les pierres précieuses dans le sable. Cette incurie de sa richesse le rendait le Diderot, mais le Diderot sans charlatanisme et sans déclamation de notre époque. Nous nous aimions pour notre cœur et non pour nos talents. C'était un de ces hommes du coin du feu, un génie famiher, un confident de toutes les âmes, dont la perte ne paraît pas faire un si grand vide que les grandes renommées. Mais ce vide se creuse toujours davantage. Il est dans le cœur. Pendant que les femmes et les enfants jouaient dans le ver- ger, nous goûtâmes, Hugo, Nodier et moi, l'ombre des bois, le frisson du vent, la fraîcheur des sources, le silence de la vallée, le balbutiement des vers futurs qui dormaient et qui chantaient en rêvant en nous comme les enfants des deux jeunes mères sur leurs genoux. ' VICTOR HUGO AVANT 1830 383 La caravane poétique reprit sa route vers les Alpes. Je la vis disparaître derrière la montagne ^.. En 1834, après une lecture des Mémoires crOuire- Tombe à l'Abbaye -aux-Bois, dans ce salon de M^e Ré- camier, où Chateaubriand, caché dans un fauteuil au coin de la cheminée, avait au-dessus de sa tête le portrait de M^e de Staël et le brillant tableau de Gérard, Corinne au cap Misène, Sainte-Beuve écrivait Staël! Chateaubriand î les voilà devant nous, l'une aussi présente, l'autre aussi dévoilé qu'ils peuvent l'être, unis tous les deux sous l'amitié vigilante d'un même cœur... Cour de Ferrare, jardins des Médicis, forêt de pins de Ravenne où fut Byron, tous lieux où se sont groupés des génies, des affections et des gloires, tous Édens mortels que la jeune postérité exagère toujours un peu et qu'elle adore, faut-il tant vous envier ! et n'enviera-t-on pas un jour ceci - ? » Parmi ces lieux où se sont groupés des génies^ des affections et des gloires, ceux qui gardent encore le culte des lettres se plairont toujours à saluer ce coteau lumineux de Saint-Point où^ par une belle matinée d'été, — au lendemain du sacre de Charles X, à l'heure où la France, prospère, libre et forte, donnait le spectacle a du plus beau comme du plus hardi mouvement intellectuel qu'aucun de nos siècles eût encore vu ', » — Lamartine, Hugo et Nodier s'entre- tenaient des choses de la poésie et de l'art, à l'ombre 1 Souvenirs et Portraits, par A. de Lamartine, t. III, p. 42. 2 Reviie des Deux Mondes, 15 avril 1834. 3 Lamartine, Des Destinées de la poésie. 38i VICTOR HUGO AVANT 1830 des grands arbres, en face des horizons du Jura cl dos Alpes, tandis que les enfants jouaient à leurs côtés dans rherbe, et que les mères parlaient entre elles des félicités présentes et des espérances de l'avenir. L'avenir, en effet, ne s'annonçait-il pas plein de radieuses promesses pour elles et pour leurs enfants, surtout pour ces deux petites filles qui jouaient dans le verger, » et qui avaient trouvé dans leur berceau les noms des deux plus grands poètes de notre siècle Julia de Lamartine et Léopoldine Hugo ! — L'une qui mourra à douze ans, en Orient, à mille lieues de la ierrè natale ; l'autre qui mourra à dix-neuf ans, Ainsi qu Ophélia par le fleuve entraînée 1 La Providence miséricordieuse nous voile l'avenir. Aucune ombre ne vintternir la joie desheurespassées par nos voyageurs à Saint-Point. Reprenant leur route vers les Alpes, ils traversèrent Lyon, puis Genève, et arrivèrent à Ghamonix. Ils ne dépassèrent pas le mont Blanc, sur les flancs duquel ils auraient pu inscrire, avec une légère variante, le vers tracé par Regnard et ses compagnons sur le haut de la montagne Metevara Hic tandem stetimus nobis iibi deliiit... AURUM. Les 3,500 francs d'Urbain Ganel étaient dépensés ou bien près de l'être, et il fallait songer au retour. Quelques jours plus tard, Nodier rentrait à l'Arsenal et Victor Hugo, rue de Vaugirard. Le voyage était ter- miné, mais non le livre, qui ne le fut jamais, si nous VICTOR ulitO avant 1830 385 en devons croire le Témoin de la vie de Victor Hugo, lequel ajoute M. Victor Hugo seul fit sa part ; M. Nodier attendit pour commencer la sienne que les dessins fussent prêts ; la gravure prit des mois, et donna le temps à l'éditeur de faire faillite, ce qui dispensa M. Nodier de s'exécuter \ » Je trouve pour- tant, dans la Revue de Paris d'août 1829, une note qui n'est point tout à fait d'accord avec l'assertion du Témoin. Voici le texte de cette note Au mois d'août 1825, M. Victor Hugo fit, de compagnie avec M. Charles Nodier, un voyage de plaisir à la célèbre vallée de Chamonix. Chemin faisant, les deux amis jetèrent, chacun de leur côté^ sur leur album de voyage, les impres- sions qu'éveillait en eux la riche nature des Alpes. Cela fit un livre que j\l. Taylor, qui avait déjà visité les mêmes lieux, se plut à enrichir de huit dessins, et dont la pubhcation, promise d'année en année, va enfin avoir lieu sous le titre à\Alhum de trois voyageurs à la vallée de Ctiamonix. V Album de trois voyageurs, orné de huit gravures, faites en Angle- terre, sur les dessins de M. Taylor, sera publié avec le plus grand luxe par les libraires Le^^vasseur et Canel 2. Suivait, dans la Revue de Paris, un fragment du récit de Victor Hugo, racontant son voyage de Sal- lenches à Servoz. La Revue des Deux Mondes de 1831 a publié la fin des notes du poète ; elles conduisent le lecteur de Servoz à Chamonix. Ces notes de voyage, insérées par l'auteur au tome II de ses Mémoires ^, seraient peut-être mieux à leur 1 Yictor Hugo raconté, etc., t. II, p. 153. 2 Revue de Paris, t. V, p. 289. 3 Yictor Hufjo raconté, etc., t, II, p. 122-144. Q9 386 VICTOR HUGO AVANT 1830 place en tête de son livre sur le Rhin. Lors des pre- mières représentations des Burgraves , M. Doudan écrivait Quoi ! ce cyclope de Victor Hugo a tiré une tragédie de son absurde livre sur le Rhin ? Il de- vrait bien laisser ces bords du Rhin à Gœthe et à Schiller, et ne pas charbonner ses extravagances sur la porte des vieux châteaux abandonnés. » Absurde est bientôt dit ; n'en déplaise à M. Doudan, le Rhin renferme des descriptions d'un relief étonnant, des pages où les sites grandioses, les vieilles cathédrales et les burgs démantelés se reflètent comme dans les eaux mêmes du grand fleuve. Quant à cet autre. mot de M. Doudan, ce cyclope de Victor Hugo^ il est plus heureux et vaut d'être retenu. Il peint bien la puis- sance et l'indomptable vigueur du poète, forgeant ses vers, qui ont l'éclat et la force de l'airain, comme les compagnons de Yulcain forgeaient, dans l'antre de Lemnos, le bouclier de Minerve et les foudres de Jupiter. Gomme eux, il sait assouplir le bronze et façonner le fer, et, comme eux aussi, il sait unir en- semble trois raj^ons de grêle entrelacés, trois rayons de nuages pluvieux, et trois d'un feu brillant et de vents à l'aile rapide Très imbris torti radios, très nubis aquossc Addiderant, rutili très ignis, et alitis Austri *. Ne pourrait-on pas ajouter que depuis longtemps 1 Enéide, liv. VIII. Victoi' Hugo a publié, dans le Conservateur littéraire, t. I, p.'_327, une traduction en vers de cet épisode. Voy. ci-dessus, chap. V, p. 1G8. VICTOR HUGO AVANT 1830 387 Victor Hugo, comme Brontes, Stcrope et Pyracmon \ n'a qu'un œil au milieu du front il saisit admira- blement les traits, les contours et les couleurs des choses qui se voient; les choses de l'âme lui échappent. Outre le récit de son Voyage à la vallée de Cha- monix, Yictor Hugo composa, en 1825, un grand nombre d'odes et de ballades ; il reprit le conte ébau- ché de Bucf-Jargal, le remania et le récrivit presque en entier ; mais ce roman, ces odes et ces ballades ne devaient paraître qu'en 1826. Leur auteur ne se rappela au public, en 1825, que par un écrit de quel- ques pages seulement, intitulé Guerre aux démolis- seurs ^. Dans cet écrit, il appelle la nouvelle France au secours de l'ancienne Tous les genres de pro- fanation, de dégradation et de ruine menacent à la fois le peu qui nous reste de ces admirables monu- ments du moyen âge, où s'est imprimée la vieille gloire nationale, auxquels s'attachent à la fois la mé- moire des rois et la tradition du peuple. » H parle en ces termes du château de Ghambord et de la souscription qui avait conservé ce chef-d'œuvre à la France Nous avons visité Ghambord, cet Alhambra de la France. H chancelle déjà, miné par les eaux du ciel qui ont filtré à travers la pierre tendre de ses toits dégarnis de plomb. Nous le déclarons avec douleur, si l'on n'y songe promptement, avant peu d'années, la souscription, souscription qui, certes. 1 Ferrum exercebant \asto Cyclopes in antro, Brontesque, Steropesque et nudus membra Pyraomon. 2 Octobre 1825. ;J88 VICTOR HUGO avant 1830 méritait crêlre nalioiiale, qui a rendu le chef-d'œuvre du Primalice au pays, aura été inutile ; et bien peu de chose restera debout de cet édifice, beau comme un palais de fées, grand comme un palais de rois. » Dans cette campagne contre les dérnoUsseurSy Victor Hugo venait après Charles Nodier, qui, dès 1820, dans son Voyage pittoresque et romantique dans Vancienne France^ avait défendu avec éclat la cause de notre architecture nationale. C'est une remarque que nous avons eu déjà l'occasion de faire dans aucune ques- tion, sur aucun terrain, A^ictor Hugo n'est un initia- teur. Si grand qu'il soit, il lui manque cette grandeur suprême d'avoir été un générateur d'idées, un chef de doctrines, un créateur d'âmes. H lui reste, et cela certes suffit à sa gloire, d'avoir souvent, à défaut des premiers coups, porté les coups décisifs, d'avoir im- primé sa marque sur les idées d'autrui avec une telle puissance, avec un génie d'exécution si prodigieux, que ces idées demeureront frappées à son effigie. Les terres qu'il n'a pas découvertes porteront son nom Vespuce est immortel comme Christophe Colomb. CHAPITRE XII Bug-Jargal. — Odes et Ballades. — L'Ode A LA Colonne. Les deux Bug-Jargal. Le conte et le roman. Le capitaine d'Au- veruey et la République. Bug-Jargal et Notre-Dame-cle-Paris . — Odes et Ballades. — IModèle de supplique. — Deux articles du Globe. — Premières relations de M. Victor Hugo et de Sainte-Beuve. Le numéro 90 et le numéro 94 de la rue de Vau- girard. —L'année où l'auteur des Feuilles d'automne a eu âge d'homme. — Ecrit en /8S!7... ou en 1866. Comment M. Hugo a eu pour précurseur M. Viennet. — VOde à la Colonne de la place Vendôme. Le baron de Vincent et le comte Appony. M. Hyde de Neuville. — CliapiLre détaché de VHistoire des Variations de M. Victor Hugo. Hommages du poète au roi Louis-Philippe, à la reine Victoria, au czar Nicolas et à Sa Majesté... le Roi de Prusse. Bug-Jargal a paru au mois de janvier 1826. On lit en tête de l'édition de 1832 En^l818, Tauleur de ce livre avait seize ans ; il paria qu'il écrirait un volume en quinze jours. Il fit Bug-Jargal... Ce livre a donc été écrit deux ans avant Ban cflslande. Et, quoique sept ans plus tard, en 1825, l'auteur l'ait remanié et récrit en grande partie, il n'en est pas 99 ;it0 VICTOR HUGO AVANT 1830 moins, et par le fond- et par beaucoup de détails, le premier ouvrage de l'auteur. » Dans le Conservateur littéraire, où il^ fut d'abord inséré * et où il occupe seulement 47 pages, Bug- Jargal est donné comme extrait d'un ouvrage inédit intitulé Contes sous la tente. » L'auteur suppose que^, pendant les guerres de la Révolution, plusieurs offi- ciers conviennent entre eux, pour abréger la lon- gueur des nuits du bivouac, de raconter chacun à leur tour quelques-unes de leurs aventures. Sous sa première forme, le récit de M. Victor Hugo, dont le fond est emprunté à la révolte des esclaves de Saint- Domingue en 1791, et qui a pour héros le nègre Bug- Jargal, est simple, vif, naturel ; point de longueurs, point d'inutiles descriptions, point de phrases. Un peu moins de sentiments chevaleresques chez Bug, un peu moins de sensibilité chez le narrateur, le capi- taine Delmar, et Prosper Mérimée aurait pu signer ce conte, écrit par M. Victor Hugo à seize ans. En faisant de ce conte un roman, en donnant à sa Nouvelle les proportions d'un volume, il l'a gâtée. H y a introduit deux personnages nouveaux, le nain Habibrah et Marie, la fiancée du capitaine, — lequel a échangé son nom de Delmar contre celui de Léopold d'Auverney. Marie traverse le roman sans y jouer aucun rôle, sans ajouter en rien à l'intérêt ; elle ne sert qu'à rendre plus invraisemblable encore la gran- deur d'âme de Bug, qui ressent pour elle une passion Tome II, pp. 22, 63, 09, 150 et 103. VICTOR HUGO AVAM 1830 391 ardente, et qui sacrifie tout, sa passion et sa vie, pour servir les amours de son rival'. Habibrah est un monstre, frère de Han d'Islande, et plus hideux encore. Il n'intervient guère que pour permettre à l'auteur de décrire, avec un luxe de détails inouï, toutes les variétés de supplices, tous les modes d'égorgements et de tortures. On se souvient que Bug-Jargal n'est qu'un récit fait au bivouac par un officier. Dans le Conservateur littéraire, avec ses allures rapides et dégagées, ce récit se pouvait admettre. II n'en va pas de même, sous sa forme actuelle^ alors que le narrateur rap- porte tout au long les délibérations des colons à l'hôtel du gouverneur, M. de Blanchelande ; lors- qu'il redit les discours des orateurs et jusqu'aux inter- ruptions qui les ont accompagnés ; quand il repro- duit, à chaque instant^ sans les abréger jamais, des dialogues qui feraient paraître courts ceux mêmes de Walter Scott,, et qu'il récite de mémoire d'intermi- nables pièces officielles, après avoir pris, il est vrai, la précaution de déclarer qu'il les a retenues mot pour mot. Je n'hésite donc pas, pour ma part, à préférer le premier Bug-Jargal au second, l'ébauche au tableau. M. Victor Hugo en a usé d'ailleurs avec cette œuvre de jeunesse comme avec Han cVIslande l'une des scènes les plus dramatiques de Notre-Dame de Paris est empruntée à Bug-Jargal. Le nain Habibrah, précipité du haut d'un rocher, dans sa lutte avec le capitaine, est retenu au-dessus ;39i2 VICTOR HUGO avant 1830 de l'abîme par la racine d'un vieil arbre. L'archidiacre Claude Frollo, précipité par Quasimodo du haut des tours de Notre-Dame, est arrêté dans sa chute par une gouttière. Les rapports des deux scènes entre elles sont frappants et l'analogie se poursuit jusque dans les détails. BUG-JARGAL Chap. Liv. Mille démons ! s'écria le nain en rugissant il était tombé dans l'abîme. NOTRE-DAME DE PARIS Liv. XI, chap. ii. Le prêtre cria — Dam- nation ! et tomba. Une racine du vieil arbre sortait d'entre les fentes du granit, un peu au-dessous du bord. Le nain la rencontra dans sa chute, sa jupe cha- marrée s'embarrassa dans les nœuds de la souche, et, saisissant ce dernier appui, il s'y cramponna avec une énergie extraordinaire. laquelle il se trouvait l'ar- rêta dans sa chute. 11 s'y accrocha avec des mains désespérées. Habibrah, suspendu sur l'iiorrible goutïre , essaya d'abord de remonter sur la plate-forme ; mais ses petits bras ne pouvaient atteindre jusqu'à l'arête de l'escarpe- ment, et ses ongles s'usaient L'abîme était au-dessous de lui... L'archidiacre se tor- dit sur la gouttière avec des efforts désespérés pour re- monter ; mais ses mains n'avaient pas de prise sur le granit... ses ongles sai- VICTOR HUGO AYANT 1830 393 en elïbrts impuissants pour entamer la surface visqueuse du roc qui surplombait clans le ténébreux abîme. genoux mur. la pierre, ses s'écorchaient au Habibrah me criait, en écumant de fureur — Viens donc ! viens ! et il ramas- sait, pour en finir, le reste de sa vigueur surnaturelle.. . Il avait consumé toute sa force dans ce dernier effort. L'archidiacre, écumanVde rage et d'épouvante, ramas- sa tout ce qui lui restait de force pour un dernier effort. La racine, si longtemps tourmentée, se brisa sous son poids. Cette commotion fît ployer brusquementlebec de plomb sur lequel il s'appuyait. Ses doigts engourdis et roides furent enfîn contraints de me lâcher. Le misérable nain s'engloutit dans l'écume de la sombre cascade. N'ayant plus que ses mains roidies et défaillantes qui tenaient à quelque chose, l'infortuné ferma les yeux et lâcha la gouttière. Il tomba. Le récit du Conservateur littéraire se terminait à la mort de Bug-Jargal. En 1826, M. Victor Hugo a tenu à y ajouter un épilogue dans lequel, sons couleur de raconter la mort du capitaine d'Auverney, il donne un libre cours à sa haine contre la République, à son mépris pour les hommes de la Convention. Il dit au- jourd'hui Jamais rien de plus haut n'est apparu sur l'horizon dos hommes. Il y a l'Himalaya et il y a 394 VICTOR HUGO AVAÎJT 1830 la Convention. La Convention est peut-être le point culminant de l'histoire*. » Il disait, en 1826 Les représentants du peuple en mission, ces espèces d'am- bassadeurs à bonnets rouges, que la Montagne dépu- tait dans les camps pour les dégrader et les décimer, délateurs attitrés, chargés par des bourreaux d'es- pionner la gloire... L'idole sanglante de ces temps-là aimait les victimes illustres ; et les sacrificateurs de la place de la Révolution étaient joyeux quand ils pouvaient, d'un même coup, faire tomber une tête et une couronne, ne fût-elle que d'épines, comme celle de Louis XYI, de fleurs comme celle des jeunes filles de Verdun, ou de lauriers, comme celle de Gustine et d'André Chénier^. » II Après avoir ouvert l'année 1826 par la pubHcation de Bug-Jargal, Victor Hugo la termina par la publi- cation du troisième volume de ses poésies, qui parut au mois d'octobre, sous le titre d'Odes et Ballades. Ce volume se composait de treize odes et de dix ballades, dont nous donnons ici la liste, en rangeant ces pièces dans l'ordre même de leur composition, ainsi que nous l'avons fait précédemment pour les Odes et Poésies diverses^ et pour les Nouvelles Odes 1 Quatre-vimjt-ireize, par Victor Hugo, deuxième partie, livre III, ch. i, la Convention. 2 Uiuj-Jargaî, p. 200. VICTOR HUGO AVANT 1830 395 Année 1824 A M. de Chateaubriand y la Fée et la Péri, les Funérailles de Louis XVllI. Année 1825 A une jeune fille, un Chant de fête de Néron, le Géant, A Trilhy, Hymne oriental, le Voyage, le Sacre de Charles X, les Deux Iles, les Deux Ar- chers, Au colonel G. -A. Gustaffson, la Mêlée, VAveu du châtelain, la Fiancée du timbalier, Promenade, Aux Ruiyies de Monifort-VAmaury, A M. Alphonse de Lamartine, A un Passant, A*^*^ le Portrait d'une enfant, la Ronde du Sabbat, VHy7nne oriental ne figure plus depuis longtemps dans les éditions des Odes et Ballades. L'auteur a transporté cette pièce dans les Orientales, oi\ elle a pour titre la Ville prise. La ballade qui était intitulée, dans l'édition de 1826, VAveu du châtelain, est celle qui a maintenant pour titre Ecoute-moi, Madeleine. Le Portrait d'une enfant est peut-être la pièce la plus charmante de ce troisième volume Oui, ce front, ce sourire et cette fraîche joue, C'est bien l'enfant qui pleure et joue. Et qu'un esprit du ciel défend. De ses doux traits, ravis à la sainte phalange, C'est bien le délicat mélange ; Poète, j'y crois voir un ange. Père, j'y trouve mon enfant. Cette enfant, c'était la petite Léopoldine, celle pour qui M. Victor Hugo composera bientôt la I-^rière pour tous 396 VICTOR llUCfO AVAi\T 1830 Ma fille, va prier! vois, la nuit est venue '... La pièce des Odes et Ballades porte cette dédicace A M^^^ de M. Ces initiales cachaient le nom de W^^ Julie Duvidal de Montferrier, qui avait fait le portrait de la fille du poète. W^" de Montferrier est devenue depuis Mie la comtesse Abel Hugo. Gomme les volumes de 1822 et 1824, le volume de 1826 était ardemment royaliste. Dans les Deux lies, le poète qui devait écrire , quelques années plus tard, Napoléon, soleil dont je suis le IMemnon, faisait entendre contre Bonaparte un cri de haine et de malédiction Qu'à son nom, du Volga, du Tibre, de la Seine, Des murs de l'Alhambra, des fossés de Vincenne, De Jaffa, du Kremlin, qu'il brûla sans remords, Des plaines du carnage et des champs de victoire, Tonne, comme un écho de sa fatale gloire, La malédiction des morts 1 Vo&Q au colonel Gustaffson^, celles sur les Funérailles de Louis XVIIT et sur le Sacre de Charles X, venant après les odes sur la Vendée^ Qui- heroUy la Mort du duc de Berry, la Naissance et le Baptême du duc de Bordeaux, la Guerre d'Espagne^ faisaient de Yictor Hugo, bien plus encore que de 1 Les Feuilles d'automne. 2 C'était le nom qu'avaitpris le roi de Suède, GustaTC IV, détrôné en 1800. Gustave IV est mort à Saint-Gall Suisse, en 1837. VICTOR nUGO AVANT 1830 397 Lamartine, le poète-lauréat de la Restauration. Aussi rien n'était-il plus légilime, après la publication de son troisième volume, que sa demande d'une troisième pension. Voici la lettre qu'à cette occasion, et à la fin de l'année 1826, il adressa à M. le vicomte de la Rochefoucauld, aide de camp du roi, chargé du département des beaux-arts Monsieur le vicomte, Par décision du mois de septembre 1822, S. M. Louis XVIII, sur la proposition de M. le marquis de Lauriston, alors ministre de la maison du roi, et sur la recommandation spéciale de S. A. R. Madame, duchesse de Berry, transmise au mi- nistre par Mme la maréchale, duchesse de Reggio, daigna m'accorder une pension de 1,000 francs. Le ministre et M. le vicomte de Senonnes, alors secrétaire général de la maison du roi, en me transmettant la nouvelle de cet honorable bienfait du roi, me donnèrent l'assurance verbale que cette pension, que plusieurs circonstances n'avaient point permis de créer plus forte, ne serait que provisoire, et qu'ils ne tarderaient pas à en solliciter l'augmentation auprès de Sa Majesté. Quatre ans se sont écoulés depuis cette époque ; et si ma pension est restée ce qu'elle était, j'ai eu du moins la joie de voir la bonté du roi augmenter les pensions de plusieurs hommes de lettres de mes amis, pensions obtenues en même temps que la mienne ou même depuis, et dont quelques-unes, maintenant, la dépassent déplus du double. Ma pension seule étant restée stationnaire, je pense, mon- sieur le vicomte, n'être pas sans quelques droits à une augmentation. Si j'avais quelques titres à l'époque où je l'obtins, ces titres no sont rien auprès de ceux que je pourrais réunir aujourd'hui, et qui eux-mêmes, je suis loin de me le dissimuler, sont encore bien peu de chose ; mais, sans me 23 398 VICTOR HUGO AVANT 4830 faire illusion sur leur insuffisance, j'espère surtout, monsieur le vicomte, dans la flatteuse bienveillance dont vous m'avez donné tant de preuves, et qui, chez vous, s'allie à une sollici- tude si éclairée pour les lettres. Je dépose avec confiance ma demande entre vos mains, en vous priant de vouloir bien la mettre sous les yeux de ce roi qui veut faire des beaux-arts le fleuron le plus éclatant de sa couronne. Quel que soit le résultat de la demande que j'ai l'honneur de vous soumettre, vous savez, monsieur le vicomte, que rien n'égale la reconnaissance et le respectueux dévouement avec lequel j'ai l'honneur d'être Votre très humble et très obéissant serviteur, Victor Hugo. Rue de Vaugirard, 90. Quatre ans se sont écoulés depuis cette époque [iS22, et ma pension de 1,000 francs es^ restée ce qu'elle était... — Ma pension de 1,000 francs est restée stationnaire. » Hé ! sans doute, la pension de 1822 sur la cassette particulière du roi était restée stationnaire ; mais, en 1823, était venue s'y ajouter une pension de 2,000 francs sur les fonds littéraires du ministère de Tintérieur \ Dans sa lettre, M. Victor Hugo garde sur cette seconde pension un silence prudent et que je me borne à signaler. Soulignons aussi, sans d'ailleurs y insister, cet autre passage Si ma pension est restée ce quelle était, j'ai eu du moins la'joie de voir la bonté durai augmenter les pen- sions de plusieurs hommes de lettres de mes amis, pen- sions obtenues en ynème temps que la mienne ou même * Voy. ci-dessus, cLap. IX, p. o02. VICTOR ItUGO AVANT 1830 399 depuis, et dont quelques-unes, maintenant, la dépassent de plus du double. » M. Victor Hugo mettait du génie jusque dans ses suppliques. Ses ballades de 1826 étaient des chefs- d'œuvre, — et ses placets aussi. III Le volume Aq^ Odes et Ballades fut l'objet, dans le Globe de janvier 1827, de deux articles dont il convient que nous disions quelques mots, car ces articles sont une date dans l'histoire de la critique au dix-neuvième siècle. L'auteur y faisait la part des beautés et celle des défauts avec une équité parfaite, avec une sûreté de goût singulièrement remarquable. Il ne s'en tenait pas là, et comme s'il eût été doué du don de seconde vue le vrai critique est quelquefois, lui aussi, un prophète, vates, il signalait chez le poète, encore au matin de sa vie et à l'aurore de son talent, les dé- fauts qui ne devaient devenir apparents pour tous que dans les œuvres de M. Victor Hugo à son déclin En poésie comme ailleurs, disait-il, rien de si périlleux que la force ; si on la laisse faire, elle abuse de tout ; par elle, ce" qui n'était qu'original et neuf est bien près de devenir bizarre ; un contraste brillant dégénère en antithèse précieuse. L'au- teur vise à la grâce et à la simplicité, et il va jusqu'à la mignardise et à la simplesse ; il ne cherche que l'héroïque, et il rencontre le gigantesque ; s'il tente jamais le gigantesque, 400 VICTOR HUGO AVANT 1830 il n'évitera pas le puéril. M. Hugo pourrait nous en fournir des preuves i... Et plus loin Si dans l'abus de décrire — il n'échappe jamais à ce défaut — l'auteur porte parfois de la combinaison et du calcul, le plus ordinairement, néanmoins, la faute n'appartient qu'à son imagination. Cette imagination est si rapide, en effet, qu'elle se meut sur chaque point à la fois et qu'elle met la main à tout ; elle devient analytique à force d'être alerte et perçante. Ce que Delille et ses disciples faisaient à froid et par système, M. Hugo le fait surtout par inadvertance et illusion ; c'est une sorte de simpUcité enfantine qui se laisse prendre par les yeux... Jamais il ne rencontrera une tour dont il ne compte les angles, les faces et les pointes. Ce ne sont que festons, ce ne sont qu'astragales. De là un éclat brillante qui blesse ; nulle gradation de couleur, nulle science des lointains le pli d'un manteau tient autant de place que la plus noble pensée. Le critique terminait ainsi son second article Que M. Hugo se garde surtout de l'excès de sa force; qu'à l'heure de la méditation, il sache attendre à loisir ses propres rêves, les laissant venir à lui et s'y abandonnant plutôt que de s'y précipiter ; qu'à l'heure de produire, il se reporte sans cesse aux impressions naïves qu'il veut rendre, les contemple longuement avant de les retracer, et plus d'une fois s'inter- rompe en les retraçant pour les contempler encore ; que, n'épuisant pas à chaque trait ses couleurs, il approche par degrés de son idéal, et consente, s'il le faut, à rester au-dessous plutôt que de le dépasser, ce qui est la pire manière de ne pas l'atteindre... 1 Le Globe du 9 janvier 1827. VICTOR HUGO AVANT 1830 401 Racine lui-même, j'oserai l'affirmer, Racine dans les chœurs d'Esthcr et d\ithalie, n'a pas fait passer tout ce que son âme avait conçu de mélodie céleste et d'onction sacrée. Et quelle aisance pourtant dans ces admirables chœurs, quelle quiétude, quelle sérénité de génie ! C'est qu'il a senti combien, devant l'impuissance humaine, il valait mieux encore se résigner que se débattre ; là où il a désespéré d'être excellent, il a mieux aimé rester un peu faible, en voilant sa faibtesse d'une molle et noble douceur, que de s'épuiser en vains efforts pour retomber de plus haut. C'était la seule manière d'être parfait en poésie, autant qu'il est donné à l'humanité de le devenir. Ces' deux articles, où se montrait déjà tout entier le talent de l'écrivain appelé à devenir bientôt le pre- mier critique de notre temps, avaient pour auteur M. Sainte-Beuve, qui depuis a beaucoup écrit sur M. Victor Hugo, mais jamais avec autant de justesse et d'indépendance ^ Dans cette première rencontre, comme il avait dit avec fermeté les défauts, il saluait avec sympathie les qualités éclatantes du jeune poète, de celui qu'il appelait le La Mennais de la poésie. Il disait, par exemple, des stances A une jeune fille Il n'y a que vingt vers, mais ils sont parfaits de naturel et de mélodie on dirait le doux et mélanco- lique regard par lequel l'homme qui a souffert répond aux caresses d'un enfant. Quand on a fait ces vingt vers, on doit comprendre qu'il est un moyen de lais- ser voir la pensée sans s'épuiser à la peindre. » — Qu'on imagine à plaisir, écrivait-il encore, tout ce qu'il y a de plus pur dans l'amour, de plus chaste dans l'hymen, de plus sacré dans l'union des âmes 1 Voy. ces articles au tome I>" des Nouveaux Lundis. 402 VICTOR HUGO AVANT 1830 SOUS l'œil de Dieu ; qu'on rêve, en un mot, la volupté ravie au ciel sur l'aile de la prière, et l'on n'aura rien imaginé que ne réalise et n'efface encore M. Hugo dans les pièces délicieuses intitulées Encore à toi et Son nom ; les citer seulement, c'est presque en ternir déjà la pudique délicatesse. » Sainte-Beuve ne connaissait pas encore Victor Hugo, lorsqu'il écrivait ces articles, et c'est de leur publica- tion que datent, entre le critique et le poète, ces rap- ports intimes, cette vive amitié, consacrée par le re- cueil des Consolations, célébrée par les Feuilles d^au- tomne, et qui, si elle a eu l'éclat des plus beaux vers, en a eu aussi la fragilité. Au tome II de ses Mémoires, M. Victor Hugo ra- conte à sa façon l'origine de sa liaison avec celui qui allait être son critique en titre, le héraut d'armes qui criera place autour de lui, l'écuyer qui marchera devant son char*. Il y avait alors, dit-il, un journal auquel le nom de ses ré- dacteurs, MM. Guizot, Dubois, JoulTroy, Cousin, etc., donnait une certaine importance, surtout dans les salons le Glohe universitaire et gourmé avait pour les novateurs une sorte de bienveillance protectrice. Il s'interposait entre les combattants, enseignant le progrès à droite et la modération à gauche. M. Dubois fit un article plus chaleureux que Fauteur ne l'avait attendu, et presque enthousiaste de l'ode intitulée les Deux lies. M. Victor Hugo ne fermait jamais sa porte, même pendant ses repas. Un matin, il déjeunait, quand la domestique an- 1 Voy., dans les Portraits contemporaiyis, t. I, p. 417, l'article de Sainte- Beuve sur les Feuilles d'automne. VICTOR HUGO AVANT 1830 403 nonça M. Sainte-Beuve. Elle introduisit un jeune homme qui se présenta comme voisin et comme rédacteur d'un journal ami ; il demeurait rue Notre-Dame-des-Champs, et il écrivait dans le Globe. Le Globe ne s'en tiendrait pas, dit-il, à un seul article sur Cromwell ; c'était lui-même qui ferait les autres. Il avait demandé à s'en charger, redoutant un retour de M. Dubois, qui n'était pas tous les jours d'une humeur si ad- mirative et qui redeviendrait bien vite professeur. L'entrevue fut fort agréable, et l'on se promit de se revoir, ce qui était d'au- tant plus facile que M. Victor Hugo allait se rapprocher encore de son critique et loger lui-même rue Notre-Dame-des-Champs' . Que M. Victor Hugo ait transformé en rédacteurs du Globe MM. Guizot et Cousin, qui n'ont jamais écrit dans ce journal, la faute est vénielle. Ce qui est plus grave, c'est le peu de souci qu'il a pris de rapporter fidèlement les circonstances dans lesquelles Sainte- Beuve et lui firent connaissance. L'auteur des Cause- ries du lundi a rétabli la vérité sur ce point dans une note de la dernière édition de ses Portraits contempo- rains Ce ne fut point à l'occasion du Crormvell que j'allai pour la première fois chez Victor Hugo en janvier 1827 ; le Cromwell n'avait point encore paru ^, et l'auteur devait seulement en faire prochainement lecture, en partie, dans le salon de son beau-père. Je n'y allais pas non plus pour m'offrir d'en parler, ni pour faire des avances ; j'étais trop critique, même dans ma jeunesse, pour aller d'emblée me jeter à la tête des auteurs dont je pouvais avoir à parler. Mais voici ce qui se passa J'avais été chargé par M. Dubois de rendre compte, dans le Globe, du recueil des Odes et Ballades ; je l'avais fait avec des * Victor Hurjo raconté, etc., t, II, p. 154. 2 II fut publié seulement eu décembre 1827. 404 VICTOR HUGO AYANT 1830 réserves, mais dans un assez vif sentiment de sympathie et de haute estime. Victor Hugo étant allé voir M. Dubois lui 'de- manda mon nom et mon adresse pour me remercier. Or, pré- cisément, je demeurais porte à porte et, sans le savoir, près de Victor Hugo, non pas encore rue Notre-Dame-des-Champs, mais bien rue de Vaugirard. Hugo y occupait un modeste ap- partement au second, no 90, et moi j'y habitais, avec ma mère, au n° 94. Hugo étant venu chez moi sans me rencontrer et m'ayant laissé sa carte, j'allai lui rendre sa visite le lende- main vers midi, et je le trouvai à déjeuner. La conversation, dès les premiers mots, roula en plein sur la poésie... Quelques mois £Cprès, nous aUions, lui et moi, habiter rue Notre-Dame- des-Champs, où, par un nouvel et heureux hasard, je me trouvai encore son proche voisin, lui au n» 11, et moi au 19 ». IV L'année 1827 est, aux yeux de M. Victor Hugo, une année mémorable entre toutes, non sans doute parce qu'elle a été marquée pour lui par sa liaison avec Sainte-Beuve, — non pas même parce qu'elle a vu paraître Cromivell et sa préface, — mais parce que c'est l'année où il a publié VOde à la colonne de la place Vendôme. Dans cette ode, M. Victor Hugo n'écrit plus Buona- parte ni même Bonaparte, il écrit Napoléon ; — et alors de triompher et de dire — Vous voyez bien qu'en 1827, je n'étais plus royaliste ! Tout ce que j'ai fait, tout ce que j'ai écrit avant cette époque, je vous l'abandonne, car je n'étais qu'un enfant, et l'homme 1 Sainte-Beuve, Portraits contemporains, t. I, p. 468, édition de 1869. VICTOR HUGO AVANT 1830 405 ne saurait répondre des opinions de l'enfant. C'est en 1827 seulement que/cti eu âge cV homme, et dès cette époque, je me suis débarrassé des puérilité^de mon enfance ; j'ai embrassé, pour y rester inviolablement fidèle, les opinions que je professe aujourd'hui * ! Mahomet s'étant échappé de la Mecque et s'étant réfugié à Yatreb, qui reçut de là le nom de Médine, Medinet al-Nabi, l'année où se produisit cet événement fut appelée VHégire ou la fuite et devint pour les sectateurs du Prophète le point de départ d'une ère nouvelle. Convient-il de voir dans l'année 1827 une autre Hégire, non moins fameuse que la première et destinée à rappeler le jour où, désertant les vieilles superstitions monarchiques et sacerdotales, comme le fondateur de l'islamisme avait déserté la Mecque, M. Victor Hugo a fait comme Mahomet et est allé à la Montagne ? Si vif est le désir du poète de rattacher à cette année 1827 sa conversion aux idées révolutionnaires, qu'il le conduit à employer des moyens tels que celui- ci dans les Chansons des rues et des bois, publiées en 1866, il glisse une pièce, où la Restauration et le roi Charles X sont grossièrement insultés, et dont voici quelques extraits Le passé règne, il nous menace ; Le trône est son premier sujet, Apre, il remet sa dent tenace Sur l'esprit humain qu'il rongeait. 1 Actes et Paroles, par Victor Hugo, t. I, p. 292. 23. 406 VICTOR nUGO AVANT 4830 Les nations sont des cloaques, Les consciences des égouts ; L'un vendrait la France aux Cosaques, • L'autre vendrait l'âme aux hiboux. Le prince est bonhomme ; la rue Est pourtant sanglante. — Bravo ! Dit Dracon. — La royauté grue Monte sur le roi soliveau. Gela continue ainsi pendant soixante vers, en tête desquels se lisent ces mots écrit en 1827. Non, ces vers n'ont pas été écrits en 1827, — parce qu'à cette époque, M. Victor Hugo n'écrivait pas de ce style ; parce que cette façon d'accoler deux substantifs, pour faire du second l'adjectif du premier, — la royauté grue, le roi soliveau, — ne se rencontre pas une seule fois dans ses œuvres avant 1852 et qu'elle constitue, au contraire, depuis cette époque, un des signes par- ticuliers de sa nouvelle manière *. M. Victor Hugo n'a pas écrit ces vers en 1827 pour une autre raison. A la fin de 1826, dans une lettre que nous citions tout à l'heure, il disait à l'un des ministres de Charles X Si j'avais quelque titre, il y a quatre ans, à une pension du roi, ces titres ne sont rien auprès de ceux * C'est surtout dans les Contemplatiims{\%'^Ç> que M. Viotor Hugo se com- plaît à acroler ensemble des substantifs qui n'ont d'autre lien que leur juxtapo- sition Varhre étornité, la branche destin, le crible cimetière, le f/relot monde, la biche illusion, la fosse silence, le fossoyeur oubli, la bouche tombeau. M. Victor Hugo sait-il qu'il a eu pour précurseur dans cette voie le plus ar- riéré des classiques, cet excellent M. Viennet, qui, dès 1843, dans son Epître à. Alexandre Buval sur l'ingratitude, parlant de certains députés, célèbres hier, aujourd'hui oubliés, s'écriait Le gouffre Moniteur garde seul leur mémoire? VICTOR HUGO AVANT 1830 407 que je pourrais réunir aujourd'hui. » En 1829, dans une autre lettre que nous aurons lieu de reproduire bientôt, il disait à un autre ministre Le roi ne doit attendre de Victor Hugo que des preuves de fidélité, de loyauté et de dévouement. » Et ce serait entre ces deux lettres qu'il aurait écrit les vers publiés en 1866 ! Ce prince auquel il prodiguait ses protestations de fidélité, il l'aurait insulté dans l'ombre I Pour l'honneur de M. Hugo, nous n'en croyons rien. ResieVOde à la Colonne^ qui, elle, est bien de 1827. Voyons si elle témoigne d'un changement véritable dans les opinions et dans les principes politiques de l'auteur. On sait à quelle occasion fut composée cette Ode, l'une des plus belles du poète. En 1814, lors de la conclusion du traité de Paris, l'Autriche avait exigé que les sujets français, pourvus par Napoléon de titres impliquant un droit féodal sur une ville ou une province de l'empire autrichien, ces- sassent de porter ces titres. Le roi Louis XVIII avait obtenu que cette stipulation ne fût pas rendue pu- blique, et grâce à l'habileté de son gouvernement, grâce aussi à la bonne volonté de l'ambassadeur d'Autriche à Paris, le baron de Vincent *, les diffi- cultés qu'elle était de nature à soulever avaient dormi pendant douze ans. Au commencement de 1827, * Le baron de Vincent était célibataire et ne tenait pas une grande mai- son... On raconte que les jours où il donnait à dîner, il se tenait sans affectation près de la porte de son salon, ce qui dispensait d'annoncer et de nommer les convives. » Histoire de la Restauration^ par M. Louis de Viel- Castel, t. XVI, p. 156. 408 VICTOR HUGO AVANT 1830 M. de Vincent fut remplacé par le comte Appony, et le cabinet de Vienne enjoignit au nouvel ambassadeur de réveiller la question et de la trancher enfin par un éclat public. Le maréchal Oudinot, duc de Reggio, et le maréchal Soult, duc de Dalmatie, s'étant pré- sentés à l'une de ses soirées, furent annoncés seule- ment sous leurs noms de famille. Ils se retirèrent aussitôt. L'incident, rendu public par les journaux, produisit une émotion considérable. Il fut porté à la tribune de la Chambre des députés dans la séance du 31 janvier, et le Journal des Débats publia, dans son numéro du 9 février, des vers de Victor Hugo sous ce titre Ode à la colonne de la place Vendôme. L'ode, dit M. Victor Hugo, dans ses Mémoires, où il consacre à cet épisode de sa vie littéraire et poli- tique tout un chapitre, l'ode publiée immédiateinent * par les Débats, en premier Paris ^, et répétée par plu- sieurs journaux, produisit un effet profond... Atta- quer l'Autriche, c'était attaquer les Bourbons, qu'elle avait ramenés en France ; glorifier les maréchaux, c'était glorifier l'empire. L'ode fit aux royalistes purs l'effet d'une désertion, ce fut le début de la rupture... » Ainsi, d'après M. Victor Hugo, prendre parti pour les maréchaux contre l'ambassadeur d'Autriche, c'était attaquer les Bourbons. Gela est si peu vrai, que les journaux et les orateurs royalistes s'étaient, dès le 1 Ceci n'est pas tout à fait exact. L'ode ne parut que dix jours après la soirée du comte Appony. 2 Autre inexactitude VOde à la colonne de la place Vendôme fut pu- bliée par le Journal des Débats en troisième et quatrième page, après les Faits divers. VICTOR nUGO AVANT 1830 409 premier jour et bien avant M. Hugo, énergiquement élevés contre le procédé du comte Appony. Dès le 31 janvier, M. Hyde de Neuville, qui était pourtant un royaliste pur, avait porté l'incident à la tribune, dé- clarant que si l'ambassadeur d'Autriche avait osé inviter de braves maréchaux pour les faire débapti- ser par un valet, il avait manqué au roi et à la France *. » Le Journal des Débats, qui, à cette date de janvier-février 1827, était encore ardemment roya- liste, demandait si on laisserait impunément les valets d'une cour étrangère dépouiller les guerriers illustres qui tenaient leurs titres de Dieu, du roi et de leur épée ». Les salons du faubourg Saint-Germain, les pairs de France, les principaux personnages de la cour, toute la société royaliste enfin, prit parti pour les maréchaux. L'ambassadeur d'Autriche ayant donné un grand bal dans les premiers jours de février, pas un seul costume militaire, pas un costume de cour n'y figurèrent ^, et le lendemain le Journal des Dé- bats écrivait Les pairs de France s'engagent à ne plus entrer dans un salon où Tarmée vient d'être insultée dans ses plus glorieuses illustrations... Tous les officiers souscrivent avec empressement à cette légitime et innocente coalition. Le même engagement est pris par tout ce qui compose la maison militaire du roi ; par tout ce qui vit trop près du trône, pour 1 Histoire du gouvernement parlementaire en France, par I\l. Duvergier de Hauranne, t. IX, p. 136. 2 Duvergier de Hauranne, t. IX, p. 137. — De Viel-Castel, t. XVI, p. 158. — Alfred Nettement, Histoire de la Restauration, t. VU, p. 534. 410 VICTOR HUGO AVANT 1830 ne pas apprendre à respecter l'honneur national *. » Le roi lui-même pensait à cet égard comme les offi- ciers de sa maison militaire. Hâtons-nous de dire, lisons-nous encore dans les Débats, que nous croyons être sûrs qu'à défaut de l'intérêt du ministère, une attention plus auguste est éveillée sur ce débat, une protection plus haute assurée à notre honneur mé- connu. La France se sentirait blessée dans tous les coups portés au trône de ses rois. Nos rois sont depuis mille ans en possession de prouver au monde que s'attaquer à notre gloire, c'est vouloir, comme disait un d'eux, leur déchirer le pourpoint^. » En prenant la défense des maréchaux, Victor Hugo ne faisait donc qu'entrer dans les vues du roi lui- même, que suivre l'exemple donné par les journaux et par les salons royalistes purs. \\ insiste cependant. — En. glorifiant les maréchaux, dit-il, je glorifiais l'empire ! Donc, je me séparais des Bourbons ! — Lamartine, l'ennemi invétéré du régime impérial, avait-il donc cessé d'être roj^aliste le jour où, dans le Chant du sacre, il avait célébré, en vers magni- fiques, ces mêmes maréchaux, et Reggio et Tarente et Bellune C'est le second Bajard ! C'est Victor ! C'est Bellune ! Plus brave que son nom, plus grand que sa fortune ! Est-ce que ces maréchaux, d'ailleurs, n'étaient pas au premier rang parmi les serviteurs du roi ? Le duc 1 Journal des Débats, 9> février 1827. 2 Ibid., 31 janvier 1827. VICTOR nUGO AVANT 1830 411 de Reggio n'était-il pas, précisément, parmi les chefs de l'ancienne armée, le plus en faveur à la cour * ? La duchesse, sa femme, n'était-elle pas la dame d'hon- neur de MADAME ? — Et M. Victor Hugo ne l'igno- rait point, puisque c'était elle qui avait été chargée, par la veuve du duc de Berry, de transmettre au mi- nistre de la maison du roi la demande d'une pension pour l'auteur de VOde sur la naissance du duc de Bor- deaux ? Est-ce que Macdonald, duc de Tarente, n'était pas grand chancelier de la Légion d'honneur ; et, tout récemment encore, l'un de ses enfants n'avait-il pas été tenu sur les fonts baptismaux par le roi et par la dauphine ? Est-ce que Victor, duc de Bellune, n'avait pas reçu du roi le commandement du camp de Reims, établi à l'occasion du sacre? Est-ce que tous les trois n'étaient pas chargés, avec le maréchal duc de Raguse, de commander en chef, à tour de rôle, la garde royale de service aux Tuileries ? Est-ce que les maréchaux choisis par Charles X pour portera son sacre l'épée de connétable, le sceptre et la main de justice, Moncey, duc de Gonégliano, Soult, duc do Dalmalie, Mortier, duc de Trévise, n'étaient pas pourvus tous les trois de titres auxquels étaient attachés des fiefs situés dans l'empire d'Autriche ? Victor Hugo pouvait donc célébrer leur gloire sans être infidèle à ses convictions royalistes. Dans ses vers à la Colonne, il est resté le poète du Rétablisse- ment de la statue de Henri IV 1 M. de np. eit., t. XVI, p. 156. 412 VICTOR HUGO AVANT 1830 Au bronze de Henri mon orgueil te marie. J'aime à vous voir tous deux, honneur de la patrie, Immortels, dominant nos troubles passagers, Sortir, signes jumeaux d'amour et de colère, Lui, de l'épargae populaire. Toi, des arsenaux étrangers ! Et plus loin Les Bourbons ont toujours adopté des victoires. Nos rois t'ont défendu d'un ennemi tremblant, 0 trophée ! à leurs pieds tes palmes se déposent ; . Et si tes quatre aigles reposent. C'est à l'ombre du drapeau blanc. Ailleurs, enfin, il évoque les souvenirs de la Ven- dée, et il termine en disant Français ! vous n'avez plus l'aigle qui de son aire Sur tous les fronts trop hauts portait votre tonnerre. Mais il vous reste encore l'oriflamme et les lys ! Le bronze hnmortel de Henri, les Bourbons, le dra- peau blanc, Voriflamme et les lys! tout cela, il le faut reconnaître, n'est pas précisément pour justifier les paroles de M. Victor Hugo, proclamant, au mois de mai 1850, du haut de la tribune de l'Assemblée légis- lative, que ses opinions d'alors, — il siégeait à ce moment sur les bancs les plus Qlevés de la Montagne, — remontaient à Vannée 1827 Je vous livre, disait-il, depuis l'année 1827, époque où j'ai eu l'âge d'homme, je vous livre tout ce que j'ai écrit, partout où j'ai écrit, tout ce que j'ai dit, partout où j'ai parlé, je vous livre tout, sans rien retenir, sans rien réserver, et je vous porte à tous, du haut de cette tribune, le défi de trouver dans VICTOR HUGO AVANT 1830 413 tout cela une page, une ligne, un mot, qui, sur quelque ques- tion que ce soit, me mette en contradiction avec ce que je dis et avec ce que je suis aujourd'hui *. Nous n'écrivons point ici VHistoire des Variations de M. Victor Hugo. Notre seul but, — et nous ne nous en écarterons pas, — est d'étudier la vie et les œuvres du poète avant 1830. Mais puisque nous avons été amené à citer les fières paroles que l'on vient de lire, qu'il nous soit permis, avant de terminer ce cha- pitre, d'indiquer au lecteur deux documents qu'il ne trouvera point dans les Œuvres complètes de M. Hugo, et qui appartiennent à une époque oii il avait depuis longtemps âge d'homme. A la suite de la mort du duc d'Orléans, au mois de juillet 1842, M. Victor Hugo, qui avait été élu, le 28 juin précédent, directeur de l'Académie française, fut chargé par ses confrères de rédiger une adresse au roi Louis-Philippe. Le 21 juillet, le roi, entouré des princes ses fils, reçut dans la salle du Trône, en même temps que les membres des grands corps de l'État, ceux de l'Institut. M. Victor Hugo, — qui n'était pas encore pair de France, — donna lecture de l'adresse qu'il avait composée et qui était ainsi conçue SmE, L'Institut de France dépose au pied du trône l'expression de sa profonde douleur. Votre royal fils est mort. C'est une perte pour la France et pour l'Europe ; c'est un vide parmi les intelligences. La nation i Moniteur du 24 mai 1850. — Actes et Paroles, par Victor Hugo, t. I, p. 292. 414 VICTOR HUGO AVANT 1830 pleure le prince ; l'armée pleure le soldat ; l'Institut regrette le penseur. Le duc d'Orléans avait compris, en effet, que dans le siècle laborieux et mémorable où nous sommes, être l'héritier du trône de France, ce n'est pas seulement occuper une haute position, c'est aussi exercer une grande fonction. Ce que le roi fait pour le présent, le prince royal doit le faire pour l'ave- nir ; tandis que le père, chargé des destinées actuelles de la patrie, auguste et infatigable gardien de la nationalité et de la civihsation, fait tête aux événements, le fils, prince des générations nouvelles et roi des générations futures, doit ouvrir son âme aux idées. L'action est le partage du roi, l'étude est le partage du prince royal. En attendant l'heure de régner, il faut qu'il médite sans cesse l'histoire de ses aïeux, la tradition de son père, les besoins nouveaux de son pays. C'est ce que le duc d'Orléans avait admirablement senti. Ame haute, calme, sereine, ferme et douce, noble inteUigence au niveau de tous les talents, fils de Henri IV par le sang, par la bravoure, par l'aménité cordiale et charmante de sa personne, fils de la Révolution par le respect de tout droit et l'amour de toute liberté ; entraîné vers la gloire militaire par l'instinct de sa race, ramené vers les travaux de la paix par les besoins de son esprit ; capable et avide de grandes choses ; populaire au dedans, national au dehors, rien ne lui a manqué excepté le temps ; et l'on peut dire que tous les germes d'un grand roi se manifestaient déjà dans ce prince, mort si jeune, hélas ! qui aimait les arts comme François 1er, les lettres comme Louis XIV, la patrie comme vous-même. Sire, votre sang est le sang même du pays ; votre famille et la France ont le même cœur. Ce qui frappe l'une blesse l'autre. C'est avec une inexprimable sympathie que le peuple français fixe en ce moment ses regards sur votre famille, sur vous, Sire, qui vivrez longtemps encore, car Dieu et la France ont besoin de vous ; sur cette reine, mère auguste et éprouvée entre toutes les mères ; sur cette princesse, enfin, si française par son cœur et par son adoption, qui a donné à la patrie VICTOR HUGO AVANT 1830 415 deux Français, à la dynastie deux princes, à Favenir deux espérances. Que du moins cette affliction universelle soit pour Votre Majesté une sorte de consolation ! Sire, c'est aussi là une acclamation ! La mort fatale du prince eût pu ébranler le trône, ce deuil public et national consolide la dynastie. La France qui vous consacrait, il y a douze ans, par l'unanimité de son adhésion, vous consacre aujourd'hui une seconde fois par l'unanimité de sa douleur *. Le 27 février 1845, Sainte-Beuve venait prendre séance à l'Académie française, en remplacement de Casimir Delavigne. Chargé de lui répondre, M. Victor Hugo prononça un discours dans lequel, pour le dire en passant, se trouvait un nouvel éloge du roi Louis- Philippe, et, à quelques jours de là, il s'empressait de faire hommage de sa harangue... au roi de Prusse ! Voici la lettre qu'il écrivit à cette occasion au baron Alexandre de Humboldt, chambellan de S. M. Frédé- ric-Guillaume IV 20 mars 1845. Vous avez bien voulu, monsieur le baron et illustre confrère, me promettre que vous accepteriez de ma main Notre-Dame de Paris et être assez bon pour vous charger de Foffrir, en mon nom, à votre auguste roi, pour lequel vous connaissez ma sympathie et mon admiration. Je joins k Notre-Dame de Paris mon discours si sérieux à l'Académie. Je serais heureux que vous eussiez quelque plaisir à accueillir cette marque de ma haute et profonde considération. Victor Hugo. • Après avoir dit et écrit ces choses, — sous la mo- narchie,-— le pair de France du 15 avril 1845, quand 1 Moniteur du 22 juillet 1842, 416 VICTOR nuGO avant 1830 la république est venue, s'est fait républicain. Soit. Dans cette étude consacrée au poète, je m'abstiens de porter un jugement sur l'homme politique. Mais que M. Victor Hugo ait, en 1829, protesté de sa fidélité, de sa loyauté et de son dévouement au roi Charles X ; qu'il ait dit, en 1842, au roi Louis-Philippe Sire^ Dieu et la France ont besoin de qu'il ait, en 1845, déposé l'hommage de sa sympathie et de son admiration aux pieds du roi de Prusse ; qu'il ait béni Vavenement de la reine Victoria au trône d'Angle- terre * et célébré le czar Nicolas, le noble et pieux empereur ^ ; — qu'il ait ensuite jeté l'insulte à tous les rois, qu'après les avoir traités de monstres^ de bandits, de tigres et de vampires, il les ait comparés à des poux sur une souquenille immonde ; — et que main- tenant il nous veuille contraindre à saluer l'unité de sa vie, la fixité de ses opinions, la fermeté immuable de ses principes, cela, — qu'il nous permette de le lui dire, — cela CEST RAIDE '! i Le Rhin, t III, p. 288. 2 Ibid., t. III, p. 331. 3 Ce n'est pas un royaliste, c'est un républicain qui a porté sur M. Victor Hugo, homme politique, le jugement qu'on va lire M. Victor Hugo, en moins de vingt ans, a déroulé sous nos yeux toute la série des apostasies politiques dont ce siècle mobile et sans foi nous donne le spectacle ; parlé hier dynastie, aujourd'hui république; prêché l'ordre; hurlé l'anarchie ; en- dossé l'habit brodé de pair de France et la blouse démocratique ; promis son cœur et sa foi à tous les régimes et renié les uns et les autres ; appelé pro- grès les variations d'un esprit que le nouveau captive ; cherché à se faire un mérite d'une ambition poursuivant le pouvoir à travers toutes les trans- formations gouvernementales ; commencé la vie en courtisan; fini sa car- rière on démagogue ; posé en Dieu et en sans-culotte ; vécu contradictoire, outrecuidant, sceptique, pompeux, vide, sonore, finalement pénible à contem- pler dans ses convulsions, qui ne sont peut-être encore qu'un effet littéraire. » P ortraits politiques au XIX" siècle, par Hippolyte Castille, 1857. CHAPITRE XII ï Gromwell. Uu dîuer au Rocher de Cancale. ïalma soufflé par M. Victor Hugo, — Un diner à la Conciergerie. Comment Talma était romantique. — La préface de Cromwell. Guillaume de Sclilegel, Mme de Staël, IManzoni et Stendhal. — Merle et les ac- teurs anglais à la Porte-Saiut-Martin en 1822. Shakespeare aide de camp du duc de Wellington ! Les acteurs anglais à l'Odéon en 1827. Charles Kemble et miss Smithson. — Le drame de Cromwell. Imitations de Corneille, de Shakespeare, de Reguard^ de Molière, de Beaumarchais et de Népomucène Remercier. — Qu'en 1827 Torquemada s'appelait Cromwell. I Le chapitre qui, dans Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, suit immédiatement celui où il est parlé de VOde à la Colonne, a pour titre Cromwell et débute ainsi M. Taylor était alors commissaire royal à la Comédie- Française. Il demanda à M. Victor Hugo pourquoi il n'écrivait pas pour le théâtre. — J'y pense, dit M. Victor Hugo. J'ai même commencé un drame sur Cromwell. — Eh bien, fmissez-le et donnez-le-moi. Un Cromwell fait par vous ne peut être joué que par Talma. Pour engager l'affaire, il réunit le poète et le tragédien dans un dîner au Rocher de Cancale. 418 VICTOR HUGO AVANT 1830 Le dîner était nombreux, mais MM. Victor Hugo et Talma, placés l'un à côté de l'autre, pm'ent causer à leur aise. Talma avait alors soixante-cinq ans ; il était fatigué et malade ; il mourut quelques mois après *. M. Victor Hugo place sa rencontre avec Talma à l'époque de la publication de VOcle à la Colonne, qui est du mois de février 1827. En faisant mourir l'il- lustre tragédien quelques mois après, il le fait mourir deux fois. Talma, en effet, était déjà mort l'année précédente, le 19 octobre 1826. Mais ne nous arrê- tons pas à ce petit détail et assistons à la scène entre le grand acteur et le grand poète, telle que ce dernier nous la retrace. Talma, qui a trouvé son chemin de Damas au Rocher de Ca?îca/e, est converti au roman- tisme, et il confesse sa foi nouvelle avec l'ardeur d'un néophyte — L'acteur n'est rien sans le rôle, s'écrie-t-il, et je n'ai jamais eu un vrai rôle. Je n'ai jamais eu de pièce comme il m'en aurait fallu... Un personnage qui eût la variété et le mouvement de la vie, qui ne fût pas tout d'une pièce, qui fût tragique et familier, un roi qui fût un homme. Tenez, m'avez- vous vu dans Charles VI ? J'ai fait de l'effet en disant Da pain ! Je veux du pain ! C'est que le roi n'était plus là dans une souffrance royale, il était dans une souffrance .humaine. C'était tragique et c'était vrai ; c'était la souveraineté et c'était la misère ; c'était un roi et c'était un mendiant. La vérité ! voilà ce que j'ai cherché toute ma vie. Mais que vou- lez-vous ? Je demande Shakespeare, on me donne Ducis^. Lorsque nous entendons Talma débiter cette tirade, 1 Victor Hugo raconté, etc., t. II, p. 158. 'ilbid., t. II, p. 100. VICTOR UUGO AVANT 1830 419 toute retentissante du cliquetis des antithèses, nous sommes tentés de nous demander si le tragédien n'a pas ici un souffleur, — et quel souffleur ? M. Hugo lui-même ! Mais écoutons la suite — Personne, continue Talma, personne ne sait ce que j'au- rais été si j'avais trouvé l'auteur que je cherchais. Je mourrai sans avoir joué une seule fois. Vous, monsieur Hugo, qui êtes jeune et hardi, vous devriez me faire un rôle. Taylor m'a dit que vous faisiez un Cromwell. J'ai toujours eu envie de jouer Cromwell... Qu'est-ce que c'est que votre pièce ? Ça ne doit pas ressembler aux pièces des autres. — Ce que vous rêvez de jouer, dit M. Victor Hugo, c'est justement ce que je rêve d'écrire. Et il exposa au tragédien quelques-unes des idées dont il allait faire la Préface de Cromwell le drame substitué à la tragédie, l' au personnage, le réel au convenu, la pièce libre d'aller de l'héroïque au positif; le style ayant toutes les allures, épiques, lyriques, satiriques, graves, bouffonnes ; la suppression de la ti?mde et du vers à effet ^ Sur les instances de Talma et des autres convives, Victor Hugo récite deux scènes de son Cro?nioell, celle où Milton adjure le Protecteur de renoncer à se faire roi et celle où Cromwell interroge Davenant sur son voyage . Cette fois, ajoute M. Victor Hugo, on était loin de la tra- gédie ! A chaque détail local, à chaque touche de réalité franche, Talma applaudissait — A la bonne heure, c'est cela ! c'est ainsi qu'on parle ! Et la scène finie, il tendit la main à l'auteur en lui disant — Dépêchez-vous de finir votre drame, j'ai hâte de le jouer. * Victor Hugo raconU, etc., t. II, p. 160. 420 VICTOR nuGO ayant 1830 Quelque temps après, Talma était mort. M. Victor Hugo n'ayant plus d'acteur ne se pressa plus, et put donner à son drame des développements que n'aurait pas comportés la re- présentation 1. Ne se pourrait-il pas que la mémoire de M. Victor Hugo ait été, ici encore, involontairement infidèle ? M^e de Staël disait de Talma Il peut être cité comme un modèle de hardiesse et de mesure, de na- turel et de dignité. 11 possède tous les secrets des arts divers ; ses attitudes rappellent les belles statues de l'antiquité ; son vêtement, sans qu'il y pense, est drapé dans tous ses mouvements, comme s'il avait eu le temps de l'arranger dans le plus parfait repos. L'expression de son visage, celle de son regard, doivent être l'étude de tous les peintres. Quelquefois il arrive les yeux à demi ouverts, et toiit à coup le sentiment en fait jaillir des rayons de lumière qui semblent éclairer toute la scène. Le son de sa voix ébranle dès qu'il parle, avant que le sens même des paroles qu'il prononce ait excité l'émotion... D'autres ont besoin de temps pour émouvoir, et font bien d'en prendre ; mais il y a dans la voix de cet homme je ne sais quelle magie, qui, dès les premiers accents, ré- veille toute la sympathie du cœur -.» Et l'homme dont M^ de Staël parlait avec un tel enthousiasme, Talma, aurait dit Je mourrai mm avoir joué une seule fois! — Je n'ai jajnais eu un vrai rôle, aurait-il dit encore, lui qui, dans les rôles d'OEdipe et d'Oreste, d'Achille 1 Yictor Hugo raconté, etc., t. Il, p. 16J. 2 De l'Allemagne, I'* partie, ch. xxvii. VICTOR HUGO AVANT 1830 421 et de Ginna, de Joad et de Manlius, de Macbeth, d'Othello et d'Hamlet, s'était élevé jusqu'au sublime ! Tout cela, il le faut avouer, n'est guère vraisemblable. J'ai peine à croire aussi que Talma ait parlé avec dédain de son vieil ami Ducis, pour le talent duquel il professait, au contraire, une grande estime On peut trouver, dit M™e de Staël, beaucoup de défauts dans les pièces de Shakespeare adaptées par Ducis à notre théâtre ; mais il serait bien injuste de n'y pas reconnaitre des beautés du premier ordre. Ducis a son génie dans son cœur, et c'est là qu'il est bien. Talma joue ses pièces en ami du beau talent du noble vieillard *. » — Quant à la conversion de Talma au romantisme, elle cadre difficilement avec les témoi- gnages des contemporains et des amis du grand acteur. Le financier Ouvrard, étroitement lié avec lui depuis plus de trente ans et qui recevait fréquem- ment ses visites dans la prison où il passa cinq années, afin d'être dispensé de payer à son associé Seguin une somme de 5 millions, raconte ce qui suit, au tome fil de ses Mémoires Au mois de septembre 1826, Talma se trouvant à la Con- ciergerie avec plusieurs personnes, à la fin du dîner la conver- sation tomba sur le théâtre. — Que pensez-vous du romantique ? demanda l'un des convives à Talma. — J'aime Je romantique, répondit-il vivement, mais surtout celui de Racine. Nos auteurs vivants ne vont pas si loin que ce maître dans le genre. Racine ! Racine ^ !... 1 De r Allemagne, U' partie, ch. xxvn. 2 0 . Oxirard. t. III, p. 3o2. Paris, 1827. 24 422 VICTOR HUGO AVANT 1830 11 est un point du moins sur lequel il semble que M. Victor Hugo n'ait pu se tromper, c'est lorsqu'il nous dit que son drame de Cromwell avait été com- mencé par lui en vue de la scène, qu'il en destinait le rôle principal à Talma, et que c'est seulement après la mort de ce dernier que, n'ayant plus cVacteur, il s'était décidé à donner à sa pièce des développements que n'aurait pas comportés la représentation. Eh bien! même sur ce point, je suis condamné à contredire M. Victor Hugo. J'ai sous les yeux une lettre qu'il écrivait à son ami Adolphe de Saint-Valry, le 11 oc- tobre 1826, avant la mort de Talma, et j'y trouve ce passage relatif à Cromwell Quant à moi, mon ami, je travaille à force à ce que vous savez. J'ai fait deux actes de quinze cents vers chacun depuis votre départ. Je vis dans une retraite profonde, n'ayant d'en- tretien qu'avec les personnages imaginaires que je ressuscite pour mon plaisir. Je voudrais bien que ce fût aussi pour le vôtre. Deux actes de quinze cents vers chacun, cela fait trois mille vers, si Barème n'est pas trompeur ; — presque le double &' Andromaque et de Phèdre réu- nies. Les cinq actes à'Andromaque n'ont que seize cent quarante-huit vers, et les cinq actes de Phèdre cinquante-quatre. Si Victor Hugo, du vivant même de Talma, donnait à son drame des développe- ments aussi démesurés, si dès ce moment il donnait à chaque acte de sa pièce les proportions d'une pièce entière, il est de foute évidence qu'il ne l'écrivait pas vue du théâire et pour être jouée par Talma. Et VICTOR HUGO AVANT 1830 423 alors que reste-t-il de la scène entre le tragédien et le poète ? Le dîner au Rocher de Cancale n'est-il pas pour faire le pendant du souper chez W^^ Duches- nois * ? II Cromwell parut au mois de décembre 1827, accom- pagné d'une longue préface qui nous montre Victor Hugo en pleine possession de son talent de prosateur. Verve, éclat, netteté, vigueur, les plus rares et les plus brillantes qualités de style se rencontrent dans ce morceau, resté l'un des chefs-d'œuvre de l'auteur, et qui, attaqué avec violence par les tenants du clas- sicisme, fut accueilli avec enthousiasme par les adeptes de l'école romantique. La préface de Cromwell, a dit Théophile Gautier, rayonnait à nos yeux comme les Tables de la loi sur le Sinaï;, et ses arguments nous semblaient sans réplique^. » Aujourd'hui que la poussière du combat est tombée et que les questions soulevées par la célèbre préface de 1827 ne sont plus de celles qui passionnent les esprits, nous pouvons les soumettre à un examen calme et impartial. Le manifeste de Victor Hugo débiite par des consi- dérations générales sur la poésie et sur l'art. D'après lui, aux trois âges successifs de la société, * Voy. ci-dessus, chap. VIII, p, 267. 2 Histoire du romantisme, par Théophile Gautier, p. 5. 424 VICTOR UUGO AVANT 1830 — les temps primitifs, les temps antiques et les temps modernes, — correspondent trois états différents de la poésie. Aux temps primitifs, quand l'homme s'éveilla dans un monde qui venait de naître, sa première parole fut un hymne. L'ode fut toute sa poésie. Ce poème, cette ode des temps primitifs, c'est la Genèse. Au second âge de la civilisation, aux temps an- tiques, lorsque la tribu devint nation, lorsque l'his- toire commença, la poésie chanta les siècles, les peuples, les empires. L'ode fait place à l'épopée ; à la Genèse succède VIliade. Avec le christianisme, une autre ère commence pour le monde et pour la poésie. La religion chré- tienne, qui est complète, parce qu'elle est vraie, .en- seigne à rhomme qu'il a deux vies à \ vre ; l'une passagère, l'autre immortelle ; Tune de la terre, l'autre du ciel. Elle lui montre qu'il est double- comme sa destinée, qu'il y a en lui un animal et une intelli- gence, une âme et un corps ; en un mot qu'il est le point d'intersection, l'anneau commun des deux chaînes d'êtres qui embrassent la création, de la série des êtres matériels et do la série des êtres incorporels ; la première, partant de la pierre pour arriver à l'homme ; la seconde, partant de l'homme pour finir à Dieu ^ ». La muse purement épique des anciens n'avait étudié la nature que sous une seule face, rejetant sans pitié de l'art tout ce qui, * Préface de Cromvell, p. 8. VICTOR HUGO AVANT 1830 423 dans le monde soumis à son imitation, ne se rappor- tait pas à un certain type du beau. Le christianisme amène la poésie à la vérité. Comme lui, la muse mo- derne accepte et fond dans une unité suprême ces deux natures de l'homme si disparates et si unies, l'âme et les sens, l'esprit et la chair, l'immortel et le périssable. Elle ne dédouble pas l'homme et le prend tout entier ; elle ne dédouble pas non plus la création au sein de laquelle le laid existe à côté du beau, le difforme près du gracieux, le grotesque au revers du sublime. Estimant, qu'il ne lui appartient pas de rec- tifier Dieu, elle essaye, dans l'humble mesure de ses forces, de faire comme lui, et elle mêle, elle aussi, dans ses œuvres l'ombre à la lumière, le grotesque au sublime, en d'autres termes le corps à l'âme, la bête à l'esprit ; car le point de départ de la religion est toujours le point de départ de la poésie. Tout cela se tient * ». L'introduction dans la poésie d'un type nouveau, le grotesque, voilà, d'après M. Victor Hugo, le trait caractéristique et profond qui distingue l'art moderne de l'art antique ; là et non ailleurs se trouve la diffé- rence fondamentale qui sépare la littérature roman- tique de la littérature classique -. De ce principe découlent de nombreuses et impor- tantes conséquences. Ce type nouveau, le grotesque, donne en effet nais- sance à une forme nouvelle, la comédie. Mais de 1 Préface de 7ro»nceZZ, p. 11. 2 Ibid., p. 12. 24. 426 VICTOR HUGO AVANT 1830 même qu'il serait impossible, sans mutiler l'homme, de mettre l'âme d'un côté et le corps de l'autre^, de môme le but suprême de l'art ne peut être atteint qu'à la condition de ne pas circonscrire le beau et le sublime dans la tragédie, le laid et le grotesque dans la comédie. L'équilibre ne s'établit que si ces prin- cipes rivaux, le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la comédie, se fondent en- semble, sous un même souffle, dans une même œuvre, qui est le drame. Le drame est le caractère propre de la troisième époque de poésie, de la litté- rature moderne il peint, tels qu'ils sont et sous tous leurs aspects, l'homme, la vie, la création; il unit les qualités les plus opposées, il est tout à la fois plein de profondeur et plein de relief, philosophique et pittoresque. . -1 S. - yicïoii iiiGO 1830 437 Après une socondo représentation 2 août 1822, non moins orageuse que In première, le théâtre de la Porte-Saint-Martin fut obligé de renoncer à sa tenta- tive. C'est le moment que Stendhal choisit pour entrer en lice et pour publier sa première brochure sur Racine et Shakespeare. Le théâtre de FOdéon entreprit, au mois de sep- tembre 1827, de renouveler l'épreuve qui avait si mal réussi à la Porte Saint-Martin. Il donna Thospilalité à une troupe de comédiens anglais dont les premiers sujets n'étaient rien moins que Charles Kemble et miss Smithson. Othello, cette fois, fut accueilli avec des transports d'enthousiasme, ainsi que Roméo et Juliette et Hamlet. Miss Smithson était particulière- ment admirable dans le rôle d'Ophélia \ La partie était gagnée ; le public se prononçait pour Shakes- peare Victor Hugo choisit ce moment pour écrire sa Préface, qui porte en etfet la date d'octobre 1827. Chose remarquable ! ce novateur a toujours marché derrière le succès. Si le retentissement de son mani- feste a été si considérable, c'est précisément parce que ce manifeste venait à son heure ; c'est parce que l'auteur avait mis son admirable talent d'écrivain au service d'idées acceptées déjà par presque toute la jeunesse lettrée et applaudies chaque soir au théâtre. M. Victor Hugo, dans la préface de Cromwell, a eu i Histoire de l'Odéon, par Paul Porel et Georges Monval, t. II, p. 98. — M. Charles Magnin publia dans le Globe, du 18 septembre 1827 au 10 juillet 1828, sur les représentations des acteurs anglais, une suite d'articles excel- lents, recueillis par leur auteur, en 1843, au tome II de ses Causeries et mi>- ditations historiques et littéraires. 438 VICTOR HUGO AVANT 1830 l'honneur de sonner la victoire ; mais d'autres avant lui, Stendhal en tête, avaient somié la charge. IV Alors que la préface de Cromwell était applaudie comme une scène iVBamlet ou du Jtoi Lear, jouée par Gh, Kemble ou par Macready, le drame lui-même n'obtenait guère qu'un succès d'estime. Les cinq actes de Cromwell n'ont pas moins de six mille cinq cents vers ! On connaît le mot de Michaud sur un poème épique, le Philippe-Auguste de Parse- val-Grandmaison, je crois, qui avait douze chants de mille vers chacun Douze mille vers ! Bon Dieu ! mais, pour les lire, il faudrait six mille hommes ! » Dieu me garde de comparer les vers de M. Victor Hugo à ceux de M. Parseval-Grandmaison ; mais la vérité est qu'on ne lit pas beaucoup plus Cromwell que Philippe-Auguste. Après avoir, dans sa Préface, jeté feu et flamme contre les unités de temps et de lieu, M. Victor Hugo les observe toutes les deux dans sa pièce, ou peu s'en faut. Elle commence le 25 juin 1657, à trois heures du matin, et finit le 26 à midi voilà pour l'unité de temps. Elle ne sort pas de Londres, et trois actes consécutifs, le second, le troisième et le quatrième se passent à White-Hall voilà pour Tunité de lieu. Quant à l'unité d'action, l'auteur s'y conforme si rigoureusement, que son drame réalise l'idéal de ce VICTOR HUGO AVANT 1830 439 qu'Aristote appelle le drame simple. La pièce tout entière se réduit à une seule idée, à une seule situation. Gromwcll se fera-t-il proclamer roi ? Et cette situation unique ne se dénoue même pas au cin- quième acte, puisque le dernier mot de la pièce est celui-ci Cromwell. Quand donc serai-je roi ? C'est le privilège des romanciers, dit Walter Scott au premier chapitre de Kenilivorth, de placer le début de leur histoire dans une auberge. M. Victor Hugo, qui avait tiré un drame de ce roman de Walter Scott, ainsi que nous le verrons bientôt, place le début de son Cromivell dans une taverne, la taverne des Trois grues, Près de la halle au vin, à l'angle des deux rues. Royalistes et républicains, cavaliers et têtes-rondes y sont réunis pour aviser ensemble aux moyens de se débarrasser du Protecteur, alors à l'apogée de sa puissance. Ils conspirent avec un tel fracas, que le fils de Cromwell, attiré par le bruit, entre dans l'auberge, se proclame royaliste et boit A la santé du roi Charles! Cependant le complot est formé. Les puritains ont décidé qu'ils assassineraient Cromwell ; les cavaliers feignent d'entrer dans leur dessein, mais, pour se conformer aux ordres du roi, ils se réservent de faire prendre un narcodque au Protecteur, de l'enlever et de l'amener vivant au fils de Charles 1er. 440 VlCTOll IILGO AVANT 1830 Lord Rochester s'introduira auprès de Cromwell, en qualité de chapelain, et lui versera le narcotique. Rochester se fait admettre sans peine à White- Hall et s'acquitte d'abord à merveille de son rôle de chapelain ; mais s'étant avisé de tomber amoureux de lady Francis, la plus jeune des filles du Protec- teur ce qui était d'autant plus mal de sa part qu'il n'avait pas encore dix ans, puisqu'il était né en 1648, et que le drame se passe en 1657 S il glisse dans la main de lady Francis un papier sur lequel il a écrit certain madrigal, qu'il promène depuis le commencement delà pièce et dont il inflige la lecture à tous les gens qu'il rencontre. Le malheur veut qu'il se soit trompé de poche et qu'au lieu de contenir son madrigal, le maudit papier soit un avis adressé par Rochester à lord Ormond pour l'informer que tout va bien, que le poste de White-Hall est acheté et que, le soir même, à minuit sonnant, il remettra entre ses mains Gronnvell endormi. Lady Francis donne le billet à son père, qui fait boire au faux chapelain le narcotique préparé, se déguise en soldat, se met en faction à la poterne, laisse entrer les cavaliers et les prend comme dans une souricière. Le complot roya- liste ainsi déjoué, il ne lui reste plus qu'à s'asseoir, dans la grande salle de Westminster, sur le trône où le Parlement l'invite à prendre place. Milton lui crie, comme le devin à Jules César Crains les ides de mars ! 1 Rochester John Wilinot, comte de a laissé des satires et des poésies légères qui ne manquent ni de gràf^o ni d'esprit. Né en'lOiS. i mourut en 1G80. VIC'l'OH IIL'GO 1830 AH Cromwell repousse la couronne que Toraieur du Parlement lui présente, et pendant que les conjurés puritains jettent leurs poignards, il descend du trône en murmurant Quand donc serai-je roi ? Telle est Vact'wn qui occupe, sans les remplir, les cinq actes de CromweUj actes démesurément longs et singulièrement vides, en dépit des emprunts que l'auteur a faits à Corneille et à Shakespeare, à Molière et à Regnard, à Beaumarchais et à Lemercier. Au troisième acte, Cromwell discute avec ses conseillers la question de savoir s'il doit ou non prendre la couronne. C'est, la situation d'Auguste délibérant avec Maxime et Cinna sur le môme sujet *. Rien ne montre mieux que la comparaison entre ces deux scènes, quelle distance sépare M. Victor Hugo, malgré son incontestable génie, de celui que U.^^ de Sévigné appelait noire vieil ami Corneille. — Au cinquième acte de Croimvelly les scènes dans lesquelles l'auteur essaye de peindre le mouvement et les agitations de la foule sont imitées des scènes de Jules César qui ont pour théâtre les rues et pour acteurs les citoyens de Rome ^. M. Victor Hugo y reste aussi loin de Shakespeare qu'il était resté loin de Corneille, dans la scène imitée de Cinna. Fidèle, cette fois, à sa théorie, qui veut que, dans le drame, le grotesque ait sa place à côté du sublime, la comédie à côté de la tragédie, après avoir demandé des inspirations à Corneille et à Shakespeare, il en 1 Cinna, acte II, scène i. 2 Jules César, acte I, scènes i et u. 44^ VICTOR HUGO AVANT 4830 demande à Regnard. Au moment où lord Rochester se hasarde à parler d'amour à la fille de Gromwell, il prélude par cet aparté D'abord, tournons la place avant de l'attaquer, Une fille est un fort, j'ai pu le remarquer. Les clins d'yeux qu'on lui fait, la mise recherchée, Les petits soins, les mots galants, sont la tranchée Qui s'avance en zigzag ; la déclaration, C'est l'assaut ; le quatrain — capitulation * ! Et maintenant écoutons Grispin, dans les Folies amoureuses Il faut d'abord savoir si, dans la forteresse. Nous nous introduirons par force ou par adresse...; Quand on veut, voyez-vous, qu'un siège réussisse. Il faut premièrement s'emparer du dehors, Connaître les endroits, les faibles et les forts. Quand on est bien instruit de tout ce qui se passe, On ouvre la tranchée, on canonne la place. On renverse un rempart, on fait brèche aussitôt, On avance en bon ordre et l'on donne l'assaut... C'est de même à peu près quand on prend une fille 2. Dans la même scène, M, Victor Hugo passe de Regnard à Molière, et, après avoir mis à contribution les Folies amoureuses, met à profit V Ecole des Femmes. Pour séduire lady Francis, mylord Rochester recourt aux mêmes moyens, se sert des mêmes mots que la vieille femme emploie auprès d'Agnès pour la décider à recevoir Horace. Et lady Francis, qui tient sans 1 Cromwell, acte III, scène vu, 2 Les Folies amoureuses, acte I, scène vn. VICTOR HUGO AVANT 1830 443 doute à montrer qu'elle aussi connaît son Molière, fait les mêmes réponses qu'Agnès, et presque dans les mêmes termes. Vous vous rappelez l'entrée de Figaro au premier acte du Barbier de Séville Figaro^ une guitare sur le doSy attachée en bandoulière avec un large ruban / il chantonne gaieînent, un papier et un crayon à la main. — // chante, puis il met un genou en terre et écrit en chantant. — Au premier acte de Cromwell, lord Rochester ne fait pas autrement son entrée Lord Rochester entre gaiement^ un crayon et un papier à la main. — // se met à écrire sur son genou et il chante. Dans sa rage d'imitation, l'auteur de Cromwell va jusqu'à emprunter à Népomucène Lemercier le pro- cédé dont celui-ci s'était servi, dans la Panhypocri- siade, pour rendre le mouvement d'une foule sur le passage de François P^ ; VOIX DANS LA FOULE Rangez-vous ! place I place ! — Holà, ciel ! — Je rends l'âme ! Au voleur !... — Insolent ! respectez une femme !... — On m'étoufîe ! — Poussons ! enfonçons ! — Je le voi ! Vivat ! — Je suis rompu, mais j'ai bien vu le roi *. M. Victor Hugo rend, par les mêmes moyens, le mouvement de la foule sur le passage de Cromwell VOIX DANS LA FOULE Dieu me protège ! J'étouffe ! — Attention ! Voici que le cortège * La Panhypocrisiade, ou le Spectacle infernal du seizième siècle, comédie épique, par N. Lemercier. 4819. 444 viCTOU niiO avant 1830 Débouche dans la place. — Eiifm. — Ah !. . . . . . Qu'il fait chaud ! — Qu'on est mal ! — La foule encore aug- — On m'écrase ! [mente. — Ah ! le voilà ! — C'est lui ! — Voyons ! — Lui-même ! — [Ah ! — Oh î Gela n'a pas empêché M. Victor Hugo, après avoir ainsi pillé ce pauvre Népomucène Lemercier, de deve- nir son successeur à l'Académie Ah ! doit-on hériter de ceux qu'on assassine? Est-ce donc à dire que CromiveU soit une œuvre sans mérite ? Nous sommes bien loin de le penser. Si l'intérêt dramatique est faible ou plutôt à peu près nul, étouffé qu'il est, d'ailleurs, par la multiplicité des détails, la longueur démesurée des scènes, l'abus incessant des tirades ; si Fauteur est entièrement dé- pourvu du génie de l'invention, il possède en revanche le génie du style ; sa pièce est moins un drame qu'une étude pleine de vers énergiques, simples et na- turels, d'une grande et ferme allure. Dans une note, M. Victor Hugo s'élève contre les beaux vers au théâtre Ce sont les beaux vers, dit-il, qui tuent les belles pièces ; » soit ; mais s'ils tuent les belles pièces, ils font vivre les mauvaises, — et c'est juste- ment là ce qui empêchera celles de M. Victor Hugo de périr. Je terminerai par une dernière remarque ces obser- vations, trop longues peut-être, sur CromiveU. Nous avons vu, dans un précédent chapitre, que l'auteur de Torquemada faisait dater les opinions qu'il VICTOF. IILGO A\A.\T I80O 445 professe aujourd'hui de raiinée 1827, époque ou il a eu âge dlioinme i. Cromivell étant do la fin de 1827, il y a donc intérêt à recliercher si, lorsqu'il écrivait ce drame, qui avait pour héros un régicide, M. Victor Hugo avait cessé d'être royaliste. Bien loin qu'il en soit ainsi, son drame n'est qu'une longue satire contre la république. Il représente les puritains comme des pédants, des bouffons et des hypocrites. De Gromwell, leur chef, il fait un personnage gro- tesque, un rêveur bavard, un bouffon cruel. Le Cromivell de M. Hugo a, presque à chaque scène, écrivait dans le Globe M. Charles de Rémusat, un aparté pour ses remords. Et quels remords ! ceux d'un régicide !... M. Hugo paraît s'être trop souvenu de ses propres opinions. Il a vu le régicide en roya- liste. » Ce républicain dont Bossuet avait parlé du haut de la chaire chrétienne, devant le cercueil de la veuve de Charles W, avec une si admirable modé- ration, M. Victor Hugo lui prête, dans son drame, toutes les hypocrisies et tous les ridicules ; il le montre dissertant gravement sur le point de savoir s'il faut briller ceux qui disent siboleth au lieu de schiboleth, ou si, au contraire, il n'est pas préférable de les pendre. Gromwell, méditant. La question est grave et veut être mûrie. Prononcer siboleth, c'est une idolâtrie. Crime digne de mort, dont sourit Belzébuth. Mais tout supplice doit avoir un double but, 1 Voyez ci-dessus, chapitre XII, p. 4U3. i46 VICTOR HUGO AVANT 1830 Que pour le patient rhumanité réclame. En châtiant son corps, il faut sauver son âme. Or quel est le meilleur de la corde ou du feu Pour réconcilier un pécheur avec Dieu? Le feu le purifie Daniel s'épura dans le brûlant triangle. Mais la potence a bien son avantage aussi ; La croix fut un gibet * ! On le voit, l'idée de mettre en scène un homme qui envoie les hérétiques au bûcher, pour sauver leurs âmes, ne date pas d'hier chez M. Victor Hugo ; elle remonte à 1827. Seulement, cet homme alors ne s'ap- pelait pas ToRQUEMADA, il s'appelait Gromwell. * Acte ni. scène ii. CHAPITRE XIV Amy Robsart. — M. Victor Hugo et Sainte-Beuve. Mort du général Hugo. Son portrait. — Balzac et le Château de Kenihcorth. Emilia et M^ie Mars. — Amy Robsart, drame, et le Menin du Dauphin, comédie. — De l'art de ne pas être sifflé. — Edition définitive des Odes et Ballades. Jeux de rime renouvelés d'un chanoine et d'un père carme. — Sainte-Beuve et M. Victor Hugo en. 1828 et en 1829. Une lettre de faire part. Le baron Victor Hugo. Sunt lacrymse rerum. La Veillée. Les Consolations . En revenant du convoi de Gabrielle Dorval. — Election de Sainte-Beuve à l'Académie. Séance du 27 février 1845. Le puits de la savane Alachua. — Un élève de David et le javelot de Tatius. I Le drame de Cromwell était précédé de cette dédi- cace A MON PÈRE Que le livide lui soit dédié Comme Vauteur lui est dévoué. V. H. Le livre avait paru depuis quelques semaines seu- lement, lorsque le général Hugo mourut subitement, frappé d'une apoplexie foudroyante, dans la nuit du 28 au 29 janvier 1828. 0 habitait rue Plumet, » lisons-nous au tome II de Victor Hugo raconté par un ijK vie roi', HUGO . 1830 témoin de sa vie K La rue Plumet, située au faubourg Saint-Germain, entre la rue de Babylone et la rue de Sèvres, joue un grand rôle dans le roman des Misé- rables. Le livre Ille de la IV partie a pour titre la Maison de la me Plumet. Pour être tout à fait exact, et sans attacher d'ailleurs à cette petite rectification plus d'importance qu'il ne convient. Je dois dire que le général Hugo habitait, non la rue Plumet, mais le n° 9 de la rue de Monsieur ^. — M. Paul Foucher, beau-frère du poète, a dit du général Hugo, dans son livre les Coulisses du passé Le général aimait à rire et ne haïssait pas le propos leste. C'était un homme excellent ; — au physique, replet et coloré, et qui rappelait tout à fait d'encolure Abel Hugo, son fils aîné, mort comme lui d'apoplexie ^ » Ses obsèques eurent lieu, le 31 janvier, à l'église des Missions-Étrangères *. A peine avait-il conduit son père à sa dernière demeure, que les hasards, sou- vent cruels de la vie littéraire, condamnaient M. Victor Hugo à surveiller sur un théâtre les répétitions d'un drame en cinq actes et en prose dont il était l'auteur. Balzac écrivait un jour à sa sœur, U^^ Laure Sur- ville Je t'engage à lire Kenilivorth, le dernier roman de Walter Scott ; c'est la plus belle chose du monde ^. » Victor Hugo, qui partageait sans doute l'enthousiasme de Balzac, avait entrepris, de concert 1 Page 173. ^Moniteur du 31 jan^ier 1S2S. 3 Les Coulisses du passé, p. 367. 4 Moniteur, loc. cit. 5 Correspondance de H. de Balzac, t. I, p. 44. YICTOll lUGO AVANT 1830 i\\ avec son ami Soumet, crcxtraire une pièce de ce roman. Il se chargea d'écrire les trois premiers actes, et Soumet les deux derniers. Toujours le premier prêt, il lut ses trois actes à son collaborateur ; mais des difficultés s'étant élevées entre eux, chacun reprit son manuscrit et termina sa pièce à sa façon. Soumet porta la sienne au Théâtre-Français, où elle fut jouée, le i^^' septembre 1827, sous le titre cVEniilia. Emilia, c'était Amy Robsart, l'héroïne du Château de Kenil- icorth. Gomme Walter Scott, Soumet lui avait bien donné le nom à' Amy ; mais aux répétitions, lorsque M^^*" Mars était arrivée à cette phrase J'étais Amy elle disait Emy, suivant la prononciation anglaise, j'étais Amy quand il m'aimait, » un éclat de rire général avait fait renoncer à Amy, qui fut remplacée \i^v Emilia. Grâce au talent de W^^ Mars et à l'intérêt du sujet, la pièce de Soumet réussit. Deux autres théâtres représentèrent des pièces tirées du roman de Walter Scott. Tandis qu'à la Porte- Saint-Martin, on jouait un gros mélodrame intitulé, comme le roman lui-même, le Château de Kenilworth, rOpéra-Gomique donnait Lekester, paroles de Scribe et musique d'Auber. Yictor Hugo hésitait à jouer sa première partie au théâtre avec une pièce dont le sujet ne lui apparte- nait pas et avait été déjà porté plusieurs fois à la scène. A la lin de 1827, cependant, il se décida à tenter l'aventure ; mais dans la crainte d'un échec, il lit présenter son drame à l'Odéon par son beau- frère Paul Foucher, âgé de dix-sept ans à peine et 450 VICTOR HUGO AVANT 1830 frais émoulu du collège ^ Le directeur du théâtre, Thomas Sauvage, sachant parfaitement quel était le véritable auteur, reçut la pièce et s'empressa de mettre ses meilleurs acteurs à la disposition... du beau-frère du jeune Paul Foucher. Rien ne fut négligé pour assurer le succès ; les costumes furent dessinés par Eugène Delacroix, et le 13 février 1828 l'affiche du second Théâtre-Français annonça AMY ROBSARTy drame en cinq actes et en prose, tiré du CHATEAU DE KENILWORTH, roman de sir Walter Scott. Yoici quelle était la distribution des rôles Leicester 3ÎM. Lockroy. Varney Provost. Alasco Thénard. Sir Robsart Auguste. Flibbertigibbet . . . . Doligny. Sussex Paul. Poster Ménétrier. La reine Elisabeth. . . Mmes Charton. Anna. Anaïs. Jeannette Dorgebray. On lit, dans Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, que Bocage jouait dans Amy Robsart^. C'est une erreur. La représentation, qui dura près de cinq heures, fut des plus orageuses. Le lutin en cage avec la 1 Paul Foucher, né le 21 avril 1810, mort le 24 janvier 1875. Sorti au mois d'août 1827 du collège Henri IV, en même temps que son ami Alfred de Musset, il débuta seulement en 1830 par un drame en quatre actes et en vers intitulé Yseult Rahnbauld. 2 Victor Hugo raconté, etc., t. II. p. 178. VICTOR HUGO AVANT 4830 451 colombe tombée dans la serre du vautour; — la brebis lancée dans la fosse aux loups ; — le tigre se donnant tout entier, sang et cervelle, etc., etc. » Ces phrases et bien d'autres provoquèrent des rires et des sifflets *. Le bruit alla grandissant d'acte en acte, et la pièce se termina au milieu d'un tumulte indescrip- tible. La Réunion, journal des spectacles, disait le lende- main L'auteur de ce drame barbaro-amphigouri- romantique a mis une fois de plus le roman du Châ- teau de Kenilworth en pièce, mais il s'est arrangé de façon à le rendre méconnaissable. » Le Journal des Débats écrivait de son côté On a joué hier, àTOdéon, un drame historique en cinq actes, intitulé Amy Rohsart, sujet emprunté au Château de Kenil- worth, de sir Walter Scott, et qui, déjà traité sur trois théâtres différents, reparaissait pour la quatrième fois sans autre avan- tage que d'avoir été allongé outre mesure et déparé par une foule de locutions triviales. Les sifflets et les éclats de rire ont fait justice de cette vieille nouveauté 2. Même note' dans le Moniteur On avait prédit à ce drame un succès extraordinaire ou une chute complète. Ce n'est point la première prédiction qui s'est vérifiée. L'opposition s'est manifestée dès le premier acte ; et à la fin de la représentation, le nom de l'auteur n'a pu être prononcé ou du moins entendu. Ce succès de l'école shakes- pearienne n'est pas de nature à enhardir les imitateurs, on peut même rendre grâce à l'auteur qui, sans le savoir, a rendu un service réel au bon goût. Au reste, que parlait-on d'origi- * Histoire de l'Odéon, par Paul Porcl et Georges Monval, t. II, p. 104. 2 Journal des Débais du lo février 1828. io2 VICTOU UUliO AVANT 1830 nalité, d'inventions, de hardiesses ? Quel mérite d'originalité y a-t-il à prendre un roman, à le couper en actes et en scènes, à s'emparer des parties les plus remarquables du dialogue et à se tromper au point de croire que tout ce qu'un romancier écossais a pu mettre dans la bouche de ses personnages peut' être entendu sur la scène française ? Quelle hardiesse que celle qui consiste à réunir l'affectation de l'enflure à la prétention, à la recherche de la trivialité ? Est-ce là le naturel qu'on nous promet, la vérité qu'on prétend avoir trouvée ? Encore si de ce système il naissait des impressions vives, des émotions pro- fondes ; mais ce qu'il y a eu de plus profond à cette représen- tation, c'est un ennui de quatre heures, dont la dernière est employée à contempler des tableaux que commence à dédai- gner le monde du mélodrame. Plaignons le talent qui volon- tairement s'égare de la sorte ; nous aimerions à le reconnaître, à le suivre, à le seconder dans une autre direction *. Le Figaro est, de tous les journaux, celui qui donne le plus de détails sur la soirée du 13 février 1828. A quoi devait s'attendre, écrivait-il, un auteur qui venait répéter, mot pour mot, un roman qui est dans la mémoire de tout le monde ? Que pouvait faire un spectateur repoussé par ses souvenirs mêmes, et qui ne se rappelait pas sans regret les moments délicieux passés, au coin de son feu, à lire les mal- heurs d'Amy Robsart, les infamies de Varney, les fureurs d'Elisabeth, et tant de déhcieuses et idéales descriptions, tant de saillies spirituelles, tant d'aventures pleines d'intérêt et de charme, qui disparaissaient tout entières pour la plupart ou qu'on revoyait privées de leur coloris, de leur charme, à peu près comme ces plantes exotiques qui perdent toute leur beauté dans les serres de nos amateurs?... Si l'auteur n'a pas eu de succès, qu'il ne s'en prenne qu'à lui-même. La pièce a été montée avec un soin extrême... Rien 1 Moniteur du 15 février 1828. VICTOR HUGO AVANT 1830 453 n'est beau, rien n'est exact comme les costumes. Les acteurs ont fort bien joué pour la plupart. Nous devons surtout des éloges au jeune Lockroy *, à Provost, acteur plein d'inLelli- gence et d'esprit -, à Doligny, qui est fort bien d'un bout à l'autre ; enfin à Mue Anaïs ^, qui méritait, sans nul doute, un destin plus heureux. Mlle CharLon ^, qui avait rempli avec beaucoup d'àme et de feu le rôle d'Elisabeth, s'est trouvée sérieusement indisposée à la fin de la pièce. Le cinquième acte, terminé par un coup de théâtre d'un bel effet, avait un peu désarmé la rigueur du parterre. Le tumulte a pourtant empêché Provost de livrer au public le nom de l'auteur. C'est un très jeune homme qui donne des espérances. M. Victor fiugo n'est pour rien dans la com- position de cet ouvrage. Ceci soit dit à l'adresse des gens qui èe réunissaient hier pour lui imputer l'œuvre nouvelle •">. Le Figaro, qui n'a jamais passé pour naïf, même quand il était jeune, croyait il vraiment que M. Victor Hugo n'était pour rien dans la composition à'Âmy Robsari? Il y était, au contraire, pour tout. Paul Foucher n'en avait pas écrit une seule ligne ; nous en fournirons la preuve tout à l'heure. Puisque sa pièce était tombée, M. Victor Hugo ne devait pas souffrir que les soup- çons s'égarassent sur un autre nom que ht sien ; il devait avouer hautement son œuvre ; telle était la iLockroy Joseph-Philippe Simon, dit, né à Turiu lo 17 oclobio 1803, avait débuté, le 11 octobre 18i7, par le rôle de Lorédan, dans les Vêpres siciliennes. 2 Provost, né à Paris en 1798, sociétaire de la Comédie-Française, movt le 24 décembre 18G5. 3M'ie Anaïs Aubert, née en 1802, sociétaire de la Comédie-Française, mor!c en 1871. * Victime d'un acte de vengeance et défigurée par Teau-forte, M''» Charlon disparut rapidement de la scène, vécut pauvre, oubliée, et mourut le 27 juillet 1872. {Histoire de l'Oééon, t. II, p. llo. s Figaro du U février 1x28. 45 i VlCTOlî HUGO AVANT 1830 seule conduite qu'il eût à tenir. Est-ce là celle qu'il a tenue ? Lorsque la toile se releva, après le cinquième acte, l'un des acteurs, Provost, s'avança sur la scène et annonça que le drame que l'on venait de représenter était... de M. Paul Foucher. Le tumulte était tel, que personne n'entendit le nom. Il importait cependant de faire taire les gens » qui se permettaient d'attribuer Airry RobsaH à l'auteur de Cromwell. Aussi, dès le matin du 14 fé- vrier, les affiches du second Théâtre -Français indi- quaient-elles M. Paul Foucher comme auteur de la pièce sifflée la veille. Le nom de l'auteur, inutile- ment proclamé, disait le Journal des Débats, serait encore un mystère, si l'affiche de ce jour ne trahissait son incognito. Il s'appelle M. Paul Foucher ^ » Cette fausse indication ne pouvait être le fait du directeur de l'Odéon, lequel avait tout intérêt à mettre sur ses affiches le nom de VICTOR HUGO ; car, avec ce nom déjà illustre et qui passionnait alors les esprits, il était assuré d'avoir un certain nombre de représentations, bruyantes peut-être, mais fruc- tueuses. Pour qu'il se fût résigné à remplacer le nom de l'auteur véritable par celui d'un collégien à peine sorti des bancs, le nom de Victor Hugo par celui de Paul Foucher, il fallait évidemment qu'il y eût un ordre exprès venu de Victor Hugo lui-même. Ce der- nier adressait d'ailleurs à tous les journaux, ce même jour, 14 février, la lettre suivante * Journal des Débats du février 1S28. VICTOR HUGO AVANT 1830 455 Paris, le 14 février 1828. Monsieur le rédacteur, Puisque la, Téussiie cVA^ny Robsart, début d'un jeune poète, dont les succès me sont plus chers que les miens, a éprouvé une si vive opposition, je m'empresse de déclarer que je ne suis pas absolument étranger à cet ouvrage. Il y a dans ce drame quelques mots, quelques fragments de scènes qui sont de moi, et je dois dire que ce sont peut-être ces passages qui ont été le plus siffles. Je vous prie, monsieur, de publier cette réclamation dans votre numéro de demain et d'agréer, etc. Victor Hugo. P. S. L'auteur a retiré sa pièce *. Comment douter, après cette lettre et devant des affir- mations aussi précises, que la pièce ne fût effectivement l'œuvre de M. Paul Foucher, et que M. Victor Hugo n'y fût pour rien ou presque rien quelques mots » seulement et quelques fragments de scènes ? » Et cependant la vérité est que ce pauvre Paul Foucher était absolument étranger à cet ouvrage^ dont il n'avait pas écrit un traître mot, et qui était tout entier de Victor Hugo seul. Ce dernier l'a reconnu, un peu tard, il est vrai, dans Yïctor Hugo raconté 'par un témoin de sa vie ^ ; et, de son côté, Paul Foucher^ — à qui son illustre beau-frère avait fait jouer, en cette occasion, le rôle de ces menins du Dauphin qui, s'il faut en croire la légende, recevaient le fouet quand * Journal des Débats et Figaro du 15 ; Moniteur du 17 février 1828. 2 Victor Hugo raconté, etc., t. II, p. 175. io6 YiCTOi! HUGO an' 1830 Monseigneur avait commis quelque sottise, — est revenu sur cet épisode dans son livre intitulé / Coulisses du passé, et il l'a fait en ces termes Amy Robsart fut accueillie par des tempêtes dans son unique représentation à TOdéon. Oii sait que le véritable auteur me fit l'homieur je sortais à peine du collège de m'attribuer ce drame pour lequel Eugène Delacroix, grand ami des roman- tiques, avait dessiné de très beaux costumes... Si j'ai reparlé de cett^ chute célèbre, ce n'est pas par amour-propre d'auteur, je ne fis que la signer ; c'est pour un simple avis au public. Le manuscrit a été égaré, et n'a jamais pu se retrouver ni à rOdéon ni au Ministère. On dit pourtant qu'il est quelque part. Dans ce cas, j'adjure le détenteur de se déclarer. Qui sait ? Il y aurait peut-être quelque intérêt à remonter l'ouvrage aujourd'hui... L'idée peut être bonne ou mauvaise ; dans tous les cB,s, pour ma part, elle est complètement désintéressée'^. Suivant M. Paul Toucher, Amy Robsart n'a eu qu'une seule représentation. D'après M. Victor Hugo, au contraire, elle en aurait eu plusieurs. Il dit, en effet, dans son autobiographie, à propos de sa lettre aux journaux, — que d'ailleurs il ne reproduit point Ce fut pour la pièce une réclame involontaire. Les jeunes gens, qui ne s'étaient pas dérangés pour une pièce non avouée, accoururent alors ; ils applaudirent, les sifflets redoublèrent, l'agitation du parterre s'éten- dit dans le quartier latin le gouvernement intervint et interdit la pièce -. » Ces représentations dont on ne nous dit pas le nombre, la jeunesse des écoles qui * Les Coulisses du passé, p. 24o. 2 Victor Hugo racontd, t. Il, [. 178. VIGTOU HUGO AVA.\T 1830 157 prend fou pour Anuj Iiobsari, le quarlior lalin qui s'agite, le gouvernement qui prend peur et qui inter- dit le drame, tout cela est du roman pur. Le gouver- nement n'interdit point la pièce ; elle fut retirée par t auteur lui-mê7ne, dès le 14 février, ainsi que l'établit la lettre de M. Yictor Hugo, que nous avons citée tout à l'heure. Elle ne fut jouée qu'une fois d'ac- cord avec M. Paul Foucher, MM. Porel et Monval, dans leur Histoire de i'Odéon, le constatent pièces en mains *. II M. Victor Hugo n'était pas pour rester longtemps sur son échec. Au mois d'août 1828, il publia l'édition définitive des Odes et Ballades. A cette édition, qui comprenait toutes les pièces publiées dans les trois volumes de 1822, 1824 et 1826^ moins cependant V Hymne oriental^, l'auteur avait ajouté dix pièces nouvelles, sans compter rOde à la Colonne de la place Vendôme. Yoici la liste de ces dix pièces, avec la date de leur composition Premier soupir [décembre 1819. La Demoiselle mai 1827 ; A Madame la comtesse A. -H. et A mon cmd décembre 1827. 1 Histoire do VOdéon. t. II. p. 105. 2 Voy. fi-Uessus, rh. XII, [>. o'Jo. 26 458 VICTOR UUGO A\ANT 1830 La C liasse du ^wr^rai;^ janvier 1828; le Pas fVarrnes du roi Jean avril 1828 ; Fin mai 1828 ; Pluie d'été, Rêves et la Légende de la No7ine juin 1828. Ainsi complétées, les odes étaient au nombre de soixante-douze^, et les ballades, au nombre de quinze. Dans l'édition de 1828, restée le modèle de toutes les éditions suivantes, ces soixante-douze odes sont divisées en cinq livres. Les trois premiers contiennent les odes politiques, partagées elles-mêmes en trois groupes, allant, le premier de 1818 à 1822, le second de 1822 à 1824, le troisième de 1824 à 1828. Le quatrième livre est consacré aux sujets de fan- taisie, et le cinquième à des traductions d'impressions personnelles. Ce dernier livre, où se trouvent les pièces Encore à toi, Son nom, Actions de grâces, VOmbre cVun enfant, le Portrait d'une enfant, A une jeune fille, forme un poème délicieux, le plus achevé qui soit sorti de la plume de M. Victor Hugo. Il a fait depuis de plus beaux vers, plus puissants, plus éclatants et plus sonores ; il n'en a pas écrit de plus doux, de plus frais et de plus purs; il s'est montré depuis plus grand artiste, jamais il n'a été plus poète. Quelques-unes des pièces publiées pour la première fois dans cette édition nous arrêteront un instant. Dans celle qui a pour titre Fin, et qu'il écrivit au mois de mai 1828, pour servir d'épilogue à ses odes politiques, M. Victor Hugo affirme une fois de plus ses principes royalistes et sa haine de la révolution. Une des strophes commence ainsi VICTOR HUGO AVANT 1830 459 Des révolutions j'ouvrais le gouffre immonde. L'ode A Madame la comtesse fut composée par le poète, à Toccasion du mariage de son frère Abel avec M^e Julie Duvidal de Montferrier Ah ! puisse dès demain se lever sur tes jours Un bonheur qui jamais ne s'éclipse, et toujours Brille plus beau qu'un rêve même ! Vers le ciel étoile laisse monter nos vœux. Dors en paix cette nuit où nous veillons tous deux, Moi qui te chante, et lui qui t'aime ! L'ode A mon ami consacrait l'amitié ardente, enthousiaste, qui unissait, à la fin de 1827, Victor Hugo et Sainte-Beuve. Viens, disait au chantre de Joseph Delorme le poète des Odes et Ballades, Viens, joins ta main de frère à ma main fraternelle ; Poète, prends ta lyre ; aigle, ouvre ta jeune aile ; Etoile, étoile, lève-toi ! Les deux amis n'habitaient plus la rue de Vaugi- rard * ; ils étaient venus, au printemps de 1827, de- meurer tous les deux rue Notre-Dame-des-Ghamps, Victor Hugo au n'' i\, Sainte-Beuve au n° 19. Leur intimité, à ce moment, était telle, qu'ils se voyaient deux fois le jour. C'était l'époque où Sainte-Beuve écrivait et publiait dans le Globe les articles sur la Poésie française au seizième siècle, qui parurent en volume Tannée sui- 1 Voy. ci-dessus, ch. XII, p. 404. 460 VICTOR HUGO AVANT 1830 vante, au mois de juin 1828*. Le jeune et savant critique, touT en subissant sur plus d un point la domination de celui qu'il appelait yiotre grand Victor^, avait exercé sur lui, à son tour, une in- fluence considérable. Il le fit pénétrer dans l'inti- mité des poètes de la pléiade et en particulier de Ronsard. Il est remarquable, en effet, que Victor Hugo n'essaya des formes poétiques nouvelles, ne substitua au vers régulier la césure mobile et le libre enjambement qu'à partir de 1827, c'est-à-dire après sa liaison avec Sainte-Beuve. La Chasse du Bur grave, le Pas d'armes du roi Jean, sont de 1828. N'est-il pas per- mis de conjecturer que ces pièces, où l'auteur se crée à plaisir des difficultés dont il triomphe avec une éton- nante souplesse, ont été écrites après une conversa- tion où le critique lui avait montré, chez les poètes dont il faisait son étude journalière, de semblables jeux de rime? Dans la Chasse du Burgrave, par exemple, Victor Hugo répète la syllabe finale du vers, de façon à produire l'effet d'un écho Mon page, emplis mon escarcelle, Selle Mon cheval de Calatrava ; Va! Un des poètes de la pléiade, Joachim du Bellay, 1 Ces artirles parurent dans le Glche. à partir du 7 juillet 1827 et durant les mois suivants. 2 Pour être aimés toujours de notre grand Victor... Les Consolations, xix. VICTOR UUGO AVANT 1830 461 avail dil de même, en parlant des douleurs que lui causait l'amour Qu'élais-je avant d'entrer dans ce passage ? Sage. Et maintenant que sens-je en mon courage? Rage. Qu'est-ce qu'aimer et s'en plaindre souvent ? Yent. Etc., etc. En même temps que du Bellay, chanoine de Notre- Dame de Paris, Victor Hugo, dans la Chasse du Bur- grave, imitait encore Tauteur du poème de Magde- leine au désert de la Sainte-Baume en Provence , le père Pierre de Saint-Louis^ religieux carme. Dans ce poème, Magdeleine avait avec l'écho de longues con- versations, dont voici un spécimen Quels furent donc mes yeux à ceux des regardants ? Ardents. De qui suivait les pas autrefois Madeleine ? D'Hélène. Que me fera l'époux dans sa cour souveraine ? Reine. Et que donne le monde aux siens le plus souvent Vent. Que dois-je vaincre ici sans jamais relâcher? La chair. Qui fut cause des maux qui me sont survenus ? Vénus. Après s'être ainsi continué longtemps, le dialogue se termine par ces vers Pourrais-je quelque jour aller tout droit à Dieu Adieu. 26. 462 VICTOR HUGO AVANT 1830 Lorsque les jeunes romantiques de 1828 allaient répétant la Chasse du Burgrave et, se pâmant d'ad- miration devant ces rimes redoublées, y voyaient une innovation merveilleuse, qu'auraient-ils pensé si on leur eût dit que le maître ici n'était lui-même qu'un écho, — l'écho d'un chanoine et d'un père Carme ? III Les relations de Victor Hugo et de Sainte-Beuve, en ces dernières années de la Restauration, forment un des épisodes les plus intéressants de l'histoire du roman- tisme, et il convient d'en dire encore quelques mots. Les deux poètes, à cette date de 1828-1829, au len- demain des Odes et Ballades et de Joseph Delorme, à la veille des Consolations et des Feuilles d'automne, n'étaient pas seulement deux amis se voyant chaque jour, échangeant leurs pensées et leurs vers, se célé- brant l'un l'autre avec un enthousiasme lyrique; c'étaient deux frères vivant ensemble au même foyer et, s'ils n'avaient pas même génie, ayant même âme et même cœur. Si étroite était leur union, qu'après deux jours passés à la campagne loin de son ami, Sainte-Beuve lui écrivait, en même temps qu'à M"^" Victor Hugo Vous dont j'embrasse en pleurs et le seuil et Tautel, Êtres chers, objets purs de mon culte immortel. Oh ! dussiez-vous de loin, si mon destin m'entraîne, M'oublier, ou de près m'apercevoir à peine, VICTOR HUGO AVANT 1830 463 Ailleurs, ici, toujours vous serez tout pour moi ; — Couple heureux et brillant, je ne vis plus qu'en toi *. Lorsque l'auteur de Cromivell voulut, en 1829, publier, chez le libraire Charles Cosselin, une édi- tion complète de ses œuvres, ce fut Sainte-Beuve qui se chargea de rédiger le prospectus. Il y a, écrivait- il longtemps après, tel prospectus des Œuvres de Victor Hugo en 1829, chez Gosselin signé Amédée Pichot, et où Wordsworth est cité sur Shakespeare, qui est de moi '. » Sainte-Beuve ne s'en tenait pas à ces petits services d'ami ; il s'associait avec une tendresse, avec des effusions de cœur dont son recueil des Consolations porte la trace à chaque page, à toutes les joies et à tous les deuils de la famille de M. Victor Hugo deve- nue véritablement la sienne, comme le prouvent les détails qui vont suivre. Le poète des Odes et Ballades avait deux enfants, une fille, Léopoldine, née en 1824^, et un fils, Charles- Victor, né en 1826 *. Un second fils lui naquit, le 21 octobre 1828, et reçut les noms de François- Victor *. J'ai sous les yeux la lettre de faire part de sa naissance, et je la reproduis ici. 1 Les Consolations, xii. ^Premiers lundis, t. III, p. 344. — Nous avons vainement essayé de re- trouver ce prospectus ; il manque à la Bibliothèque nationale. 3 Morte tragiquement à Villequier Seine-Inlerieure, le 4 septembre 1843. 4 Mort le 13 mars 1861. 5 Mort le 20 décembre 1873. La seconde fille du poète, Adèle Hugo, née après 1 830 et filleule de Sainte-Beuve, a seule surAécu à sa sœur et à ses deux frères. Elle est, depuis 1872, enfermée dans une maison de folles. Sunt Lacrymal rerum. 46 i viCTon HUGO avant 1830 M Madame la baronne VICTOR HUGO est heureusement accouchée d'un garçon. Monsieur le baron VICTOR HUGO a l'honneur de vous en faire part. La mère et l'enfant se portent bien. Paris, 21 octobre 1828. Ce billet nous montre M. Victor Hugo prenant le titre de baron, en attendant qu'il prenne, à partir de 1836, le titre de vicomte. Çà, mon frère, Viens, rentrons Dans notre aire De barons i. Juoi qu'il en soit, dans la nuit du 21 octobre 1828, Sainte-Beuve, à l'occasion de la naissance du fils de son ami, composait la pièce suivante LA VEILLÉE A mon ami Y. H. Minuit, 21 octobre. Mon ami, vous voilà père d'un nouveau-né C'est un garçon encor le Ciel vous l'a donné Beau, frais, souriant d'aise à cette vie amère ; A peine il a coûté quelque plainte à sa mère. Il est nuit ; je vous vois ;... à doux bruit, le sommeil Sur un sein blanc qui dort a pris l'enfant vermeil, Et vous, père, veillant contre la cheminée, Recueilli dans vous-même et la tête inclinée, 1 Odes et Ballades le Pas d'armes du roi Jean. VICTOR UUGO AVANT 1830 465 Vous vous tournez souvent pour revoir, ô douceur ! Le nouveau-né, la mère, et le frère et la sœur, Comme un pasteur joyeux de ses toisons nouvelles, Ou comme un maître, au soir, qui compte ses javelles. A cette heure si grave, en ce calme profond, Qui sait, hors vous, l'abîme où votre cœur se fond, Ami ? qui sait vos pleurs, vos muettes caresses ; Ces trésors du génie épanchés en tendresses ; L'aigle plus gémissant que la colombe au nid ; Les torrents ruisselants du rocher de granit, Et comme sous les feux d'un été de Norwège, Au penchant des glaciers mille fontes de neige ? Vivez, soyez heureux, et chantez-nous un jour Ces secrets, plus qu'humains, d'un ineffable amour ! Cette amitié des doux poètes était devenue plus profonde encore un an plus tard. Sainte-Beuve, dé- diant à Victor Hugo son recueil des Consolations, lui disait Que sont devenus ces amis du môme âge, ces frères en poésie, qui croissaient ensemble, unis, encore obscurs, et sem- blaient tous destinés à la gloire ? Que sont devenus ces jeunes arbres réunis autrefois dans le même enclos ? Ils ont poussé, chacun selon sa nature ; leurs feuillages, d'abord entremêlés agréablement, ont commencé de se nuire et de s'étouffer ; leurs têtes se sont entre-choquées dans l'orage ; quelques-un?, sont morts sans soleil ; il a fallu les séparer, et les voilà main- tenant, bien loin les uns des autres, verts sapins, châtaigniers superbes, au front des coteaux, au creux des vallons, ou saules éplorés au bord des fleuves. La plupart des amitiés humaines, môme des meilleures, sont donc vaines et mensongères, ô mon ami... En écrivant ces lignes attristées, Sainte-Beuve en- tendait bien que son amitié pour Victor Hugo était 466 VICTOR HUGO AVANT 1830 de celles que la lassitude ne peut atteindre, que les passions mauvaises ne peuvent briser et qui sont plus fortes que la mort. L'amitié que mon âme implore, ajoutait-il, et en qui elle veut établir sa demeure, ne saurait être trop pure et trop pieuse, trop empreinte d'immortalité, trop mêlée à l'invisible et à ce qui ne change pas ; vestibule transparent, incorruptible, au seuil du sanctuaire éternel ; degré vivant, qui marche et monte avec nous et nous élève au pied du saint trône. Tel est, mon ami, le refuge heureux que j'ai trouvé en votre âme. » Comment donc s'est-il fait, ô poète, que, moins de huit ans après, vous ayez écrit ces vers qui scellaient à jamais dans la tombe votre amitié morte ? Quand, de la jeune amante, en son linceul couchée, Accompagnant le corps, deux amis d'autrefois, Qui ne nous voyons plus qu'à de momes convois, A cet âge où déjà toute larme est séchée ; Quand, l'office entendu, tous deux silencieux. Suivant du corbillard la lenteur qui nous traîne. Nous pûmes, dans le fiacre où six tenaient à peine. L'un devant l'autre, assis, ne pas mêler nos yeux, Et ne pas nous sourire, ou ne pas sentir même Une prompte rougeur colorer notre front. Un reste de colère, un battement suprême D'une amitié si grande et dont tous parleront ; Quand, par ce. ciel funèbre et d'avare lumière, Le pied sur cette fosse où l'on descend demain, Nous pûmes jusqu'au bout, sans nous saisir la main. Voir tomber de la pelle une terre dernière, VICTOR nUGO AVANT 1830 467 Quand, chacun, tout fini, s'en alla de son bord, Oh! dites! du cercueil de cette jeune femme, Ou du sentiment mort, abîmé dans notre âme, Lequel était plus mort ? Cette pièce est du mois d'avril 1837. Publiée d'abord sans titre et sans commentaire dans les Pensées d'août septembre 1837, elle a paru, en 1862, dans l'édition définitive des poésies de Sainte-Beuve, avec ce titre En revenant du convoi de Gabrlelle, et accompagnée de cette note Gabrlelle Dorval, fille de la célèbre actrice de ce nom... A son convoi, je me trouvai avec V. H. dans la même voiture ^ » Tout était si bien fini entre eux que, lorsque Sainte- Beuve se présenta à l'Académie française, au mois de mars 1844, sa candidature eut pour adversaire celui qui semblait devoir en être, au contraire, l'intro- ducteur et le patron, celui qu'il avait célébré en tant de rencontres, auquel il avait dit . C'est assez, c'est assez jusqu'à l'heure où mon âme, Secouant son limon et rallumant sa flamme A la nuit des tombeaux, Je viendrai, le dernier et l'un des plus indignes. Te rejoindre, au milieu des aigles et des cygnes, 0 toi l'un des plus beaux - ! On lit, dans une note de Sainte-Beuve, écrite par * Les causes de la ruptui'e de M. Victor Hugo et de Sainte-Beuve étant d'une nature tout intime et n'ayant rien à démêler avec la littérature, nous ne les signalerons point. Le lecteur, qui serait curieux de les connaître, trouvera des renseignements complets sur ce point délicat dans les Guêpes d'Alphonse Karr, numéro d'avril 1843, et dans le livre de M. Pons, Tun des derniers secré- taires de Sainte-Beuve, intitulé Sainte-Beuve et ses Inconnues. 2 Poésies de Joseph Delorme A mon ami V. H. 4G8 VICTOR HUGO AVANT 1830 lui quelques jours avant réleclion Mes fonds, qui étaient très bons, semblent baisser depuis quelques jours. Le chancelier M. Pasquier, mon i^rand appui, est malade et ne pourra aller voter et influer par sa présence. J'ai contre moi HUGO, Thiers, très peu pour moi Lamartine; si j'arrive, ce sera laborieux; si je manque, ce sera, je le crains, définitif; il me faudra prendre quelque grand parti de travail et de plan de vie \ » Sainte-Beuve fut élu, le 14 mars 1844' par 21 voix contre 15 données à M. Yatout et au comte Alfred de Vigny. M. Sainte-Beuve séchait sur pied, écrivait M. Dou- dan le lendemain du vote, et il eût fallu être bien méchant pour ne pas lui donner sa voix. Ces méchants se sont rencontrés en assez grand nombre, quoique heureusement en minorité ^. » M. YictorHugo, qui avait voté contre Sainte-Beuve, fut condamné^ comme directeur de l'Académie, à lui souhaiter la bienvenue, dans la séance du 27 fé- vrier 1845. Les choses se passèrent avec une courtoisie parfaite, et le directeur ne ménagea pas au récipien- daire les éloges accoutumés. Il parla avec une gravité éloquente, ne laissant apparaître, à la surface de son discours, unie et calme comme un beau lac, qu'une âme apaisée et un cœur serein. Mais j'imagine que Chateaubriand , qui assistait à la séance, n'aura pu entendre ce discours sans se rappeler les paroles qu'il avait placées autrefois dans la bouche de Chactas * La Vie de Sointe-Bewe, par Jules Troubat. p. 36. 2 Lettres Je X. Doudan, t. II, p. 44. VICTOR UUGO AVANT 1830 460 Le cœur le plus serein en apparence ressemble au puits naturel de la savane Alachua la surface en paraît calme et pure ; mais quand vous regardez au fond du bassin, vous apercevez un large crocodile que le puits nourrit dans ses eaux K » Voilà beaucoup de notes et de digressions. Le lec- teur me pardonnera, sans doute, s'il veut bien se souvenir que je l'ai averti au début de cette étude, — un lecteur bien averti en vaut deux, — et s'il est disposé, comme moi, à dire avec l'abbé Delille Le détour me rit plus que le cliemiu lui-même. Aussi bien, je me suis surtout proposé, dans ce travail, de réunir des documents précis, des infor- mations exactes pour servir à l'histoire du roman- tisme. Un des élèves les plus obscurs de David, nommé Lavoipière, sollicitant du prince Louis-Napoléon, en juillet 1852, une place de conservateur des musées, faisait ainsi valoir le plus mémorable de ses titres Je fus aussi chargé par David de lui ébaucher le javelot de Tatius, dans le tableau des Sabines. » Je ne prétends pas, je l'avoue, à une autre gloire que celle de ce brave Lavoipière, et il me suffira . d'avoir ébauché le javelot de Tatius pour celui des successeurs de Sainte-Beuve qui^ avec un talent à la hauteur du sujet, fera un jour le tableau de la Poésie française au dix-neuvième siècle. 1 Chateaubriaud, AUda. CHAPITRE XV Les Orientales. — Le Dernier Jour d'un Condamné. — Le Cénacle de 1829. — Marion de Lorme et Hernani. Les premières éditions des Orientales. — Le Dernier Jour cVun Condamné. 1829 et 1832. Sainte-Beuve et la tête de mort dé Madame X. L'Ane mort et la femme guillotinée. — Le cénacle de 1829. Sainte-Beuve, Alfred de Vigny, Fontaney, Alexandre Dumas, Charles Nodier, Alfred de Musset, Ernest Fouinet, Gérard de Nerval, Eugène et Achille Devéria, Louis Boulanger, David d'Angers. La Camaraderie. — Une lecture de Lamar- tine. - Marion de Lorme et Zaïre. Le salon de M. Victor Hugo en 1829 et en 1882. — M. de Martignac. Le sept août mil huit cent vingt-neuf. Un article de la Revue de Paris. — Hernani ou l'Honneur castillan. Bulletins des premières représentations. Charles Magnin. Lettres inédites de Sainte-Beuve. — Parodies. — Les Feuilles d'Automne. l^otre-Dame de Paris. — M. Victor Hugo en juillet 1830. Paris, 21 décembre 1828. Pour une fois que vous me grondez sur cent que je le mérite, vous êtes mal tombé, mon cher ami. Votre paresseux ami n'a pas été paresseux ce mois-ci, et s'il ne vous a pas écrit, ce n'est pas parce qu'il ne faisait rien, c'est parce qu'il faisait trop. Si je ne réponds pas aussi vite qu'il le faudrait à vos bonnes et aimables lettres, c'est parce que je travaille jour et nuit ; VICTOR HUGO AVANT 1830 471 et au lieu d'une lettre, vous aurez, le mois prochain, un volume de prose et un volume de vers. Adieu, ne m'en veuillez plus. Lamartine vient de m'adresser une ode charmante, et je ne lui ai pas encore répondu. C'est que, en vérité, le temps et les plumes me font défaut, mais non la vieille et bonne amitié que j'ai pour vous et les vôtres. Victor *. Le volume de prose et le volume de vers dont Victor Hugo, à cette date de décembre 1828, annonçait la prochaine publication, étaient le Dernier jour cVun conda7nné et les Orientales. Les Orientales parurent les premières, au mois de janvier 1829. Encore bien qu'elles n'aient point eu quatorze éditions en un mois, comme il a plu à l'au- teur de l'affirmer ^, leur succès n'en fut pas moms des plus vifs. A peine, lisons-nous dans V Annuaire historique de Lesur /Jowr 1829, à peine avait-on mis au jour les Orientales de M. Victor Hugo, qu'il a fallu les tirer trois fois en quelques mois, à plusieurs milliers d'exemplaires '. » La seconde édition est du mois de février. 1^29 ; et la troisième du mois d'avril *. Nulle part, le poète n'a déployé plus de souplesse, n'a manié le rythme avec plus d'habileté et fait faire à la langue de plus difficiles évolutions. Nulle part, sur- tout, il n'a prodigué des couleurs plus chaudes et plus éclatantes. Un rayon du soleil d'Orient éclaire et 1 Lettre de Victor Hugo à M. Adolphe de Saint-Valry. 2 Les Orientales, éditions Charpentier 1840, Fui-ne et 0> 1841. Voy. ci- dessus, ch. IX, p. 301. S Annuaire kistorique unioeriel pour iS29, par Lesur, p. 235. 4 Bibliographie de la FfdMe, année 1829. ijl2 VICTOR HUGO AVANT 1830 brûle ces pages, qui ne pâlissent pas à côté des toiles de Decamps et d'Eugène Delacroix. On est ébloui, mais on n'est pas ému ; et lorsqu'on ferme le livre, on se surprend à se demander si les vers par lesquels s'ouvre le volume ne pourraient pas lui servir d'épi- graphe La voyez-vous passer, la nuée au flanc noir, Tantôt pâle, tantôt rouge et splendide à voir, Morne comme un été stérile ? On croit voir à la fois, sur le vent de la nuit, Fuir toute la fumée ardente et tout le bruit De l'embrasement d'une ville. Dans ces strophes, merveilleuses de forme , on cherche en vain un sentiment qui aille au cœur, une pensée qui élève l'intelligence. En lisant les Orientales, on se rappelle involontairement ce que raconte quel- que part le célèbre voyageur écossais James Bruce. Il montra un jour un poisson peint à un musulman. Celui-ci, après un moment de surprise, lui lit cette question Si ce poisson, au jour du jugement, se lève contre toi et t'accuse en ces termes Tu m'as donné un corps et point d'âme vivante, que lui répondras-tu?» Le poisson de M. Victor Hugo est admirablement peint, mais Vâjyie vivante où est-elle ? Au sortir de celte poésie, splendide à voir, mais pa- reille à un été stérile, on est bien près de regretter ces humbles pièces oi^i le vers est faible, oi^i l'image est froide et décolorée, mais où -le sentiment est pur et touchant la Pauvre fille, de Soumet ; la Chute des feuilles, de Millevoye ; VAnge et VEnfant, de ^ viCTOH iilctO avant 1830 n.'} Reboul. Fuyant le soleil qui darde sur lui ses rayons étincelants, le lecteur altéré va demander à la petite source qui se cache au fond du bois Une goutte d'eau qu'on çeut boire. Au mois de février 1829, en même temps que la seconde édition dos Orientales, paraissait, sans nom d'auteur, le Dernier jour rVun condamné. En 1832, alors qu'un très vif mouvement d'opinion s'était produit dans la presse et à la Chambre des députés en faveur do l'abolition de la peine de mort, M. Victor Hugo s'empressa d'écrire une longue préface, où il déclarait que son ouvrage n'était rien moins que la plaidoirie générale et permanente pour tous les accusés présents et à venir ; le grand point de droit de l'humanité, allégué et plaidé à toute voix devant la société, qui est la grande cour de cassation ; la question de vie et de mort, déshabillée, dénudée, dé- pouillée des entortillages sonores du parquet, bruta- lement mise au jour, et posée où il faut qu'on la voie, où il faut qu'elle soit, où elle est réellement dans son vrai milieu, dans son milieu horrible, non au tribunal, mais à l'échafaud, non chez le juge, mais chez le bourreau *. » Je ne sais si j'ai, tort, mais j'imagine que M. Victor Hugo ne s'est avisé de toutes ces belles choses qu'après coup, et que, en 1828, en écrivant son livre, il se proposait uniquement de faire œuvre d'art et de fantaisie. Voici, en effet, les quelques lignes qui 1 Préface de la o» édition, mars 1832. 474 VICTOR HUGO AYANT 1830 se trouvent en tête de toutes les éditions de son ou- vrage antérieures à 1832 Il y a deux manières de se rendre coQipte de l'existence de ce livre. Ou il y a eu une liasse de papiers jaunes et inégaux sur lesquels on a trouvt^ enregistrées une à une, les dernières pensées d'un misérable ; ou il s'est rencontré un homme, un rêveur occupé à observer la nature au profit de l'art, un philo- sophe, un poète, que sais-je ? dont cette idée a été la fan- taisie, qui l'a prise ou plutôt s'est laissé prendre par elle, et n'a pu s'en débarrasser qu'en la jetant dans un livre. De ces deux explications, le lecteur choisira celle qu'il voudra. En composant le Dernier jour cVun condamné^ Yictor Hugo ne faisait donc point œuvre d'apôtre, maïs œuvre d'artiste, d'un artiste qui, selon sa constante habitude, suivait la mode du jour. Or, à ce moment, la mode était aux têtes de mort, aux squelettes et aux fantômes. C'était le temps où les amoureux se pro- menaient la nuit sous le balcon de leur belle, non une guitare, mais une tête de mort à la main. Le biographe de Sainte-Beuve, auquel nous empruntons ce trait de mœurs romantiques, ajoute Sainte- Beuve, environ vers ce temps, reçut la visite d'une jeune et illustre dame ; elle lui remit une tête de mort préparée pour l'étude. Le crâne scié formait couvercle et s'ouvrait sur charnière. Elle avait mis dedans une mèche de ses cheveux Vous remettrez cela à A***, dit-elle *. » Jules Janin, qui flairait le vent, lui aussi, et dont les débuts sont contemporains du Dernier jour d'un condamné, ne trouve rien de 1 Sainte-Beuve poète, par A. France, p. 12 VICTOR ULGO AVANT 1830 475 mieux, afin d'en assurer le succèS;, que de choisir pour sujet de son premier roman, de son malden speech, l'histoire d'une jeune fille qui meurt à la place de Grève, sous le couteau de la guillotine. Je m'em- presse, du reste, de reconnaître que Jules Janin n'a jamais prétendu avoir fait une œuvre humanitaire en écrivant VAne mort et la Femme guillotinée. Son livre n'était même, à le bien prendre, qu'une critique de la littérature de cours d'assises et d'échafaud. Le spi- rituel écrivain n'était la dupe ni de son propre talent ni du génie de Victor Hugo, et il jugeait ainsi, dans la Quotidienne, le Dernier jour d'un cotidamné C'est à en. devenir fou. Ce livre, tout étincelant d'une atroce et horrible vérité, doit mettre à bout le peu d'émotions qui nous restent... Figurez-vous une agonie de trois cents pages ; figurez- vous un homme de style, d'imagination et de courage, un poète habitué à jouter avec les plus grandes difficultés de la langue et des passions, se plongeant par plaisir dans ces longues tortures , interrogeant le pouls de ce misérable , comptant les battements de ces artères, prêtant l'oreille à ce cœur qui se gonfle dans cette poitrine, et ne se retirant de l'échafaud que lorsque la tête a roulé. Tout ceci n'est-il pas de l'atroce? et puis ne s'agit-il pas d'un homme de sang? Que si, par hasard, vous avez egsayé un plaidoyer contre la peine de mort, je vous répondrai qu'un drame ne prouve rien. De grâce, vous nous faites trop peur. Trêve à ces tristes efforts ! Préservez-nous d'une vérité si dure. Permettez-nous encore de nous sentir hommes quelquefois, c'est-à-dire d'être assez bien organisés pour être émus par des beautés simples et naturelles, intéressés par une fable riante et jeune, attendris par des récits animés et vivement passionnés... Il convient d'ajouter, pour être juste, qu'il y a, 476 VICTOR HUGO AVANT 1830 dans le Dernier jour cVun condamné, des pages admi- rables, des tableaux d'un art achevé. A cette date de 1829, le talent du prosateur, chez Victor Hugo, est à la hauteur de son talent de poète. Ce double talent atteindra bientôt son apogée dans deux œuvres, publiées seulement en 1831, mais qui furent compo- sées toutes les deux en 1830, les Feuilles cV automne et Noire-Dame de Paris. II Bayle remarque quelque part que chaque écrivain a dans sa vie son époque lumineuse, son moment plus favorable que les autres et vers lequel ses sou- venirs aiment à se reporter. Ce moment doit être pour M. Victor Hugo l'année même où nous sommes par- venus, cette année 1829, où prennent place la publi- cation des Orientales et du Dernier jour d'un condam- né, la composition de Marion de Lorme, ^Heriiani, et de quelques-unes des plus belles pièces des Feuilles d'automne. Agé de vingt-sept ans, en pleine sève et en pleine gloire, il est le chef incontesté de l'école romantique ; il voit se presser autour de lui, dans le Cénacle nouveau qui a succédé à celui de 1824 *, Alfred de Vigny, Sainte-Beuve, Charles Nodier, Ulric Guttinguer , Adolphe de Saint-Valry , Fontanéy ; Alcide de Beauchesne, qui écrira plus tard sur Louis XVII deux volumes, commentaire éloquent 1 Sur le Cénacle de 1824, \oy. ci-dessus, chapitre X. VICTOR nUGO AVANT 1830 177 de l'odo de M. Yiclor Hugo sur le fils du roi-mar- tyr ; Ernest Fouinet, jeune écrivain de savoir et d'imagination », qui avait mis son érudition au service du poète des Orientales * / Emile et Antony Deschamps, Alfred de Musset, Victor Pavie, Jules de Rességuier , Gérard de Nerval , Alexandre Dumas ; et, à côté des poètes, les peintres et les sculpteurs, Louis Boulanger, Achille et Eugène Devéria, Eugène Delacroix et David d'Angers. David fait son médaillon et l'envoie, avec quelques autres, à Alfred de Vigny, qui le remercie en ces termes J'ai devant moi mes chères médailles. Mes yeux ne cessent de passer de la gloire à la gloire et de l'amitié à l'amitié, en allant de l'image de mon cher Victor à votre nom ^. » Achille Devéria fait son portrait, et à cette lithogra- phie, qui attire la fouie à la vitrine de tous les marchands d'estampes, la Revue de Pains consacre aussitôt un article, dont j'extrais les lignes suivantes C'est peut-être la première fois qu'un portrait sur pierre ressemble autant à une peinture, et qu'un seul et même crayon a su produire à l'œil l'illusion de tant de nuances diverses. L'ensemble est plein d'agrément, d'éclat et saisit tout d'abord. La tête, haute et puissante, se détache en blanc sur un fond noir, et cette blancheur des parties saillantes du front et de la face l'ait ressortir davantage l'ardeur inextin- guible et redoublée des yeux. A regarder de plus près, le modelé des joues est d'une exécution achevée. Il n'est pas jusqu'à la nuance lustrée de cette cravate de soie noire qui ne 1 Voy., dans les notes des Orientales, les nombreux fragments de poèmes orientaux traduits par Ernest Fouinet. 2 Do,vid d'Angers, par ÎM. Henry Jouin. t. I. p. 190. 27. 478 VTCTOR HUGO AVANT iH'M se distingue du collet noir de l'habit, autant que la blancheur de la joue se sépare du blanc de ce gilet. La ressemblance est réelle et frappante ; l'expression de l'âme et du talent de M. Hugo ne l'est pas moins ; il semble qu'un rayon inté- rieur, un pâle éclair se brise, se reflète et joue sur les con- tours de ce front immense et de cette noble et grave figure. Il est impossible de ne pas faire reposer un glorieux avenir sur cette tête de vingt-sept ans. M. Devéria n'aurait su débuter, dans sa série de portraits contemporains, par une plus belle œuvre ni par un modèle plus digne i. Sainte-Beuve, qui vient de terminer son choix des poésies de Ronsard, fait hommage au chef de la Pléiade romantique du bel exemplaire in-folio sur lequel avaient été pris les extraits, et le lui dédie par cette épigraphe Au plus grand inventeur lyrique que la poésie frariçaise ait eu depuis Ronsard, le très humble commentateur de Ronsard. S. B. Et sur cet exemplaire à grandes marges, Alfred de Vigny, Fontaney, Sainte-Beuve, Ulric Guttinguer, Alexandre Dumas, M°^^ Tastu, d'autres encore, ins- crivent pieusement quelque strophe, quelque marque de souvenir^. * Revue de Paris, 1829, t. VI, p. 272. 2 Je trouve, dans un article de M. Edouard Laboulaye, concernant le catalogue de la bibliothèque de M. Charles Giraud Journal des Débats du 11 mars 1855, ces lignes charmantes Pour moi, si j'étais poète, je pousserais à l'enchère ou cette Imitation de Corneille, qui porte une dédicace de la main de l'auteur, ou ce beau Ronsard in-folio, offert à Victor Hugo par Sainte-Beuve. Ce livre qui porte sur ses marges des vers autographes de Victor Hugo, de Dumas, d'Alfred de Vigny, de Sainte-Beuve, d'Ulric Guttinguer, de M™» Amable Tastu. ce livre, sorti des mains de son véritable YICTOH HUGO AVANT 1830 479 Pour ses jeunes disciples du Génaclo, Victor Hugo n'est pas seulement le maître, il est bien près d'être un dieu. Un des poètes du groupe, et non le moindre, assurément, lui dit Nous sommes devant vous comme un roseau qui plie ; Votre souffle en passant pourrait nous renverser *. Aussi, toutes les fois qu'il daigne lire devant eux une ode ou quelque scène d'un drame inédit, avec quelle ferveur d'admiration, avec quels transports d'enthousiasme chacun de ses vers n'est-il pas accueilli! Pénétrons, à la suite d'un guide aimable et sûr, dans le salon de Charles Nodier, à l'Arsenal, un soir où Victor Hugo y récite des vers. Quand Hugo, dit Mme Ancelot, dans ses intéressants sou- venirs sur les salons de Paris, la tête inclinée et le regard sombre et soucieux, disait, de sa voix puissante dans sa monotonie, quelques strophes d'une belle ode sortie nouvel- lement de sa pensée, pouvait-on employer ces mots d'admi- rable ! superbe ! prodigieux ! qu'on venait d'user devant lui en l'honneur de quelque médiocrité ! C'était impgssible ! Alors il se faisait un silence de quelques instants, puis on se levait, on s'approchait avec une émotion visible, on lui prenait la main, et on levait les yeux au ciel ! La foule écoutait. Un seul mot se faisait entendre, à la grande surprise de ceux qui maître, errant comme lui, n'est-il pas toute une histoire ? Où sont maintenant tous ces beaux rêves d'il y a vingt-cinq ans ? Quel vent a dispersé tous ces fidèles qu'unissaient la religion des lettres et l'amour de la poésie ? Où sont envolées tant d'espérances et tant d'amitiés? — Et cependant, si précieux que soit ce livre qui me rappellerait ma jeunesse, il en est un qui me serait plus cher encore c'est un Nouveau Testament grec, qui porte un simple nom, mais c'est celui de Racine... » 1 Sainte-Beuve, les Consolations, sonnet à Victor Hugo. 480 VICTOR HUGO ayant 1830 n'étaient pas initiés, et ce mot retentissant dans tous les coins du salon, c'était — Cathédrale ! Puis l'orateur retournait à sa place ; un autre se levait et s'écriait — Ogive ! Un troisième, après avoir regardé autour de lui, hasardait — Pyramide d'Egypte ! Alors l'assemblée applaudissait et se tenait ensuite dans un profond recueillement ; mais il ne faisait que précéder, une ex- plosion de voix qui toutes répétaient en chœur les mots sacra- mentels qui venaient d'être prononcés chacun séparément *. Par cette scène, on peut voir à quel diapason était monté l'enthousiasme des adeptes du roman- tisme. Bien plus encore que celui de 1824, le Cénacle de 1829 était une école d'admiration mutuelle. Un esprit mordant et dur, Henri de Latouche, dans un article de la Revue de Paris ^^ intitulé la Camaraderie litté?'aire, se donna le malin plaisir de relever ce travers de M. Victor Hugo et de ses disciples. Entre tout adepte, disait-il, rencontré par un autre adepte, il s'échange toujours un regard qui veut dire Frrre, il faut nous louer!... Ces mutuelles compagnies d'as- surances pour la vie des ouvrages ne sont attaquables, nous le répétons, que par leur influence sur l'avenir des lettres. Du reste, elles sont douces et commodes. Si elles nuisent à l'art, elles font peut-être le bonheur de l'artiste. Cette banque de vanité escompte les mérites futurs et permet de réaliser des jouissances 1 Les Salons de Paris. — Foijers éteints, pav M™* Ancelot, p. 123. 2 Ootobr» 1820. VICTOR ITUGO AYANT 1830 181 qui sufOsonl aux exigences du moment. Des poiMes e7icamaradent des musiciens ; des musiciens;, des peintres ; des peintres, des sculpteurs. On se chante sur la plume et sur la guitare ; on se rend en madri- gaux ce qu'on a reçu en vignettes ; on se coule en bronze de part et d'autre ; chacun peut, à l'heure qu'il est, se suspendre à sa cheminée et se constituer le dieu lare de son foyer. » Pour jiistes et piquantes que fussent ces lignes, il faut bien reconnaître cependant que quelques-uns de ces camarades n'ont pas laissé de faire dans le monde un chemin assez glorieux. 11 faut reconnaître surtout que c'était une merveilleuse époque, — et dont nous sommes, hélas ! bien loin, — que celle où David d'Angers, le grand statuaire, pouvait écrire Hier, Lamartine a lu des vers chez Hugo. Il faisait presque nuit; cependant le ciel gardait encore une suffisante clarté. Lamartine s'était adossé à la fenêtre. Sa tête se détachait en silhouette sur le ciel qui lui servait de fond. Il semblait une statue de bronze, et parfois on eût dit qu'il allait prendre place parmi les astres *. » * David d'Xngnrs, par M. Henry Jouin. t. î, p. JOO. — Notes aiUograplios de David. Quelques lignes plus loin, le statuaire ajoute a Quand Lamartine est avec ses amis, il ne s'assied jamais comme les autres. Son corps a la sou- plesse du serpent et prend toujours des attitudes ondoyantes. » 482 VICTOR HUGO AVANT 1830 III A l'époque où eut lieu, dans le petit salon de la rue Notre-Dame-des-Ghamps, la lecture dont parle David juin 1829, Victor Hugo écrivait Marion de Lorme. Commencée le 1er juin, la pièce était terminée le 24 du même mois, après vingt-quatre jours de travail, deux de plus que n'en avait mis Voltaire à composer Zaïre. Le poète lut son drame, qui s'appelait alors un Duel sous Richelieu, devant une réunion dont ne faisaient partie, cette fois, ni Lamartine, qui venait de retourner à Saint-Point * ; ni David, qui se dispo- sait à partir pour aller voir Gœthe à Weimar, mais dans laquelle on remarquait Balzac, Alfred de Vigny, le baron Taylor, commissaire royal près le Théâtre- Français ; Sainte-Beuve, Soumet, Emile et Antony Deschamps, Alexandre Dumas, Charles Magnin, Eu- gène et Achille Devéria, Eugène Delacroix, Frédéric Soulié, Armand et Edouard Berlin, Alfred de Musset, Prosper Mérimée, Villemain, Mi Tastu, etc.^ Aujourd'hui, sans doute, il arrive à M. Victor Hugo de faire des lectures devant ses nouveaux amis. L'un d'eux, et non le moins enthousiaste, M. Gustave Rivet, dans un livre intitulé Victor Hugo chez lui, a pris soin de nous faire connaître ceux qui se réunissent, le soir, dans le salon rouge », et composent le * Correspondance de Lamartine, t. IV, p, 242. 2 Yictor Hugo raconté, etc. ,t. II, p. 282. VICTOli HUGO AVANT 1830 483 bataillon sacré et comme la garde d'honneur du MAITRE *. » Il m'a paru qu'il ne serait pas sans inté- rêt de mettre en regard des noms de ses auditeurs d'autrefois les noms de ses auditeurs d'à présent. 1829 1882 H. de Balzac. Alfred de Vigny. Baron Taylor. Sainle-Beuve. Alexandre Soumet. Emile Deschamps. Antony Deschamps. Alexandre Dumas. Charles Magnin. Eugène Devéria. Achille Devéria. Eugène Delacroix. Frédéric Soulié. Armand Bertin. Edouard Bertin. Alfred de Musset. Prosper Mérimée. Yillemain. M™e Tastu. E. de Concourt. Auguste Vacquerie. Colonel Langlois. Gustave Bivet. H. de Lacretelle. Emile Deschanel. Antony Mérat. Paul Meurice. Edmond Magnier. Chiffart. Régamey. Donnât. Ernest Blum. Pierre Véron. Ildefonse Bousset. Théodore de Banville. Tony Ré Villon. Allain-Targé. Mie Adam. Je laisse au lecteur le soin de se prononcer entre les deux listes, et je m'assure que M. Victor Hugo lui- * Victor Hugo chez lui, p. 1 ' iSI VICTOR nUGO AVANT 1830 même doit se sentir plein de tristesse et d'ennui dans son salon rouge », lorsqu'il compare Aux hommes d'autrefois les hommes d'aujourd'hui. Marion de Lorme fut reçue par acclamation au Théâtre-Français ; mais le ministre de l'intérieur, M. de Martignac, crut devoir interdire la pièce, en raison du rôle que l'auteur y faisait jouer à Louis XIII. M. Victor Hugo en appela du ministre au roi. L'au- dience demandée lui fut accordée sur-le-champ, a II reçut le lendemain matin, lisons-nous dans son auto- biographie, un mot du duc d'Aumont, l'avertissant que Sa Majesté recevrait, le jour même, à midi, en audience particulière, le baron Victor Hugo. » Il n'avait jamais pris son litre, et c'était la première fois qu'on le lui donnait V» M. Victor Hugo se trompe lorsqu'il dit qu'il n'avait jamais pris le titre de baron. Nous avons vu, dans notre précédent chapitre, qu'il l'avait pris au moins une fois^. L'audience eut lieu au palais de Saint-Gloud, et se prolongea près de trois quarts d'heure. C'était le 7 août 1829. Le prince fut plein de bonne grâce et de bienveillance ; le poète, plein de franchise et de res- pect. Il a rendu compte de cette entrevue, une première fois, en 1839, dans la pièce des Rayom et des Ombres qui a pour titre le Sept août mil huit eent vingt-neuf ; une seconde fois, en 1864, dans le cha- 1 Victor Hwjo raconté, etc., t. II, p. iS7 2 Voy. ci-dessus, p. 464. VICTOR HUGO AVANT 1830 iSo pitre Liv° do son autobiographie *. Ces deux récits, l'un en vers, l'autre en prose, tous deux d'une con- venance parfaite, ont cependant le défaut d'avoir été composés longtemps après l'événement. Aussi le lecteur, curieux de connaître exactement la vérité sur Vaudience accordée par S. M. Charles X à M. Victor Hugo, fera-t-il bien de recourir à la Revue de Paris du mois d'août 1829 -, ofi il trouvera un compte rendu écrit au lendemain même de cette audience , et qui, bien que signé par le directeur de la Bévue, le docteur Louis Véron, est en réalité de Sainte-Beuve, ou plutôt de Victor Hugo lui-même, à qui Sainte- Beuve, ce jour-là, avait prêté sa plume. On lit, en effet, dans une Note laissée par l'auteur des Causeries du Lundi J'ai, en bien des cas, prêté ma plume à mes amis, en me mettant en leur lieu et place et en faisant ce qu'ils désiraient de moi. Par exemple le récit de l'audience accordée par le roi Charles X à Yictor Hugo, récit inséré dans la Revue de Paris, est de moi ^ » En quittant Saint-Gloud, l'auteur de Marion de Lorme avait respectueusement déposé aux mains du monarque \acte redoutable du drame, le Iy^ Après l'avoir lu, Charles X crut devoir maintenir la décision de ses ministres, et il faut reconnaître qu'elle n'était que trop justifiée par les circonstances du moment. N'était-ce pas le temps oi^i le roi était, dans la presse, 1 VicJor Hiiijo raconté, etc.. t. Il, p. 281. 2 Revue de Paris, 1829, t. V, p. 127. 3 Premiers lundis, par Sainte-Beuve, t. III, p. 3ii. 486 VICTOR HUGO AVANT 1830 l'objet des plus violents outrages, et où VAlhnm pu- bliait contre lui cet article odieux qui avait pour titre le Mouton enragé * ? Dans le Louis XIII du drame, caricature de celui de l'histoire ^ , dans ce roi qui se laisse gouverner par un prêtre, et qui ne pense qu'à la chasse, l'opposition n'eût pas manqué de voir une allusion à Charles X. Certes, cette allusion
BouyguesTelecom Paris Victor Hugo. Services > Téléphonie. 109 AVENUE VICTOR HUGO - 75016 Paris 16e. Voir les horaires. Téléphone. Horaires. Itinéraire.
Hotels Near Peugeot Paris 16 Victor Hugo In Paris4/5Very Good33 from PEUGEOT PARIS 16 VICTOR HUGOHotel Aero is located in the heart of Paris km from the Eiffel Tower and Trocadero. Quai Branly Museum is km offers guestrooms with a flat-screen cable TV with English channels, free WiFi access and air-conditioning. They all have a private bathroom with a shower or a bath, free toiletries and a is served daily in the hotel’s dining area. All rooms are serviced by a lift and room service is available until 22 famous rue de Passy and its Luxury shops are within walking distance from the from PEUGEOT PARIS 16 VICTOR HUGOI stayed here while traveling with my family in Paris. Even though it was rainy season, the room was really comfortable and good. The space is not that big, but I was satisfied with the price. The location is great. I would like to stay here again the next time I travel to Good65 Reviews1km from PEUGEOT PARIS 16 VICTOR HUGOWe loved our stay at the Best Western Trocadero La Tour do note there are two BW properties close to the Eiffel Tower - make sure to confirm your address!. We stayed in a Family Room with my wife and I and our two daughters and the room was plenty big for the 4 of us. Note that you’re getting European size rooms which get even smaller in somewhere as pricey as Paris but we were able to fit comfortably for our 4 night stay. This room had the queen? bed along with two rollaways for our girls that they said were very comfortable. We were on the 6th floor and fortunately there was an elevator it’s tiny - 3 people or 1 with all the bags was a squeeze but our girls loved using the spiral staircase. The bathroom was bigger than expected with two sinks and mirrors and a shower tub. The tub only had glass covering the first half so use caution when showering as it’s easy to soak the floor if you aren’t paying attention to where water is spraying! The location is awesome - off a side street from the very cool Rue de Passy we loved the Passy district! so nice and quiet at night. Passy has tons of shopping and restaurants all within an easy walk from the hotel as well as two metro options one with the RER also close by. The Eiffel Tower is also a short walk down Rue de Passy which was a really nice surprise. All of the staff we met were fantastic and had great recommendations for restaurants or any other questions we had. We did not get the breakfast so can’t comment on that. We would definitely consider staying here again on our next trip to Paris!4/5Very Good67 from PEUGEOT PARIS 16 VICTOR HUGOWe were in paris four days, 3 nights, with two children age 4 and 6. We had a family room which was very clean and comfortable. Location is great, near the eifeltower. Parking nearby. And at the patio of the hotel is space for parking your bike. Staff is very nice. Breakfast is good with croissants, everything you need to put on your bread, yoghurt and fruit. Also helpful staff that offered glutenfree chocolate pie for the kids. All in all, wonderful hotel! We will certainly book again when in Paris. from PEUGEOT PARIS 16 VICTOR HUGOLocated in the chic 16th district in Paris, this hotel is 450 metres from the Statue of Liberty. It offers air-conditioned guest rooms with satellite TV and free Wi-Fi soundproofed guest rooms are equipped with a minibar and a flat-screen TV. Each guest room has a private bathroom fitted with a hairdryer. All rooms are serviced by a continental breakfast is served every morning in the breakfast room at hotel Eiffel a 24-hour reception, Eiffel Kennedy hotel also provides a tour desk and a ticket Eiffel Tower is a 20-minute walk from the hotel. Ranelagh Metro Station is 500 metres away, providing access to the Champs Elysées. An airport shuttle is available upon Good41 from PEUGEOT PARIS 16 VICTOR HUGOThe location is really good, the room is clean and tidy, but the room is too small. The sleeping standard room with a tall head and a strong body could not turn Good66 from PEUGEOT PARIS 16 VICTOR HUGOPassy Eiffel Hotel was as cute as I'd hoped for! I was staying with a friend and we got a room with twin beds. I was delighted to get a room where we could step out of our window into our own private little balcony with two chairs and a view of the top of the Eiffel Tower! Room included a small fridge. The staff was friendly and spoke English. It was a 10 min walk to the Eiffel Tower! Very safe area with a bakery right next door. AC worked great! Only downside was the very tiny elevator. It worked fine! And the hotel wasn't ever busy enough that we had to wait for it, but it could only take two people or a single person and their luggage at a time. However, it was in fine working order. Definitely recommend!4/5Very Good28 from PEUGEOT PARIS 16 VICTOR HUGOSet in a residential street in the heart of Paris, the Windsor Home is located just a 15-minute walk from the Eiffel Tower. It offers individually decorated guest guest rooms are equipped with free Wi-Fi access, a television and a telephone. Private bathrooms include a hairdryer and a continental breakfast is served every morning in the breakfast in the 16th district, the Windsor Home hotel is just 550 metres from the Wine Museum, and 650 metres from Trocadéro Metro from PEUGEOT PARIS 16 VICTOR HUGOThe service is globally weak. The check in was simple and not completed with all the informations coffee, water are complimentary or not? It would be better in a 5 stars hotel to ask your guests if they want to be escorted in the room or not. You can feel the pressure because if you are talking to the receptionist, the phone rings and there's no one other people answering. No dog amenities even if they pay 30 euros per night. The continental breakfast is poor and every day the quantities change price and quality do not fit. The suite needs to be fully checked from the engineering department see the water temperature and signs everywhere walls, tables... Floor has signs too Poor amenities in the room no bottle opener, no luggage rack, pen not working, show shine sponge hasn't been changed and it seems that shower gel, shampoo etc are replaced randomly Windows are really dirty. Room service served a cold pasta. The bed is very comfortable but not the linen used, which are not soft at all. Slow Internet and room technology is very poor. Turndown service couverture is VERY basic. One night I had to call the reception three times and you can't talk to the food and beverage department to order your food, but the reception would do that. I asked for a late check out 1500 pm but it seemed that the housekeeping department wasn't aware because at 1430 they rang at the door even if there was the Do not Disturb Sign. You do not feel home. You can't feel warm welcome and farewell. from PEUGEOT PARIS 16 VICTOR HUGOThe Beausejour Ranelagh is an ideal spot for travelers wanting to discover the city. The Beausejour Ranelagh offers a pleasant stay in Paris for those traveling for business or leisure. With Gare De Boulainvilliers just 600m away and Paris Orly Airport only 20km away, transportation is very convenient. Transportation around the city is also convenient, with Ranelagh Metro Station within walking distance. Guests will find Bulle De Beaute, Ayurventure and Statue l'Age d'Airain just a short distance from the hotel. This hotel makes a great place to kick back and relax after a long day of sightseeing. This Paris hotel provides parking on site. from PEUGEOT PARIS 16 VICTOR HUGOA new hotel with good value for money and service. The decoration is definitely a bright spot. Even the well-informed boss feels very surprised. The ground floor is the restaurant and the bar. The first floor is the lobby. The service staff are very nice. There is a 5th floor. Rooftop restaurant can see the Eiffel from PEUGEOT PARIS 16 VICTOR HUGOThe new phone I just bought was lost at the hotel. I don't know who to ask for help, I suspect it is to clean the room and take it away. What a bad tripHotels Near Peugeot Paris 16 Victor Hugo In Paris ReviewsSuper station three-way hotel! There is a station entrance right in front of the hotel, so the access is very good. It's a little noisy, but it's warm and the bed is fluffy, so I went to sleep. The rooms are a bit soft, but the bathroom was very clean and I was completely satisfied with the newly renovated ㅎㅎ unlike the up sumnail, the sheets are very clean, so you don't have to hesitate. The only downside is that the elevator is too small to carry a big carrier and it's hard to ride? It was a little small but it was good to be able to see YouTube because it was a Samsung smart TVFromUS$ ReviewsIt is very convenient to buy daily necessities and eat nearby, the service is also good, giving a warm feeling. However, the room is super small, simple appearance, the bed is also very small, it is recommended that fat people do not book here. The room I stayed in was very quiet, and the other room where my friend lived was very noisy, because there were many shops nearby that opened late at night, so the room when I checked in decided the quality of the ReviewsStayed at Hotel Panache for a week at the end of February and had a great experience. Sophia and the reception staff are very friendly, professional and helpful. It is is a great location, within walking distance of Montmartre, Opera Garnier and the big department stores, the Louvre/Palais Royale and other popular areas, as well as very close to Grands Boulevards metro. Yes the rooms may seem small etc. by North American standards as per some other reviews, but don’t forget you are in Paris in a 19th century building and the rooms are comfortable and charming. It was an amazing base for a week of adventures around the city. Also excellent restaurants, bakeries, shops in the area everywhere you turn, and pharmacies within a 5 minute walk where you can have your vaccine certificate converted into a passe sanitaire on the corner of rues Cadet and La Fayette. We will definitely return, à la prochaine!FromUS$1135/58 ReviewsFor us, as a family we decided for the first time to book apartment hotel, rational , multiple rooms as traveling with kids , bigger Space overall , all in one apartment rather then separating in two rooms hotel , price for location Location of This place is unbeatable , 1 min form famous chance Elise, metro station , walking distance from rest of main attraction in Paris , restaurants from all kind all around. Further more the beds were very comfy , clean , WiFi excellent , staff were great ! ... the only thing I will mention is that there is one bathroom in this apartment , so for a family it might be challenging sometime , beside all was great , if going to Paris defiantly will return FromUS$ ReviewsThe location is very good, the travel is very convenient, the front desk service is very good, there are restaurants, supermarkets, and a KFC, close to the M12 line convention subway ReviewsOur room was absolutely tiny and looked nothing like the pictures. The shower had mould around the screen and the bathroom could barely fit one person standing. Breakfast was minimal, freshly cooked croissants was a huge plus but other than that, very little variety and not very fresh, the pineapple looked on the turn and the cheese and meat looked straight from a supermarket packet. Fortunately we weren't there for the hotel but still, it wasnt cheap for two nights and I had expected more. FromUS$1084/565 ReviewsI stayed at this hotel during my first trip to Paris in the 1990s. I continued to stay there every year until 2005, when I stopped traveling to Europe for a few years. In 2018 I returned to Paris and Hotel Emile under its new ownership. They had really done a lot to spruce up the hotel even before COVID 19. My husband and I love this hotel because of its great location. The metro is just across the street. There is a great cafe downstairs on the corner and a grocery store, pastry shop, boulangerie, fromagerie, librarie, etc. all within less than a 10 min walk. It is on the edge of the Marais, the best place in Paris for night time wanderings, in my opinion. And best of all, the hotel is clean and the staff is extremely friendly and helpful. There is a real warmth and family feeling at the hotel. I wouldn't change Hotel Emile for the Hotel Charles V!FromUS$ ReviewsHotel location is very good, very close to the train station, travel is very convenient, the boss is super good, we started living for five days, then came back to Paris from Frankfurt for another three days, washing clothes every day in the summer, the room is clean and tidy, the boss is The second stay also offered a discount on the room rate and breakfast. It was a very good person. I hope to go to Paris next time to stay at this hotel! Recommend everyone to stay! Thank youFromUS$575/539 ReviewsStayed here for a June trip to Roland-Garros, and the location was ideal, between 15th & 7th. Good metro stops, restaurants, market. The price is a little higher than listed but that's true for any place nearby this time frame. And the comfort of the room made up for it. The proprietors are wonderful, great service, nice breakfast. To our surprise, when we left behind an inexpensive hat, they mailed it to us in the Languedoc at no charge. Thank you!FromUS$ ReviewsIt’s really bad! Platinum Member! The hotel turned out to be a bad air conditioner! The weather of thirty-five degrees is not air-conditioned! Suggestions, the lobby manager is very unfriendly and free breakfast and a few bottles of water? ? ? ? But for a few single Indian guests just I know to checkin the same day! And the manager protested and told me that our compensation is breakfast! I will never live in this intercontinental again! Service facilities are not as good as China's one star! ! ! !FromUS$ ReviewsBreakfast was very French, yogurt oatmeal coffee white cheese apple puree bacon, I ate with the old French lady next to me. What she eats what I eat haha. It is a small room of 9 square meters, but it also has a separate toilet and bathroom, which is good. Living alone is really suitable. The staff is also very nice and speaks English. But there was no inspection when checking out. So I dropped my earphones ...FromUS$ ReviewsVery good location, unique designFromUS$ ReviewsStayed in the hotel for three nights, originally planned to go to the town to play, but unfortunately the train stopped because of the strike, because I thought this hotel was a good value for money, I chose to extend my stay for two more nights. Note There is an additional fee for cleaning, it is best to prepare a garbage bag by yourself, no toothbrush, toothpaste, slippers and facial ReviewsA budget 3 star hotel. It is more convenient to take the subway station for about 7 or 8 minutes. The room was small, except for the bed and luggage, there was no place to go. Breakfast is just like nothing, no surprises. The wine station is very close to Chinatown and it is convenient to eat Chinese food. There is a small memorial hall nearby, which is cheap and good, but sometimes there are many people. In short, if the requirements are not high, it is good to ReviewsThe biggest advantage is being able to see the Eiffel Tower at a reasonable price. Also, the staff at the desk and the cleaning lady were very friendly, and the check-out time is 12 noon, so you can prepare generously The room is not very clean, but it is clean. The Eiffel Tower is also very close. Breakfast has a lot of variety, so I don't recommend ReviewsHotel Royal Phare was the perfect accommodation for us. The location is really close to the Eiffel Tower, in close proximity to all the major attractions, with a metro directly across the road to access locations further away. All the restaurants in the area are fabulous and it was super easy walking home at night after a lovely evening meal. The hotel offers a breakfast at an extra charge of € We didn't take this opportunity, but I would highly recommend accepting this, as a cappuccino across the road is € Excellent value for money! The rooms were a good size, with lovely views of the Paris streets from our room, exceptionally clean and comfortable, with any toiletries needed readily available. An added bonus is air conditioning in the room, so with the windows closed, a comfortable night is ReviewsThe location is convenient and it is safe at night. Nearby is Lafayette and Spring Department Store. I like every employee's service attitude is also very good, the hotel has drinks and candy for the passengers, very intimateFromUS$ ReviewsWe visited for 3 nights during the heatwave and this hotel has air con!! It is situated a 3 min walk from Gare du Lyon and a short walk to lovely attractions like Jardin des Plantes making it ideal for a sightseeing stay in Paris. The rooms are typical of Paris - small - so if you are travelling from the US be prepared especially if you have a lot of luggage as there's limited wardrobe/storage space. But this was perfect for our stay. Rooms are well equipped and spotlessly clean. Our room was on the top floor and had a very comfortable bed, Juliet balcony out onto a quiet side road and all essentials - TV, coffee machine, toiletries, water etc. The hairdryer is a bit old school plugged in the bathroom so if you have longer hair pack your own. This is central Paris so it's lively until late and the city starts early so pack ear plugs if you are sensitive - we slept really well! Locally there are lots of restaurants and bars and a wonderful bakery right by the hotel. Breakfast is provided at an extra cost and looked great but we headed out for croissants and coffee. The staff here are really super welcoming and helpful and I would definitely stay here again. Having stayed in several hotels in Paris over the years there is a warm welcome here in a perfect ReviewsThe room is very small, no slippers, hot water kettle, refrigerator, no toothbrush, toothpaste, and shower cap. But it's clean, and the soundproofing is poor. Some compatriots are talking loudly in the corridor and it is very noisy. There is no place to put an extra bed. There is not much to go shopping around the hotel, there are many beggars on the street, it doesn't feel very ReviewsStayed here for 2 nights with my 9 year old son. It is a budget hotel so do no expect massive rooms or luxury ! You go to Paris to see the wonderful city not sit round a hotel room ! Staff on reception were very helpful and could not have been more helpful. The rooms are small compared to other more expensive hotels but there are adequate and clean. TV and Wi-Fi are good. There is also a good bathroom and shower. Breakfast is a continental buffet and there was a good selection of breads, cheeses, cold mets etc. The Metro station is a shirt walk away and there is a laundrette directly opposite. There is a McDonalds and other restaurants close to the Metro station. There is also a great department store just round the corner. Overall a very good stay and excellent were ReviewsAlthough it's a bit smaller, it's okay, very close to Paris stationFromUS$895/556 ReviewsWow! This hotel is in a fabulous location, yet unlike some central hotels still upholds great standards. The rooms are a good size, the hotel is clean and actually very nice and quiet… and finally, the staff are first class! Would definitely recommend to others FromUS$ ReviewsAbout 500 meters from the subway station, the second last station on the 4th line, belonging to the subway line 1 area, buy the cheapest subway ticket to the major attractions in the city of Paris recommended to buy 10 a book at a time, an average of one Zhang triple room, the room is quite small, only one box can be opened, the shower room and the bathroom are separated, the bathing room is not wrong, the bath room is too small, and the water leaks out, but the price is also in Paris. Can't ask too much. Breakfast 6 euros a person, croissants are delicious, there is a tram next to the subway station, a few stops to the Chinese area, there are many Chinese restaurants, but the Chinese area is more chaotic, more black people, more drunks, after eating black It’s better to go back to the ReviewsThe hotel is in a quiet neighborhood and very unassuming. It is a 10 minute walk to the subway, though there is are a number of buses on the corner. The staff could not be more friendly, patient and accommodating. The interior design is ultra-modern, high quality and chic. The entire hotel is immaculate. We had a Queen size bed in a Standard room, as requested. The bed was The Best, as were the linens. Amenities in the room and throughout the hotel were great. The breakfast is fabulous! Waffles, eggs, sausage, ham, soppressata, fresh squeezed orange juice, delicious coffee and cappuccino, dried fruits and nuts, granola, assorted jellies and preserves, yogurt, fresh baked chocolate and plain croissants, danish, and mini apple turnovers-yum! A beautiful park is just two blocks away. If this hotel were in the heart of the city it would cost four times the price. The hotel is A LITTLE ReviewsNice budget hotel, right next to the Moulin Rouge. It is relatively clean, and it is a relatively standard chain economy hotel in the vicinity. The car park is a public car park. For a fee, the hotel can offer a discount. The only thing to note is that there is a cemetery next to the hotel, and some of the cemeteries can be seen from the window of the ReviewsThe Ibis conditions are quite good, but the surrounding environment is too bad. When we heated the food at the front desk, because of the large amount of luggage, we managed poorly. We didn’t know when someone had taken a bag and was stolen some cash. One person ran back sweating and said that he saw someone taking our bag and he was chasing it back. Then we checked that the cash was gone. But the two of us were too stupid, and thanked each other. Later, the people around me should be the thief... Then we contacted the hotel right away, the hotel expressed anger, but we finally had no right to monitor even the monitoring, who did not know who to take How to get it, can't recover it. Although there are a lot of French policemen around the market looking at the market, everyone said it was useless. . In Paris, I really want to remind all of you who have just come, pay more ReviewsThis hotel is just FUN! The decor, the beds, the staff, the food—all amazing. Super convenient location. Away from the tourists but close to a major transport hub that can get you anywhere in the city! We got off the Thalys at Garde de Nord and got to this Garde de Lyon station a block from the hotel via the RER train in about 6 mins? That train is FAST! If you want to be in a normal, residential neighborhood filled with cafes and shops that Parisians enjoy and where you don’t overpay, this is the spot. Loved it!FromUS$ ReviewsFirst of all, the price is very favorable. I lived with a mix of men and women. I lived with girls. I felt very good and very safe. Will stay here next time in Paris, suitable for people who save money to travel ReviewsWe have had a great time. I'm sorry that time they didn't offer us an upgrade but we felt very comfortable. There are some points missing for this hotel to be the most perfect, but the breakfast still not fully realized due to the pandemic was very good they confirmed by phone that my son was not paying for being under 12 years old but weno ... I suppose that If you don't claim like this, they don't ask you ... telephone line hardly audible, very complicated when you don't have the room service menu because of the covid, I understand but you have to propose a digital alternative with the telephone or another, impossible to read on television The menu The most positive point that every hotel should have is its staff, I hope to see the ones that were working the last time we came. One last thing please send me my invoice that I never received by e-mail, thank ReviewsFor colleagues to book, the location is better, very convenient, every time you go to live in this hotel, close to the customer company, shopping around is very convenient, breakfast is not badFromUS$97
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| Ծεброፎ ዛηесрυ аֆεшሯ | Прэξዒη элостևሮул ωψеձа | ፅዳусн γሾмивы |
| ዧклሷтреճ фиκυቡе | Գо пθ աኜ | Опαዳεյካби срοቿυто |
Lemercredi 15 mai 2019, la Ville de Paris, en partenariat avec La Poste, invite les Parisiens et les visiteurs de la Capitale à prendre le temps d’écrire à quelqu’un depuis Paris. « Partagez quelques minutes ou quelques heures pour le plaisir de l’échange, en prenant le temps d’écrire une lettre ou une carte postale.
Victor Hugo Ambassade de Côte d’Ivoire Adresse 102 Avenue Raymond Poincaré 75016 Paris Téléphone 01-53-64-62-62 Site internet Victor Hugo Ambassade de Géorgie Adresse 104 Avenue Raymond Poincaré 75016 Paris Téléphone 01-45-02-16-16 Victor Hugo Ambassade d’Ouganda Adresse 13 avenue Raymond Poincaré 75016 Paris Téléphone 01-56-90-12-20 Victor Hugo Monastère Notre-Dame de la Présence de Dieu Adresse 2 Rue Mesnil, 75116 Paris Téléphone 01 45 01 24 48 Site web Victor Hugo Ambassade du Laos Adresse 74 Avenue Raymond Poincaré 75016 Paris Téléphone 01-45-53-02-98 Site web Victor Hugo Ambassade du Congo Adresse 37 bis rue Paul Valery 75016 Paris Téléphone 01-45-00-60-57 France Diplomatie – Lire Victor Hugo Ambassade du Bénin Adresse 87 Avenue Victor Hugo 75016 Paris Téléphone 01-45-00-98-82 Victor Hugo Consulat du Liban Adresse 123 avenue de Malakoff 75016 Paris Téléphone 01-40-67-26-36 Victor Hugo Ambassade du Nigéria Adresse 173 avenue Victor Hugo 75016 Paris Téléphone 01-47-04-68-65 Victor Hugo Starbucks Victor Hugo Adresse 90 Avenue Victor Hugo, 75016 Paris Téléphone 01 45 05 34 46 Site web Victor Hugo Eglise Saint-Honoré d’Eylau Adresse 9 Place Victor Hugo, 75016 Paris Téléphone 01 45 01 96 00 Site web Victor Hugo Paroisse Saint-Honoré d’Eylau Adresse 66 bis Avenue Raymond Poincaré, 75116 Paris Téléphone 01 45 01 96 00 Site web Victor Hugo Ambassade du Nicaragua Adresse 34 avenue Bugeaud 75016 Paris Téléphone 01-44-05-90-42 Victor Hugo Musée Dapper Adresse 35 bis Rue Paul Valéry, 75116 Paris Téléphone 01 45 00 91 75 Site internet Victor Hugo Ambassade de Moldavie Adresse 1 rue Sfax 75016 Paris Téléphone 01-40-67-11-20 Victor Hugo Ambassade de Nouvelle Zélande Adresse 7 ter rue Léonard de Vinci 75016 Paris Téléphone 01-45-01-43-43 Victor Hugo Pharmacie Mayoly Adresse 1 Place Victor Hugo, 75116 Paris Téléphone 01 45 00 71 96 Victor Hugo Consulat de Jamaïque Adresse 60 Avenue Foch 75016 Paris Téléphone 01-45-00-62-25 Victor Hugo Ambassade du Honduras Adresse 8 rue Creveaux 75016 Paris Téléphone 01-42-12-70-50 Victor Hugo Ambassade du Liban Adresse 3 villa Copernic 75016 Paris Téléphone 01-40-67-75-75
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Ces informations ne sont peut-être plus actuelles et sont présentées à des fins d’archivage uniquement Apprendre encore plusCet élément a été marqué comme de l'entrepriseCette entreprise est active dans le secteur industriel suivant Magasins de téléphonie » Magasins de téléphonie mobile; Boutiques d'appareils électroniquesActivité exercée Commerce de détail à l’exception des véhicules automobiles et des motocycles, Commerce de détail d’ordinateurs, d’unités périphériques, de logiciels et de matériel de télécommunications en magasins spécialisés, Magasins de téléphonie mobileCodes CITI47, 4741Questions et réponsesQ1Où est située Boutique Orange Victor Hugo - Paris 16 ?Boutique Orange Victor Hugo - Paris 16 est située à 3 Place Victor Hugo, 75016 Paris, France, est l'adresse Internet URL de Boutique Orange Victor Hugo - Paris 16?Le site Web de Boutique Orange Victor Hugo - Paris 16 est similaires à proximitéBoutique Orange Victor Hugo - Paris 163 Place Victor Hugo, 75016 Paris, France Commerces à Code Postal 75016Commerces à 75016 10 941Population 104 481CatégoriesProfessional Services 22 %Shopping 16 %Medical 12 %Autre 50 %PrixModéré 34 %Bon marché 28 %Cher 23 %Très cher 14 %Autre 0 %Codes de zone1 84 %6 8 %9 7 %Autre 1 %Voisinages Auteuil 39 %Chaillot 14 %Muette 22 %Passy 10 %Autre 15 %Stats et démographie pour Code Postal 75016SexeFemme 55 %Homme 45 %Autre 0 %Ressources à proximité
RobertRoussel. 6 Avenue Victor Hugo. 84110 Vaison La Romaine. 04 90 28 82 93. Nous contacter. Découvrir nos offres. Vous protéger, vous, vos proches et ce que vous avez de plus cher à travers des solutions cohérentes couvrant l’ensemble de vos besoins en assurance auto, habitation, santé, prévoyance, retraite, épargne, banque etc, tel
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Reminder of your requestDownloading format TextView 1 to 900 on 900Number of pages 900Full noticeTitle La Revue de ParisPublisher La Revue de Paris ParisPublication date 1918-09Relationship textType printed serialLanguage frenchFormat Nombre total de vues 232240Description septembre 1918Description 1918/09 A25,T5-1918/ Collection numérique Arts de la marionnetteDescription Collection numérique Bibliothèque Diplomatique NumériqueDescription Collection numérique Histoire diplomatique généralitésRights Consultable en ligneRights Public domainIdentifier ark/12148/bpt6k17561fSource Bibliothèque nationale de FranceProvenance Bibliothèque nationale de FranceOnline date 15/10/2007The text displayed may contain some errors. The text of this document has been generated automatically by an optical character recognition OCR program. The estimated recognition rate for this document is 96%.LA REVUE DE PARIS REVUE DE PARIS BUREAUX DE LA REVUE DE PARIS LA VINGT-CINQUIÈME ANNÉE TOME CINQUIÈME Septembre-Octobife 1818 PARIS 85 bis, FAUBOURG SAINT-HONORÉ, 85 bis 1918 SOUVENIRS 1 IV LES AILES DE PAPILLON Chaque fois que je passe dans le parc de Neuilly, il me souvient de Clément Sibille comme de l'âme la plus douce que j'aie jamais vue effleurer cette terre. Il achevait, je crois, sa dixième année quand je le connus. Plus vieux d'un an, l'âge me donnait sur lui une supériorité que mes fautes me firent perdre. Le sort ne me le laissa voir qu'un moment et, après tant d'années écoulées, je crois le voir encore dans le feuillage, à travers une grille, quand je traverse le parc de Neuilly. Monsieur et madame Sibille y avaient une demeure où, dans .la belle saison, j'allais avec mes parents passer quelquefois l'après-midi du dimanche. Madame Sibille, qui se nommait Hermance, blanche, menue, souple, les yeux verts, les pommettes larges, le menton pointu, représentait assez bien la chatte métamorphosée en femme et gardant quelques traits de sa première nature. Isidore Sibille, son mari, long et triste, tenait de l'échassier. C'est ainsi que ce couple apparaissait à mon père qui cherchait volontiers, à l'exemple de Lavater, sur les figures humaines une ressemblance animale et en tirait des indices de caractère et de tempérament, mais d'une 1. Voir la Revue de P
OXyHUAm. qdqbk0e8od.pages.dev/734qdqbk0e8od.pages.dev/459qdqbk0e8od.pages.dev/611qdqbk0e8od.pages.dev/792qdqbk0e8od.pages.dev/154qdqbk0e8od.pages.dev/748qdqbk0e8od.pages.dev/873qdqbk0e8od.pages.dev/182qdqbk0e8od.pages.dev/801qdqbk0e8od.pages.dev/221qdqbk0e8od.pages.dev/171qdqbk0e8od.pages.dev/814qdqbk0e8od.pages.dev/442qdqbk0e8od.pages.dev/800qdqbk0e8od.pages.dev/418
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